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 [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner

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Thelesias

Thelesias


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[Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner Empty
MessageSujet: [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner   [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner Icon_minitimeMer 9 Jan - 12:41

Les Kretchner







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Prologue - Quand meurt le Billionnaire


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- Grand père, vous ne regardez pas la cérémonie ?

Le vieil homme jeta un regard à ses petits-enfants. C’était un regard plein d’affection à première vue, toutefois un spécialiste du comportement n’aurait pas manqué de noter son aspect machinal, de même que la mélancolie qui se dégageait du sourire en apparence bienveillant de Jacob Kretchner. Mélancolique ? Oui il l’était. La vision de ses petits-enfants et de ses enfants constitués en assemblée autour des holo-écrans qui flottaient dans le salon, en adoration devant ce qui était pour lui l’assassinat de son passé et la mort de son avenir le plongeait, en fait de mélancolie, dans une insondable tristesse. Que personne ne semblait remarquer, que personne ne semblait comprendre. Il n’eut même pas à répondre à Sarah qui retourna aux merveilles de l’InstaD.

Il fit un effort. Il regarda l’écran le plus proche. On y voyait une grande salle, un hémicycle immense, tout de pourpre et d’or. C’était une structure qui évoquait les sénats et les assemblées locales de bien des sociétés humaines si ce n’est qu’elle n’avait aucune rivale par sa taille – elle pouvait accueillir huit mille cent cinquante représentants et leurs assistants virtuels – et par le faste omniprésent, qu’il s’agisse des sièges en vrai velours et bois de chêne terrien, ou de ces oriflammes en soie qui portaient chacun le blason d’un représentant. Dominant tout cela par sa hauteur, un haut promontoire tout de boiserie précieuse, le « perchoir », dévolu au président de l’assemblée, était actuellement occupé par un orateur en plein discours. Pour des centaines de milliards de citoyens dans tout ce qui fut l’espace de l’Hégémonie Humaine, cet homme était un libérateur, celui qui ressuscitait les nations de l’ancienne Terre et permettait à chaque minorité religieuse, ethnique et culturelle de posséder sa planète, qui renversait des années de pouvoir autocratique et apportait la démocratie.

Pour Jacob Kretchner, cet homme était le mal absolu. Oh il comprenait pourquoi Carl Landers était si convaincant. Ce n’était pas tant ses traits, assez communs, ou sa carrure, mince, ou une jeunesse avantageuse. En fait, la plupart du temps, Carl Landers était un homme comme bien d’autres. Mais quand il ouvrait la bouche, quand il parlait… Son incroyable voix d’orateur déployait des trésors de persuasion et d’argumentation, prenant un instant le ton de la vertu outragée, avant de passer à l’onctueuse douceur de l’ami compréhensif, en passant par l’amabilité du pharmacien prescrivant le remède idéal. Le remède idéal.

Ah ! Il était beau le remède. Assassiner le Roi-Hégémon, détruire le seul exemple d’unité humaine et de gouvernement centralisé en des millénaires ! Et ce, Jacob Kretchner, le savait bien, non pas pour une pseudo liberté individuelle ou culturelle mais bien parce que…

- Oh mon dieu ! C’est le tyran ! Oskar, pousse-toi, je veux mieux voir !

Tiré brusquement de ses pensées rageuses par l’exclamation de son plus jeune petit-fils, Joseph accorda de nouveau son attention à l’écran. Il ne put retenir un haut le cœur qui, heureusement, passa inaperçu. Des agitateurs étaient entrés dans le Congrès de l’Hégémonie, ou plutôt l’Assemblée des Peuples, comme on l’appelait désormais, portant un cadavre nu aux plaies sanguinolentes et sales, couvert de bleus et de meurtrissures, attaqué, sans doute, par le début de la décomposition post mortem. Joseph sentait sa tête tourner, tourner. Comment osaient-ils ? Comment osaient-ils ? Sa Grandeur, le Roi-Hégémon Athurien le Premier et Dernier, lacéré, déchiré, souillé, violé dans son intégrité, sa chair brûlée, tourmentée. Lui, l’unificateur des colonies, le sauveur de l’humanité. Et l’ami de Joseph.

Le vieil homme ne pouvait plus supporter cela. Ne se souciant plus des murmures qu’il ferait naître, des conversations qui risqueraient de parvenir aux oreilles des Gardiens de la Révolution, il quitta son salon et parcourut les couloirs de son immense propriété jusqu’à un balcon du deuxième étage auquel il s’appuya convulsivement tant il peinait à trouver son souffle. Le domaine Kretchner recouvrait un dix millième de la planète résidentielle Valmyria, le manoir bâti à flanc de falaise, les balcons surplombant une mer couleur turquoise et de grandes formations rocheuses d’une incroyable beauté. Malgré tout, la vue ne pouvait plus apaiser un homme qui connaissait les indicibles tourments qui agitaient l’âme du Vieux Kretchner.

Il avait résolu de ne pas agir. De protéger sa pléthorique famille, ses sociétés, son empire commercial interplanétaire, ses fondations philanthropiques et tout le reste. Il n’avait pas voulu, pas osé. Il s’était tu. Mais ce corps… ce corps supplicié, mutilé. Athurien le Premier ? Avant de le connaître sous ce nom, Jacob l’avait connu sous celui de Karien Savoy. Il avait été son plus cher ami, son frère par l’esprit, avant de passer successivement de la sainteté à la vilenie dans l’imaginaire collectif. Aujourd’hui cet ami, deux cent quatorze ans après… Jacob adressa une silencieuse prière au dieu d’Abraham et d’Isaac pour qu’il le pardonne. Après avoir vu ce qu’il venait de voir, nulle famille ne pouvait le retenir.

Seul à son balcon, Jacob se mit à pleurer. La première anomalie eut lieu à cet instant. Un champ de force de classe 8 ceignait le balcon et les larmes auraient dû être désintégrées à son contact. Au lieu de quoi elles chutèrent, chutèrent, jusqu’à se fondre dans la Mer de la Sérénité. Il aurait fallu être plus qu’humain pour remarquer une chose pareille, d’autant plus quand on était dans l’état émotionnel dans lequel se trouvait le Kretchner, le Billionnaire.

La deuxième anomalie eut lieu quand la porte qui se trouvait dans le dos de Jacob se ferma, isolant complétement le balcon du reste du manoir. C’est le luxe et le goût du confort qui empêchèrent le vieil homme de remarquer ce qui lui aurait permis de gagner quelques secondes pour activer ses implants amplificateurs et éventuellement, de tenter un plongeon dans la mer. En effet, toutes les portes du manoir étaient automatiques, impossibles à briser, et absolument silencieuses.

La troisième anomalie, ou plutôt la touche finale au drame qui se jouait ne pouvait pas passer inaperçue. Un bruit déplaisant se fit entendre juste derrière Jacob, une sorte de sifflement, de crissement. L’air se mit à onduler. Le vieil homme avait arrêté de pleurer, et fixait le phénomène, en silence. Ses lèvres, serrées, son regard résolu et le tremblement nerveux de son menton étaient les seuls signes de ce qu’il savait. Oui, il savait bien ce qu’était cette perturbation. Et il savait qu’il était trop tard pour fuir. En vérité on jouait avec lui, espérant ajouter l’humiliation à l’assassinat. Mais dans ses derniers moments, Jacob Kretchner se tint droit et fier. Et quand apparut la silhouette enveloppée dans un ample vêtement sombre évoquant une bure, il ne fit pas un mouvement. Et quand du vêtement sortit un appendice de vif argent qui projeta le billionnaire par-dessus le balcon, l’envoyant percuter la mer en contrebas, si vite que l’eau aurait aussi bien pu être du béton, Jacob Kretchner ne poussa pas un cri.

Bien que fondamentalement inhumain, son assassin partageait avec certains des congénères de sa victime la notion de respect dû à un adversaire valeureux. Pendant trois longues minutes, l’étrange silhouette resta inclinée dans un angle étrange, manifestant son approbation. Et puis, elle disparut.



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Chapitre 1 - Maria et Tedd


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- Monroe!

Tedd laissa échapper un très infime soupir. Mince parce que ce n’était pas encore la fin. D’autres noms allaient suivre. Le dix-huitième n’avait pas été le sien mais avec sa chance, il serait dans les deux derniers appelés. Le lieutenant des Forces de Défense du Peuple Humain, ancien colonel de la Xéme Légion Hégémonique du Quadrant Nord suait dans son uniforme vert bouillasse, inconfortable fait de matériaux à bas coûts portant sur son cœur le symbole de la Grande Révolution Démocratique, une foule de visages heureux contemplant un soleil avec un air de béatitude. Il avait souvent songé, au cours des mois écoulés, depuis le la pendaison de la dépouille profanée du Roi-Hégémon en pleine assemblée, que les hommes et les femmes qui béaient ainsi sur son uniforme étaient aveuglés par la lumière du soleil plutôt qu’éclairés. Oui aveuglés. Et quand on était aveugle… le lieutenant balaya ses collègues officiers du regard. Tout comme lui ils étaient au garde à vous devant le vice-général Bresnei. Comme lui, certains se composaient un visage absolument neutre qui pouvaient dissimuler toutes sortes de sentiments. Peut-être y en avait-il parmi eux qui éprouvaient le même dégoût et la même peur d’être nommé mais c’était impossible à dire. Tout le monde avait vite appris que ceux qui montraient trop peu d’enthousiasme lors des « réunions spéciales » étaient repérés sans effort par les Gardiens de la Révolution et leurs implants comportementalistes. Et ceux-là ne revenaient jamais à leur poste.

- Ming !

Toujours pas lui ! Allait-il y échapper ? La nouvelle hiérarchie militaire jugeait elle finalement qu’il avait fait ses preuves et qu’il était inutile de le sélectionner pour un moment ? Quoiqu’il en soit… Sans rien laisser paraître, Tedd jeta un petit coup d’œil à Ming Yao, qui venait d’être appelé. Il avait échangé quelques mots avec ce capitaine il y a quelques jours et il croyait avoir cerné le personnage. Le genre qui était vaguement gêné par le motif de ces « réunions spéciales » mais qui exécuterait quand même les ordres et qui n’était pas particulièrement tiraillé en son for intérieur parce que l’obéissance et la discipline apprise du temps du Roi-Hégémon était devenu sa valeur de référence. Il faut dire qu’il avait servi huit ans dans les Corps Limitrophes des légions extérieures. Le lieutenant aurait aimé être comme lui. Mais les images…

- Obson !

Oui ! oui ! oui ! Un puissant sentiment d’exaltation, de contentement, de félicité emplit la poitrine du lieutenant, si fort qu’il se sentait des ailes. Ils n’en appelaient jamais plus de vingt et quand on était plus appelé c’est qu’on ne le serait plus pour plusieurs semaines voire plusieurs mois ! Le militaire dut faire d’immenses efforts pour ne pas laisser transparaître son soulagement. Heureusement un événement lui fournit l’occasion d’afficher une perplexité que ses frères d’armes ne pourraient pas trouver suspecte. Un événement personnifié par l’un des gardiens de la révolution, qui se dirigeait vers le vice général d’un pas lent en jetant des regards froids autour de lui. La fourche en argent sous son col et les ors de ses manches le désignaient comme un gardien d’un certain rang, peut-être du troisième degré. Pas un haut gradé mais pas non plus quelqu’un de tout à fait négligeable. A l’échelle de la petite planète Pangorse sur laquelle était stationné le lieutenant, c’était un personnage qu’il valait mieux éviter de contrarier, d’une influence presque égale à celle d’un colonel de l’armée régulière sans doute. Tedd activa discrètement ses implants intra-occulaires qui firent un zoom sur l’holo-plaque insérée dans l’uniforme sombre. « Prévôt Nicolas Jarus, 3°». Le lieutenant comprit que bien d’autres avaient usé de leurs implants car les nuques s’étaient encore davantage raidies et tous ceux qui se permettaient encore de respirer pendant leur garde à vous étaient devenus aussi immobiles que des statues de cire. Chacun savait que sur un mot d’un prévôt des Gardiens ils pouvaient finir dans l’un des super-bagnes construits à la hâte sur la ceinture d’astéroïdes d’Ashun.

Le cœur du lieutenant rata plusieurs battements quand le vice-général et le prévôt se tournèrent dans sa direction, leurs regards rencontrant le sien. De façon pas tout à fait imperceptible, les officiers et sous-officiers qui l’entouraient mirent de la distance entre eux et lui comme si il était porteur d’une maladie grave. Le vice général s’avança de deux pas, tandis que le visage du prévôt – un visage très commun d’ailleurs, pas le genre que l’on imaginait quand on cauchemardait à propos d’un expert en coercition, tortures et autres raffinements nullement indolores - arborait un petit sourire en coin.

- Morris ! Tonna le vice général, d’un ton qui ne souffrait pas la réplique. Vous êtes désigné comme commandant de l’escouade ! Nous attendons de vous un travail qui fera la fierté de la Zone 18 et qui nous vaudra les louanges du Conseiller Landers !

Plusieurs choses se produisirent simultanément à l’intérieur du lieutenant. D’abord le sang reflua de ses extrémités, lui donnant la couleur de l’albâtre. Ensuite, son cœur se mit à battre follement, à tel point que son implant régulateur dut activer ses fonctions de contrôle et forcer l’organe vital à reprendre un rythme plus normal, tandis que Tedd Morris réprimait un violent haut le cœur. Evidemment tout cela ne pouvait échapper à l’œil du prévôt, et cela aurait constitué un motif suffisant pour l’arrêter – enfin, ce n’est pas comme si les Gardiens de l’espace exté… non, des Zones Distantes avaient besoin d’un motif pour arrêter quelqu’un par les temps qui couraient. Mais pour une raison ou une autre, peut-être par simple sadisme ou pour ménager son effet par la suite, le prévôt feignait de ne rien voir. Finalement les réflexes du lieutenant prirent le dessus et il s’avança, se positionnant devant les rangs et en face de l’estrade surélevée sur laquelle se trouvait le vice-général, ses assistants et le prévôt.

- A vos ordres, citoyen général ! Quel est notre objectif ?

L’officier supérieur fit un mouvement de tête à l’intention d’une personne que le lieutenant ne pouvait voir et aussitôt la salle dans les ténèbres, tandis que derrière le général, les cloisons murales s’écartaient dans un léger chuintement pour laisser apparaître l’objectif d’un projecteur holographique qui se mit immédiatement en fonction. L’image en trois dimensions qui apparut dans l’air au-dessus de l’estrade montrait un site superbe. Une haute falaise qui surplombait un lac à l’ouest et une prairie d’herbe turquoise à l’est. Sur Pangors, une planète désertique et pauvre colonisée uniquement pour sa position stratégique, les zones bénéficiant d’un micro climat artificiel étaient exceptionnelles et attiraient l’attention. Mais, ce qui, surtout, attira l’attention, c’était le bâtiment au-dessus de la falaise. Un haute tour d’un blanc immaculée, percée par des fenêtres à champ de force qui simulaient des vitraux. La flèche jaillissait d’un dôme lui-même entouré de deux murs d’un parfait arrondi, chaque enceinte séparée par de grandes portes d’argent. Le bâtiment était d’une grâce et d’une beauté peu commune. On voyait de petites silhouettes habillées de tuniques évoquant tout à la fois une bure et une toge s’agiter de façon étrange dans la cour intérieure, dont on distinguait les mosaïques et les quatre fontaines disposées aux points cardinaux. Le lieutenant Morrison fut stupéfié par la précision des images holo. Cela voulait dire que les experts de la Nouvelle Révolution avaient cassé les codes de l’ancien réseau de satellite appartenant à feu le grand royaume. Et cela voulait aussi dire…

- Oui ! Je vois votre surprise bienheureuse ! Nous avons pris le contrôle des satellites du tyran et c’est avec ses propres armes que nous avons localisé la souillure infâme, déclama soudain le prévôt, j’ai nommé le Stratégium planétaire ! Voici votre objectif, vous officiers et soldats d’élite qui portent haut les valeurs de la Nouvelle Révolution. C’est une croisade pour le peuple, la libération ultime de notre secteur ! Vous allez vous emparer des artefacts d’oppression inscrits sur votre liste, et éliminer toute…

Le lieutenant cessa d’écouter, feignant simplement l’attention, enregistrant les détails tactiques tel un automate. Et ce fut toujours comme une machine de chair animée qu’il parcourut les couloirs de la base Terna XI jusqu’au modeste spatioport militaire, qu’il enfila son exosquelette de combat, faisant signe à son escouade de faire de même, et ordonna d’embarquer dans la navette qui les conduirait, lui et ses hommes, vers leur cible. L’œil du soldat fut attiré par l’ancien emblème du Roi-Hégémon, qui n’avait pas encore été enlevé du plancher de la navette de transport. C’était une galaxie surmontée d’un bouclier. Amèrement, l’ancien colonel se demanda ce qu’il protégeait désormais.


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- Nous ne sommes rien sinon des pilotis sur lesquels s’appuie l’Ordre, non pas l’Ordre des Administrateurs auquel vous avez fait feu d’allégeance mais le Grand Ordonnancement des choses dans l’espace humain. Nous ne sommes rien sinon l’amour qui réconforte notre Roi-Hégémon tandis qu’il affronte les épreuves de sa charge. Nous sommes rien sinon les ouvriers qui déchargent l’esprit glorieux de notre grand monarque des tâches inférieures en proposant des stratégies de gouvernement à chaque parcelle de ses domaines. Nous ne sommes rien sinon l’huile qui permet aux rouages mis en place par notre souverain de fonctionner sans tenir compte des égoïsmes humains. Mais si nous ne sommes rien, car nul n’est considérable par rapport à l’esprit visionnaire du Roi-Hégémon, notre néant dans sa pureté est supérieur l’énormité des particularismes égoïstes et des mesquineries de la plupart de nos semblables. Souvenez-vous de cela, novices.

La Sœur-Logisticienne Maria Pérez éteignit l’holo enregistrement d’un geste las, et fondit en larmes pour la cinquième fois de la journée, enfouissant son visage entre ses genoux, ses longs cheveux d’un blond cendré secoués par les sanglots comme la crinière d’un animal agonisant évacuant ses ultimes spasmes. Et c’était exactement ce que la Sœur-Stratège avait l’impression d’être, un animal à l’agonie. Mais aucun animal ne pouvait souffrir comme elle avait souffert n’est-ce pas ? Elle avait successivement perdu le Roi-Hégémon, le centre de sa vie, l’être que son ordre considérait comme surhumain, la balise de l’humanité. Ensuite il avait fallu supporter le suicide de celui qui avait produit cet enregistrement, le Supérieur-Concepteur Pérez, son propre père qui n’avait pas pu supporter les images du Grand Outrage, cette ignominie, le corps profané du Roi-Hégémon. Et ensuite… les images avaient été interdites dans l’enceinte du Stratégium mais ça ne les avaient pas empêché d’être diffusées un peu partout dans les lecteurs holo personnels des frères et sœurs de l’Ordre des Administrateurs.

Et à partir de là… les suicides s’étaient enchaînés. Les objets coupants avaient été interdits dans les cellules des administrateurs jurés mais cela n’avait rien changé. Au bout d’un moment les plus désespérés en venaient à se fracasser le crâne contre les murs jusqu’à ce que mort s’ensuive. Beaucoup de ceux qui étaient implantés avaient ordonnés à leur RéguCor de continuer le même mouvement même après qu’ils aient perdu connaissance. Les serviteurs avaient fui, ne pouvant plus supporter cette atmosphère macabre, et plus personne ne s’occupait de nettoyer le sang, les larmes et l’urine de ceux qui avaient échoué dans leur suicide par déconnection implantaire et perdu le contrôle de leurs fonctions corporelles.

Dans la cour du Stratégium, certains administrateurs jurés, sous l’effet de substances interdites, grimpaient aux fontaines, fracassaient les mosaïques et couraient en tous sens. En réalité, Maria était probablement la seule administratrice jurée encore saine d’esprit – du moins assez pour réfléchir avec logique malgré son désespoir et ses pleurs – de tout le Stratégium. Ce constat lui rappela douloureusement ses responsabilités. Elle ne pleurerait plus. Elle avait une mission et les crises de désespoir ne l’aideraient pas. Elle se tuerait, oui, mais après. Pour l’instant… elle jeta un coup d’œil à la boîte. La Boîte, plutôt. Cette boîte que l’intelligence artificielle du complexe lui avait ordonné de remettre à l’un des soldats qui viendrait bientôt pour les exterminer et qui était d’une importance capitale. L’ordre était absurde. Illogique. Pourquoi ? Cette question plongeait l’administratrice jurée dans un abîme de désespoir au moins égal à toutes les autres raisons qu’elle avait de haïr l’univers entier. Mais cela venait de Delana. Delana, l’intelligence artificielle qui reliait tous les Stratégiums et transmettait les ordres hégémoniques, et dont la volonté était directement calquée sur celle du Roi-Hégémon. Donc aussi absurde que soit l’ordre il fallait obéir.

Si encore Delana avait pu s’expliquer ! Mais peu après que la directive était émise et que Maria ait fini de décrypter le code Vermillion utilisé pour la transmettre, Delana avait été désactivée par les sbires du nouveau gouvernement. Peut-être ne l’aurait-elle pas fait de toute façon puisque Maria n’était pas habilitée à connaître les tenants et les aboutissants des informations classées Vermillion.

Soudain l’administratrice jurée fut tirée de ses pensées de la façon la plus violente. Une explosion secoua le Stratégium de haut en bas et des lézardes apparurent sur les murs. L’œuvre d’une charge au tharion 2, qui avait été d’ailleurs conçue par les frères-chercheurs de la jeune femme. Ironique, que les traîtres usent des armes de ceux qu’ils venaient massacrer. Mais qu’importait. Que pouvait faire Maria sinon attendre ? Si Delana avait dit vrai, il lui suffisait de rester là où elle était et le soldat viendrait naturellement à elle. Il était absurde d’imaginer qu’elle ait le temps de formuler un mot avant d’être abattue, sauf si la brute et ses compagnons comptaient abuser d’elle comme cela semblait d’être produit un peu partout dans les zones de conflit. Auquel cas peut être qu’elle pourrait formuler sa demande pendant que… Elle se retint de vomir. Son corps n’était rien. Elle n’était rien. Elle était l’huile. La volonté du Roi-Hégémon exprimée par Delana était tout.

