La marque du fer [rp privé]

Cassiopée avait passé plusieurs jours cloitrée dans la crypte de Ter’Gak. Plusieurs journées exténuantes pour l’esprit autant que pour le corps. Elle ne séjournait dans la crypte de Ter’Gak qu’une ou deux fois par an, quand l’ordonnancement stellaire avait été trop contrarié par des Vents trop violents et que son trône en les cieux était menacé de dispersion.
Elle sortait de la Confrontation complètement épuisée mais soulagée d’avoir réussi une fois de plus à composer avec les lois universelles.

Le retour au monde aelisséen lui rappelait le poids de la chair et la puissance du Sang qui l’habitait.
Elle sortit de la crypte et le soleil du Zénith vint la frapper au visage, la forçant à se voiler la face. Eblouie par l’astre solaire au plus fort de la journée, elle avança les yeux à demi fermés pour s’en protéger. Le retour à la réalité lui paraissait être d’une violence inouïe.

Trop de lumière.
Trop d’obstacles pour poser ses pieds.
Trop d’agressions visuelles.

Elle avançait sur le sentier abrupt, à flanc de montagne, d’un pas un peu incertain. La lumière la saoulait d’une vie qu’elle avait oubliée.
Elle s’arrêta un moment pour maîtriser son souffle et observa la vallée. Elle dominait un profond ravin couvert de hauts conifères dont seules les cimes l’atteignaient.
Elle reprit sa route, distraite, toutes ses pensées encore ancrées vers les étoiles.
Plongée dans ses souvenirs, elle fut dans l’incapacité de voir la cornette rousse qui tentait d’échapper à un prédateur et qui lancée dans une course pour sa sauvegarde heurta sa marche et crocheta ses pieds.
Cassiopée ne put se retenir et son corps partit vers l’avant ne trouvant rien pour l’arrêter. Le ravin seul lui tendait les bras.

Elle roula, déboula, emportant sur sa trace les branches qu’elle arrachait aux arbres et qui meurtrissaient son corps à son passage.
Quand sa course fut stoppée net par le tronc d’un grand sapin, la Dame des Etoiles s’écrasa contre la masse de l’arbre sans avoir conscience de son état.

- Je suis seule depuis si longtemps chère Dame des étoiles, pardonnez si je suis brusque. Ma solitude m'est chère, mais nous en reparlerons à votre réveil. Dormez maintenant, votre esprit vous échappe.

***

Depuis le matin, elle s'était installée sur un énorme rocher tombé au fond du ravin des siècles plus tôt. Sa douleur d'avoir était arraché au sommet s'était muée en une sereine sagesse depuis bien longtemps. Comme toutes les naissances, celle de ce rocher se déroula dans une certaine violence. Il ne faisait qu'un avec sa mère la montagne lorsqu'un orage violent, aidé par le travail de l'eau, rompit leur dernier lien, fracturant à tout jamais leur âme. Tout à ses blessures, il maudit les éléments: l'eau qui s'infiltrait encore et toujours, qui ne faisait que souligner ses plaies acérées et le vent qui, s'il était violent dans les hauteurs, hurlait et sifflait au fond de la gorge où il se trouvait maintenant. Il ne découvrit que bien plus tard que la rupture n'était que physique. Son état lui procurait une identité dans la multitude de voix minérale. Et c'est avec le temps qu'il comprit son but, la raison de sa naissance: combler la brèche, la fissure dans le flan de la montagne.

- Cela prendra du temps mon ami, mais le temps est une notion bien abstraite pour toi. Tu rejoindras à nouveau la multitude, l'eau est ton amie, elle te polit, t'infiltre, emporte un peu de toi à chaque goutte pour le remettre au coeur de la montagne. Je t'envie, peu t'importe le temps...

Alors, souhaitant apaiser ses sens pour se préparer aux événements prédits, elle se laissa transporter dans l'Histoire de cet être minéral, lui laissant le soin de la prévenir lorsque le moment viendrait pour elle d'intervenir.

