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| Sujet: [En cours] Dieu en son propre corps Mer 11 Mai - 3:41 | |
| Cela faisait plusieurs jours que la fatigue me prenait du moment que je me trouvais chez moi. En général, abruti par ma journée à négocier avec des collègues tous plus irritants les uns que les autres, j’achevais ma métamorphose de larve en passant quelques heures devant mon ordinateur. Savoir que je perdais mon temps impunément me procurait une sensation de culpabilité et de transgression tout à fait grisante, qui compensait l’effet liquéfiant des idioties que je contemplais soir après soir. Alors que j’achevais mes neurones devant les circonvolutions amoureuses d’une série quelconque, je fus pris d’une soif terrible. Je me levais alors, pour m’arrêter à mi chemin.
Quand quelqu’un est entré chez moi, inquiété de mon silence, cela faisait une journée que j’étais dans cette position, planté au milieu de mon salon. La musique, en mode aléatoire, que j’avais lancé avant ma chute catatonique avait épuisé le quart de ma bibliothèque et j’étais incapable de démêler les stimuli. Aussi, quand on me parla, des notes me résonnèrent aux oreilles.
A l’hôpital, on s’inquiéta beaucoup. J’avais repris conscience, mais j’étais tout à fait fébrile, absolument sensible à la première chose qui viendrait encombrer mon espace vital, de sorte que les infirmières qui me visitaient me causaient beaucoup de trouble. Incapable de dormir, je tins quatre jours bien éveillé, mes joues se creusant et mes cernes s’alourdissant. On me donna les somnifères les plus puissants, mais ils ne me firent pas le moindre effet. Pas une seule fois, au cours de ces quatre journées, il ne me vint à l’esprit que c’était anormal. Puis, alors qu’autour de moi on s’affairait, alors que le bourdonnement ambiant était couvert par des sanglots, je me dis que j’avais envie de dormir.
Ce que je fis.
Mon lit s’ouvrit grand sous mon corps et je tombais. Il y eut des flashs noirs et blancs, des lumières et des tunnels, mais rapidement ce fut comme si mon esprit rejetait ces artifices. Je tombais néanmoins et sans crier gare, j’étais quelque part.
Je dis quelque part, je serais bien incapable de dire si ce lieu existe, si je l’ai déjà contemplé, déjà traversé, puis oublié comme on oublie consciemment quelque affaire inconvenante. Alors que je le découvrais, je ressentis d’abord un vif malaise, puis une certaine sensation de contentement. J’énonçais que je rêvais surement, et le paysage, un bête paysage de campagne au printemps avec ses collines, ses bois, ses étendues vertes et vives et son soleil improbable, ce paysage frémit. Avec un peu plus d’assurance, je répétais ma pensée. Je fus alors à Time Square. Je rêvais. Place Tian An Men, je rêvais. Devant une scène de concert, je rêvais tout autant. Au fur et à mesure des flashs, les visions devenaient plus courtes et plus vives. Les images finirent par ne plus former qu’une bouillie colorée.
Pendant un moment, ce fut insupportable. J’avais honte d’avoir si peu fait, si peu vécu, si peu créé. Tout redevint noir. D’un noir parfait, sans limite, du vide, ou plutôt du vide dense, chargé avec le « tout », si l’on peut le nommer comme ça. Comme une matière protéiforme, ayant tous sens, tous visuels, mais irrémédiablement noire.
J’eus soif et une bulle de liquide se matérialisa devant moi. Avec circonspection, je l’examinais pour lui trouver un air de jus de pamplemousse. Je le bus, et il était délicieux, exactement l’idée qu’on se ferait d’un jus parfait.
Silencieux, sirotant tranquillement, je réfléchis longtemps. J’en vins à la conclusion que je rêvais toujours mais que mon subconscient, s’étant fait surprendre en plein travail psychosomatique, s’était effarouché, avant de se lasser de ma présence et de mon déni pour m’abandonner à une sorte d’espace vide, où j’étais dieu. Créateur en son propre corps. Rouvrant les yeux, je constatais que j’étais dans une chambre d’hôpital, m’observant moi-même de loin. Puis, alors que je fronçais les sourcils, ce fut mon appartement qui prit place. Planté au milieu du salon, mon corps rigidifié s’évanouissait sans faire d’histoire, chassé par ma présence. Déconcerté à l’idée que tout ce qu’un dieu puisse faire est de reconstituer ce qui lui est familier, je fus fatigué de tout cela, fatigué de rêver, de dormir.
Je me réveillais. Encore une chambre d’hôpital. Une infirmière attentionnée était penchée sur moi, en train de changer une perfusion. Je fus très déçu. Malgré un angle de vue parfait, la stricte blouse ne me permit pas de voler le moindre tableau. Tout fraîchement habitué à provoquer mes désirs, je formulais à voix haute le souhait qu’elle se dévêtît. Un instant, je cru qu’elle avait accédé à mes désirs, lorsque qu’elle se retira prestement, mais son appel pour un docteur me détrompa rapidement. Revenant vers moi, elle m’expliqua que j’avais dormi près de trente heures. Puis, non pas un, mais toute une armada de médecins vinrent m’expliquer avec force diagnostics très scientifiques que j’étais un cas inexplicable. Un peu déconcerté qu’être un dieu soit une maladie rare mais ne désirant pas briser la magie d’un tel exercice de pensée. J’acquiesçais sans cesse, approuvant sans les écouter les considérations d’une dizaine de praticiens empressés de faire de moi un cas d’étude.