Le bruit des fuseurs se rapprochait de plus en plus. Les cris des victimes aussi. Au bout de quelques minutes elle put même entendre les claquements menaçants des bottes des soldats s’abattant sur le sol de marbre comme autant de marteaux qu’un juge impitoyable utiliserait pour prononcer sa sentence de mort. Et puis finalement, la porte du bureau dans lequel elle s’était retranchée s’ouvrit à la volée. Un homme aux cheveux blonds engoncé dans son exosquelette de combat entra, une expression fermée sur le visage et braqua immédiatement son fuseur sur l’administratrice jurée. Celle-ci s’était préparée.

- Vous êtes Shamas ? Abdel Chamas ?! Cria-t-elle en langue hégémonique puis en dialecte extérieur.

Le soldat tressaillit et retint le doigt qui allait presser la détente. Il ordonna d’une pensée à la visière réfléchissante de son casque de s’abaisser de sorte que la jeune femme put voir ses traits, qui exprimaient une surprise intense.

- Comment connaissez-vous le sous-prévôt Chamas, fit-il d’une voix blanche, vous une administratrice jurée ?


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Chapitre 2 - Yohan de Wasilia


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Yohan de Wasilia regardait un autre homme tenter d’acheter son salut. Oh non pas le salut de l’âme sur lequel il avait depuis longtemps fait une croix, mais le salut de sa chair qui était, à la réflexion, plus important qu’il ne le pensait quand il était encore en son palais ministériel, engoncé dans le luxe et le prestige de la fonction. Ces derniers jours, le duc avait découvert qu’il était bien plus facile d’être un fervent Zaréen quand on n’avait pas à se préoccuper de basses contingences telles que la nourriture ou la maladie. Mais depuis qu’il menait cette folle cavale dans les niveaux inférieurs de Terra Secunda il avait eu tout le loisir de revoir son point de vue sur de multiples sujets. Et notamment sur son efficacité au poste de Premier Ministre du Grand Royaume Hégémonique Terrien. Dire que pendant toutes ces années il avait cru que son travail au service du GRHT, ou GR comme l’appelaient la plupart des trillons d’humains de l’espace humain, était un exemple d’efficacité. Qu’il était le plus proche de la quasi perfection incarnée par le souverain qu’il avait l’honneur de servir.

Au lieu de cela… quand il posait son regard sur les bidonvilles dans lesquels lui et son garde du corps erraient, il mesurait l’étendue de sa vanité. C’étaient des kilomètres de taule et de pièces informatiques démembrées, accumulés dans tous les sens, sorte de chaos informe et sans but. Dans les flaques de boue que l’Ancien Premier ministre soupçonnait d’être radioactive, de faibles réminiscences holographiques grésillantes à la gloire de mouvements politiques anarchistes illégaux montraient plus qu’assez la haine que les habitants des bas-fonds vouaient aux représentants de l’ordre public. Evidemment depuis le Grand Putsch les forces de l’ordre du nouveau pouvoir planétaire étaient débordées mais même pendant l’âge d’or est ce que les habitants avaient déjà vu l’ombre d’un uniforme autrement que fugacement, le temps d’encaisser un projectile anti-émeute ? Yohan en doutait. Quant aux robots patrouilleurs… sur le chemin il en avait croisé en escadron, disposé dans une caricature de pendaison, leurs cerveaux positroniques arrachés sauvagement.

L’attention de l’ancien dignitaire fut détournée de ses pensées moroses par des sirènes hurlantes. Il leva les yeux en direction de la voie aérienne et réussit à apercevoir, une centaine de mètre plus haut, un convoi de planeurs lourdement blindés qui semblaient se rendre à l’ancien Musée de l’Histoire Hégémonique, dans lequel, depuis quelques jours, une forte faction armée de loyalistes s’était barricadée, aidée d’un générateur de champ de force de catégorie militaire. Mais Yohan de Wasilia avait donné son accord pour la construction de ces planeurs Gargantua de seconde génération et il savait que leurs canons à faisceau étaient conçus spécialement dans ce genre d’opposition. Il fut saisi d’émotion à l’endroit ces derniers partisans prêts à donner leur vie pour cracher à la face puante du « Conseiller » Landers, mais pas assez pour courir les rejoindre dans leur suicide.

- Tout est réglé.

L’ancien duc se tourna vers Franz, son soulagement invisible sous son ample capuchon et son holo masque. Il parcourut du regard le visage de son loyal soldat. Le sergent Franz Paliat, qui sous ses airs de matamores, avec sa haute taille, ses muscles augmentés et son visage imberbe taillé à la serpe cachait, dans le secret de son regard d’un bleu glacial, une intelligence affutée. Cette intelligence qui lui avait permis de superviser l’odyssée de son ancien maître à travers les bas-fonds jusqu’à cette planque des mercenaires de Valsavis Sécurité. Cette intelligence qui avait permis au sergent de localiser ces gens, des mercenaires qui ne travaillaient qu’avec le Grand Royaume et qui étaient aussi impatients que le Premier Ministre de disparaître et qui comptaient bien sur le pécule dissimulé de ce dernier pour arriver à leurs fins. Si Franz était ému par l’approbation et le respect silencieux de l’ancien numéro deux du Grand Royaume, il n’en montra rien, et continua ses explications d’une voix détachée.

- Ils vont nous faire passer par un ancien réseau de tunnel de maintenance jusqu’à un quartier contrôlé par des loyalistes. Un escadron de TR-15 déréglés sèmera le chaos dans les forces de la Nouvelle Révolution qui font le blocus de la zone et nous nous faufilerons jusqu’à un planeur piloté par un agent ami. Profitant de la confusion il nous amènera en haute priorité jusqu’à une navette qui partira immédiatement rejoindre le Zedios, un vaisseau Sphinx en orbite. Un complice désactivera les inhibiteurs de translation du centre de commande et nous passerons immédiatement en espace phasique jusqu’à Nouvelle Bastille.

- Oh et comment allons-nous passer l’armada qui encercle le secteur de Basille ? Et à qui appartient le vaisseau Sphinx ? Pas à des gens du mouvement Nouvelle Révolution j’imagine, s’enquit l’ancien Premier Ministre, un peu inquiet que leur fuite doive passer par un vaisseau aussi repérable qu’un gros porteur marchand.

- Si, en quelque sorte. Une filière loyaliste avait prévu de s’emparer du vaisseau avec des exosquelettes légers dissimulés dans la soute pour tenter une attaque suicide et de liquider Landers de façon radicale, mais on est arrivé à convaincre la partie la plus réticente de leur groupe qu’évacuer le duc de Wasilia était une meilleure idée. Quant à l’armada dont vous…

- Hé Monsieur le Ministre, il faut bouger maintenant ! Les sondes X8 seront bientôt dans le secteur pour leur ronde et je tiens pas à être holographié par ces saloperies, cria l’un des mercenaire, vêtu d’une combinaison de combat garnie d’impacts de fuseurs, qui n’avait manifestement pas trouvé le temps de se raser depuis quelques semaines.

Dès lors ce fut une course dans les boyaux sinistres de Terra Secunda. Ils avaient beau n’être pas poursuivis, ou du moins le duc ne le pensait pas, les mercenaires les menait à train d’en faire, et plus précisément lui, Yohan, car son garde du corps n’avait évidemment aucune peine à supporter de courir sur une longue distance, ses implants physiques étant parmi les plus redoutables du marché. L’ancien chef de gouvernement, lui, pestait intérieurement de ne pas avoir cédé à la tentation de se faire implanter. Ils furent bien obligé de marquer une pause avant Wasila ne s’effondre.

- Je suis désolé, fit il en haletant, j’ai cent vingt-sept ans, c’est loin de vos âges, messieurs.

Les autres se contentèrent de lui jeter des regards noirs. Franz balaya l’assistance d’un regard glacé. Ils étaient peut être sept, mais avec la machinerie qu’il y avait dans son corps il était une petite armée à lui tout seul. Un rapport de force à ne pas ignorer.

- Alors dites-moi Vot’Grâce, lança avec insolence une voix féminine, comment ça se fait qu’ce Landers vous ait tous baisé dans les grandes largeurs vous et votre soi-disant Grand Roi ? Nous l’peuple on a été mis devant le fait accompli, comme qui dirait, mais j’pense bien que tout le monde ici est curieux de savoir pourquoi d’un seul coup d’un seul le roi pas si grand qu’ça a perdu la loyauté d’son armée, d’sa police et de tous les caciques.

L’ex sergent Paliat, qui pour devenir le garde du corps du Premier Ministre, avait subi un endoctrinement neurochimique qui l’avait rendu fanatiquement loyal au Roi-Hégémon faillit bondir séance tenante sur la jeune femme mais Yohan, qui avait senti le soldat bouillir tout au long de la tirade s’était interposé.

- Non, non Franz. La jeune demoiselle fait partie du peuple même si elle n’est peut-être pas pas sa représentante la plus diplomate. Et j’ai consacré ma carrière, ma vie à tenter, avec plus ou moins de succès, de faire prospérer l’Etat et le Peuple. Je vais répondre à sa question, malgré son manque de respect, murmura le duc dans la Langue Noble, qu’assurément les mercenaires ne parlaient pas.

L’homme d’état évalua celle qui l’avait interpellé. Une jeune femme aux cheveux noirs coupés très courts, aux traits étonnamment fins et vêtue d’un exosquelette léger avec un imposant pistolet pulseur dans son holster. Ce n’était pas une mercenaire ordinaire. Sa peau était bronzée. Sur certaines planètes cela ne voulait rien dire, mais sur Terra Secunda… Elle n’avait pas toujours été dans une petite compagnie de mercenaires, à faire de l’élimination de criminels et d’irradiés dans les bas-fonds privés de la lumière du soleil. Comment avait-elle pu aboutir ici si elle habitait auparavant les niveaux supérieurs ? La question devrait attendre.

Le duc soupira. Malgré l’urgence il voyait bien que la question que posait la jeune femme intéressait tout le groupe et peut être même Franz. Il fallait les comprendre. Ils s’étaient couchés un soir, la prédominance et l’invincibilité du Roi-Hégémon et de sa nation interstellaire aussi certaine pour eux que le lever d’un soleil de Terra Secunda. Le Grand Royaume était devenu le cadre de référence de leur vie, la structure dans laquelle ils évoluaient, et même si sa fondation était récente à l’échelle humaine, il semblait parti pour durer des milliers d’année. Et puis le jour du Putsch, sans avertissement, des corps d’armée avaient fait défection, des soldats s’étaient mis à tirer sur leurs frères d’armes, des croiseurs de combat avaient fait pleuvoir leurs ogives nucléaires et leurs faisceaux calorifiques sur les bases d’où ils prenaient leurs ordres. Et cela dans quasiment tout l’espace humain, excepté le secteur de Nouvelle Bastille, où était situé le Commandement Militaire Central, qui bien qu’en état de siège était encore loin de tomber aux mains des forces félonnes. Yohan de Wasilia s’assit sur une roche descellée et parla, d’une voix lasse, son auditoire suspendu à ses lèvres.

- Ecoutez, je n’en sais pas beaucoup plus que vous. Si, si ! Quelques jours avant la grande trahison de, les services secrets ont commencé à s’agiter et à nous transmettre des rapports évoquant un regain d’activité séditieuses, mais rien de précis. Les amiraux et généraux locaux ne donnaient aucun signe particulier d’agitation, le chômage était au plus bas, les indicateurs économiques étaient bons… Et puis, deux jours avant que tout ne s’écroule, nous avons reçu un rapport précis disant qu’un certain représentant de quartier, Carl Landers, originaire de Syndra XI, tenait des discours enflammés contre le Roi-Hégémon. Nous n’avions jamais entendu parler de cet individu ! Comme nous pensions avoir affaire à un individu isolé, nous avons envoyé un émissaire sur Syndra afin d’entendre ses doléances. Il est arrivé dix-huit heures avant que les conjurés ne se révèlent et il a trouvé la planète entière en état de révolution ! Comme nous pensions avoir affaire à l’épicentre d’une vaste conspiration – ce en quoi nous n’avions pas tort, ironiquement – nous avons envoyé une flotte commandée par l’amiral Alaric se rendre maître du système. Mais…

La voix de l’ancien premier ministre se brisa. Le simple fait de repenser à cet instant dans le poste de commandement de Sanctum Terra menaçait de lui faire perdre tout son masque de maîtrise et de calme, toute capacité à appréhender la situation.

- Deux vaisseaux. Seuls deux vaisseaux ont réussi à envoyer un message. Ils disaient « Amiral Alaric traître, ordonné aux croiseurs titans de faire feu sur reste de la flotte », et le message s’interrompait sur une demande de soutien. Le scénario s’est reproduit partout. C’est comme si… je ne sais pas, comme si d’un seul coup une folie collective avait envahi des millions de milliards d’individus.

Un long silence plana dans le conduit d’entretien. Les mercenaires en particulier étaient surpris d’apprendre que Carl Landers était un illustre inconnu. Beaucoup supposaient qu’il avait été un homme important, un conspirateur ayant accès à des ressources privilégiées mais pas qu’il n’était qu’un vulgaire représentant de quartier sur une petite planète éloignée. Le reste du récit était tout aussi troublant. Le mercenaire barbu, Endren Cowl, le chef du groupe, se reprit le premier.

- Bon, monsieur le Ministre, c’est une histoire fascinante et mais nous nous sommes déjà trop arrêtés et vous semblez être assez reposé. Tout le monde, en avant ! Et toi Brianna, la prochaine fois que tu parles comme ça au duc, t’en prends une, exosquelette ou pas, c’est vu ?

Et ils reprirent leur course. Occasionnellement quelques rats de belle taille surgissaient d’un conduit et étaient immédiatement abattus. Les rongeurs qui traînaient dans les niveaux inférieurs de Terra Secunda étaient porteurs de miasmes contre lesquels les traitements médicaux rudimentaires des combinaisons de combat portées par les mercenaires et les implants de combat du sergent ne pouvaient pas grand-chose. Finalement après plusieurs centaines de mètres parcourus dans un silence oppressant uniquement rompu par le bruit de cavalcade, le groupe stoppa – au grand soulagement de Yohan de Wasilia – devant une bouche d’aération menant à la surface.

- Bon à partir d’ici nous sommes juste sous le blocus des noirs connards, dit Endren en utilisant le surnom à la mode des prévôts, donc on attend que les drones TR-15 se mettent à tirer dans tous les sens et on vous courez tous derrière moi.

Le plan semblait un peu rudimentaire au Premier Ministre, et il s’inquiétait de l’aspect « tirer dans tous le sens » mais il se tut. Il était de toute façon trop tard pour revenir en arrière. Alors comme les autres, il attendit en silence, envahi par l’adrénaline. Pas très longtemps toutefois. Soudain, des explosions et des tirs de projectiles assourdis se firent entendre au-dessus d’eux. La jeune femme nommée Brianna usa de son exosquelette pour casser la grille qui conduisait à la surface et en quelques instants ils furent dehors. Et en effet, tout le monde tirait dans tous les sens. Les fuyards en cavale débouchèrent dans une petite ruelle, relativement à l’abri, et eurent une vue privilégiée sur un groupe de Nouveaux Révolutionnaires échangeant des tirs avec desTR-15.

Ces drones qui lévitaient au-dessus du sol en tirant des faisceaux calorifiques dévastateurs – un rampant blindé qui faisait le barrage de la route vers le quartier rebelle en témoignait, réduit à l’état de carcasse fumante – faisaient des cibles difficiles et les hommes en verts et noirs étaient bien trop préoccupés par leur propre survie pour se préoccuper du petit groupe qui surgit da la ruelle derrière eux. Le Premier Ministre, soulevé manu militari par la mercenaire à l’exosquelette pour aller plus rapidement, était balloté en tous sens et se retenait de vomir. Finalement quelques tirs les visèrent. Yohan entendit des corps tomber derrière lui mais n’avait pas le loisir de se retourner pour regarder. Sous l’effet de la panique, Brianna accéléra, poussa son exosquelette à ses limites, et dépassant le reste du groupe. Au bout de quelques minutes de course, ils parvinrent jusqu’à une grande rue couverte d’étendards du Grand Royaume. Mais, à la grande surprise du duc, sa porteuse bifurqua jusqu’à une autre ruelle, plus modeste. Il tenta de crier une question mais n’eut pas de réponse, jusqu’à ce que finalement il soit déposé sans ménagement dans une sombre impasse. Son inquiétude ne manqua pas d’augmenter quand la mercenaire braqua sur lui son imposant pistolet.

- Maintenant, m’sieur le Premier Ministre à qui je peux parler sur le ton qui me plaît, on va voir combien les NR peuvent payer pour vous mettre la main dessus, lança-t-elle d’un ton moqueur au duc qui sentit un liquide chaud couler à l’intérieur de son pantalon.

Sa ravisseuse eut un rictus de mépris et se mit en mouvement, trop vite pour qu’il puisse ne serait ce qu’esquisser un geste. Et ce fut le noir.


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Chapitre 3 - Yoshino et l'Individu


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Le Destinée Manifeste était bien plus que le plus redoutable des vaisseaux de guerre conçus par l’humanité depuis qu’elle connaissait le secret du vol entre les étoiles. Il s’agissait d’une véritable œuvre d’art aux dimensions kilométriques, hommage à tous les bâtisseurs de cathédrale de l’ancienne Terre, la glorieuse Sanctum Terra. Sorte d’ovale aplati d’où surgissaient d’immenses spires d’une infinie complexité surmontés par des statues de grands hommes dorées à l’or fin, ses flancs parcourues de gargouilles intimidantes de la bouche desquelles sortaient les ouvertures des armes du super destructeur, ce qui frappait en premier ceux qui contemplaient la majesté de ce bâtiment, tout à la fois navire, station spatiale, ville et basilique à la gloire du Roi-Hégémon était le buste de ce dernier projeté par hologramme entre les spires, comme une immense bannière des temps primitifs, sauf que les dimensions de celle-ci étaient supérieures à celles de la plupart des bâtiments humains. Le simple maintien de cet hologramme coûtait en énergie vingt fois ce que nécessitait l’alimentation continue d’une ville moyenne du vingt et unième siècle.

Quant à ses systèmes d’armes, ils étaient inégalés. À la proue du navire spatial, la plus grande bouche à feu jamais conçue pouvait projeter un faisceau calorifique sur une zone considérable et à une portée inégalée. La puissance de cette arme était telle qu’elle pouvait rendre une planète inhabitable et la transformer en un enfer de chaleur qui anéantissait toute forme de vie en quelques dizaines d’heures. Tel était le Destinée Manifeste. Ou du moins c’est ainsi qu’il était avant la grande trahison. Le commandeur-général de Nouvelle-Bastille, maître stratège du Royaume, conseiller militaire suprême, Yoshino Obayashi se rappelait l’époque de son lancement. La construction du « DM » comme on l’appelait alors, avait de nobles objectifs. Permettre d’éradiquer définitivement les planètes corsaires de la bordure en quelques années, constituer une imparable défense contre toute tentative de rébellion des systèmes distants, et montrer à chaque humain de la galaxie l’invincible puissance du Grand-Royaume.

Et aujourd’hui ce titan, ce dieu des vaisseaux spatiaux voyait son ornement être endommagé de toutes parts. Les fresques gigantesques représentant l’Unification des Planètes Nations qui avaient été gravées au laser par les plus grands artistes de l’humanité pendant soixante-douze ans sur les spires et les flancs du géant de l’espace étaient parsemées d’impacts de projectiles balistiques et de zones brûlées par le feu des armes à rayonnement. Comment osaient-ils ! Bien sûr ils n’avaient pas pénétré la coque du Destinée Manifeste, pas encore, ils ne réussissaient qu’à abaisser temporairement les boucliers, mais ces destructions abjectes, ces trous faits dans l’habit de soie du roi des cieux étaient autant d’offenses impardonnables.

Les traits d’Obayashi se durcirent encore, son visage aux traits patriciens et aux cheveux d’un gris acier se faisant l’archétype de l’honneur offensé. Flottant au-dessus du sol sa salle de méditation zéro gravité, mais néanmoins méditant en position du lotus, le plus grand stratège des forces militaires du Grand Royaume regardait les défenses de Nouvelle-Bastion décimer impitoyablement la force d’incursion de la Nouvelle Révolution, pluie de projectiles et de rayons qui s’abattaient sur les traîtres abjects qui avaient assassiné le Roi-Hégémon. Par l’immense baie vitrée – quoique vitrée soit impropre puisqu’il s’agissait d’adamantium rendue transparente par chimie moléculaire – il discernait chacune des explosions qui environnaient le Destinée Manifeste. C’était un spectacle réellement divin que ces lumières qui transperçaient le vide intersidéral dans une danse complexe et terrible, que ces milliers de vaisseaux qui accomplissaient une chorégraphie n’ayant rien à envier à celle des danseuses étoiles du ballet de Terra Secunda.

Et c’était aussi une victoire supplémentaire au crédit d’Obayashi dit le « shōgun ». Il s’était retiré pour méditer il y avait déjà quelques heures quand il avait été certain que les forces ennemies ne pourraient plus échapper à sa stratégie. A cette pensée ce ne fut pas le contentement qui le parcourut mais la colère. La stratégie de l’ennemi était aberrante ! A chaque nouvelle manœuvre des Nouveaux Révolutionnaires autoproclamés la consternation empreinte de malaise du commandeur-général augmentait. Celle-ci en particulier, n’avait aucun sens. Comment avaient-ils pu imaginer qu’il leur serait possible de prendre à revers le réseau de stations militaires Golgos ? Il y avait une de ces plateformes, équipées d’armes atomiques de classe 9, à tous les points de translation, de chaque système qui composait le secteur Nouvelle-Bastille. Sans parler des canons stellaires qui pouvaient tirer dix-huit mille projectiles de métal liquide guidés au laser en huit secondes. Et de toutes les autres défenses qui entouraient le Commandement Militaire Central du Grand Royaume.

Ils avaient surgi trente-six heures auparavant, une véritable nuée d’astronefs hétéroclites et leur manœuvre avait stupéfié les cerveaux du CMC tant elle était inepte. Tenter de submerger les programmes de ciblages automatiques des stations Golgos en envoyant une vague d’attaque immense afin que quelques vaisseaux puissent se faufiler et tenter une attaque suicide sur les plateformes spatiales.

