Chapitre EIl y a des hommes qui se battent pour un rêve.
Il y a des hommes qui meurent pour un rêve.
Il y a des hommes qui se battent pour un homme.
Il y a des hommes qui meurent pour un homme.
Il y a deux hommes qui rêvent d'un homme mort.
Mickey se réveilla dans la baignoire, déboussolé. Il glapit et appela à l'aide. Je ne sais pas nager, disait-il.
Il essayait de se remémorer sa soirée lorsqu'il vit la fille nue allongée sur le carrelage. Tout devint limpide. Il pensa au plan qui se déroulait parfaitement.
Il se hissa hors de son lit de fortune et écrivit son numéro sur la fesse gauche de l'être féminin et d'un geste bienveillant, couvrit ce qu'il put de son anatomie avec le tapis de sol crasseux sur lequel il avait vidé son estomac avant de s'endormir sur de la céramique mouillée. Ce qui correspondait en l'espèce à un litre de vodka mélangée à du jus d'orange multivitaminé premier prix et quatre bières et demie. Rapidement, Mickey se passa de l'eau sur le visage et but quelques goulées afin de sortir de son état brumeux. En quittant la salle de bain, il attrapa une serviette afin de se sécher puis la posa sur son épaule.
Parti à la recherche de son camarade, il dut esquiver les embûches qu'il trouva sur son chemin : d'autres filles nues, des hommes habillés, un chien à côté d'un bang, de la nourriture et les cadavres des bouteilles bues la nuit précédente.
Il mit bien plusieurs minutes avant de tomber sur Davy dans la cuisine car l'appartement était un appartement de ministre et était donc gigantesque.
- Yop, accueillit Davy.
- 'Lay, répondit Mickey, lui rendant la politesse.
- Bien dormi ?
- Ça va. Tu fais quoi là ?
- Des pâtes carbo, t'en veux ?
- Ouais, sûr.
Après avoir mangé en deuspi pour que personne ne puisse abuser des talents de chef cuisinier de Davy (à vingt-trois ans Davy avait remporté un concours de cuisine), ils partirent en quête de leur objet sacré.
Ils avaient monté un plan simple et efficace pour mener à bien leur mission. La première étape consistait à voler deux uniformes de testeur de produit de leur supermarché habituel. Pour cela, il avait fallu enlever leur porteur et les séquestrer dans l'abri de jardin de la tante de Mickey. Une fois l'homme et la femme (car il n'y avait pas deux hommes testeurs de produit, seulement un homme et une femme) hors de course, la seconde étape pouvait suivre.
Celle-ci se révéla enfantine : droguer les produits à tester en les bourrant de somnifère et de GHB, et aller sonner à la porte du Ministre du Budget, lui faire goûter quelques produits locaux comme des croissants et des saucisses halal et le tour était joué. Après avoir caché le corps endormis dans un placard, Davy et Mickey étaient allés inviter des inconnus dans la rue et quelques punk à chien.
L'orgie qui s'en suivit était vitale. Le chaos devait régner pour que pendant que tout le monde dormait et décuitait, ils puissent voler un certain bien.
Ils le trouvèrent dans le bureau du Ministre. Reposant sous verre, entouré de satin rouge, propre et élégant comme au premier jour. Le chapeau de Sacha Guitry.
- On fait comme on avait dit ?
- Ouais, pas le choix. Seul le shifumi choisira l'élu.
- Attention, ça commence.
Ce fut une partie endiablée, très serrée et comprenant beaucoup d'ex æquo puisque les deux artistes se connaissaient parfaitement bien et se jouaient souvent. Mickey perdit et envia Davy qui put briser la vitre. Il adorait casser du verre, il pensait que c'était sa façon à lui de multiplier les pains, comme Jésus. En brisant cette fragile transparence, il en fabriquait des milliers qu'il glissait dans les consommations des clients sur les terrasses de cafés lorsque ceux-ci regardaient ailleurs. Il était modeste et seul son don suffisait, il ne désirait pas de rémunération ou de récompense.
Leur butin dérobé, ils s'en allèrent et rentrèrent chez eux, mais revinrent dans l'heure pour déposer en bas de la rue un homme et une femme attachés, bâillonnés et aveuglés.
