[ILLU TEXTE] image pour texte [SUSPENDUE]

C’est dans ce décor trop naturel, trop sauvage pour être totalement domestiqué par l’homme, que j’aperçus au loin un reflet brillant. De prime abord, j’eus l’impression de distinguer l’éclat furtif des pleins feux dans l’œil d’un de ces animaux. Je ralentis d’autant ma course, mais les points lumineux, qui se faisaient de plus en plus nets, restaient immobiles dans ce tunnel végétal artificiellement éclairé par le véhicule.

Sous la voute des arbres, au détour d’un virage peu prononcé, se tenait droit et immuable, une créature que je ne parvins pas à reconnaitre.

Sa taille qui me paraissait à présent exceptionnelle même pour un cerf, m’inquiéta vaguement. Parvenu à quelques dizaines de mètres, la forme se tenait toujours à la lisière du bois, et je roulais désormais très lentement, tant et si bien que je m’arrêtai complètement devant elle, une fois arrivé à une dizaine de mètres.

La créature – il n’y a pas d’autre nom pour la nommer – me fixait intensément et ne semblait pas souffrir de l’éblouissement des phares. Elle était de taille humaine, mais la comparaison s’arrêtait là.

Il ne pouvait s’agir d’un animal. En tout cas pas d’un mammifère, malgré sa corpulence. Son corps semblait lisse, comme une fourrure détrempée, et pourtant il me semblait distinguer des plaques qui n’étaient ni écaille, ni plumage. On aurait pu croire à une fantaisie surnaturelle, une sorte de chitine velue, lisse et rase, mais les reflets moirés de couleurs impossibles ne pouvaient permettre aucune détermination ou rapprochement avec une quelconque espèce vivante.

Ses pattes courtes la faisaient se tenir debout, bien que la succession d’étranges et complexes articulations m’en fisse douter, ainsi que le prolongement de son corps long, qui demeurait caché dans les taillis.
Le long de son torse presque géométrique, étaient disposés erratiquement des sortes de pinces, comme on aurait pu en trouver sur les crustacés.

Je restais coi, à détailler dans un état second cette chose et ses particularités abjectes.
La terreur s’empara de moi lorsque je vis distinctement bouger sa tête. Le sommet du corps s’ouvrit en un cercle parfait au dessous des multiples points brillants qui devaient être ses yeux. Ceux-ci me parurent luire de leur propre éclat à cette distance.

La bouche apparut plus qu’elle ne s’ouvrit réellement, laissant place à ce cercle noir, profond, avalant la lumière. Puis en émergèrent progressivement une infinité de nouveaux cercles concentriques, immaculés et parsemés trop régulièrement de « dents ». Il y avait des rangées multiples de crocs immondes qui ne tenaient à aucun membre visibles. Les mâchoires affutées n’exprimaient rien, pas même de peur ou de vice animal.

Je ne sais combien de temps nous restâmes à nous observer l’un et l’autre, mais cela me parut une éternité. Je n’osai la quitter des yeux, de crainte qu’elle ne s’évanouisse dans l’éther de mon esprit contaminé par une folie naissante. Car j’eus bien l’impression de devenir parfaitement fou. Une telle chose ne pouvait exister, aussi ce ne pouvait être que mon esprit qui l’avait invoqué dans un moment de panique irrationnelle.

Plus pour faire disparaître cette hallucination, que dans le but de prouver matériellement cette présence, je tendais la main vers mon téléphone portable. Sans quitter des yeux le monstre, j’ouvris le clapet et actionna la touche permettant de prendre des photos. Je tendis dès lors l’appareil vers le pare-brise, en direction de l’apparition et constata avec frayeur, que son image était également sur l’écran. Je déclenchai la prise de vue à plusieurs reprises ; la bête ne bronchait toujours pas et se prêtait à cette séance de photographies surréaliste. Chacun des clichés étaient parfaitement net et lumineux dans l’éclairage puissant du 4x4.

Ne pouvant rien faire d’autre dans l’immédiat, l’esprit vide de toute réflexion, je m’abîmais dans la contemplation de cette bête.

Ce fut elle qui, au bout d’une éternité, prit la décision de se mouvoir. Elle entama une reptation lente et coulée sans jamais me quitter des yeux. Avant de disparaître dans la forêt, je vis une dernière fois le disque de sa bouche qui s’amenuisait.