Obayashi rumina les enregistrements qu’il se repassait en esprit depuis le début de sa méditation. Pourquoi des attaques suicides ? Pourquoi cette sauvagerie ? Il savait que des kamikazes avaient fomentés des attaques contre des points stratégiques un peu partout dans l’espace humain, sauf qu’il s’agissait de soldat du Nouveau Royaume déterminés à emporter autant de traîtres que possible avec eux dans la mort dans un ultime sursaut de bravoure. Attaquer l’ennemi en sacrifiant sa vie n’avait de sens que si l’on était désespéré, or les Nouveaux Révolutionnaires n’avaient aucune raison de l’être puisque, tôt ou tard, ils viendraient à bout du réduit isolé de Nouvelle-Bastille, aussi bien défendu qu’il puisse être. C’était comme si ils voulaient absolument liquider le secteur de Bastille immédiatement, comme si ils ne pouvaient pas attendre. Alors qu’ils avaient gagné ! Yoshino sortit un mouchoir de soie de la poche intérieure de son uniforme bordeaux et or et essuya une goutte de sueur qui coulait le long de son front ridé sous le poids de l’incompréhension. Pourquoi cette boucherie ? Pourquoi sacrifier inutilement autant d’hommes ? On aurait dit une armée de primates sans aucune stratégie se lançant à l’assaut d’une ville humaine. Obayashi descendit au niveau du sol et se maintint à une poignée avant de faire apparaître un panneau holographique.

- Intelligence virtuelle, gravité retour au niveau standard et contactez le premier officier tactique Lawson, ordonna le commandeur d’une voix lasse.

- Commandeur, vous m’avez fait demander, fit la voix de Lawson à travers tous les systèmes audio de la pièce, selon l’IV ? Justement je m’apprêtais à solliciter un entretien.

- Oh ? Je souhaitais votre avis éclairé sur les manœuvres ennemies, mais cela peut attendre quelques instants. De quoi vouliez-vous m’entretenir, Jason ?

- Hé bien commandeur, commença l’officier en cinquième dans la chaîne de commandement du Destinée Manifeste en cachant mal son excitation, j’ai le plaisir de vous dire que nous avons réussi à mettre un chasseur ennemi en stase ! On ne s’explique pas encore pourquoi mais son disputeur n’a pas fonctionné. Ce qui veut dire que… nous avons un prisonnier.

Obayashi fut debout en instant. C’était une autre particularité qui le répugnait particulièrement chez les ennemis sans honneur qui assiégeaient Nouvelle-Bastille. Aucun d’eux ne se laissait capturer vivant et tous se suicidaient soient grâce une capsule de poison, soit grâce à des implants. Cela n’avait jamais fait partie de la doctrine militaire des légions du Royaume. Mais pour la première fois Obayashi tenait l’un de ces fous sans honneur qui avaient trahi l’humanité toute entière. Et il ne lui accorderait pas la paix de la mort rapidement.

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Il le haïssait. Comment avait-il pu ne pas s’apercevoir qu’Obayashi était si abject ? Immonde ? Infâme ! Infâme ! Il devait mourir, et souffrir. Oh l’homme avait longtemps respecté et admiré le «shōgun », celui qui avait maté les bandes corsaires de Thoric le Rouge, le vainqueur de la bataille de Frangia II, et d’une liste d’exploits trop longs pour être cités. Il avait admiré son sens de l’honneur, hérité des anciennes valeurs orientales remontant au temps des vieilles nations terrestres, sa politesse surannée et sa culture. Il avait adoré cet homme qui avait toute la confiance du Roi-Hégémon et qui occupait la position unique de maître stratège et qui trouvait le temps, tout en concevant de redoutables plans de bataille, d’émettre des théories philosophiques.

Mais maintenant… il avait eu la révélation. Il savait que cet homme en apparence si admirable était une abjection, le mal sous forme humaine. Il connaissait le secret des pensées de celui qui était devenu son ennemi mortel et savait que la perversité et l’ignominie étaient ses règles de vie cachées. Oh la haine le brûlait, le brûlait, comme si il s’était plongé dans un brasier ou qu’il avait avalé des charbons ardents, comme si en son sein il y avait une flamme qui se nourrissait de ses organes pour se développer et croître jusqu’à tout consumer.

Oh toutefois la chaleur de sa haine était tempérée par une glaciale détermination. En croisant Obayashi alors que lui et Lawson traversaient un couloir du secteur administratif il faillit bondir pour l’égorger avec ses dents ! Mais il se contint car il devait donner le change, il n’avait pas le choix, il fallait qu’il réduise son juste courroux à une proportion plus congrue, qu’il se calme. Alors il se força à sourire, et même si Lawson le regarda d’un air curieux – ses mâchoires étaient si crispées que son sourire donnait l’impression d’avoir une rage de dent – les deux gradés passèrent leur chemin. Lawson. Oh l’infâme, le haïssable cancrelat. Parce qu’il était haïssable également n’est-ce pas ? Lui aussi il… il quoi ? Peu importe ! La nature du crime d’Obayashi était si abominablement insupportable que l’individu silencieux et envahi par la rage ne pouvait pas la formuler mais il savait qu’il y avait eu crime ! Une dissimulation, une ignominie !

- Hé qu’est ce qui t’arrive ? Tu vas bien ?

La brume rouge qui commençait à envahir son esprit se dissipa. Il se tourna vers la jeune femme qui lui avait adressé la parole. Elle occupait le même grade que lui. Oh et elle, elle n’était pas consciente que leur chef suprême était maléfique, criminel, odieux, abject. Elle ne savait pas, elle ne savait pas. Il fallait se contenir cependant, car innocemment elle risquait de lui dire et d’empêcher l’individu d’accomplir sa tâche, la tâche pour laquelle il avait été élu. Mais qui était-elle exactement… l’individu avait du mal à se souvenir… il se rappelait d’une pièce sombre et cachée dans les niveaux d’entretiens. Il se rappelait de vêtements qui tombaient au sol et de… de la chair, nue, appétissante… non, non ce n’était pas ça, pas comme ça, cette chair l’avait attiré oui mais autrement. Que se passait-il ? Ses pensées étaient altérées, il avait du mal à se souvenir de l’identité de cette jeune femme qui lui faisait face et dont le visage exprimait une perplexité grandissante. Dire quelque chose, dire quelque chose, vite. Ne pas le décevoir, ne pas oublier sa mission.

- Oh je… oui, je ne sais pas j’ai eu un léger malaise pendant la translation depuis Bastille et je me sens un peu bizarre. Mais j’ai pris des cachets et ça devrait aller mieux, ne t’inquiète pas Laëtitia.

Le nom de la jeune femme lui était revenu ! Coup de génie ! Et puis cette excuse était très bien trouvée. Il vit la compassion se peindre sur le visage de la blonde. Le mal de la translation, comme on l’appelait, était une chose très rare avec les progrès des systèmes de passage en espace de phase, qui éliminaient les effets secondaires sur quatre-vingt-dix pourcent du personnel de la flotte. Mais occasionnellement il arrivait encore pour des raisons mal comprises que le passage en espace phasique et la translation qui s’ensuivait cause des maux d’estomac à des gens qui normalement n’avaient aucun problème avec la navigation phasique. Il l’avait oublié mais maintenant, l’individu empli de haine se souvenait qu’il avait eu autrefois à travailler avec un jeune enseigne qui avait dû se reconvertir en administrateur militaire parce qu’il était incapable de supporter l’espace phasique. Il n’arrivait pas à se souvenir de son nom cependant…

- On se retrouve au mess 5-L d’accord ? Oui ? Je dois y aller et… oh tiens…

L’intelligence virtuelle du vaisseau diffusa par hologramme et par le réseau audio une série de messages appelant Isaya Radjin à se présenter au plus vite à son officier supérieur. Radjin. Radjin. Ce nom ne lui était pas étranger mais… il avait décidément des problèmes de mémoires aujourd’hui. Parmi les trente mille personnes qui servaient sur le Destinée Manifeste, pourquoi connaissait il particulièrement cette Isaya ?

- Brr, je me demande ce qu’on peut bien vouloir à cette horrible bonne femme. Si j’étais interrogée par elle j’avouerais tout ce qu’elle voudrait et plutôt deux fois qu’une… oh mais je dois vraiment y aller ! Huit heures au mess 5-L, n’oublie pas !

Le babillage de cette stupide femme blonde avait eu une utilité ! Il se souvenait bien d’Isaya maintenant, une femme impressionnante, aux formes généreuses qui aurait été très attirante si ce n’était son regard glacial et sa réputation de tortionnaire. Il l’avait croisé deux fois, par hasard, à la bibliothèque du secteur ouest et sa pâleur de zombie couplée à sa démarche de prédateurs aux aguets lui avait fait faire un large détour. Cependant… pourquoi avait on fait appeler Isaya ? Est-ce que par hasard on aurait fait un prisonnier ? Au début tune vague d’allégresse monta dans l’esprit de l’individu.

Mais rapidement il considéra la question sous un autre angle. Une profonde inquiétude, ou plutôt non, le terme était trop fort, mais une gêne non négligeable pour le moins, montait en lui au fur et à mesure qu’il imaginait Isaya en train d’interroger un Nouveau Révolutionnaire. Pourtant… pourtant il n’y avait qu’un risque infime que l’éventuel prisonnier soit d’un rang suffisant pour avoir été… été quoi… ? C’était étrange on aurait dit que son cerveau pensait dans deux directions à la fois parallèlement mais sans qu’il ait connaissance de l’une d’elles. C’était comme si…

Et puis soudain une illumination le frappa ! Mais oui ! Ce n’étaient pas des Nouveaux Révolutionnaires ! Ils allaient torturer un légionnaire spatial, un de ses frères d’armes soldats, car l’abject Obayashi les avait entraîné dans une rébellion contre le Roi-Hégémon ! Comment avait-il pu oublier une chose pareille ? Il était vraiment épuisé mais il se souvenait, il avait été envoyé ici pour infiltrer les traîtres ! Il faillit rire tout haut de sa bêtise avant de reprendre l’expression sérieuse qui convenait à sa mission.

Car il avait une mission. Se reposer d’abord. Et ensuite s’occuper du légionnaire capturé. Il ne devait rien révéler aux traîtres. Il connaissait les risques quand il s’était engagé. Et lui, loyal, ferait son devoir. Oui tout s’éclaircissait. L’individu consulta son affichage rétinien. Encore une heure de permission. Le sourire aux lèvres, il alla se coucher dans son dortoir et s’endormit du sommeil du juste.
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Thelesias

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MessageSujet: Re: [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner   [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner Icon_minitimeMer 9 Jan - 12:49

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Chapitre 4- Dudley et Isaac


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- Période Troisième Renaissance n’est-ce pas ? La finition de ces boiseries est admirable n’est-ce pas ? Et puis les meubles de cette époque en vrai bois terrien, ce n’est pas quelque chose qu’on voit souvent. Mon hôte semble féru d’art ?

L’autre ne répondit pas, bien sûr. Il ne répondait jamais. Ni lui ni ses trois collègues. Depuis que les trois hommes l’avaient enlevé à la sortie de son université et l’avaient fourré dans un glisseur, ils n’avaient ouverts la bouche que pour le menacer. Menaces par ailleurs inutiles puisque chacun d’eux était équipé d’ongles-lames rétractables dont Dudley Scott n’avait nullement envie d’éprouver le tranchant. Pendant le trajet il avait lancé quelques remarques – après les cris et autres vaines suppliques – d’une voix chevrotante qui gâchaient l’ironie bravache qu’il voulait véhiculer. Ces considérations artistiques étaient du même acabit, et les trois matamores aux implants tranchants ne s’y trompèrent pas. Le grand blond aux yeux gris eut un sourire en coin comme un père témoignant une approbation amusée à un enfant audacieux et curieux. C’était sans doute le chef du groupe. Les deux autres, un noir encore plus grand que le blond mais très mince, et un autre blond a l’air un peu lent, échangèrent un regard perplexe. Pas des amateurs d’art visiblement.
Des amateurs de physique quantique et de théorie de l’espace phasique alors ? Peu probable, pourtant le professeur Scott ne voyait pas pour quelle autre raison on aurait pu enlever un scientifique tel que lui. Bien sûr sa première pensée avait été qu’il s’agissait de prévôts, cette police politique du nouveau régime, et qu’on l’avait dénoncé pour délit d’opinion, ou plutôt pour « conspiration monarchiste », comme disait la propagande des manteaux noirs. Mais les hommes de la récente police politique n’étaient pas câblés avec des implants aussi coûteux, et ils respectaient plus ou moins le statut particulier des quartiers universitaires, considérés depuis plusieurs siècles comme des espaces de savoirs bénéficiant d’un statut spécial vis-à-vis des interventions policières.

Et puis… Scott imaginait mal les prévôts l’emmener dans un manoir orbital. Parce que oui, désormais le professeur Dudley Scott faisait partie des très rares privilégiés à avoir mis le pied sur l’un des astéroïdes de la ceinture artificielle Void Paradise. La vue lui avait, dans un premier temps, coupé le souffle et fait oublier sa peur. Bien sûr habitant sur la planète résidence Shangri-La il était habitué à une certaine forme de luxe. Et comme tous ceux qui y vivaient ils savaient qu’une poignée de billionnaires avaient conçus cette ceinture de roche flottant dans le vide stellaire, à quelques parsecs du système de Shangri-La. Il avait vu quelques holos volés, quelques reportages exclusifs sur le sujet, car tout physicien qu’il soit il partageait la fascination des masses pour ceux qui étalaient absurdement des sommes si immenses qu’elles étaient proches de l’irréel dans des projets auxquels le commun des mortels ne rêvait même pas.

Mais voir cela… quand, installé dans le cockpit, il avait vu ces corps stellaires, tous illuminés, défiant le vide autour d’eux, entourés de champs de force qui vus de l’extérieur étaient colorés, du rouge au vert en passant par le blanc, il avait eu un choc. Et ensuite, son enlèvement était passé au second plan quand étaient apparus les manoirs. Perchés sur des collines rocheuses, entourés de végétation artificielle, chacun d’eux était unique, chacun d’eux avait son style. Certains, ostentatoires, étaient couverts de dorures et de grandes décorations baroques, mélange de mauvais goût entre des monuments de Sanctum Terra aussi dissemblables que Versailles, le Taj Mahal, le Harmandir Sahib ou même le Kinkaku-ji. Ils restaient impressionnants par la quantité de matériaux précieux et leur dimension mais il y avait bien plus impressionnant. En réalité, les « manoirs de l’espace » n’étaient qu’un terme médiatique, car pour certaines, ces constructions stupéfiantes n’avaient rien de manoirs.

Comme par exemple, Liberty. L’astéroïde entier avait été taillé pour figurer une réplique géante de l’ancienne Statue de la Liberté à New York et c’était une vision pour le moins insolite de voir cette immense silhouette se dresser dans le vide spatial, ses mouvements contrôlés par une série de réacteurs habilement dissimulés. Le professeur avait aussi raté un battement de cœur devant une tête géante représentant un individu au faciès exagérément parfait dont il ne reconnaissait pas les traits. A cette occasion, le grand blond s’était départi de son silence pour répondre aux interrogations de son captif. La tête était celle du dernier secrétaire général du Politburo Chinois, l’un des plus féroces autocrates de Sanctum Terra au temps des nations. Le professeur, qui connaissait vaguement l’histoire de Sanctum Terra, ne put s’empêcher d’avoir un petit rire malgré sa situation. Les réunions de co propriétaires entre le billionnaire de Liberty et celui de Tête de Cheng, devaient être particulièrement houleuses. Outre les créations surchargées et les effigies à la gloire des nations du passé, certains astéroïdes figuraient des objets. Par exemple, une épée géante pointait de façon menaçante sur ce qui semblait être une bouteille de vin spatiale.

Mais, loin de ces accumulations vulgaires ou de ces sculptures habitées, la navette se dirigeait vers un asteroïde de taille moyenne, taillé en rectangle aplati. En dessous de la formation rocheuses, des traînées enflammées indiquaient la présence de réacteurs moins habilement dissimulés que sur les autres constructions alentours, ou peut-être plus puissants. Du côté habité, un manoir, au sens littéral du terme, se dressait au milieu d’un parc géant. Le bâtiment en lui-même était d’une beauté et d’une grâce particulière. Si l’architecture générale était incontestablement victorienne, il était difficile d’identifier un courant particulier. Les élégantes rondeurs des deux tours de la demeure évoquaient un style Queen Anne, tandis que les couleurs employées et la chaleur des tons n’étaient pas sans rappeler le néoroman. De plus, quand le champ de force couleur myrtille s’ouvrit pour laisser passer la navette – le professeur nota que de l’intérieur, le champ était invisible – et que celle si se rapprocha du niveau du sol, Dudley put remarquer qu’au milieu des somptueux jardins à la française qui menaient au manoir, une statue de style, sinon de sujet, néoclassique représentant un homme en armure de chevalier. Bien que retenu contre son gré, Dudley ne pouvait s’empêcher de ressentir tout cela comme un rêve éveillé.

Finalement, une ouverture creusée à même la roche s’ouvrit à l’arrière du manoir et la navette y pénétra. On fit descendre le professeur sans le brusquer. Il soupesa l’idée d’appeler à l’aide les employés du petit spatioport. Mais d’un autre côté… ils étaient employés par la même personne qui l’avait fait amener ici et il se trouvait dans un territoire isolé de l’espace civilisé dans lequel le maître du manoir était un dieu tout puissant et pouvait faire tout ce qui lui plaisait sans avoir de rendre de compte à aucune justice planétaire. Non, décidément il était inutile d’attendre quoique ce soit des hommes en blouse bleu de techniciens, pas plus que des domestiques – vêtus d’une livrée et d’une perruque à l’anglaise, ce qui n’étonna pas le professeur, désormais habitué aux curieux anachronismes du lieu.
Et finalement il se retrouvait là, à suivre ses ravisseurs. Inquiet évidemment, mais convaincu que si on en voulait sa vie ça serait déjà fait, et conscient du ridicule de l’hypothèse d’un crime crapuleux considérant le commanditaire probable de tout cela. Donc, enlevé probablement pour ses connaissances scientifiques, il pouvait supposer qu’on ne le tuerait pas.
- Professeur Scott ? Excusez-moi d’interrompre vos méditations mais nous arrivons à vos quartiers, fit le blond aux yeux gris, goguenard. Si vous voulez bien vous donnez la peine d’entrer mon bon monsieur, je suis sûr que vous trouverez tout cela très à votre goût.

De fait, une fois entré dans ses « quartiers », Scott fut ébloui. Il avait beau disposer d’un trois cent mètre carré situé en plein cœur de Shangri-La City, et être l’un des scientifiques les mieux payés de la galaxie, il ressentait la même impression qu’un mendiant invité pour un instant dans le palais d’un marquis. Chaque centimètre carré de la vaste chambre qu’on lui présentait – qui faisait bien plus de trois cent mètres carré – était recouvert d’œuvres d’art, tapisseries, tableaux, meubles précieux, coussins et divans de soie. La technologie n’était pas absente pour autant. Partout des terminaux holographiques – fonctionnant en réseau local évidemment – bien plus avancés que tout ce qu’il avait pu voir se tenaient prêts à lui diffuser des centaines de spectacles, du thriller à l’opéra en passant par le théâtre. Qui plus est, une intelligence virtuelle, Swena, matérialisée sous la forme d’une plantureuse créature en trois dimensions, se tenait prête à assouvir « ses moindres désirs » et se montrerait enchantée de le « rejoindre dans le terminal de réalité virtuelle pour une conversation… spirituelle ». Ou encore « de demander à ce que l’on vous amène de gracieuses jeunes femmes de chair et de sang sélectionnées pour leur art de la discussion ». Sans parler des « stimulations chimiques » à disposition.

C’était donc cela la vie d’un prince marchand en cette fin de XXXVIIIéme siècle ? Baigner dans tous les excès les plus amoraux, qu’il s’agisse de la chair ou d’addictions d’autres sortes ? Disposer de technologiques si poussées qu’elles avaient des décennies d’avance sur le reste de l’espace humain ? Du point de vue de Dudley Scott… c’était fort agréable. Il envisagea de recourir aux services de ces expertes en discussion mais s’arrêta avant d’avoir complétement formulé sa demande. C’était idiot. Il n’avait pas d’enfants et sa femme l’avait quitté il y avait de cela douze ans standard. Mais, s’il se laissait aller à toutes ces choses qu’on lui proposait, il risquait de finir par oublier ce qui se passait. On l’avait enlevé et séquestré. Oh certes sa prison était un manoir géant avec des serviteurs surgissant des placards et des intelligences virtuelles au redoutable potentiel érotique mais c’était tout de même une prison.

Il décida d’envoyer un message, dans la mesure de ses modestes moyens. Il éteignit les terminaux de divertissement, fit taire la trop bavarde Swena et s’allongea sur le grand lit à baldaquin, se murant dans le silence. C’était peut être complétement puéril de sa part mais il tenait à conserver son identité de prisonnier, de détenu, de captif. Peut-être était-ce parce que Dudley Scott avait eu, jusque-là, une vie morne et sans grand intérêt, excepté sa brève période de succès quand il avait développé sa théorie sur l’espace phasique profond suivie d’un best-seller sur le sujet. En quelque sorte, cet enlèvement en douceur lui donnait la possibilité de s’apitoyer sur lui-même à loisir et de se complaire dans un rôle de martyr en draps de soie et ce n’était pas pour lui déplaire, même si il n’oserait jamais se l’avouer.

Finalement au bout de quelques heures de songes hypocrites quant à sa terrible infortune, passées en parti à imaginer les horribles supplices qu’il risquait de subir si il ne coopérait pas – et de se réjouir que lui, Dudley Scott, soit suffisamment important pour être enlevé par des ravisseurs de ce calibre, il sursauta quand la porte de chêne sculpté de ses appartements s’ouvrit doucement pour laisser passer monsieur yeux gris, qui arborait un sourire ironique.

- Je vais vous conduire auprès mon employeur, professeur Scott, lança brusquement l’homme. Sachez que toute idiotie de votre part vous ferait amèrement regretter de n’avoir pas connu quelques moments de jouissance pendant ces dernières heures de temps « libre », si j’ose dire, dont vous avez disposé.