Assis sur le canapé de Davy, ils purent s'appliquer de retirer à la pince à épiler les cheveux se trouvant sur le chapeau. Entre ce fin bout de plastique que Davy avait subtilisé dans le sac d'une fille au théâtre pendant qu'elle faisait une gâterie à son mari, afin de s'en servir comme arme d'autodéfense dans un avions le cas échéant, se trouvait leur rêve le plus fou. Ce genre de rêve qui, pour les hommes de principes, dirige une vie et les actes. Qui inspire et donne de la baume au cœur dans les temps les plus durs.
Ils possédaient enfin l'acide désoxyribonucléique de Sacha Guitry.
Avec ça, ils allaient pouvoir avoir leur propre Guitry personnel et la mettre profonde aux Séléniens. Cependant, pour ce faire, ils devaient obligatoirement se rendre sur la Lune. Le droit international ne s'appliquait sur ce bout de cailloux distant de trois cent quatre-vingt quatre mille kilomètres, le clonage y était donc permis. Le problème résidait en la haine qu'ils leur vouaient et ils savaient qu'au premier pas et à la première bouffée d'oxygène recyclée en sol Sélénien allait en leur donner de l'urticaire et des maux de gorges. Un cancer accéléré en phase terminal au bout d'un picoseconde.
- Peut-être qu'on devrait voler des scaphandres d'astronaute.
- C'est sûr que ce serait bien mieux d'avoir notre propre air mais on a donné l'uniforme des testeurs de produit aux punks pour éviter de ce faire arrêter.
- Des masques à gaz alors ?
- Ça roule.
C'est ainsi qu'ils partirent vers la Lune. Dans une navette low cost où les passagers ne pouvaient qu'avoir comme bagage qu'un sac à dos. Et si par malheur la navette venait à s'écraser et que l'accident n'avait aucun lien avec la vétusté et le manque d'entretien de celle-ci, les familles n’obtiendraient pas réparation de la perte du sac à dos.
Quand la navette se posa à bon port, les passagers soufflèrent de soulagement et remercièrent la petite étoile au fin fond de l'espace qui les protégeait. Davy et Mickey prirent leur dernière bouffée d'air terrien et posèrent sur leur noble visage les masques anti-gaz datant de la Première Guerre Mondiale qu'ils avaient dérobé dans un mémorial.
Ils arrivèrent au service du contrôle des identités qui les laissa passer parce qu'ils avaient de faux papiers sur lesquels ils apparaissaient munis des masques nez de cochon. Avant de quitter la station, ils allèrent faire un arrêt pipi.
- Ils sont trop nazes leurs toilettes, je m'attendais à un truc plus futuriste.
- Ouais, et c'est pas pratique pour pisser avec le masque, je ne vois rien.
- C'est le lavabo ça.
- Tant pis, peux plus attendre.
- On aurait dû utiliser l'ancêtre du masque que les Canadiens avaient développé.
- Tu parles du tissu sur lequel ils urinaient pour atténuer les effets du dichlore ?
- Ouais, on aurait pu le recharger là et en plus on aurait eu une meilleur vision.
- On peut toujours switcher.
- Trop tard, j'ai fini.
- Moi aussi.
Ensuite, ils sortirent promptement.
- Il faut qu'on trouve le centre de clonage maintenant.
- Je n'ose pas. Le demander implique forcément de parler à un de ces enculés !
- Il faut que l'un de nous se sacrifie pour l'équipe.
- Shifumi ?
- Shifumi.
Ils jouèrent de nouveau mais cette fois-ci se fut Davy qui perdit. Le perdant s'approcha donc lentement, tout en traînant des pieds comme un enfant de sept ans punit et privé de consoles de jeux, d'un Sélénien qui soutenait un mur de son épaule.
- Et n'oublie pas d'être poli, précisa Mickey.
Davy arriva en face de l'individu susmentionné, baissa les yeux et tint se langage :
- S'il vous plaît, grand con, sauriez-vous où est le centre de clonage par hasard ?
- Grand con ?
- C'est comme ça que mon pote Mickey et moi on appelle les connards d'enculés de Séléniens quand on est de bonne humeur. Mais là je dois être poli alors je m'adapte.
- Connards d'enculés ?
- Allez, faites pas ta pute et dis-le-moi. Tout de suite ! s'il te plaît.
- Je ne crois pas, non.
- J'ai déjà pissé dans un lavabo aujourd'hui et je pourrais très bien utiliser ta bouche, alors fais pas le con.
- Vos mœurs dépravés ne regarde que vous. Foutez le camp avant que j'appelle la police.
- Davy, viens, on se tire.
