I. Nathanaël
Une ombre dans la nuit troubla le calme de la forêt de Yéntarë. Cette forme se déplaçait furtivement, avec agilité et vitesse, contournait les obstacles naturels, avançait sans relâche, volant presque. Déterminée. Un visage pâle se détachait de la silhouette sombre, faisant ressortir deux yeux perçants, d'un profond vert émeraude aux reflets écarlates. Ses cheveux de jais ondulaient dans l’air, se confondant avec les griffures des branches sur ses joues dont les cicatrices se refermaient aussitôt. La rapidité de ses mouvements cachait son souffle saccadé et ses yeux vifs parcouraient l’horizon en quête d’une proie. Lorsque enfin il sentit une présence animale, son pouls s’accéléra, ses pensées se brouillèrent et ses muscles se tendirent. Il bondit puissamment, dévoila ses crocs acérés et faillit mordre sa victime qu’il tenait fermement quand une voix forte résonna dans sa tête.
- Nathanaël !
L’appel de son propre nom perturba son attaque qu’il stoppa immédiatement, il dissimula ses canines et réalisa qu’il s’agissait de son ami.
- Astaldo … Que fais-tu ici ? Lui répondit-il mentalement.
Il relâcha son emprise et fixa son allié. C’était un loup à l’air féroce et au pelage gris. Leurs chemins s’étaient croisés quelques années auparavant alors que Nathanaël avait fuit son peuple. Depuis lors, ils chassaient régulièrement ensemble, partageant les seuls gibiers qu’acceptait de dévorer le vampyre.
- Nous t’attendions pour chasser. Visiblement tu sembles affamé, s’amusa le loup.
- Pardonne mon impatience, encore une journée difficile, grimaça-t-il en retour.
L’exil avait été le seul moyen pour Nathanaël d’échapper à sa condition. S’opposant définitivement à tuer des êtres pensants, il s’était résolu à s’éloigner des siens dans le but d’épargner la mort à ceux qui auraient eu le malheur de les croiser.
- Suis-moi. Fergal, Cirth et Ahmès nous attendent.
Sur ces mots, Nathanaël suivit Astaldo entre les arbres pour rejoindre trois autres loups de sa meute.
- Allons-y, ordonna le chef du clan.
Les quadrupèdes accompagnés du vampyre entamèrent alors une course effrénée à travers bois. Quatre prédateurs supplémentaires permettaient à Nathanaël d’appréhender plus facilement un repas potentiel. Il ne fallut que quelques minutes à la troupe pour repérer une cible. Un grand cerf se tenait majestueusement non loin de là, broutant tranquillement. La stratégie d’attaque se mettait en place d’elle-même, par habitude. Astaldo et Nathanaël restèrent silencieux derrière des buissons face à la victime tandis que Fergal et Cirth se répartissaient sur les côtés et Ahmès contournait la zone pour se placer à l’opposé. Ainsi disposée, l’équipe avait réussit à encercler la bête sans que celle-ci ne s’aperçoive de leur présence. L’animal ne pût réagir face à l’assaut de ses prédateurs qui se jetèrent violemment sur lui. Le cerf se débattait bruyamment et désespérément entre les pattes des loups qui l’assaillaient complètement. Nathanaël planta ses crocs dans la chair de son cou, imaginant un instant qu’il s’agissait de celui d’un humain. Une première gorgée de sang ruissela entre ses dents, le long de sa gorge, apaisant légèrement les douleurs de la soif qui le tiraillait. Cet instant salvateur fut néanmoins de courte durée puisqu’ils devaient en finir avec le cervidé. Tous ensemble ils firent chavirer leur proie qui s’écrasa contre le sol dans un bruit sourd.
- Bon travail ! S’esclaffa fièrement Astaldo.
Puis les quatre loups s’assirent autour de la carcasse inerte. Leurs gueules ensanglantées se penchèrent en arrière et leurs hurlements brisèrent le silence de la forêt. Nathanaël suivit leurs regards jusqu’au ciel, le sien s’arrêta sur la beauté de la lune qui brillait autant que ses pupilles impatientes. Mais il respecterait le rituel de ses amis qui appelaient le reste de la meute à venir profiter de la chasse. Le sang bouillonnait à l’intérieur de ses veines, ses yeux à présent entièrement pourpres fixaient l’animal devant lui et sa gorge sèche le brûlait de l’intérieur. Malgré tout il luttait.
- Tu n’as qu’à commencer sans nous, lui proposa Astaldo.
- Non ! Je dois résister … Ce genre de situation est un très bon exercice, articula-t-il machinalement.
- Comme tu voudras, concéda Astaldo compréhensif.
Le mâle Alpha tourna ensuite la tête vers de hautes herbes qui ne tardèrent pas à dévoiler d’autres loups. Une femelle à l’allure aussi imposante qu’élégante menait la troupe. Sa fourrure blanche contrastait avec la noirceur de la nuit, renforçant l’importance de sa présence. Elle s’approcha calmement d’Astaldo et lui lécha les babines.
- Merci, murmura-t-elle simplement à la vue du gibier.
- Nous avons juste eu de la chance, affirma Nathanaël.
La louve se retourna alors vers le vampyre pour le saluer.
- Seul le résultat compte, mon cher ! Ravie de te revoir Nate.
- Moi de même ma belle Saphira, s’inclina-t-il poliment.
Cette dernière fit signe aux autres de s’approcher pour manger. Deux louveteaux cessèrent alors de se chamailler et se rapprochèrent timidement de leur mère, rejoint par quatre femelles. Astaldo arracha un premier morceau du cerf, ce qui indiqua le début du repas pour tout le monde. Les loups déchiraient la viande, laissant apparaître les os de l’animal vaincu. De son côté, Nathanaël buvait goulûment le sang de chaque parcelle de ce corps impuissant et redistribuait la chair à ses amis. Saphira découpait quelques bouts de carne pour ses petits qui observaient la scène avec envie. L’un d’entre eux essaya même de s’attaquer au cerf malgré sa petite taille.
- Orion, tu sais très bien que tu es encore trop jeune. Tiens, prend plutôt ce morceau-là.
Le louveteau grogna mais se résigna, tête baissée, aux paroles de sa mère. Bientôt il ne restait plus que le squelette de la proie, étalé sur le sol au milieu de flaques rougeâtres et de touffes de poils. Les prédateurs se retirèrent et Nathanaël enfin rassasié, les salua.
- A demain, sois prudent. Lui envoya Astaldo en s’éloignant.
Dès que ses amis furent hors de vue, le vampyre reprit sa route. Il laissa son instinct le guider jusqu’au lieu de toutes ses convoitises. Caché derrière la végétation devenue envahissante, il s’arrêta enfin devant la cité qu’il venait épier chaque soir. Les magnifiques palais de Varda s’élevaient sous ses yeux toujours autant émerveillés par la beauté du lieu.