Quand son ravisseur et ses deux sbires, après l’avoir enlevé, s’étaient dirigés vers la navette pour fuir la planète, ils étaient passé par un ancien réseau mécanique puis par une zone de construction et enfin cachés dans le coffre d’un glisseur de police dont le conducteur avait accepté un pot de vin. Les trois hommes portaient alors des vêtements amples utiles pour cacher des armes et n’avaient pas un air très propre, au sens comme au figuré. Toutefois le chef du groupe s’était radicalement transformé. Adoptant un costume deux pièce intelligent qui se morphait pour épouser ses mouvements, le noir des vêtements soulignait sa peau d’une pâleur aristocratique, et ses cheveux blonds coiffés vers l’arrière faisaient ressortir un front haut et intelligent. Dudley Scott était auparavant effrayé par la menace physique que faisait peser l’homme, mais il était désormais également intimidé par la prestance inquiétante du blond.

C’est docilement qu’il suivit l’élégant homme de main à travers une enfilade de couloirs, et remarqua ce faisant que les domestiques inclinaient la tête sur le passage de son guide, renforçant l’impression que commençait à avoir Scott : ce n’était pas juste un gros bras ou un mercenaire, et son élégance n’était pas celle de quelque nouveau riche désireux de se conformer aux codes de la société dans laquelle il évoluait. L’habit avait beau ne pas faire le moine – mais qu’était ce qu’un moine déjà ? – Dudley s’était laissé berner, malgré ces implants rétractables qui auraient dû le convaincre, même avec son expérience limitée aux reportages et aux séries holos, qu’il avait affaire à quelqu’un d’éminemment redoutable. Alors évidemment la question était : quel billonnaire avait su s’attacher les services d’un tel individu ?

Sa question n’allait pas tarder à trouver une réponse. Les deux hommes, le scientifique et le guerrier des temps moderne, stoppèrent devant une double porte en acajou massif. Son accompagnateur lui fit signe d’entrer un geste impatient et referma la porte derrière lui sans le suivre. Un peu désorienté, le professeur regarda autour de lui. Il était dans un grand salon clairement conçu pour rappeler un XXéme siècle fantasmé. Une cheminée illuminait la pièce de son feu, et face à ce feu, deux fauteuils au haut dossier, d’où s’échappaient des voix. L’un d’eux, après quelques minutes, pivota et Scott pu voir la qui y était assise, et hoqueta. Le style du manoir, la statue de chevalier, la livrée moyen âgeuse des serviteurs, tout trouvait sens. Le visage de la femme qui lui faisait face était connu dans tout l’espace humain. Eleonora Victoria of Bourbon, Queen of England and France, dans la vieille langue anglaise, ou plus simplement, Victoria X. L’ultime dépositaire vivante du sang des premiers rois humains, connue pour ses prises de positions contre le Roi-Hégémon, qui vivait en recluse dans une demeure secrète.

Cette femme au visage commun et aux cheveux d’un châtain parsemé de gris bénéficiait manifestement des traitements de régénération les plus avancées parce que même en tenant compte de ceux-ci, une femme de son âge, trois cent douze ans, ne devrait pas avoir l’air d’une quinquagénaire. D’aucuns la croyaient morte, puisqu’elle n’était pas apparue sur les réseaux depuis plusieurs décennies. Mais l’intensité du regard de Victoria dépassait celle de tous les vivants que Scott avait pu côtoyer. Elle semblait attendre quelque chose et Scott se sentit obligé de faire une révérence maladroite, ne pouvant s’empêcher de bafouiller des salutations maladroites. Il eut été de bon ton de parler anglais, sans doute, mais la langue commune était un dérivé de l’ancien français de Sanctum Terra et plus personne ne parlait la langue des ancêtres de Victoria. Quant à la langue noble, elle était une pure création du Grand Royaume et bien évidemment Scott ne la parlait pas.

Sa révérence maladroite fit rire la reine en titre, d’un beau rire cristallin. Elle murmura quelque chose en anglais à la personne assise sur le fauteuil à côté d’elle puis se leva, et, à la grande surprise de Scott, sortit de la pièce. Puis le deuxième fauteuil pivota et il eut un choc au moins aussi grand que lors de son enlèvement.

- Notre hôtesse me disait que tu étais un garçon charmant, Isaac. Hum ? Oh je sais, tu as renié la famille, tu as changé de nom et tout cela, mais permets à ta grande sœur ne pas se souvenir de toi comme aux jours d’antan.

Toujours stupéfait, Dudley Scott, n’arrivait pas à trouver ses mots.

- Hé bien quoi ? Même pas un bonjour ? Enfin j’imagine que Stephen ne t’a pas ménagé durant votre escapade. Cela aurait pu être différent si tu n’avais accepté de garder le contact et si nous avions pu agir avec moins de précipitation, mais tu nous a bien fait comprendre que tu ne faisais plus partie de la famille alors… Enfin. Je suis ravie de te retrouver, Isaac Kretchner.



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Chapitre 5 - Maria et Tedd


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- J’ai été infiltrée ici sur son ordre, voilà comment je le connais ! Mais il était convenu que ce soit Chamas qui réceptionne le colis, pas un officier dont je ne sais rien. Votre nom ?

Elle s’étonnait de pouvoir lancer cela d’un ton si affirmé, elle qui n’avait jamais été porté sur la gestion du sang froid lors des entraînements qu’elle avait dû subir lors de son noviciat. Pourtant cela eut au moins l’effet de faire baisser son arme à l’officier. Oh elle avait préparé ce qu’elle allait dire au cas où elle rencontrerait un autre soldat que le dénommé Chamas mais elle n’avait pas sérieusement pensé qu’on la laisserait s’exprimer ne serait-ce que pour crier grâce. Fort heureusement cet officier, ce lieutenant, si elle lisait bien son holoplaque, semblait pouvoir être manœuvré. La jeune femme retint un sourire perfide. On ne l’aurait certes pas imaginé en la voyant mais la manipulation était un art pour lequel elle avait un certain talent. Bien sûr elle avait désespéré comme et bien sûr elle avait versé un torrent de larme parce qu’elle était humaine et que ses convictions les plus profondes avaient été foulées au pied par une bande de brutes et de traîtres mais maintenant que sa vie était directement en jeu elle retrouvait ses ressources cachées.

Ces ressources qui avaient fait d’elle la plus jeune administratrice-jurée de l’histoire à avoir été promue au rang de Superviseuse parmi les Sœurs-Logisticiennes, à seulement vingt-huit ans. Ces ressources innées qui, tel le matériau brut dans une raffinerie d’irkanium, avaient été sculptés, polis, préparés et dressés avec l’aide de son père, le Supérieur-Concepteur. Des ressources, des talents, qui outre le don des chiffres et des formules mathématiques, incluaient aussi une solide dose de politique. Quoiqu’en pensent les gens de l’extérieur, il y avait deux catégories d’administrateurs jurés. Ceux, qui tels des prêtres de l’ancien temps, faisaient vœu d’humilité et se contentaient d’un poste subalterne et ceux qui estimaient que leur intellect et leur habileté permettraient au Grand Royaume d’être mieux servi si ils parvenaient à de hautes fonctions.

Sous ses airs innocents, Maria Peréz était une administratrice jurée aux dents longues appartenant à la deuxième catégorie. Et des hommes, elle en avait manipulé plus que son content. Cependant c’était la partie la plus délicate de sa vie qui se jouait, puisqu’elle avait précisément cette dernière pour enjeu. Ne montrer aucune peur, voilà la première loi dans ce genre de situations. Evidemment le fait que son visage soit gonflé de larmes n’aidait pas, mais si l’officier avait la disposition d’esprit requise il pourrait voir cela comme faisant partie de l’infiltration. Restait à le convaincre qu’il y ait bien une infiltration ce en quoi il semblait sceptique.

- Allons, fit-il d’un ton rogue, si vous apparteniez vraiment à la prévôté, mon implant d’officier commandant aurait reconnu l’identifiant de votre puce sous cutanée ! Comment connaissez-vous Shamas ? Et cette fois je veux la vérité, sinon… hé bien disons que certains hommes ne se contenteraient pas de mettre fin à vos jours.

Maria eut reniflement moqueur et s’accouda au mur, en se composant son visage le plus condescendant. Elle avait beau être en mauvaise posture, l’homme n’était pas infaillible. La preuve, cette histoire de puces sous cutanées était une nouveauté pour la jeune femme. Etait-ce donc ainsi que certains groupes de conspirateurs s’étaient reconnus avant la Grande Trahison ? La sœur-logisticienne avait une vague idée des principes techniques mis en œuvre. Et puis cet officier était si abasourdi de rencontrer une victime qui parlait au lieu de se laisser massacrer qu’il lui facilitait considérablement la tâche

- Êtes-vous stupide, lieutenant ? Vous croyez vraiment que les infiltrés que notre glorieuse Nouvelle Révolution a dispersé un peu partout chez l’ennemi disposaient tous de puces sous cutanées ? Pour que votre implant puisse détecter la puce il faut qu’une tranmission de type I3 s’établisse, or vous imaginez bien qu’au Stratégium ils disposaient de tous les équipements nécessaires pour détecter ce genre de fréquences !

Le soldat frémit légèrement. Elle n’avait pas de mal à suivre ses pensées et retint un sentiment de triomphe anticipé. Si elle n’avait aucun autre argument à présenter cela équivalait à se suicider, mais fort heureusement plus elle parlait plus elle se découvrait d’insoupçonnés talents d’actrice.

- Hum, c’est bien commode, rétorqua l’officier d’un ton qui se voulait goguenard mais qui perdait de son assurance. Quelle était votre mission alors ? Et avant que vous ne me répondiez « secret de la prévôté », sachez que dans un cas tel que celui-là je suis tout à fait prêt à prendre le risque de vous coller un tir de fuseur en pleine tête plutôt que d’en subir un moi-même parce que j’aurais laissé s’enfuir une sœur douée pour inventer des histoires. Donc si vous êtes vraiment ce que vous dites…

Maria avait anticipé la question de son vis-à-vis de quelques fractions de seconde de sorte que quand il eut fini de la poser en marquant des pauses se voulant lourdes de sens pour souligner ses menaces et ses expressions dubitatives, elle avait déjà une réponse à fournir. Risquée, certes, mais…

- À votre droite, sur la table basse. Oui cette boîte. Elle contient des données scellées que je dois apporter au plus vite au prévôt Shamas.

Le soldat, lui fit signe de se maintenir dans son champ de vision et s’approcha de la boîte, le fuseur braqué sur elle. Elle ne tenait pas à tester sa vitesse de réaction. Elle s’en tint à son plan rudimentaire, qui semblait porter ses fruits. Elle ne put s’empêcher de prendre une moue condescendante. Evidemment, soldat ignare, que tu ne peux pas savoir ce qu’il y a dans cette boîte, et encore moins l’ouvrir ! Moi qui suis la plus savante des soeurs-logisticiennes de ce stratégium je ne sais pas de quel alliage il peut bien être fait, je n’y discerne aucune ouverture sinon un micro terminal à code qu’il est impossible d’outrepasser et rien de ce que j’ai pu faire pour le sonder n’a réussi. Voilà ce qu’elle pensait, moqueuse et sûre d’elle, et fort heureusement l’officier était trop absorbé par la perplexité pour le remarquer.

- J’admets qu’on dirait… évidemment on dirait une boîte à données, encryptée et conçue, comme celles qu’utilisaient les Mains du Roi. Toutefois… elle dépasse en sophistication tout ce que j’ai pu voir jusque-là et n’est pas de fabrication GRHT pour autant que je puisse en juger…

Il hésitait, c’était à présent très perceptible. Plus il tergiversait plus les risques s’accentuaient, que Maria dise vrai ou qu’elle mente. Elle se mit à sa place et s’amusa en son for intérieur de sa peu enviable situation. Si il laissait s’enfuir une sœur-logisticienne il serait sûrement liquidé vu la haine que portaient les prévôts et le conseiller Landers aux administrateurs jurés. Mais s’il faisait échouer une mission des services de renseignement de la prévôté, ce pourrait être une torture sans fin dans les sous-sols de leurs prisons. Ou pire. Il pourrait être envoyé dans l’un de ces camps de concentration dont on disait qu’ils avaient fleuri sur Quésper, la planète la plus lourdement irradiée durant les affrontements pour la possession du secteur Cagliostro.

C’était le point délicat désormais. Elle devait prendre la parole mais juste au bon moment. Trop tôt elle le braquerait et il se renfermerait automatiquement dans un point de vue pouvant lui porter préjudice, trop tard et il aboutirait aux conclusions les moins complexes ce qui se traduirait par une administratrice jurée de plus dans une fosse commune. Elle bénissait les corps de rhétorique intégrés à sa formation de base en cet instant de péril. Qui aurait cru que la vieille sœur Sadielle puisse lui être utile un jour ?

- Réfléchissez donc un peu, fit elle quand elle sentit le moment venu, brave benêt que vous êtes, comment connaîtrais-je le sous prévôt si je mentais ? Je vous rappelle que les Gardiens de la Révolution dont les prévôts sont l’instance dirigeante ne se sont constitués… qu’après, la Nouvelle Révolution ! Donc, si j’étais vraiment l’une des putes du Roi-Hégémon et que j’étais cloîtrée ici depuis des années sans savoir jamais entendu parler de la Nouvelle Révolution jusqu’au jour J… il faut vous faire un dessin ? Maintenant posez votre arme à terre et écoutez-moi.

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Cela semblait logique. Le fait qu’elle soit vivante et déterminée contrairement à tous les autres. Le fait qu’elle soit en possession de cette boîte codée, qu’elle connaisse le mode de transmission des puces sans parler de l’énigme que constituerait, si il n’acceptait pas son explication, le fait qu’elle connaisse le nom d’un sous prévôt alors que ceux-ci étaient jalousement tenus secrets en dehors du cercle des manteaux noirs et des officiers supérieurs des Nouveaux Révolutionnaires par mesure de sécurité. Donc… tous les faits semblaient, et même ne laissaient aucun doute sur un point : elle était bien ce qu’elle disait être.

Ou était ce dont il voulait se convaincre ? Les manteaux noirs pouvaient bien aller se faire foutre ! Lui, contrairement à certains des gars qu’on choisissait exprès pour les missions d’épuration, détestait cette tâche. Cette tâche. Oui le terme était bon, car c’était lui qui ressortait tâché, maculé du sang des innocents qu’il était obligé d’assassiner pour survivre et pour que sa famille ne fasse pas les fais de sa rébellion. A chaque fois qu’il tuait une personne sans défense lors des « opérations de maintien de l’ordre » du nouveau régime, il se disait que voilà, il remplissait son quota. Il donnait son offrande au monstre Landers pour que sa famille soit sauve. Pour que lui soit sauf. Comme des millions de soldats, pas forcément d’un bord ou de l’autre mais qui désiraient simplement qu’eux et leurs proches puissent survivre et qui s’étaient rangés du côté du gagnant.

Plus d’une fois il avait espéré que l’une de ses victimes ne réussisse à le tuer. Il ne pouvait pas se suicider parce qu’un soldat de la Nouvelle Révolution, un de ces « glorieux hérauts », ne pouvaient pas se suicider puisque portant les idéaux sacrés d’égalité, il ne pouvait être que perpétuellement bienheureux, et que si malgré tout un officier des NR se suicidait c’est qu’il n’était en fait pas des NR mais un traître monarchiste infiltré ne pouvant plus supporter de gangréner la noble œuvre de Carl Landers. Et les traîtres, à leur tour, ne pouvaient exister car qui à part des êtres maléfiques, qu’il s’agisse de monarchistes, de généraux corrompus, s’opposer à la Nouvelle Révolution ? Et les êtres maléfiques étaient immédiatement détectés par la Nouvelle Révolution puisque celle-ci était infaillible. Et donc si les traîtres n’existaient pas, leur mère non plus, leur père non plus et toute leur famille non plus, et en fait toute la lignée n’avait jamais existé en réalité.

Il le savait mieux que personne puisqu’une fois il avait… avec d’autres certes mais c’était lui et lui seul qui avait finalement pressé la détente et exécuté Carole, la femme de… oh le poids de ces souvenirs. Il ne se passait pas une seconde au repos sans qu’il n’y pense.

Alors… même si elle mentait… elle l’avait convaincu non ? Comment réfuter la logique de ses arguments ? Ce n’était pas comme si il laissait filer une criminelle puisque si elle était vraiment une administratrice-jurée, elle était maléfique et donc il l’aurait reconnu immédiatement comme telle, comme une de ces odieuses vipères qui voulaient briser l’égalité entre les hommes prônée par la Nouvelle Révolution. Et puisqu’elle connaissait un sous-prévôt…Qui pourrait en vouloir à Tedd ? En plus même si elle mentait et même si elle s’en sortait pour cette fois, si vraiment la Nouvelle Révolution est infaillible, elle ne pourrait pas aller bien loin !

Une partie de lui-même avec conscience que si elle mentait et qu’il la laissait partir, aucun de ces dérisoires échafaudages mentaux ne pourrait plus le rassurer quand les manteaux noirs le déporteraient avec toute sa famille en violant sa femme sous ses yeux. Mais Tedd était un homme moyen. Un homme tout bête, tout simple, qui au bout d’un moment pouvait commettre une quantité donnée d’atrocités et de barbaries avant de craquer parce que sa psychologie ne lui permettait plus d’en encaisser d’autres. Pour cela il suffisait qu’on le fasse douter, par exemple qu’on lui fasse penser que dans tous les cas il risquait de tout perdre, et alors…

- Soit. Ce que vous dites me semble irréfutable. Par conséquent, si vous êtes des services de renseignement je suis tenu de vous obéir n’étant que lieutenant. Vos ordres ?

Il fit semblant de ne pas avoir le soulagement et la surprise qui s’inscrivirent, l’espace d’un instant, sur les traits du soi-disant agent. Ou plutôt il ne le vit pas car son esprit refusait de le mettre en évidence puisque s’il le faisait, Tedd n’aurait plus aucune excuse pour se soustraire à son devoir envers sa famille. Envers la cause qu’il était forcé d’épouser. Et cette excuse que la femme lui avait fournie lui apparaissait sans qu’il en ait vraiment conscience comme son trésor le plus précieux.

- Exact lieutenant, exact. Vos ordres sont très simples. Vous allez affirmer à vos hommes que cette aile est sécurisée et que toutes les cibles ont été éliminées, puis vous allez utiliser un dispositif holo militaire comme vous devez sûrement en transporter pour générer vos camouflages tactiques, afin de dissimuler l’entrée de cette pièce. De sorte que je pourrais attendre le sous prévôt ici quand nos supérieurs jugeront bon de l’envoyer prendre réception du colis et cesseront de s’embourber dans ce cafouillage lamentable.

Comment Shamas va trouver la zone indiquée si elle est camouflée ? Une chose qu’aurait pu demander le lieutenant, entre autre, mais il se doutait que la beauté spanique aux longs cheveux blonds qui lui faisait face aurait une réponse toute prête. Et puis tout cela semblait, enfin, se terminer. Sa dernière mission d’épuration si le destin était clément. Alors, il se dirigea d’un pas souple vers ses fournitures déposées dans le couloir en dehors de la pièce, composa le code d’ouverture de son sac codé et en sortit le générateur de champ de camouflage demandé. Il commença à l’installer près de la porte programmant les commandes de déclenchement.

- Juste une chose, fit-il d’une voix très basse et très douce. Quand on appartient à la glorieuse Nouvelle-Révolution, on ne critique jamais ses supérieurs, même sans les nommer ou par allusion. Souvenez-vous en, ma sœur.

Le champ de camouflage était paré. Tedd Moris leva les yeux et vit que, des yeux de cette femme au verbe si haut, coulait une larme solitaire. Lui-même était à la fois terrorisé par ce qu’il était en train de faire et, par une étrange chimie émotionnelle, particulièrement heureux pour la première fois depuis ce qui lui semblait être une éternité.

- Je ne vous comprends pas, dit-elle doucement d’une voix étranglée, d’abord vous tuez mes frères et sœurs sans remord et puis… mais c’est parce que vous étiez obligé n’est-ce pas ? Par le Roi-Hégémon, je vous hais pourtant mais… Lieutenant ! Vous n’êtes pas obligé de...

Il l’écoutait, se noyant sans le mépris mêlé de pitié de son regard, jusqu’à ce qu’elle ait un hoquet de terreur qui fit pivoter Tedd à la vitesse de l’éclair. Mais pas assez vite. La botte d’un exosquelette lourd l’atteignit en pleine arcade sourcilière, faisant voler la visière en éclat, le projetant contre une cloison qui se déforma sous l’impact. Immédiatement les régulateurs médicaux de son propre exosquelette léger se mirent en œuvre. Son assaillant aurait pu achever Tedd en profitant de sa masse supérieure et de l’avantage de la surprise mais ce n’était pas son intention. Désormais le lieutenant le reconnaissait. John Friedson, un sous-officier aux dents longues prêt à vendre père et mère pour l’avancement. En temps normal Tedd le dépassait d’une bonne tête mais l’autre était engoncé dans cet exosquelette lourd, véritable armure de plaque des temps modernes et pouvait le broyer d’un coup de poing. Friedson éclata de rire, savourant l’instant.

- Je vous surveille depuis un moment, « lieutenant ». Je savais bien que vous étiez louche. Alors quand un prévôt m’a demandé personnellement de vous avoir à l’œil… la conversation que vous avez eue avec la sœur est enregistrée bien à l’abri ici, fit-il en tapotant son plastron, et vous allez regretter que je n’ai pas frappé plus fort.

Avec horreur, Maria Pérez vit s’avancer le colosse en armure vers le lieutenant et lui barrer du même coup l’accès à la seule issue de la pièce dans laquelle elle s’était retranchée. Alors malgré tout… tout avait été inutile ? La fière administratrice jurée se laissa couler contre le mur et ferma les yeux, attendant la mort.



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Chapitre 6- Yohan de Wasilia


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Le duc de Wasilia se réveilla dans le plus grand inconfort, et pesta contre ce qui devenait, depuis quelques mois, un mode de vie. Ce fut sa première pensée rationnelle et aussi la dernière pendant quelques temps une fois qu’il eut pris conscience des douleurs insupportables qui envahissaient chaque cellule de son corps. D’abord tremblant, son corps se mouvement de façon erratique sans le consulter, il se mit à hurler de douleur comme un animal enragé, la bave aux lèvres et les yeux aussi irrités que si il les avait frottés des heures dans du savon extra concentré. Cela dura un bon quart d’heure avant qu’enfin, la douleur soit assez miséricordieuse, dans sa terrible omniprésence pour lui concéder le droit de s’effondrer au sol et d’avoir un vague commencement de réflexion. Réflexions concentrées sur sa mémoire récente, qui ne voulait pas se laisser dompter. Il avait beau essayer de se souvenir des événements qui l’avaient amené sur ce sol glacé il ne voyait que quelques images floues et sans utilité. Oh mais cela allait passer, il en était sûr. Parce qu’il connaissait très bien la cause de son état lamentable, l’avait identifié quasiment immédiatement. Et la majeure partie de l’humanité aurait fait de même, et n’aurait pas manqué de ressentir la même horreur.