Éloignés de plusieurs dizaine de mètres, Mickey mit les choses au point avec Davy :
- Je sais que c'est difficile, mais il va falloir être plus poli encore et stopper les insultes.
- Maaaaais, c'eeeeeest dur.
- Je sais, je sais. Dis-toi que c'est pour une grande cause. Alors reprends-toi.
- Dac, je me reprends. Allez go go go, je suis chaud patate.
Ils tentèrent une nouvelle approche avec un nouveau Sélénien.
- Bonjour, cher beau monsieur. Auriez-vous l'obligeance de m'indiquer où se trouve le centre de clonage ?
- Pourquoi vous portez un masque à gaz ?
- C'est parce que je suis un chinois du Japon de Tokyo, et que là-bas la ville est polluée donc il faut qu'on se protège les poumons.
- J'imagine que l'autre derrière vous est aussi un chinois du Japon de Tokyo. C'est drôle parce qu'il m'avait semblé qu'on disait un japonais dans ce cas là.
- L'académie japonais autorise cette appellation.
- Vraiment ?
- Oui.
- J'ai dû mal à le croire.
- Tant pis.
Un silence s'installe au cours duquel Davy fit ce qu'il put pour rester concentrer et ne pas sauter à la gorge du Sélénien ; pendant que Mickey tenta de lui envoyer de bonnes ondes par télépathie.
- Sinon, vous pouvez m'indiquer où est le centre de clonage ?
- Pourquoi ?
- On a été embauché par le centre et on le cherche pour se mettre au travail, on est des chinois alors on travaille bien vous savez.
- Je n'en doute pas. Puisque vous êtes de parfait chinois, vous vous démerderez tous seuls. En lisant une carte par exemple. Adieu.
Et le Sélénien s'en alla.
- Il a dit qu'on pouvait trouver le centre sur une carte.
- Il y a un truc qui dépasse du sol d'au moins trois mètres de haut de l'autre côté de la place, c'est peut-être ça.
- Allons vérifier. Mais dans tous les cas, je ne veux plus jamais refaire de shifumi de ma vie.
Ils traversèrent ladite place et après quinze minutes ils découvrirent où était le centre et trois quart d'heure plus tard ils se présentèrent à l'accueil.
- Bonjour, nous sommes deux chinois japonais.
- Ah, vous êtes MM. Takahashi et Okamoto ? Demanda l'hôtesse.
- C'est exact.
- Nous ne vous attendions pas de si tôt.
- Nous avons reçu nos masques en avance.
- Je vois..., répondit-elle d'un ton qui laissait penser le contraire. Veuillez me suivre, s'il vous plaît.
- Nous aimerions observer les instruments de clonage tout d'abord.
- Oui, pour se plonger dans le grand bassin immédiatement.
- On est des chinois, nous travailler très très vite, précisa Mickey en imitant racistement un accent asiatique.
- Je vois... Par ici.
Ils entrèrent dans une salle circulaire qui possédait en son centre une cuve ressemblant à un sarcophage.
- C'est de la technologie goa'uld tu crois ? Souffla Davy.
- J'appellerai la tok'ra pour en être certain.
- Voici la salle de clonage zéro zéro neuf. Vous effectuerez vos travaux conjointement avec un australien et un suédois.
- Parfait, mais est-ce que le sarcophage sera réparé quand ils arriveront ? Questionna Mickey.
- Réparé ? Comment cela ?
- Vous voyez bien que cet appareil est endommagé !
- L'hôtesse s'approcha rapidement pour vérifier ses dires.
- Je ne vois rien.
- Si, si. Regardez plus près.
Elle se pencha plus en avant et c'est cet instant que choisit Davy pour l'assommer. La femme tomba inconsciente au sol et les deux hommes se dépêchèrent d'activer les instruments. Ils posèrent religieusement le cheveu de Sacha Guitry dans le petit container adéquat et mirent en route le système sur marche rapide comme quand ils lancent la machine à laver.
- J'espère que c'est vraiment le sien, je n'ai pas envie de me retrouver face à un chat-garou assoiffé de sang. De nôtre sang.
- Aie la foi, rétorqua son comparse.
Une heure passa avant que la cuve ne s'ouvrit. Et alors, beaucoup de fumée s'échappa du sarcophage pour couvrir l'appareil reproducteur de l'homme qui s'en extirpa, comme dans les films.
Ainsi Sacha Guitry naquit, une seconde fois.