***

- Je suis seule depuis si longtemps chère Dame des étoiles, pardonnez si je suis brusque. Ma solitude m'est chère, mais nous en reparlerons à votre réveil. Dormez maintenant, votre esprit vous échappe.

La jeune femme s'approcha pour constater l'état de l'envoyée des cieux: beaucoup d'écorchures, de petites blessures peu profondes sauf la plaie sur le côté. Elle était à moitié caché par le bras droit et saignait abondamment.

- Celle là, je ne peux la laisser ainsi, cela va être douloureux. Pour la vilaine cicatrice qui en résultera, j'espère que vous pourrez y faire quelque chose...

Disant cela, elle sortit de son sac un morceau de fer brut qui s'échauffa à sa demande. Quand il fût bien rouge, elle l'appliqua fermement quelques secondes sur la peau sanguinolente.
Vérifiant qu'aucune autre plaie n'était grave, elle hissa la Dame sur le cerf qui s'était approché. Les minutes qui suivirent furent laborieuses: le cerf, malgré le devoir impérieux qui l'avait guidé jusqu'aux deux femmes, gardait son âme sauvage et craintive. Il fallait avancer en faisant attention de ne pas le brusquer tout en retenant le corps inconscient.
Enfin, l'étrange procession arriva devant l'entrée de la grotte abritant l'ermite. Elle remercia le cerf et le soulagea de son fardeau pour lui rendre sa liberté.

- En remerciement, accepte cette eau fraîche, noble Roi. Tu trouveras toujours refuge en ma maison.

En installant Cassiopée sur sa paillasse, elle pensait qu'il y aurait peu de chance pour que le cerf revienne, mais quelques bêtes bravaient parfois leur instinct en venant chercher protection contre un chasseur auprès d'elle. C'est pourquoi elle essayait de toujours laisser une empreinte chaleureuse et protectrice dans la pierre et le bois environnant. Elle ne pratiquait que très peu ses talents près de chez elle, la magie, même verte, avait tendance à effrayer la faune de la forêt.
Couvrant son invitée meurtrie, elle demanda aux parois rocheuses de lui apporter la chaleur nécessaire à son rétablissement. Puis, ne pouvant plus rien faire de plus pour le moment, elle s'évertua à préparer quelques onguents et de quoi se restaurer en attendant le réveil de la Dormeuse.

Sa tête fourmillait de crépitements, comme si des milliers de petites explosions se produisaient en chaine dans sa cervelle. Ses yeux n’arrivaient pas s’ouvrir d’eux-mêmes pour protéger sa vue de l’agression visuelle qui ne manquerait pas de se produire si les paupières se soulevaient.
Tout son être semblait être pris dans un étau et ses muscles raidis irradiaient leur douleur. Son flanc droit paraissait être tiraillé de toute part et meurtri par une arme blanche qu’on tournait avec sadisme.
Lorsqu’elle réussit à laisser la lumière pénétrer sous ses cils, Cassiopée sentit sa tête faillir et sa vision interne se tacha du rouge grenat de l’oubli. Elle chercha l’air avec force pour l’aider à supporter la souffrance qui cherchait à l’emporter.
Peu à peu, son souffle court et précipité lui apporta l’air en suffisance pour lui permettre de réagir et habituer son regard aux éclats extérieurs. Elle souleva plus haut ses paupières.


Autour d’elle, les murs gris trahissaient une construction creusée à même la roche. Elle était allongée sur une paillasse sommaire mais couverte avec soin.
Alors que son regard cherchait à définir où elle avait atterri, il se figea soudain à la vue d’un individu qui lui tournait le dos.
C’était une femme vêtue d’une robe simple taillée dans une toile de couleur jaune primevère qui lui prenait la taille fine dans un corset sombre et dévoilait sa nuque laiteuse. Elle semblait affairée. Cassiopée tenta de la héler mais aucun son ne sortit de sa bouche.
Elle finit par se retourner vers elle et Cassiopée contempla sans pouvoir agir, une jeune femme au visage d’une pâleur étonnante. Une longue tresse tombait sur son épaule jusqu’à toucher sa taille. Ses yeux étaient encore tournés vers le bol de pierre qu’elle tenait fermement et dans lequel elle finissait d’écraser un quelconque ingrédient.
En arrivant près du lit, elle posa son regard dans celui de Cassiopée.