Il se palpa lentement et plus ses explorations avançaient plus son diagnostic initial était confirmé. Ces boursouflures aux mains et aux jambes. Ces cicatrices grossières sur la nuque, en haut du crâne désormais dépourvu de cheveux, cette chair rougie en plusieurs endroits qu’on semblait avoir frotté à la pierre ponce… Aussi incroyable que cela puisse paraître, quelqu’un l’avait désimplanté ! Yohan se retint de vomir. Cela faisait des siècles, littéralement, qu’il dépendant, comme la majorité de ses congénères, de toutes sortes d’implants, certains qui renforçaient son corps, d’autres encore, très coûteux et très rares, qui lui permettaient d’afficher sur sa rétine un écran d’où il gérait ses affaires par la pensée, sans parler de ceux, très communs, qui lui permettaient de fournir davantage d’efforts physiques, de dormir moins et ainsi de suite. La différence se faisait déjà sentir. Il était plus épuisé qu’il ne l’avait jamais été.

Même lors de sa fuite avant dans les bas-fonds de Terra Secunda, Yohan avait haleté, soufflé, dépassé ses limites, mais sa vie n’avait jamais été mise en danger par ces efforts et ses implants veillaient à ce que le sang circule normalement et toutes ces choses ennuyeuses qui pouvaient, si elles dysfonctionnaient, causer des accidents vasculaires cérébraux. Et puis il n’était que rarement fatigué même si il dormait huit ou neuf heures en deux jours. Mais maintenant il lui semblait que toute cette fatigue réclamait son dû et s’efforçait de le faire replonger dans l’inconscience. Mais, comme deux charognards se disputant un bout de viande, la fatigue s’opposait à la douleur qui, elle, comptait bien empêcher sa proie de lui échapper et de plonger dans une réconfortante inconscience.

C’est cette dernière qui eut le dessus. Avec précaution il tenta de se remettre debout, et la réaction de son fessier au moment il chuta brutalement sur le sol métallique lui fit comprendre qu’il valait mieux rester assis. Et donc, assis et toujours tremblant, il tenta d’évaluer son environnement. Il était dans une cellule. Et pas une cellule de luxe. Un simple cube de métal, d’environ quinze mètres carrés, avec une couchette – sur laquelle il s’empressa de s’asseoir en se demandant quel mauvais démon l’en avait écarté -, un conduit rudimentaire qui devait servir à évacuer la production peu ragoûtante de ses entrailles, et un robinet où boire. Et bien sûr, un intimidant champ de force opaque qui constituait l’une des parois.

Tout en se précipitant sur le robinet et en s’abreuvant avec volupté d’une eau au goût particulièrement répugnant mais qui aurait aussi bien pu être un grand cru Skalien, l’ancien homme d’état se remémorait petit à petit les circonstances qui l’avaient conduit jusque dans ce cul de basse fosse tout de métal bleui. La colère le consuma quand il pensa à l’odieuse traînée en exosquelette. La colère autant envers elle qu’envers lui-même. Quel imbécile il avait pu faire ! Avait-il donc déjà tout oublié ? Avant de devenir Yohan, duc de Wasilia, il avait été autre chose, un individu important mais qui traitait souvent avec des composantes peu recommandables de la société. Il aurait dû savoir qu’il ne pouvait pas faire confiance à la femme, tenter d’utiliser sa tête pour la frapper au visage et essayer de s’enfuir au lieu de discuter ! Tout à cause de cette vie de privilèges qui l’avait endormi, affadi, transformé en un cacique sans aucune perspective qui s’était habitué aux draps de soie.

Ceci dit Franz n’avait pas fait mieux. Ah ils étaient beaux les serments de loyauté ! Le duc aurait-il dû éviter de prendre un garde du corps déclassé ? Passé du Service de Protection Royal à la Protection Ministérielle comme un capitaine rétrogradé au rang de sergent ? Mais non, c’était injuste. Elle avait un exosquelette et pouvait se déplacer à près de trente kilomètres heure sans effort, Paliat n’avait aucune chance. Ils auraient pu exiger que ce soit Franz qui dispose de la combinaison évoluée mais la racaille de bas étage dont faisait partie la traîtresse ne l’aurait pas accepté. Soupir. En réalité il était aussi illusoire d’imaginer que Franz aurait pu faire mieux que de penser que lui, un vieil homme sans force, aurait pu contraindre sa ravisseuse à le lâcher. Il avait joué et perdu, c’était tout.

Une torpeur abattue l’envahit, la douleur passant au second plan, comme un habit inconfortable. Dans son esprit il ne faisait aucun doute qu’il était aux mains des sbires de Landers. Le fait que personne ne soit venu le voir malgré les innombrables caméras cachées qui devaient très probablement montrer son réveil à une équipe de ces affreux drôles en noir, était révélateur. On voulait le faire mariner, le briser avant de l’exécuter. Oh hé bien messieurs, c’est déjà fait, ne vous donnez pas tant de mal, aurait-il pu dire.

Une seule chose, cependant, lui échappait. Pourquoi diantre l’avait-on désimplanté ? C’était absurde. Les implants n’étaient nullement conçus pour être retirés du corps humain et l’extraction forcée les rendait inutilisables par la suite. Et quand bien même, par on ne sait quel subterfuge, les Nouveaux Révolutionnaires auraient trouvé le moyen de parer le problème, ils ne pouvaient pas sérieusement espérer tirer des informations de ses implants gestionnaires, dont le contenu avait été effacé depuis qu’il avait fui en catastrophe du Deuxième Palais. Et puis, malgré le caractère barbare de l’opération dont témoignaient les cicatrices et les chairs meurtries, il était très difficile de retirer tout le câblage d’un individu augmenté sans provoquer des dommages cérébraux, cela nécessitait une équipe médicale de pointe et une nano technologie hors de prix. Pourquoi se donner tout se mal ?

Ou alors… une hypothèse effrayante commençait à se faire jour. Oui c’était forcément ça. On l’avait désimplanté pour le câbler d’une autre façon ! Avec des implants contrôleurs probablement. Un frisson de peur l’envahit. C’était tout à fait possible. Il existait des sortes d’implants, totalement illégaux, qui permettaient de contrôler jusqu’aux paroles d’un homme, le poussant à dire avec le plus grand naturel des choses qui étaient à l’opposé de tout ce en quoi il croyait. Etait-ce cela le but ? Une grande confession publique dans laquelle il avouerait être un infâme suppôt du tyran, coupable de toutes sortes de crimes imaginaires, se soumettant au sage Conseiller Landers, héraut du peuple humain libre et toutes sortes d’allégations du même acabit ?

A cet instant, le duc résolut de se suicider. Plutôt mourir que de trahir, même contre son gré. Mais c’était plus facile à dire qu’à faire. Il tomberait inconscient avant d’avoir réussi à se fracasser efficacement le crâne contre les cloisons. Le champ de force le rejetterait sans le blesser et le robinet était sans doute en acier, bien trop solide pour être cassé et servir de poignard. Quant à la couchette, elle n’était qu’un simple matelas adhérant au mur par une cloison horizontale légèrement arrondie. Et puis même si il arrivait à trouver avec si peu d’éléments de quoi mettre fin à ses jours, ses invisibles geôliers interviendraient forcément avant qu’il n’arrive à se donner la mort. Non, tant qu’il était dans cette cellule il n’y avait aucun moyen assez sûr. Le problème était que quand ils viendraient le chercher il serait drogué, contrôlé par l’un de ces implants supposés ou rendu inconscient et qu’ils ne lui laisseraient aucune opportunité.

Fatigué mais tenu éveillé par la crainte de ce qu’on pourrait lui faire dire, Yohan se mit à faire les cents pas. Si seulement il pouvait avoir une idée géniale. Il y avait bien quelque chose dans cette cellule qui pouvait servir à se tuer, la vie humaine n’était pas si difficile à prendre. Mais il avait beau réfléchir… oh mais en réalité, si, peut-être qu’il existait un moyen ! Le matelas était de piètre qualité donc il devait être possible d’en arracher de petits bouts. Avec ses ongles ou ses dents, éventuellement. A force de fuir ils étaient devenus relativement longs. Quant au robinet… Cependant il était surveillé, obligatoirement. Mais il pouvait peut être circonvenir ses geôliers en feignant le désespoir. Oui, son plan était arrêté.

Il fit mine de se laisser tomber sur la couchette, abattu, et commença à se cogner la tête contre le matelas sans but apparent, comme pour évacuer violemment sa frustration. Puis il enfouit sa tête contre la couchette, comme si, fatigué de l’effort qu’il venait de faire, il se laissait aller au désespoir. Mais, petit à petit, avec de très lents mouvements de mâchoire, il commençait à détacher des bouts de matelas qu’il dissimulait dans sa bouche. C’était plus facile qu’il ne le pensait, parce que la matière synthétique utilisée résistait mal au tranchant des canines et était rendue moins résistante par l’humidité de sa salive. Quand ses joues furent gonflées par les bouts de tissus il se releva et se dirigea rapidement vers le robinet qu’il actionna en y passant la main, et laissa l’eau envahir sa bouche. Il avait désormais une grosse boule de tissu synthétique mouillée au-dessus de la gorge qui commençait à former un bloc compact, tandis que sa langue irritée commençait à gonfler.

Quand il eut bien malaxé, il resta sans rien faire pendant deux ou trois secondes, se remémorant quelques épisodes de sa vie. Aujourd’hui je meurs comme j’ai vécu, pour le Grand Roi et pour la famille, songea-t-il. Et puis, il déglutit, et avala le tissu qui alla se coller en travers de sa gorge. Immédiatement il eut un renvoi et commença à étouffer. Tout en combattant ses spasmes de douleur, il se dirigea sous sa couchette et s’y allongea, là où il serait le plus difficile à déloger. Sa trachée bloquée, sa gorge lui faisant horriblement mal, il commençait à voir des petits points noirs. Points noirs qui devinrent de plus en plus importants tandis qu’il cherchait son souffle en émettant des hoquets répugnants. Et puis, il se sentit s’effondrer, et ce fut le noir. Malgré la souffrance, il eut la force de sourire avant la fin. Voilà comment meurt un duc du Grand Royaume, aurait-il voulu crier dans ses derniers instants.

Sauf que ce n’étaient pas ses derniers instants. Parce que, au bout d’un laps de temps impossible à déterminer, il se réveilla. Sa gorge n’était plus encombrée, simplement très douloureuse. La couchette avait disparu. Le désespoir l’envahit pour de bon cette fois ci, et il s’effondra, trop épuisé moralement et physiquement pour pleurer. C’étaient les implants contrôleurs qu’on lui avait posé, forcément. Ils avaient dû agir d’une façon ou d’une autre pour dissoudre le corps étranger ou pour lui permettre de survivre à son ingestion même si il ne saisissait pas comment. C’était si injuste !

Pourquoi votre dieu est si cruel, songea-t-il en se remémorant la foi dans laquelle il avait grandi. Pourquoi m’empêche-t-il de faire mon devoir ? Si le Roi-Hégémon m’observe depuis quelque abîme de temps et d’espace, comment doit-il me juger, moi qui suis trop faible et trop stupide pour empêcher les traîtres de me forcer à les rejoindre dans le déshonneur ? A cet instant, le duc se haïssait au moins autant qu’il haïssait ses tourmenteurs. Comment pouvait-il être si incompétent ! D’autres auraient réussi à mettre fin à leurs jours, il en était sûr ! Dans les vaisseaux sous le commandement de l’amiral Alaric, il savait que certains soldats loyaux avaient préféré la mort que la honte d’être pris vivant par les conjurés. De simples soldats alors que lui avait présidé au destin de billions d’êtres ! Pourquoi ne pouvait-il pas suivre leur exemple ?

Tout absorbé par la plénitude de son désespoir, le duc de Wasilia se mit à se frapper lui-même, heurtant les cloisons pour se faire le plus de mal possible. Pourquoi, pourquoi ? Chaque coup qu’il s’infligeait était une pertinence impossible. Délivrez moi pensait-il, délivrez moi ! Ce ne fut que quand il eut le nez cassé et que du sang coulait en de multiples endroits qu’il s’arrêta, interloqué. Il était à la limite de l’évanouissement, son sang se répandait sur le sol et personne ne venait, aucun gaz ne sortait d’ouvertures invisibles pour l’endormir. Pourtant, vu son état de faiblesse, si il perdait trop de sang il finirait par en mourir. D’ailleurs il pourrait même en perdre assez pour être irrécupérable même si les secours arrivaient dans les minutes à venir.

Mais alors pourquoi, à défaut de gaz ou d’intervention physique, ne se contentaient ils pas d’ordonner à leurs implants d’agir pour l’empêcher de continuer ? Etait-il possible que… qu’il n’ait pas d’implants ? Le sang de Yohan coulait mais lui était comme plongé dans un autre état de conscience. Faisait-il fausse route depuis le départ ? Mais dans ce cas, pourquoi l’avoir décâblé ? Et puis, ils l’avaient sauvé tout à l’heure mais ne faisaient rien pour l’empêcher de saigner maintenant ? De plus en plus perplexe, le duc marcha, ou plutôt chancela, vers le champ de force qui le maintenait prisonnier. Qui pouvait bien être derrière ? Il en venait à douter que ce soit les Nouveaux Révolutionnaires.

Il donna un coup rageur contre le champ de force. Ou plutôt il essaya, parce que son poing passa à travers et qu’il s’effondra lamentablement de l’autre côté de sa cellule. Il fut aussi choqué que si le Roi-Hégémon s’était matérialisé devant lui. Les questions déferlaient. Avait-il seulement été enfermé dans sa cellule ? Pourquoi avoir mis ce faux champ de force à cet endroit ? Pourquoi l’avoir sauvé et ne rien faire maintenant ? Pourquoi tous ces subterfuges incompréhensibles ?

Toujours sous le choc, Yohan commença à détailler son environnement. Il se trouvait au bout d’un couloir de métal bleui, éclairé par des panneaux lasers fixés au plafond. Des panneaux lasers, l’éclairage le plus autonome, le moins agréable à regarder et le plus résistant, qui avec ces parois de métal donnait une image singulière de son lieu de détention. Exactement comme dans… était-ce possible ? L’adrénaline donnant des forces au duc, il marcha alla déchirer quelques bouts de matelas qu’il inséra péniblement dans son nez afin de contenir autant que faire se pouvait le sang qui en coulait, et fit de même avec son oreille droite tout en maintenant une compresse rudimentaire sur ses lèvres éclatées. Puis il se mit en marche et traversa le couloir. Il aboutit à une pièce ronde avec des casiers, deux fauteuils et un écran éteint – bi dimensionnel, aussi surprenant que ça puisse paraître, encastré dans une cloison. Mais surtout il se précipita vers un espace vitré, rond. Un hublot. Qui ne donnait pas sur l’espace mais… sur un paysage aquatique. De Wasilia mit un moment à réaliser. Il se trouvait dans un sous-marin habitable.

- Par les yeux de Ladriane, mais où suis-je, murmura-t-il faiblement tant à cause de la surprise que de la faiblesse physique, et où peut bien aller ce sous-marin ? Et qui a bien pu m’empêcher d’étouffer…

C’est à peine s’il s’étonna quand de recevoir une réponse.

- Vous vous trouvez dans le submersible G31 de classe Triton en route pour la base Vega, commença une voix synthétique surgie d’un haut-parleur invisible, je suis Aria, l’intelligence embarquée du G31. C’est l’androïde docteur Cléant-20 qui vous a retiré le corps étranger que vous aviez dans la gorge, et je vous prie de noter qu’il sera obligé de vous endormir dans quelques instants afin de réparer les dommages que votre comportement irrationnel a causé si vous ne sollicitez pas volontairement une intervention de sa part dans les plus brefs délais.

On l’avait décâblé. Mis dans une fausse cellule. Dans un submersible habitable. Une intelligence virtuelle lui parlait d’une base Vega dont il n’avait jamais entendu parler. Un androïde docteur à l’immatriculation très étrange était présent sur ce sous-marin. Et c’était très étrange puisque les androïdes étaient à l’index depuis près de cent soixante ans. Bref, Yohan devait rêver, il était logiquement impossible qu’il se passe autant de choses… impossibles, dans la même journée. N’est-ce pas ?
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Thelesias

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MessageSujet: Re: [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner   [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner Icon_minitimeMer 9 Jan - 22:10

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Chapitre 7- Fabian et Lisbeth


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Le temps passait si lentement que c’en devenait insupportable. Fabian se demandait, en fin de compte, s’il n’aurait pas mieux fait de s’en aller vivre sur un monde des zones limitrophes. Oh il n’aurait peut-être pas survécu mais au moins il aurait un peu vécu, justement. Tandis qu’en cet instant, dans cette vaste et belle chambre qu’il n’avait pas quitté depuis des semaines. Combien de temps précisément ? Impossible à dire puisqu’on avait jugé bon de lui retirer toute indication de date ou d’heure, sans qu’il ne sache très bien si c’était par mesquinerie ou par tactique. Trois semaines, un mois ? Plus encore ? Ce qui était certain c’est qu’il n’avait jamais autant regardé d’holo de divertissement ni lu autant de livres. Le point positif c’est que sa culture s’en voyait considérablement améliorée. Oh il serait sans doute très agréable de sortir quelques répliques mordantes tirées de « La mort de l’Amérique », ce documentaire de deux mille deux cent quinze, ou encore de citer avec un rien de pédanterie les dialogues mythiques de « Josh Abson ou le nouveau socialisme ». Et il pourrait choquer un régiment de religieux avec sa connaissance désormais encyclopédique de « La petite navette rose ». Qui devinerait en lisant le titre que cela parlait d’une jeune fille appelée Navette, qui…

- Vous avez un nouveau message.

Fabian sursauta. Un nouveau message ? Qu’est-ce que c’était que cette absurdité ? Quand les manteaux noirs l’avaient mis dans sa cage dorée ils avaient évidemment tout réseau de transmission, et quand ils voulaient lui parler ils ne transmettaient pas des « messages », ils imposaient leur présence avec le sans gêne qui caractérisait ces vermines. Cela ne pouvait être qu’un bug. Ou alors c’était test. En tout cas Fabien, avachi sur un grand sofa dont la forme se modifiait pour suivre ses mouvements, était plongé dans une partie d’échecs en 3D avec l’intelligence virtuelle de ses appartements et s’il s’interrompait il perdrait toute envie de faire quoique ce soit pour les six prochaines heures. Le message n’avait sans doute aucun intérêt.

- Passe en mode muet et ne répète pas l’avertissement, ordonna –t-il distraitement.

Voilà qui était dit. Et puis il n’allait certainement pas s’interrompre alors qu’il gagnait, et qu’il n’en était pas peu fier. Les échecs en 3D sur cinq plateaux étaient notoirement le jeu le plus complexe en vogue chez la noblesse et Fabian n’avait jamais été un expert ce qui ne manquait pas de susciter les rires en société. Sauf que, avec cette réclusion forcée, il se découvrait des dons de stratège virtuel. Et ces nouveaux dons lui disaient que si il bougeait ce cavalier du plateau numéro deux dans le but de menacer la reine alors l’IV du jeu serait obligée de… oui mais elle disposait de ce fou sur le plateau cinq qui le préoccupait. Que voulait-elle en faire ? L’ennui c’est qu’à trop se concentrer sur un plateau on laissait l’adversaire gagner sur d’autres, c’était son erreur la plus fréquente.

- Vous avez un nouveau message que vous êtes vivement prié de…

Ah ça ! C’était trop fort ! Il avait pourtant dit à cette IV déglinguée de passer en mode muet de façon claire ! Est-ce que par hasard on l’aurait enfermé dans la seule chambre du Palais des Etrangers qui soit pourvue d’un défaut de conception dans ses programmes de domotique ? Mais il n’allait pas se laisser dicter sa conduite par une foutue IV, lui le comte Fabian d’Yrvin, quel que puisse être ce message. Irrationnel sans doute, mais pour une fois qu’il avait une chose concrète à détester et sur laquelle il avait le contrôle… cela le changeait !

- IV, désactivation générale de toutes les fonctions jusqu’à confirmation manuelle, fit-il, goguenard.

Alors IV à la noix, tu es matée ! Dommage qu’il ait dû la désactiver toutefois, parce que du même coup il se privait de toutes sortes d’activités gérées par l’IV de la chambre et notamment les programmes de réalité virtuelle qui prenaient une bonne part de son temps. Mais enfin, cela lui permettait d’imposer sa volonté à peu de frais. Retour aux échecs maintenant. Ah il voyait bien où l’IV du jeu voulait en venir avec cette manœuvre sur le plateau cinq ! Quelle basse tentative. Mais cependant…

- Suite à votre non écoute des messages urgents qui vous été envoyé, le destinataire souhaite établir le contact holo. Sauf réponse de votre part il sera établi dans cinq minutes.

Après avoir émis une flopée de jurons particulièrement imagés en langue commune, noble et même en anglais, dont il maîtrisait les grossièretés les plus recherchées, le comte d’Yrvin se décida enfin à s’enquérir de ce qu’on pouvait bien lui vouloir. Profondément irrité, il ordonna la mise en relation. Aussitôt la pièce devint obscure et dans le plafond une petite ouverture se fit pour laisser passer une lentille de projection. Fabian se coula dans son sofa, renfrogné. Une femme apparut, et Fabian fut assez étonné de la qualité, quasi cinématographique, de l’hologramme. La transmission devait se faire du système Terra Secunda, voir même depuis la planète. Il n’avait jamais rencontré l’inconnue toutefois. Ses cheveux gris trahissaient un âge fort avancé mais la combinaison qu’elle portait – qui semblait conçue pour le combat – la moulait et montrait une musculature surprenante. De plus, ses yeux d’un bleu trop vif trahissaient la présence d’un séquenceur d’image rétinien. Bref, en dépit de son âge, elle ne semblait pas être du genre à hésiter deux fois avant de vous casser en deux d’un geste de la main et cela combiné à l’étrange comportement de l’IV ne plaisait pas vraiment à l’indolent Fabian.