Revenu chez moi, je voulu immédiatement retourner à mon état omnipotent. Sans prendre le temps de manger, de réfléchir, je me jetais dans mes draps, en pensant de toutes mes forces au sommeil, à la création toute entière.
Rien à faire, le repos me fuyait. Je me tournais, je me retournais sur mon matelas, frustré. Je me languissais, la bouche pâteuse et la voix rêche, abruti par la remémoration constante d’un état que je ne parvenais plus à atteindre. Il semblait que le sommeil du dieu soit rare autant qu’intense. Fatigué mais réveillé, j’errais dans mon appartement, entamant un livre puis le rejetant pour ne pas subir son influence, désœuvré, ne voulant même pas écouter de la musique. Mes esprits étaient blancs et arides. J’avais l’impression de devenir fou. Je devenais infect, et l’on ne pouvait plus me parler sans que ma mauvaise humeur ne mette un terme à toute forme de communication.
Je finis par sortir pour errer dans le quartier. Je jetai des regards ahuris aux passants, ma démarche vacillante me portait à peine. Hésitant, je commandai un expresso dans un bar, que j’avalai d’un trait avant de réaliser mon erreur. Les mains tremblantes, j’observai à la manière d’un psychotique paranoïaque le moindre passant. Le soleil émergea des toits. Le ciel brillant m’aveugla plusieurs minutes.
Je décidai de visiter un ami. Je voulais sortir de ma transe. Il habitait à quelques rues et je su me diriger malgré mon état pitoyable. Je pris une ruelle coupée par un pont en son centre. Ce pont enjambait un ruisseau quelconque. Le bruissement de l’eau me calma un instant, puis je fus pris d’un vertige intense. J’agrippai la rambarde à tâtons pour ne pas tomber. Brusquement, tout fut noir.
J’y étais parvenu ! J’avais réussi ! J’étais de nouveau dieu, monarque incontestable du trou de mon imagination ! J’attendis un instant. Rien ne se passa. Je ne savais pas trop quoi faire. Mais j’étais divin, j’avais une genèse à entreprendre. Et parce qu’une création type biblique me semblait par trop complexe à imiter, je décidais de commencer par inventer en deux dimensions.
D’abord un paysage surgi du rien. Un rivage de lac, une étendue paisible pour décor. Sur ce rivage, un peu de sable, des herbes folles. Au-delà, du vide. Un bois, puis une forêt remplirent ce vide. A l’orée du bois, un arbre apparu, supportant une cabane, une maison. De là où j’étais, tout semblait un peu faux, plat. A contre cœur, j’instaurai la troisième dimension, la profondeur et les ombres pour le confort de mon œil. Après avoir créé les ombres, je réalisai que j’avais oublié de créer la lumière. J’hésitai. Fallait-il un soleil, une bête boule de feu suspendue ? Je craignais que dans un moment d’inattention, elle ne tombe et ne brule la première forêt. Non, j’accrochai quelques centaines d’étoiles au firmament et j’ajustai la lumière pour qu’elle soit douce, blanche, universelle. Instantanément, les ombres d’accordèrent et se dissipèrent pour seulement relever discrètement les traits du nouveau monde.
J’eu un moment de doute. Il manquait quelque chose. Je baissai la tête. Je reposais sur la surface de l’eau. Maudissant distraitement Jésus d’avoir eu l’idée le premier, je plongeai pieds joints dans le lac pour ne voir qu’un abyme sans fin. Après avoir décrété que les lacs devaient disposer d’un fond, je sorti de l’eau et me dirigeai vers la forêt et la maison. J’eu encore une hésitation. Je n’étais pas mouillé. Je ne faisais que voir. Brusquement, mes pieds nus ressentirent l’herbe. Je tendis l’oreille, mais seule ma respiration se fit entendre. Dans un bref instant de panique, je me demandai ce que je respirai, puis je revins à la raison et l’air fut. Le vent vint ensuite, pour faire bruisser les feuilles des arbres alentours et occuper l’espace sonore. Un souffle léger, mais chaud. Je ne parvenais pas à me défaire d’une impression de froid. Je me rendis compte que j’étais mouillé et malgré tous mes efforts pour m’en défaire, je restais humide comme si j’étais dans l’eau. Un cri déchira le monde, comme un appel. Le monde disparu, comme on faire disparaître un décor de théâtre. Le monde fut noir à nouveau.
J’ouvris les yeux. J’étais dans le ruisseau. Au dessus de moi, une femme me criait de lui répondre, un jeune enfant accroché à sa jambe lui demandant ce que je faisais. J’avais mal à la tête, tout était un peu aveuglant. Je touchai ma tempe, je saignai un peu. Je m’extirpai du ruisseau, remontai sur le pont. Je balbutiai une phrase rassurante à la femme, puis hagard, je la remerciai de m’avoir réveillé en titubant pour rentrer chez moi.
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Green Partizan Littéraire et rôliste
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