Sentant le réveil de sa patiente, la jeune guérisseuse lui laissa encore quelques instants pour se remettre. Lentement elle se retourna enfin, continuant tout de même son onguent. Finissant le broyage de quelques plantes aux vertus médicinales trop peu connu, elle plongea ses yeux dans ceux de la femme hébétée qui était allongée sur son lit.

Allons allons, chère Dame, doucement. Vous êtes blessée et je m'efforce de vous soigner. Le réveil de votre esprit est un bon progrès, si vous réveillez aussi votre douleur, l'esprit ne résistera pas bien longtemps.

Voyant que sa patiente se calmait, elle se leva, servit de l'eau fraîche dans un gobelet et le lui porta.

Tenez, buvez un peu. Je m'occupe de vous depuis hier, une sacrée chute que la votre.

Comme elle reprenait le gobelet vide, la jeune femme plissa les yeux en la détaillant. Certaines plaies, les petites griffures sans gravités dont elle s'était à peine occupée, guérissaient presque à vu d'oeil, et d'autres, plus profondes, plus graves, celles qui avaient retenu son attention, paraissaient moins dramatiques.

Intéressante observation, ma Dame. Vous semblez guérir bien plus vite que je ne l'aurais espéré. Mais reposez vous encore un peu à présent, laissez-moi m'occuper de vous quelques temps.

Disant cela, et avant qu'elle puisse montrer un quelconque désaccord, la jeune femme passa sa mains sur les yeux de la Dame qui se fermèrent doucement.

Cassiopée but une gorgée avec méfiance, mais le sédatif qu’elle percevait ne lui parut pas une arme. Elle avait plongé l’espace d’un très bref instant son regard dans l’âme de la femme et elle acceptait le sommeil comme une cure. Il serait toujours temps, au réveil, de comprendre.

Son sommeil la conduisit dans les vastes profondeurs d’un antre fantastique où seule règne la puissance divine en gestation. Elle y errait sur un sol fumant sans rencontrer âme qui vive.
Sa marche sans fin était difficile car la poussière brûlante mordait sa chair qui se décomposait. Des amas de roches en feu se décrochaient des parois et tombaient autour d’elle. Les murs de l’immense caverne étaient tous recouverts de longs tracés. Mais Cassiopée ne réussissait pas à en comprendre le sens. Soudain un bloc en flamme se décrocha de la muraille et se précipita sur elle. Elle n’eut que le temps de faire un écart mais l’agrégat magmatique l’atteignit sur le flanc droit. La douleur faut si violente qu’elle se réveilla.

Elle ouvrit les yeux brutalement cette fois ci et son premier regard trouva la femme assise à ses cotés. Elle cousait.

La femme dut percevoir le mouvement de la blessée car elle souleva les yeux de son travail au moment même ou Cassiopée ouvrit les paupières.

-Ah ! Vous voilà réveillée ! Je vois à votre regard que mon onguent a cessé de faire son effet.

Elle se leva et attrapant un bol dans lequel elle pilonna une mixture un peu visqueuse et brune.

Pourtant, lorsqu’elle souleva la couverture, son visage exprima la surprise.

-Votre blessure était profonde. L’entaille couvrait bien ma main, mais votre lésion a considérablement diminuée. Vous guérirez vite….

Elle badigeonna le flanc meurtri avec application, puis protégea la plaie de large feuille aux senteurs parfumées.

Cassiopée se laissa faire. Elle acceptait l’aide que lui apportait cette femme sans comprendre d’où elle sortait.

-Qui êtes-vous ? Où suis-je réellement?