- Euuh… oui ? N’y a-t-il pas erreur, commença-t-il en balbutiant, je veux dire, gloire à la Nouvelle Révolution et ainsi de suite mais je suis en résidence surveillée et…c’est un peu inhabit..

Le regard noir qu’il se vit répondre lui coupa la parole. Elle était quelque peu intimidante, cette femme. Mais pourquoi ne disait-elle rien ? Le silence dura quelques secondes avant qu’enfin elle le rompe, soulageant grandement le comte au supplice.

- Donc tu ne te souviens pas de moi, ta seigneurie. Peu étonnant, si tu as changé au point de devenir un adorateur de ces porcs. Ta lâcheté me consterne mon enfant. Pourquoi ne t’es-tu pas suicidé une fois pris ? Ta petite vie était trop précieuse c’est cela ? Enfin ! Les dessins du Tout-Puissant peuvent parfois nous servir puisque le fait que tu sois un abject petit cancrelat va nous permettre de te récupérer en vie.

Par les Neuf Sages ! Il se souvenait ! Les billionnaires qui croyaient en une obscure religion de Terra Sanctum et qui étaient un peu partout dans l’entourage du Roi-Hégémon.

- Lisbeth Kretchner ! Vous êtes en vie ! Enfin euh…je suis ravi que vous le soyez ne vous méprenez pas mais comment… et puis, me chercher ? Vous allez venir me chercher ? Ici, dans le Palais des Etrangers ? Je ne sais pas si vous avez conscience, madame, que ça n’a plus rien d’un bâtiment diplomatique et que c’est devenu une prison pour nobles et qu…

Il se remémorait particulièrement que quand son illustre père, le Ministre de la Police, n’arrivait pas à stopper les caprices du gamin turbulent qu’il était et qu’il était en réunion avec Lisbeth Kretchner, celle-ci lui lançait un regard qui immédiatement le faisait taire. Et il se sentait exactement comme cela en cet instant précis, ce qui lui déplaisait fort. Après tout, même très riche elle n’était pas noble… enfin. C’était une réflexion stupide, il s’en rendait bien compte, mais quand on passait une vie à se forger un masque d’assurance dédaigneuse comme c’était son cas et qu’on se retrouvait réduit à une petite chose balbutiante, il y avait de quoi penser stupidement.

- Tu me fatigues déjà Fabian. Je ne comprends pas comme un homme aussi intelligent que feu ton père a pu donner naissance à un tel cliché de noble oisif et sans volonté. Enfin. Je voulais simplement t’avertir de ne pas t’affoler quand tu entendras les explosions et de rester où tu te trouves. Sur ce, à dans quelques heures.


***


- Madame, admirez.

Et elle admira en effet. Quelle vue ! Depuis le pont de commandement du Gloire du Royaume, des écrans montraient la flotte parfaitement alignée dans le vide spatial. Quarante-deux vaisseaux, d’un noir de jais, visibles uniquement par enrichissement d’images. Les croiseurs de combat évoquaient des pointes de flèches évasées, dont la surface plane était parcourue de canons à faisceaux, tandis que les transports de troupes évoquaient vaguement de gros cigares. Les chasseurs, de forme sphérique, formaient un essaim parfaitement coordonné tandis que les bombardiers, dont l’aspect évoquait un v, étaient équipés de leurs charges mortelles. Comme une armée de l’antiquité terrienne, chaque unité était aussi admirable esthétiquement sur le plan des performances guerrières. Et en matière de performances guerrières… chacun de ces vaisseaux noirs était deux ou trois fois plus performant que son équivalent standard. Sans parler de leurs autres avantages indéniables.

Et puis le pont de commandement du croiseur amiral Gloire du Royaume était bien plus beau et plus confortable que celui des vaisseaux militaires classiques. Non seulement un vaste espace vitré permettait de voir le vide stellaire – tout en étant aussi résistant que les parois de neo-titanium du croiseur – mais en plus chaque siège était en bois et cuir, les commandes directement activables par implants. Une autre particularité était l’absence d’un unique fauteuil de commandement. Cinq sièges pivotants disposés en cercle étaient disposés au milieu du pont, autour d’une grande console tactique qui éclairait les visages d’une lumière spectrale.

- Fernand, faites plaisir à une vieille femme et rappelez-moi pourquoi vous êtes sûrs de réussir vous et vos hommes.

Le dénommé Fernand, un sémillant quinquagénaire, arborait un uniforme noir dont l’austérité contrastait avec sa peau pâle, ses traits séduisants et ses cheveux d’un roux profond, sans indication de grade sinon deux bandes blanches qui entouraient ses manches. Il eut un sourire carnassier.

- Hé bien madame Kretchner, ça n’a pas changé depuis que je vous ai expliqué les raisons de notre réussite probable juste avant de translater vers Terra Secunda. D’abord ce système furtif développé par votre filiale de Sharam & Feyrson nous donne un net avantage puisqu’ils ne sauront pas que nous sommes là avant que nous franchissions le réseau satellitaire et que nous puissions commencer les tirs. Sans parler de notre armement supérieur en qualité et de notre personnel hautement qualifié.
Et puis comme vous le savez au moment où nous translations, la moitié de la flotte de Terra Secunda translatait elle-même vers Phalen pour mater une supposée rébellion royaliste. D’ailleurs à ce sujet vous pouvez remercier votre spécialiste en guerre électronique. Et puis donc une fois l’objectif primaire et secondaire atteint, ce qui prendra selon nos estimations à peu près trois heures, nous aurons largement le temps de fuir. Le temps que ces empafés comprennent comment fonctionne notre système de furtivité… et croyez-moi ça leur prendra du temps, nous serons loin. Mais si malgré tout cela vous souhaitez vous retirer, vos fonds ne peuvent être repris cependant nous pouvons encore vous évacuer vers la Ceinture. À vous de voir.

Lisbeth était aussi impatiente qu’inquiète. Pour la première fois depuis la grande trahison, Landers allait se voir porter un coup violent et par la même l’espace humain entier saurait que le Grand Royaume n’était pas prêt à se rendre sans se battre. Le coup serait à la fois matériel, évident une fois que la flotte se lancerait à l’assaut, mais aussi plus insidieux. Landers n’était pas conscient des informations dont disposais le comte d’Yrvin pas plus que ce dernier. Et une fois ces informations récupérées, le coup qu’elles permettraient de porter ne viendrait pas tout de suite mais une fois qu’il viendrait alors… Landers saurait que les Kretchner n’oubliaient pas. Oh, Fernand pouvait bien croire qu’il s’agissait simplement de loyauté envers le Roi-Hégémon, mais il ne s’agissait que d’une vengeance en réalité. Oh oui, une vengeance familiale. Dans l’esprit de Lisbeth, le passage de vie à trépas de Jacob Kretchner comptait davantage que le renversement du Roi-Hégémon. Cet instant, où les armes de destruction des vaisseaux de guerre seraient braqués sur les traîtres, elle l’avait attendu depuis des mois, et finalement…

D’un autre côté le plan était risqué. Il impliquait de révéler l’existence de la Flotte Noire commanditée par le Roi-Hégémon, et d’enfreindre par la même l’ordre de ce dernier. Il impliquait d’accepter que peut être quelque chose tournerait mal et que, elle Lisbeth Kretchner, la Flotte Noire et toute perspective d’avenir disparaîtrait pour les loyalistes pendant des années sinon des décennies. Mais que faire d’autre ? Rester terrés à attendre la mort comme le prônaient les lâches et les incapables des réseaux de résistance royalistes qui s’étaient formés un peu partout et qui se perdaient en causerie sans vraie action significative ? Impensable !

- Non, non Fernand. Pas de retraite.

Elle prit une profonde inspiration, regarda intensément chacun des vaisseaux sur l’écran tactique comme pour leur intimer de réussir, et hocha silencieusement la tête. Plus personne ne pipait mot sur le pont de commandement jusqu’à ce que Fernand rompe le silence.

- Opération Balbuzard, lancée, opération Balbuzard, lancée, tous les unités doivent prendre les postes pré assignés et engager les cibles selon le plan.

Tandis qu’une activité frénétique se déchaînait autour d’elle, Lisbeth regardait, fascinée, sur les écrans, la flotte faire mouvement. Être au cœur d’une telle chose valait bien d’avoir perdu la grande majorité de sa fortune dans l’opération.

Les escadrons de chasseurs foncèrent en premier, infligeant d’irréparables dommages aux satellites de communication, dans un ballet aérien aussi mortel que sublime. Les croiseurs, eux, en entamant leur mouvement d’approche, activèrent leurs armes longues portées. Une salve de lances plasmatiques traverser le vide pour frapper les canons orbitaux dont les boucliers étaient baissés, ne laissant aucune chance aux systèmes d’autoréparations. La destruction était aussi absolue qu’inexorable. Et magnifique. Lisbeth comprenait la difficulté que ressentaient les vétérans à décrire une bataille spatiale vue de l’intérieur. C’était comme un million de petites étoiles en train de se transformer en supernova. Comme si Dieu avait décidé de faire un grand feu d’artifice alimenté par les vies des hommes qui se livraient bataille. Les traînées des réacteurs à fusion évoquaient les pinceaux d’un artiste fou qui s’amuserait à peindre l’espace. Même les débris de coques qui dérivaient ici et là participaient à l’harmonie générale et formaient un nuage d’où émergeaient les chasseurs sphériques de la Flotte Noire et ceux, en x du Grand Royaume récupérés par les NR.

Au bout d’un temps, la flotte du système essaya bien de se regrouper mais, plongés dans la panique la plus totale, leurs officiers n’arrivaient pas à les coordonner et pour un vaisseau noir qui tombait, dix ennemis étaient détruits de bout en bout. Finalement les défenseurs firent retraite vers le point de translation le plus proche. Sans être poursuivis.

Il n’y eut aucune acclamation, tout le personnel se concentrant sur la phase deux. L’attaque proprement dite. Dans un bel ensemble, croiseurs se mirent tirer des obus magnétiques depuis l’orbite, verrouillés sur les installations militaires et les systèmes de défense de Terra Secunda. En quelques dizaines de minutes les cibles militaires stratégiques étaient éliminées, permettant aux bombardiers de fondre sur la ville-planète avec leurs bombes au thorion.

Ces charges explosives anti bunkers commencèrent à s’abattre sans discontinuer sur les postes de commandes planétaires. Au bout d’un moment, les immenses colonnes de fumées étaient visibles même depuis les écrans d’observation des croiseurs. Les dommages collatéraux était minimes, se dit pour la énième fois Lisbeth. Seuls les points stratégiques avaient été touchés.

Et finalement, des transports sortirent les navettes de débarquement. La majorité des soldats de la Flotte Noire se dirigea vers les PC et les bureaux gouvernementaux épargnés pour tuer autant de Nouveaux Révolutionnaires que possible, tandis qu’une petite équipe se dirigeait vers le Palais des Etrangers, à la recherche d’un comte velléitaire. Et, même si elle savait qu’il faudrait fuir plus tôt que tard, chaque feu, chaque corps en uniforme noir, provoquait une joie profonde chez Lisbeth Kretchner.


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Chapitre 8 - Friedrich


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Seule une infime partie des billions d’êtres humains peuplant la galaxie disposaient d’un vaisseau personnel. Et pouvaient se compter sur les doigts d’une main ceux qui disposaient d’un yacht stellaire. D’abord il y avait le prix, évidemment. Il fallait être au moins cent fois milliardaire en crédits de Terra pour s’offrir ce genre de fantaisie. Mais surtout c’étaient les autorisations qui posaient problèmes. Si une navette spatiale privée ne posait pas de soucis parce que peu volumineuse et aisément contrôlable pour ne pas dire destructible, les particuliers disposant de vaisseaux plus volumineux tels que des yachts représentaient un risque quotidien. Et si le bâtiment était détourné et qu’on s’en servait pour commettre un attentat ? Et si tous ses occupants étaient pris en otage par des pirates ? Et si justement on faisait installer des armes sur ces navires afin d’en faire des esquifs pirates ? Les fanatiques de tout poil et les crapules ne manquaient pas dans l’espace humain.

Donc la politique du Roi-Hégémon et celle des autorités coloniales avant lui – exceptionnellement d’accord entre elles sur ce point – avait été : pas de vaisseau plus gros qu’une navette pour un particulier et rien qui puisse couvrir de longues distances. Cela avait duré plusieurs décennies et puis la politique gouvernementale s’était assouplie. Désormais les personnes assez riches pour payer une Autorisation Illimitée quand à la Possession d’un Astronef Spatial, AIPAS, généralement raccourci en « AI », et assez proches du pouvoir central de Sanctum Terra pouvaient se voir conférer ce privilège exceptionnel. Evidemment le fait d’avoir été si proche du gouvernement royal tendait à réduire l’espérance de vie en cette période agitée.

Mais, fort heureusement pour Friedrich Strump, ses bons amis de l’Office Central des Vaisseaux avaient effacé son AIPAS juste avant d’être mis aux arrêts par le généralissime Valecs et de disparaître définitivement dans les camps des Nouveaux Révolutionnaires. Aussi pouvait-il goûter au plaisir unique que l’on éprouvait, debout à la poupe d’un vaisseau spatial. A l’extérieur de celui-ci, seulement séparé du vide spatial par un champ de force invisible. N’était-ce pas le sommet de la civilisation, se disait le Sénateur du secteur Vantire, de maîtriser l’espace de cette façon ? De pouvoir rendre vivable le désert ultime, l’environnement le plus hostile que l’on puisse imaginer ?

Tout en écoutant une symphonie du grand Claude Veillant. L’instant n’aurait pas été parfait sans cette musique d’un classicisme que d’aucuns jugeraient désuet mais dont le charme suranné émouvait Strump au plus profond de son âme. Quel dommage que cet instant ne puisse pas durer éternellement. À regrets, le sénateur rentra à l’intérieur du Caspar David, laissa le fier navire conçu pour évoquer une goélette poursuivre son chemin solitaire à travers l’espace. Un sourire ironique éclaira un instant le visage du sénateur. Ce n’était pourtant pas son genre d’avoir le vague à l’âme. Le chuintement des portes extérieures en train de se refermer, cependant, semblait mettre fin à plus qu’un moment de contemplation. Il évoquait un gong qui sonnait le début des complots.

Cependant quitte à comploter… Strump effleura son bracelet ordinateur et fit apparaître un holo miroir. Comment présentait-il ? Plutôt bien ! La tenue était parfaite pour la circonstance. Le trois pièces gris anthracite, le choix de cette veste de standing au col haut et rigide sans verser dans le formalisme, tout cela soulignait la douceur patricienne de ses traits renforcés par sa calvitie galopante et le blanc des cheveux survivants, et lui donnait l’air d’un vieux sage ou d’un grand père aimant. Sans pour autant le départir d’une morgue aristocratique, constata-t-il en prenant son expression la plus hautaine. Excellent.

D’un pas vif, Strump se dirigea vers la salle de réunion du rez-de-chaussée, ses mocassins cirés s’enfonçant dans la moquette pourpre à la douceur crémeuse qui habillait le sol, le gris de sa tenue contrastant avec le bois d’acajou vernis des fauteuils et de la grande table en U, la blancheur qui couronnait son crâne s’accordant fort bien au repose tête de cuir noir sur lequel son noble faciès vint se poser après qu’il se soit assis. A la place présidentielle évidemment. Il eut un petit sourire – et se fit la réflexion qu’il souriait beaucoup aujourd’hui. Chaque détail comptait, chaque petite poussière sur ses habits, chaque millimètre utilisé pour disposer les meubles et les tableaux, car ce moment était le plus important de la vie pourtant bien entamée du sénateur Strump.

Il fit le décompte à partir de soixante secondes, son rythme cardiaque s’accélérant en dépit des efforts de ses implants pour faire descendre le niveau de stress. Oh, au diable la technologie, il devait être stressé pour réussir ! Excité, même. Cinq. Quatre. Trois. Deux. Un. Avec une assurance inébranlable et une certaine affectation théâtrale, le sénateur passa le doigt sur un point précis de la grande console holo qui s’étendait devant lui.

Ils arrivèrent petit à petit, remplissant les fauteuils de leur silhouette légèrement éthérée. Chacun des invités présents sur ce yacht par image tridimensionnelle interposée était un poids lourd de la politique et de l’économie dans le secteur galactique Vantire. Il y avait Sophiana d’Astier dont les fabriques de cerveaux positroniques alimentaient toutes les casernes robotiques des auxiliaires de police. Serguëi Azanovitch, ancien baron, dont le trust contrôlait toute la production d’énergie sur Vantire Prime. Plusieurs banquiers autres grands gestionnaires étaient présents. Il y eut quelques saluts murmurés, des inclinaisons de la tête mais aucune parole car tout le monde se demandait ce que l’ancien sénateur avait à dire.

Ancien sénateur. Là était le problème. Les Sénateurs Sectoriels n’avaient pas été formellement dépossédés de leur mandat par le « Conseiller » Landers qui se contentait, justement soi-disant, de conseiller la noble assemblée sur la politique à tenir contrairement à l’infâme tyran du passé. Mais dans la pratique, les commissions d’enquête expéditives sur les sénateurs jugés trop proches du pouvoir royal, les disparitions étranges de ceux qui s’opposaient à l’avis du si sympathique sauveur de la démocratie, les sénateurs étaient aussi audacieux que des suricates de Terra. Et donc évidemment chacun de ces puissants personnages assemblés autour de la table se posait la même question « en quoi un homme ayant une fonction qui ne signifie plus rien peut nous intéresser ? ». Et bien sûr, Strump était conscient qu’ils se posaient cette question.

- Chers amis, commença-t-il d’une voix onctueuse, vous êtes trop polis pour parler brutalement à un vieil homme mais je sais bien ce que vous vous dites. Quelle est cette décoration si lamentablement vingtième siècle !

Il laissa les éclats de rire polis se tarir avant de continuer. Toujours commencer par un peu d’humour, c’était une vieille recette pour attirer la sympathie, même si tous ici étaient bien conscients de ne pas avoir à affaire à des citoyens lambda pourvus d’une dose lambda de crédulité.

- Non, l’objet de cette petite réunion improvisée… c’est l’avenir du secteur Vantire. Permettez-moi d’être franc comme je le serais avec de la famille, mes bons amis. Le secteur Vantire concentre à lui seul vingt-huit pourcent du PIB de l’espace humain. Nous sommes le plus grand grenier des trois Terra, nous disposons de la plus grande réserve naturelle d’avertium, et notre flotte est la seconde en importance si l’on considère la chose secteur par secteur. Oh je sais vous savez bien tout cela, ce sont des éléments essentiels de votre vie et ainsi de suite. Mais avez-vous souvent réfléchi aux forces dont disposait, disons, la Nouvelle Révolution ?

Des murmures autour de la table tandis que les hologrammes se penchaient pour discuter entre voisins. Le simple fait de poser la question pouvait être interprétée de différentes façons par les prévôts et aucune ne conduisait à une issue agréable. Finalement ce fut le président directeur général à vie des Armements Samson qui prit la parole, incertain.

- Pas vraiment. J’imagine qu’ils n’ont pas autant de ressources que n’en avait le Royaume vu qu’il y a tout de même eu lutte, mais enfin ils en ont tout de même tant et plus que comparer un secteur isolé à tout l’espace humain n’a pas vraiment de sens, excellence.

Le sénateur prit une expression matoise.

- Oh hé bien c’est sûr que si bataille rangée il y avait, elle ne durerait que quelques instants. Toutefois comme vous le dites très justement, président Kario, le Grand Royaume n’est pas mort sans combattre et les Nouveaux Révolutionnaires, d’après plusieurs de mes sources au sénat, ont bien perdu un quart de leurs forces initiales dans le conflit sans parler des forces du Royaume qui ont été anéanties. Or si le Grand Royaume avait cent vaisseaux de guerre à tel endroit et vingt à tel autre ce n’était pas un hasard. Il appliquait une stratégie de dispersion des forces pour prévenir toute agitation locale en se laissant une marge de sécurité. Or maintenant, comme beaucoup de planètes se sont jointes contraintes et forcées aux NR et que les manteaux noirs commettent tous les excès, si les forces surveillant ces planètes viennent doivent être déplacées… qui peut dire ce qui arrivera ?

Murmures encore et cette fois ci personne ne parla, l’assemblée était plongée dans un mélange de stupéfaction et de spéculation.

- Peu importe qu’ils aient des milliers et des milliers de vaisseaux s’ils ne peuvent pas les bouger sans craindre que les fissures ne se transforment en gouffres. Mes amis je pense, voyez-vous, que nous pouvons…

Petite pause théâtrale, inspiration, maîtrise absolue du moment et du tempo.

- Prendre notre indépendance !
Exclamations de toute part. Des papiers volent et on se montre du doigt de part et d’autre, le tonitruant banquier Herbert Van Graff faisant entendre son opposition de toute la puissance de ses cordes vocales. Finalement une voix réussit à se détacher dans le chaos ambiant.

- Ce n’est pas si simple ! Pas si simple ! Taisez-vous Van Graff je parle ! Taisez-vous bon dieu, s’égosillait le ministre des affaires extérieures, mais allez-vous vous taire espèce de porcelet ! Tout de même ! Tout de même ! Laissez-moi parler ou je résilie votre monopole bancaire avec le SIAX ! Tout de même !

Finalement, de haute lutte, Lucas Cacenti conquit le drôle de parole, non sans un dernier « tout de même ! » offensé, principalement parce que ses piaillements stridents constituaient une arme suffisante pour écraser ses adversaires.

- Donc vous croyez, excellence, que cela n’a pas été envisagé ? Erreur ! Fondamentalement nous ne partageons ni vous ni moi les valeurs des NR pas plus j’en suis sûr que la plupart des gens autour de cette tabl… ne m’interrompez pas ! cessez de m’interrompre ! cessez de m’interrompre tout de suite, je parle ! Taisez-vous ! Herm. Oui enfin quoiqu’il en soit, le secteur Vantire indépendant, belle idée. Mais dans l’état, monsieur le sénateur, si les nouveaux révolutionnaires envoyaient leur flotte nous anéantir, les autres systèmes réticents seraient bien trop terrorisés pour bouger et le temps qu’ils acquièrent quelque courage, notre sort serait réglé et la flotte serait sur le chemin du retour. Et puis ah non ne m’interrompez pas, ne m’interro…

Voix stridente ou pas, le frêle Cacenti ne pouvait rivaliser longtemps avec Van Graff qui finit par s’emparer de la parole en hurlant plus fort que tout le monde.

- Conneries ! Foutaises ! Vous n’êtes tous que des putains de branquignoles ! Quoi mon langage, Cacenti ?! Vous savez ce qu’il vous dit mon langage espèce de… Non mais presque ! Peu importe tout ça, les Nouveaux Révolutionnaires ne nous empêchent pas de faire des profits et c’est la seule chose qui importe pour moi, contrairement à certains je ne suis pas prêt à me suicider pour un Roi à la manque ! Oui PARFAITEMENT ! Un Roi à la manque et mort madame la duchesse ! Quoi ? Mais allez-vous faire mettre, je n’ai pas de leçons à recevoir…
Le sénateur laissa les invectives pleuvoir encore un long moment et finit par réduire le volume des autres voix en augmentant celui de la sienne.

- Mes amis ! Mes amis ! Calmons-nous. D’abord je penserais comme vous, mon bon Herbert, si j’étais banquier et non sénateur, et si je n’avais pas eu connaissance du document que vous recevez à l’instant et qui me vient d’une source haut placée chez les NR.

Il retint un sourire triomphant, quand la voix de Graff s’éleva, au bout d’une dizaine de minutes couvrant encore une fois toutes les autres. Il sentait le pauvre banquier au bord de l’apoplexie.

- Commment !? Comment ?! Expropriations ! Nation… nationa.. lisation ? NATIONALISATION ?! Alors ça… alors là ! Exp..pro…priation ? Alors ça ! Vous pouvez compter sur mon soutien excellence. Alors ça ! Si on m’avait dit que de mon vivant je verrais un gouvernement humain ressusciter ce concept ! Bordel de dieu – pardon votre éminence - si ils s’imaginent qu’on va laisser faire ! Ah vous êtes un rusé renard d’avoir gardé ça par devers vous ! Mais… bon, le problème soulevé par Cacenti, vous en faites quoi ?

Murmures approbateurs autour de la table. Il n’y en avait aucun pour soutenir la nationalisation, et certains avaient même dû se faire expliquer ce que cela voulait dire tant le concept même de la chose était désuet, autant que le concept de nation, pour tout dire. Mais pour autant si il fallait choisir entre mort et nationalisation, le nœud gordien était vite tranché.

- Ah oui, l’excellent ministre a raison bien sûr, répondit-le le sénateur, sans se départir de son air serein. Si nous étions les premiers à nous rebeller nous serions aussi les premiers à en pâtir. Mais… nous ne sommes pas les premiers. Vous allez recevoir une diffusion venant d’un drone sénatorial qui se trouve actuellement dans le système de Terra Secunda. Je le découvre en même temps que vous et je ne sais pas qui sont ces gens. Regardez.

Terra Secunda en flamme. Le siège du gouvernement planétaire transformé en immense cratère. La Tour de la Libération, le monument à la gloire de Carl Landers en construction réduit en poussière. Des corps de prévôts empalés aux lampadaires. Des unités inconnues en uniforme noire qui chassaient les agents officiels de la Nouvelle Révolution. Des bombardiers qui pilonnaient les blindés au sol tandis que la DCA impuissante était détruite depuis l’orbite.

- C’est incroyable. Même si ils partaient maintenant ils auraient porté un coup terrible à la Nouvelle Révolution sur la deuxième Terra, murmura le ministre des affaires extérieures, et prouvé que celle-ci n’était pas infaillible. Je diffuserais cela aussi largement que possible…

Un cœur de « moi aussi » venant des royalistes présents poussa le sénateur à réagir. Il ne s’agissait pas qu’ils se trompent totalement d’objectif et gâchent ses projets établis depuis des mois.

- Certes monsieur le ministre, mais ce n’est pas pour autant une renaissance du Grand Royaume. Notre souverain est mort avec son Premier Ministre et au final les forces spatiales dont disposent les monarchistes, si elles se limitent à cela ce qui semble probable, ne sont pas de nature à inverser radicalement la donne. Nous trouverons le salut en nous-même. Et en l’indépendance du système Vantire !

Certains opinèrent mais d’autres étaient plus critiques. Pol Poston, amiral de la flotte sectorielle, était de ceux-là.

- La flotte accorderait sans doute son soutien à un tel projet toutefois… ce que nous sommes en train de voir pourrait se révéler être une opportunité. Je ne sais pas d’où sort cette force mais, forcément, elle a bien une base quelque part. Un endroit que les NR ne contrôlent pas. A côté de cela si nous menons à bien la longue suite de choses qu’il faudra mener à bien pour qu’en quelques heures nous rendions Vantire indépendante des NR, ce ne sera que le début des ennuis. Je pense que nous serions plus forts avec des alliés et ces gens me semblent être des alliés… compétents.

Autour de la table beaucoup approuvèrent Poston. Sous son air placide et débonnaire, le sénateur était dans une colère noire sans qu’il puisse s’expliquer exactement pourquoi.
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Thelesias

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MessageSujet: Re: [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner   [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner Icon_minitimeLun 14 Jan - 11:10

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Chapitre 9 - Yohan de Wasilia


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La « base Vega » était une ville, constatait, ahuri, l’ancien Premier Ministre. Depuis le hublot tribord du submersible, il voyait un immense champ de force en dôme, alvéolé, de plusieurs kilomètres, qui illuminait les fonds marins d’une douce lueur orangée. Il ne put s’empêcher d’éprouver une admiration sans borne pour les ingénieurs qui avaient conçu la chose. Lui-même s’intéressant à l’architecture énergétique et ayant suivi une formation amateur dans le domaine, il savait à quel point il était difficile de faire en sorte qu’un tel ouvrage résiste à l’eau, environnement naturellement hostile à l’énergie sculptée. Et pourtant… Sans parler de ce que le champ de force protégeait. Des bâtiments mais pas n’importe quels bâtiments. Tous étaient construits avec une préoccupation esthétique visible. Au centre de la ville il voyait une immense tour, flèche élancée dont le sommet n’était qu’à vingt ou trente mètres de la paroi du dôme. L’imposante structure, haute de plusieurs centaines de mètres, était édifiée en pierre, pierre d’un blanc immaculé, et percée de grandes baies vitrées jusqu’aux derniers étages qui, eux, arboraient des vitraux. De là où il se trouvait il ne voyait que des couleurs vives mais si leur conception était égale à celle de la tour qu’ils embellissaient, nul doute qu’ils seraient magnifiques.

Autour du bâtiment central, d’autres, plus modestes, étaient disposés en cercles concentriques, et Yohan ne pouvait pas se faire une idée exacte de leurs fonctions. Si certains disposaient d’équipement modernes apparents, antennes de transmission, balises d’holo vision et ainsi de suite, d’autres évoquaient vaguement des habitations et on y distinguait de petits jardins. Le blanc dominait mais parfois le regard du duc discernait des couleurs pâles, qu’il s’agisse de roses crémeux, de jaunes pastels et autres bleus cyans. Une telle architecture, dans une galaxie où les hommes avaient adopté le métal et où les constructions en pierres étaient jugées rustiques et peu raffinées, était étonnante. Mais bien sûr le concept même de ville sous-marine l’était également.

De Wasilia jeta un regard à l’androïde docteur Cléant, debout à côté de lui. Il ressemblait en tous points à un homme, à l’exception du code barre présent sur le dos de sa main droite. Son visage était lunaire, sa peau pâle. Ses cheveux dégarnis et son regard débonnaire étaient sans doute conçues pour refléter l’image d’un vieux praticien expert dans son domaine, d’une rassurante tranquillité. Mais tout rassurant qu’il était, la machine organique n’était pas très loquace. Il l’avait guéri mais, tout comme l’intelligence embarquée, avait refusé de lui dire comment, d’une ruelle sombre de Terra Secunda il avait abouti dans un monde disposant d’une mer, et qui étaient ses propriétaires.

De toute façon la réponse, vraisemblablement, ne tarderait pas. Le sous-marin approchait du champ de force et les détails de la Base Vega commençaient à se faire jour. En admirant de nouveau les grands vitraux de la tour, le duc pouvait y voir des représentations certainement superbes mais qui ne lui disaient rien. Sur les trois vitraux dans son champ de vision, l’un représentait une cantatrice en train de charmer les eaux d’un fleuve par sa voix, l’autre montrait un peintre à l’œuvre et le dernier une silhouette voûtée, en robe, penchée au-dessus d’un livre la plume à la main.

Finalement le sous-marin commença à traverser le champ de force, lequel entoura l’appareil, ne laissant aucun espace à l’eau, même infinitésimal. Au fur et à mesure que le submersible entrait dans l’espace aérien de la Base Vega, des propulseurs ventraux s’activaient et des ailes se déployaient, le navire se reconvertissant en aéronef. Puis il survola la cité à vive allure jusqu’à ce qu’à se poser sur une rampe de pierre blanche non loin de la tour aux vitraux. Dans une pièce adjacente à celle où se trouvait l’ancien Premier Ministre, l’une des parois du triton commença à s’escamoter et un petit escalier à être déployé. Prenant son courage à deux mains, le duc descendit, et fit face à son comité d’accueil, non sans être frappé par la pureté de l’air de cette ville sous cloche.

Il y avait là trois hommes et trois femmes, tous vêtus de façon différente et quelque peu extravagante. L’une portait une tenue extrêmement moulante à la limite de l’indécence, surtout compte tenu de ses formes, l’autre une robe moyenâgeuse qui lui faisait une taille de guêpe et évoquait irrésistiblement une demoiselle de la renaissance terrienne, la dernière étant la seule à respecter les conventions de son époque avec un tailleur d’un gris pâle qui ne jurait pas avec le blanc dominant son environnement. Sur les trois hommes, l’un portait un costume trois pièce entièrement noir avec… une cravate, accessoire devenu désuet il y a des siècles, l’autre une grande toge antique et quant au troisième homme, il incarnait à merveille le dandy du XXXVIIIéme siècle, avec son grand foulard pourpre, les manches bouffantes de sa veste dorée au fil d’or et ses cheveux noirs en catogan. Ce fut l’homme en noir qui s’avança. Il était plutôt corpulent, le crâne rasé et de ses petits yeux vairons, l’un rouge, l’autre d’un noir spatial, il regardait son visiteur avec un air gourmand qui inquiétait le Premier Ministre.

- Eh bien, eh bien, eh bien, eh bien, eh bien, commença-t-il, sa voix marquant un crescendo à chaque « eh bien », qui avons-nous là ? Non, non ne répondez pas c’était rhétorique voyez-vous, une figure de style, même si je ne prétends pas apprendre la rhétorique à un politicien, oh non ! D’ailleurs savez-vous que vous êtes le premier politicien à venir ici ? Oh le Roi-Hégémon est venu également mais lui n’était pas un… ministre ! Enfin, enfin, nous n’avons pas eu de visiteur depuis quelques temps alors n’est ce pas que ce soit vous ou un autre…

- Monsieur, fit le duc, n’y tenant plus, c’est incroyable ! Si je vous indispose tant il fallait commencer par ne pas disposer de ma personne de façon aussi hardie ! Ai-je demandé à être enlevé et fourré dans un sous-marin ? Et puis où sommes-nous ! Qu’est-ce que c’est que cette « Base Vega », pour commencer ?

La femme en tenue excessivement moulante eut un profond rire de gorge et remit en place une mèche rebelle de ses longs cheveux auburn, avant de s’avancer. Le Premier Ministre ne put s’empêcher de déglutir, car il devait reconnaître que cette femme était d’une grande sensualité, à tel point que ce n’était sans doute pas entièrement un don de la nature.

- Mais oui, aussi si tu expliques aussi mal, comment veux-tu que Sa Grâce comprenne, lança-t-elle d’une voix chantante, vraiment Jean, on dirait que tu fais tout pour déstabiliser ce pauvre vieil homme ! Oui, Votre Grâce, il s’appelle Jean, Jean Sarmac, quant à moi j’ai l’infortune de ne m’appeler que par ce seul nom d’Ydia et ne pas avoir de patronyme ! Jugez de l’étendue de mon infortune. Mais je vois que vous croyez en avoir subi une grande, d’infortune, alors laissez-moi vous expliquer pourquoi ce n’est pas du tout le cas…

Jean Sarmac ? Tout de même pas comme le grand écrivain Jean Sarmac, disparu il y a plusieurs années et dont personne n’avait eu de nouvelles ? Yohan n’avait jamais eu de photos sous les yeux et ne l’avait jamais lu faute de temps mais il avait vaguement entendu parler de l’affaire. Cependant… ce nom de Lantra aussi, ne lui était pas inconnu. Des pseudonymes peut-être, songea-t-il.

- Vous êtes sur Isaria, qui porte la dénomination officielle de Base Vega. On l’appelle aussi « la Cité des Penseurs ». La population est presque exclusivement constituée d’artistes, de philosophes et de personnes talentueuses chacune dans leur domaine. Et toutes ces personnes vivent ici car notre petit coin de paradis sous-marin est secret. Le but est de vivre soit reclus en ermite, hors de toute société, soit en vase clos avec ses amis et rivaux pour créer une émulsion et s’aider les uns les autres à progresser. Les quatre rustres présents céans et moi-même, la seule personne recommandable de cette cité, sommes le Conseil d’Encadrement, car ma foi même sur Isaria il en faut un ! Quant à cette femme vêtue de façon si conventionnelle… enfin vous verrez cela dans un instant. Oh et, si cela vous intéresse, nous sommes sur la planète Breyan, dans le second cercle intérieur, quadrant trois.

Breyan, disait-elle ? Impossible ! Breyan avait été une planète jugée apte à la colonisation, parce que presque entièrement océanique, jusqu’à ce qu’on découvre que des micros organismes pullulaient dans les eaux de ce monde et ne faisaient qu’un avec la faune et la flore, rendant toute source de nourriture et toute eau mortelle pour les êtres humains. D’un autre côté… n’était-ce pas justement bien pratique de vivre sur une planète réputée mortelle quand on voulait avoir une base sous-marine secrète ? Le rapport ne pouvait pas être faux cependant, puisqu’il avait été commandité par les services du Roi-Hégémon en personne, ce qui était suffisamment inhabi… inhabituel oui. Le Premier Ministre eut un sourire amusé.

- Je vous avoue que je suis soulagé plus que je ne saurais dire d’être en compagnie de gens qui ne sont apparemment pas les amis des Nouveaux Révolutionnaires. Mais quelque peu vexé. Pourquoi Sa Majesté ne m’a-t-elle pas informé qu’elle vous donnait cet endroit ? J’étais tout de même le Premier Ministre, fit-il un peu dépité.
La dénommée Ydia rit encore devant la déconfiture de l’homme d’état, imitée par quelques personnes qui arrivèrent plus ou moins à retenir leur hilarité. Puis ils lui firent signe de les suivre et se dirigèrent vers la tour aux vitraux.

- Pardonnez-nous de rire à vos dépends, mais votre expression est assez comique chez un homme qui inondait l’InstaD de ses airs sérieux et de ses graves déclarations. Mais allons, ne vous tourmentez pas ! Sa Majesté avait une bonne raison. Certes nous sommes libres penseurs, des artistes, bref des gens insouciants loin de votre rigueur d’homme d’état mais nous avions tous le point commun d’aimer notre souverain qui a apporté la paix à l’humanité, la paix étant ce qui permet à nous autres de créer. Et le Très Glorieux nous a fixé une mission, mais je vais laisser Alba vous en parler une fois à l’intérieur de Grande Flèche.

Absorbé par ce qu’elle disait, il n’avait pas remarqué qu’ils se trouvaient arrivés à l’entrée de la tour que les locaux appelaient Grande Flèche. Vue de près, elle était encore plus impressionnante. L’entrée était constituée d’une série de portes coulissantes en verre gravé à l’effigie de diverses célébrités du monde des arts, qui regardaient passer les visiteurs avec un air goguenard. Le hall, en pierre blanche, était nanti, en son centre, d’une grande fontaine représentant un dragon chez qui l’eau avait remplacé le feu, tandis que le plafond était entièrement couvert d’une fresque représentant des artistes et des orateurs s’abandonnent à leurs activités respectives, toutes subtilement différentes mais reliées entre elles, comme dans le cas de ce violonistes qui accompagnait un chanteur à l’intérieur d’une salle de spectacles qu’était en train de concevoir un architecte dont le visage était en train de changer grâce aux attentions d’un sculpteur de chair.

Admirant tout son saoul, c’est comme un automate que le Premier Ministre fut poussé vers un ascenseur gravitationnel, petite plate-forme qui s’éleva tranquillement dans un cylindre de verre, lui aussi richement décoré, pendant quelques minutes, jusqu’à ce qu’ils parviennent à l’étage voulu. Une porte coulissa et ils entrèrent dans un grand salon aux tons bleus ciels. La petite compagnie investit les divans qui étaient disposés en cercle autour d’un grand hologramme qui représentait l’intérieur d’un opéra et diffusait une représentation de la célèbre tragédie Yvraine ou le Désespoir, de Declus Vanch. Sur un geste de la femme au tailleur, l’opéra se dissipa, le projecteur holographique disparut sous le parquet et un serviteur robot apparut comme par enchantement avec des rafraichissements. Puis la femme prit la parole, d’une voix posée mais froide, qui allait bien avec son visage aux traits durs et peu gracieux.

- Monsieur le Premier Ministre, je m’appelle Helen Dastier. Permettez-moi de vous souhaiter la bienvenue et de vous dire à quel point je suis désolée de ce qui vous est arrivé. J’ai été éduquée dans la culture du Bushidô Ressuscité, et je m’ôterais la vie avec joie pour expier mon impardonnable stupidité si vous n’aviez pas encore besoin de moi, vous et le Grand Royaume.

Le bushidô ressuscité ? Elle n’avait pourtant pas l’air d’être la descendante d’anciens japonais. Il lui fit signe de poursuivre, après qu’elle ait marqué une pause, comme pour s’assurer qu’il l’autorisait à ne pas se suicider.

- D’abord, vous devez vous demander comment vous êtes arrivé ici, j’imagine. Voyez-vous la Base Vega entretient un réseau d’informateurs un peu partout et nous avons entrepris de récupérer, quand cela était possible, les dignitaires du Grand Royaume capturés par de la racaille mercenaire en vus d’être vendus aux chiens puants qui prétendent faire la révolution. Un de nos contacts nous a indiqué qu’une mercenaire cherchait à vous vendre aux manteaux noirs et il était impensable de vous laisser tomber entre leurs mains. J’ai signalé votre position à mes supérieurs qui ont envoyé une équipe d’exfiltration, chose rendue possible par une opération de frappe éclair dans le système de Terra Secunda. Malheureusement les félons avaient déjà été avisés de l’offre et tandis que nous vous transportions, inanimé, dans le croiseur, nous avons été pris en chasse à la sortie du système par des maraudeurs ennemis dissimulés derrière un agglomérat de débris. Notre vaisseau était plus rapide mais commençait à perdre son avantage parce qu’endommagé, et nous avons juste pu vous larguer sur cette planète aux coordonnées préprogrammées, dans ce véhicule triton obsolète. Malheureusement l’IV était, semble-t-il, légèrement détraquée. Quant à l’androïde, nous vous expliquerons plus tard. Pour l’instant…

Elle inspira profondément comme pour se donner du courage, et de Wasilia se retint de faire de même tant il sentait que ces propos étonnants n’étaient qu’un prélude à quelque chose de bien plus sidérant.

- Écoute je ne peux pas résumer en quelques minutes une situation si complexe et vous êtes exténué mais la curiosité est si forte en vous, et à juste titre, que je vais essayer de dire l’essentiel ? Sachez que Sa Gloire l’Hégémon avait entrevu depuis longtemps la possibilité qu’émerge ce que tout le monde prend à tort pour une révolution mais qui en fait, sans que je sache comment ou pourquoi, est un événement artificiel. Il a alors chargé mes employeurs, les Kretchners..

Les Kretchners ! Cette famille qui concentrait une fortune colossale entre ses mains et possédait des planètes entières, dont les liens avec le Grand Roi étaient inextricables et dont le patriarche pouvait à loisir passer par-dessus les plus hauts dignitaires du gouvernement pour avoir une audience avec le Roi-Hégémon ! Y compris par-dessus le Premier Ministre, qui le détestait et le jalousait et peinait de devoir se l’avouer.

- Oui je sais bien que les relations entre eux et vous n’ont pas toujours été au beau fixe, et si j’avais un doute votre mine en dit assez long. Quoiqu’il en soit il a demandé à ses plus loyaux serviteurs de former une organisation parallèle secrète, le Groupe Empire Secret, ou Groupe K selon certains, qui aurait pour mission prévenir toute révolution de ce genre ou, si la chose s’avérait impossible et si le Roi-Hégémon était tué, de porter les coups les plus terribles aux usurpateurs tout en travaillant au Projet Christ. Le projet Christ, c’est-à-dire… le retour du roi.





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Chapitre 10 - Yoshino et l'Individu


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- Vous savez j’ai une petite histoire à vous raconter. Sa Majesté visitait Academ 1, la première planète éducative de haut niveau du réseau éponyme et j’étais avec elle en tant que rédacteur du programme d’instruction militaire de l’Ecole de Guerre. C’était une planète superbe ma foi, ressemblant assez à Sanctum Terra avec sa verdure et ses grands lacs. Elle ne l’est plus depuis que vous et les vôtres avez ravagé l’écosystème à grand coups charges au xalar. D’ailleurs… Je me demande, comment justifiez-vous l’assassinat de trente-cinq mille enfants ? Par le simple prétexte qu’ils étaient préparés à occuper de hautes fonctions dans l’administration du Grand Royaume ? Cela justifiait il d’ôter la vie à Melanda, neuf ans, Cyrkos, huit ans, Jodie, neuf ans…

L’interrogé et l’interrogateur étaient assis de part et d’autres de la pièce blanche. Un simple cube dépouillé de toute commodité, simplement pourvue d’un projecteur holo et d’une cage de force qui paralysait presque entièrement le prisonnier. Prisonnier au comportement inquiétant s’il en était. Son visage pâle était parcouru de tics nerveux dont l’équipe médicale du Destinée Manifeste n’avait pas pu trouver les causes. Ses yeux, en particuliers, roulaient dans leurs orbites et il montrait des difficultés considérables à ciller ainsi qu’à effectuer des mouvements nécessitant de la précision. Tout cela s’était déclenché quelques minutes après qu’il se soit réveillé entravé dans l’aile médicale du super croiseur. Sa réaction à la vue des corps d’enfants qui apparaissaient en hologramme au milieu de la pièce en était une preuve suffisante puisqu’au fur et à mesure que les noms et les corps s’accumulaient, ses yeux se mouillaient et il commençait à pleurer.

- Oh vous êtes triste Randolph ? Désolé ? Mais pourtant vous étiez dans ce chasseur que nous avons capturé, et vous tiriez sur les forces loyales du secteur de Bastille. Vos remords ne vous ont pas empêché d’abattre l’un de nos pilotes ! Et pourtant vous êtes là, vous pleurez et vous ne dites rien. Vos expressions simiesques devraient me suffire peut être ? Mais non mon ami, vous n’aurez pas de répit si vite…

Obayashi était un expert en interrogatoires et, rigide et imperturbable dans son uniforme gris anthracite, il cachait sa perplexité avec un art consommé. Pourtant il était désappointé. Le prisonnier, le capitaine Randolph Stark de l’armée révolutionnaire, n’avait pas prononcé un mot depuis qu’il avait été pris. Il faisait la navette entre le cube blanc qui servait aux interrogatoires et sa cellule, soumis à toutes sortes de privations visuelles et auditives. Des techniques ayant montrés leur efficacité devant la lie de la galaxie, les criminels les plus endurcis, les terroristes les plus fanatiques, échouaient sur ce capitaine d’escadron dont le profil physique n’indiquait aucune disposition particulière permettant de résister au harcèlement psychologique. Et pourtant…

Bien sûr le « shôgun » n’avait pas épuisé tout son répertoire de techniques d’interrogatoire. Il y avait, par exemple, la torture physique. Il disposait d’outils particulièrement redoutables comme ces nano organismes corrosifs qui s’enfonçaient à l’extrémité des doigts, là où le corps humain était le plus sensible, et commençaient petit à petit à irriter les terminaisons nerveuses jusqu’à l’inflammation aiguë. Ou encore ces infâmes petits insectes parasites qui rongeaient le câblage d’un individu le plongeant dans d’inimaginables souffrances. Oui tout cela pouvait donner des résultats mais le plus souvent le malheureux soumis à la question donnait n’importe quelle réponse pour faire cesser la douleur, aussi Obayashi n’utiliserait cet arsenal qu’en dernier recours.

- Permettez-moi de vous expliquer une chose, Randolph. Si vous ne coopérez pas et si vous ne nous parlez pas de l’organisation des NR, de ce qui s’y passe comme nous vous le demandons, nous utiliserons des solutions alternatives. J’imagine que vous n’avez jamais entendu parler de l’Explorateur de Mémoires ?

Stark était toujours plongé dans une anthologie de grimaces mais il avait réagi légèrement à ce que venait de dire Obayashi. Ce dernier eut un sourire torve. Les traîtres croyaient peut être tout savoir mais leur extrême arrogance commençait déjà à leur jouer des tours.

- Voyez-vous, Randolph, le dispositif EM est une invention récente du centre de recherche de Nouvelle-Bastille. Il permet, pour parler simplement, de visualiser les souvenirs d’un individu dont on a préalablement suspendu les droits civiques – et inutiles de dire que vos droits sont plus que suspendus – sur un petit écran. Il y a cependant un hic. Quand l’appareil cesse de fonctionner bien souvent le sujet devient un légume parce que son cerveau ne supporte pas la conversion des souvenirs en images. Mais bien sûr vous semblez être déjà proche du stade betterave. Non ? Aucune réponse ? Toujours vos grimaces ? Tant pis, ma foi.

Obayashi dit quelques mots à voix basse dans son micro et quelques secondes plus tard une paroi de la pièce s’abaissait, laissant entrer plusieurs techniciens en sarreau blanc. Ils transportaient avec précautions un sarcophage de métal bleu illuminé d’écrans et de projecteurs holographiques. Le commandeur-général fit signe à l’un des scientifiques qui d’une commande vocale, ordonna à la cage de force d’assommer son captif, lequel fut ensuite transporté avec précaution dans le sarcophage, qui, en s’ouvrant, dévoila une forêt de seringues et de capteurs à l’aspect intimidant. Heureusement pour lui, Stark n’était pas en capacité de ressentir la peur ou d’être terrorisé quand le sarcophage se referma sur lui.

L’engin émit un ronronnement, crachota, vibra, sous le regard inquiet des techniciens qui avaient longuement expliqué qu’il ne s’agissait que d’un modèle de test. Finalement le projecteur holographique de l’appareil obéit à un ordre muet et se reconfigura et diffusa les souvenirs en deux dimension sur les quatre murs immaculés de la pièce dont les lumières s’éteignaient, les techniciens sortant pour laisser Obayashi seul avec les souvenirs du captif. Souvenirs qui au départ furent sans intérêt. Sa vie d’enfant, son adolescence… le commandeur regarda quelques minutes par curiosité, avant d’ordonner à la machine de passer à une période plus récente. Avant la trahison, en fait. Les appréhensions du commandeur étaient grandes. Il craignait de ne rien trouver, de repartir aussi peu informé qu’il ne l’était en lançant la procédure, de tomber sur de nouveaux mystères. Mais, presque immédiatement il fut captivé par ce que la machine dévoilait.

Quelques mois avant que la félonie n’éclate au grand jour, Randolph adhéra à une organisation semi clandestine. Un « club de réflexion » pour militaires. De telles organisations, jugées dangereuses pour la discipline et génératrices de communautarismes par les légions, étaient vues d’un très mauvais œil mais pas officiellement interdites. Dans le cas de ce club, tout se déroulait de façon très insidieuse. Au début il ne s’agissait que de critiques voilées, d’insinuations, quant à une supposée mauvaise gestion de la XXIéme légion. Rien de réellement subversif, mais rapidement les critiques se mirent à toucher des domaines telles que la composition du gouvernement royal, avant de viser le gouvernement lui-même puis le Roi-Hégémon en personne.

Ce n’était pas ça le plus curieux, le plus étrange. Le plus étrange, l’inexplicable était cela : quand Randolph sortait de ces réunions clandestines, il les oubliait. Ces souvenirs étaient distincts des autres, séparés. Mû par une impulsion semblable à celle d’un drogué, il se rendait aux rassemblements et dès qu’il en partait, un blanc se formait dans son esprit. Il n’en gardait que l’antipathie diffuse envers sa hiérarchie et les dirigeants du Royaume que les réunions, petit à petit, instillaient en lui. Et quand vint la trahison en elle-même, il lui parut tout naturel de suivre les ordres des généraux rebelles bien qu’il soit incapable de s’expliquer les raisons de ce sentiment. Ce n’est qu’une fois la trahison accomplie qu’il s’était souvenu de tout. Et puis… il y avait d’autres bizarreries. Randolph, en arrivant à ces assemblées illicites, était un loyal et fervent partisan du Roi-Hégémon, et pourtant il ne lui avait fallu que quelques heures pour douter. De plus, le visage de l’orateur dont lui et ses frères d’armes écoutait les discours était masqué dans ses souvenirs, comme si à chaque fois il n’en avait discerné que la silhouette. En d’autres termes… cet officier avait été conditionné. Par qui, pourquoi, cela restait à définir. Mais si tant est que ces réunions étaient quotidiennes, concernaient toutes les légions et que des groupes différents étaient sélectionnés à chaque fois… Etait-ce vraiment possible ? Les conspirateurs originels, Landers et ses proches auraient pu forcer les légions à trahir ?

***

- Oh, visiter nos machines ? Bah… c’est pas que ce soit interdit oh non, c’est juste que ça n’intéresse personne ! Je suis bien content que vous soyez du genre qui s’intéresse à tout ça oui ! Alors si vous voulez bien me suivre… on a peut-être cinq minutes de marche jusqu’au secteur des propulseurs phasiques…

L’individu eut un petit sourire avenant et hocha la tête alors qu’en lui-même il bouillait. Il était environné de traîtres et de félons, de lâches, de vils. Seul lui était pur. Par moment il se demandait où résidait la pureté en question. Etait-ce le fait d’avoir rejoint le libérateur, le Conseiller Landers en participant à la chute du tyran, ou était-ce le fait de lutter vaillamment contre les rebelles qui avaient trahi le Roi-Hégémon ? Parce qu’il était bien du côté du Roi, n’est-ce pas ? A moins que… tout était si flou dans sa tête, si flou. A peine s’il se souvenait de son nom. L’oublierait il s’il n’avait pas son badge ? Si on ne l’appelait pas par son nom ? Possible. Etait-ce inquiétant ? Non. Le stress, le fatigue, rien que de très normal pour un soldat, n’est-ce pas ?

Et l’individu n’était pas prêt de recouvrer sa sérénité. Il avait une mission. Cette visite de la trentième section du département technique en faisait partie. Tandis que l’individu se déplaçait entre les structures colossales, observant les tubes à plasma brûler le précieux carburant, les systèmes de refroidissement qui fonctionnaient à plein régime, il ne prêtait qu’une oreille distraite aux péroraisons vantardes du chef mécanicien. En son for intérieur il imaginait tout cela en train d’exploser, toutes ces tuyères se fendre dans un bruit d’apocalypse, plasma qui entrait en fusion, explosait et ravageait des étages entiers. Il voulait saboter, être le grain de sable, provoquer l’arrêt de cette complexe machinerie. Pourquoi ? Oui pourquoi trouvait il cela illogique, soudain ? C’était pourtant évident : le vaisseau avait été détourné par des traîtres et il fallait le stopper pour que les loyalistes puissent intervenir et ramener le vaisseau dans l’espace qu’ils contrôlaient.

- Et donc vous voyez, il y a cinq trieurs plasmatiques comme celui-ci sur le Destinée Manifeste. Chacun d’eux enrichit, raffine, le plasma pour qu’il puisse être utilisé alternativement dans nos batteries de canons lance. Je trouve cette vision assez magnifique. Rendez-vous compte que cette énergie pourrait faire exploser une planète mais que nous avons su la maîtriser et que nous la canalisons désormais à loisir… magnifique oui… mais… tiens, plus là.

Plus là, non. L’individu s’était éclipsé pendant que le chef machiniste discourait et se déplaçait à travers une forêt de capteurs, se dissimulant aux regards du personnel avec une expertise enviable. Tout était bon pour se cacher, qu’il s’agisse de ce tuyau, qu’il faille grimper pour s’accrocher à des échelles, ce fut sans encombre que la silhouette en uniforme atteignit sa destination. Un escalier de service qui menait au réseau d’entretien des conduits d’aérations. Un cadeau attendait l’individu. Un petit paquet enveloppé dans un papier marron. Il retint la tentation qui le poussait à ouvrir son cadeau maintenant. Ce n’était pas encore le jour de l’An. Le bonsaï sous lequel on mettait les cadeaux n’était pas encore installé et sa famille n’était pas autour de lui en train de scander le compte à rebours de la nouvelle année. Pas encore, pas encore.

Au lieu de cela, le militaire commença à errer dans le dédale des tunnels d’entretien. Ou plutôt il donnait l’impression d’errer mais il avait une destination bien précise. Lentement mais sûrement, en multipliant les détours, en évitant les caméras – comment savait-il à l’avance où se trouvaient les objectifs il n’en savait rien – qui n’étaient pas aussi répandues qu’il le faudrait, il parvint au bout d’une heure de recherche jusqu’à son objectif. Il était temps. Bientôt son temps libre serait terminé et il faudrait qu’il revienne à ses responsabilités fictives, jouer la comédie du soldat parfait… du soldat ? Mais non il n’était pas soldat, pas encore, pour ça il faudrait qu’il finisse son premier cycle d’études. L’individu retint un rire. Sa mère allait encore le disputer ! Toujours à rêvasser, voilà ce que disait le professeur Jaric de son cas. Mais il y avait de quoi. Peut-être que pour cette nouvelle année-là il allait enfin pouvoir disposer de son propre speeder ! L’une de ces petites plateformes volantes qui en vogue auprès de ses amis mais que ses parents n’avaient jamais pu lui acheter, jusqu’à cette année où il avait surpris une discussion entre sa mère et sa grande sœur à ce propos.

Mais bien sûr si on voulait recevoir il fallait donner, c’était la première leçon qu’on apprenait aux enfants lors de la fête du Nouvel An. Un sourire béat aux lèvres, l’individu continuait son chemin, impatient à l’idée de déballer finalement le paquet. Mais il fallait sacrifier au rituel habituel qui consistait à déposer nuitamment son cadeau sous le bonsaï et ce n’était pas cette année, pour ses douze ans, son entrée en cours de musique avec la si gentille mademoiselle Avidote. Le sourire dément de l’individu s’élargit et il se mit à rire. Mais ce n’était pas le genre de rire qui mettait à l’aise un auditoire, c’était un rire à glacer le sang. Pris d’une hystérie inquiétante, l’individu pointait du doigt des formes invisibles autour de lui, hilare, bredouillant des plaisanteries qu’il était le seul à comprendre. Son amusement était celui d’un fou mais dans sa folie il discernait parfaitement la route à suivre.

Délicatement l’individu commença à ouvrir le paquet. Précautionneusement, comme on déballerait une boîte de vrais chocolats terriens. Sauf que ce n’était pas du chocolat. L’engin était, pour l’essentiel, un simple tube au centre duquel une sphère rougeâtre gravitait, dans un environnement qui reproduisait le vide spatial. L’arme était redoutable. Antimatière modifiée. Sur une surface de plusieurs dizaines de mètres, elle provoquait un effondrement, une sorte de singularité qui absorbait, déchirait, remodelait toutes les choses solides alentours. Rien n’y survivait et il était impossible de se prémunir contre l’utilisation d’une telle puissance de destruction. Cependant le coût prohibitif de la « mise en bouteille » de l’antimatière, sans parler de son conditionnement en vue d’être utilisée comme arme limitait cruellement sa production. D’un autre côté, si elle était plus répandue et utilisée comme n’importe quel missile on pourrait douter de la survie d’une civilisation galactique.

Mais tout cela passait très au-dessus de la tête de l’individu. Lui se contenta de taper un code secret à l’arrière de la charge à singularité et la fixa soigneusement à son emplacement. Le secteur A-15 du couloir 69926, qui passait au-dessus de salle d’interrogatoire numéro 9 du bloc C. C’est-à-dire à peine huit mètres au-dessus du commandeur-général Obayashi. L’individu eut un sourire mauvais. Enfin l’infâme, le lâche, l’odieux, allait rendre gorge, pour la première fois depuis des décennies il allait connaître un échec, et en plus cet échec serait aussi définitif qu’inévitable. La mort, oui, l’anéantissement définitif de l’abject personnage. L’individu allait tuer le commandeur et il…

Tuer le commandeur ? Tuer le shogun ? Qui cela ? Lui ? Lui pensait à tuer le shogun ? Mais pourquoi ? L’individu s’écroula contre la paroi du conduit avec fracas, gémissant de douleur, tenant la tête entre ses mains. Devenait-il amnésique ? Soudain il ne se souvenait plus de ces derniers jours, il arrivait juste à se rappeler qu’il était sur Novaria V, la planète sur laquelle il résidait, du secteur Nouvelle-Bastille, qu’il se préparait à embarquer sur le Destinée Manifeste et que… que quelqu’un l’approchait pour le convier à une réunion de vétérans des guerres contre les pirates de l’espace varien… Et ensuite… Obayashi… l’infâme, il avait perpétré son crime, son forfait… mais quel crime ? L’individu se mit à hurler, à se frapper le crâne contre les parois métalliques, le sang jaillissant de ses oreilles et de ses narines, ses mains qui n’en finissaient pas de trembler. Finalement une pensée cohérente perça le brouillard rouge. Trois mots qui se gravèrent au fer rouge dans l’esprit de l’individu. Appuyer… sur… le bouton. Et il appuya.

Dès lors, l’enfer se déchaîna.
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Thelesias

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MessageSujet: Re: [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner   [Science Fiction/Space Opera] Les Kretchner Icon_minitimeLun 25 Fév - 5:05

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Chapitre 11 - Maria et Tedd


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Maria entendit un poing de métal s’abattre sur le plastron du lieutenant, qui venait sans doute de perdre son assistance médicale. Elle gardait les yeux fermés en sanglotant, désirant de tout son cœur devenir aveugle quand soudain, une éblouissante lumière pénétra les pupilles de Maria à travers ses paupières fermées, tandis qu’une série d’explosions et de détonation de fuseurs retentissaient, faisant vibrer toute la structure. Elle crut voir leur agresseur brandir son bras vers l’avant afin de tirer des balles explosives mais les flash et les explosions furent rapidement si fortes qu’elle dut fermer les yeux à nouveau, alors qu’un bruit d’apocalypse se fit entendre. Rapidement, cependant, le vacarme se calma et peu à peu la jeune administratrice-jurée cessa de trembler et mobilisa sa volonté pour sortir de sa prostration. Tout doucement, elle entrouvrit un œil, puis l’autre, et ne put retenir un hoquet de surprise. Le colosse en armure qui s’apprêtait à leur faire un sort était écroulé au sol, son exosquelette fondu au niveau du torse, une atroce odeur de chair grillée se dégageant de sa carcasse sans vie. Immédiatement Maria se tourna vers Tedd, et pendant un bref instant elle crut perdre connaissance. Etait-il mort ? Etendu là, sans connaissance. Respirait-il ? Combattant le bourdonnement qui envahissait ses tympans et lui faisait si mal, la jeune femme se traîna, hagarde, vers ce militaire qui avait défié sa hiérarchie et ses maîtres pour la sauver.

En sentant Tedd respirer, Maria fut envahie par une douce chaleur. Elle ne s’en était pas rendu compte mais cet homme providentiel était un rempart auquel elle s’était rapidement raccrochée pour ne pas sombrer dans le désespoir, la preuve qu’elle avait au moins un allié dans ce Strategium attaqué par les barbares au service de fous démagogues. Et à propos de fous démagogues… qui avait bien pu tuer leur assaillant ? Accordant enfin de l’attention à ce qui l’entourait, Maria se releva avec effort et regarda autour d’elle.

La partie nord du couloir semblait d’être effondrée sous les détonations, probablement à cause des projectiles explosifs tirés par l’homme en armure. Pourtant il y avait, derrière les débris, des bruits de pas et des voix qui se faisaient entendre. Il était impossible de discerner autre chose que des mots épars comme « unité deux », « pacifiée », mais le peu que Maria percevait indiquait clairement deux choses. Les gens qui avaient tué l’homme en armure étaient eux aussi des militaires, et ils se plaignaient de l’effondrement du couloir avec force jurons typiques de soldatesque. Puis des coups sourds, et les débris qui se mettent à vibrer.

Le Strategium était en pierre blanche massive, ses murs et plafonds renforcés pour être les plus épais et les plus résistants possibles. Les pierres qui s’étaient effondrées sur le sol étaient plus massives qu’un homme et bien plus lourdes. Même avec un exosquelette les bouger était difficile, donc si ces gens avaient les moyens de dégager le couloir… ils avaient dû emmener avec eux des androïdes de combat. Maria connaissait le sujet puisque ces machines impitoyables étaient conçues par les administrateurs-jurés. Abominablement coûteuses mais aussi abominablement efficaces, il était quasiment impossible de leur échapper. Même si elle se mettait à courir en direction de la sortie, elle pouvait tomber sur d’autres escouades de ces ennemis mystérieux ou sur les Nouveaux Révolutionnaires.

Que faire ? Elle qualifiait les nouveaux arrivants d’ennemis, mais après tout ils avaient déversé leur feu meurtrier sur un homme qui portait les couleurs des Nouveaux Révolutionnaires et qui s’apprêtait à tuer une administratrice jurée, ne pouvait-il pas être l’allié de ceux-ci ? Pour autant… elle avait la Boîte. Cette boîte qu’elle devait remettre à ce Chamas, oui ce sous-prévôt Chamas. Elle était d’une importance vitale d’après l’IA, et donc si elle tombait entre de mauvaises mains…
Pourtant elle devait le garder, on lui avait spécifié ! Cependant… si elle pouvait savoir ce que contenait la boîte, peut-être pourrait-elle s’enfuir, cacher l’objet et revenir le chercher avant… mais non c’était illogique, ils allaient sûrement détruire le Strategium. Pourtant il fallait absolument soustraire la boîte et son contenu des griffes de ceux qui risquaient d’en tirer un avantage contre les restes du Grand Royaume.

Cependant la boîte… Il n’y avait aucun moyen de l’ouvrir, sa matière était inconnue… et donc il était également impossible de la détruire. Mais elle ne pouvait pas se raccrocher au fait qu’aucun de ses ennemis ne se montrerait plus malin qu’une sœur logisticienne et n’arriverait à ouvrir cette maudite boîte simplement parce que elle, elle s’en était montrée incapable. Elle avait beau ne pas voir comment faire, savoir que le matériau était capable de résister à une explosion atomique et aux faisceaux les plus redoutables du Strategium, elle était tout convaincue quelques temps auparavant que le Grand Royaume était invincible et que jamais sa puissance ne serait remise en question. Elle secoua la tête, comme pour chasser son envie de pleurer encore. Les administrateurs jurés avaient failli au Roi-Hégémon, failli au Grand Royaume et à toute l’humanité, il n’était pas question de faillir encore. Et donc il fallait qu’elle garde la boîte.

Et il ne servait à rien de rester là. Raffermie par l’importance de sa mission, elle essaya de ne pas jeter un regard à son protecteur étendu au sol, mais n’y parvint pas. Il fallait l’abandonner, évidemment, poursuivre son chemin avec lui revenait à se suicider, si elle avait la moindre chance d’échapper à ses poursuivants ce ne serait pas en traînant un soldat inanimé et en exosquelette dans ses bras. Mais cependant… il connaissait Chamas c’était visible. L’abandonner, ne pas l’abandonner ? C’est alors que la jeune femme se souvint d’une chose. Le modèle d’exosquelette que son beau sauveur portait était un MHJ-50, l’un des derniers produits qui incorporait deux flacons contenant des nanos réparateurs et des stimulants à l’extérieur de l’armure en plus de ceux qui étaient diffusés automatiquement dans l’organisme au cas où les systèmes servant à acheminer ces substances seraient défaillants, ce qui était précisément le cas.

Courant presque, la jeune femme marcha jusqu’au soldat inconscient et s’agenouilla à côté de lui, jetant des coups d’œil inquiets sur les débris du couloir qui vibraient de plus en plus et qui commençaient à se fissurer ou à laisser apparaître l’autre côté du couloir par des trous minuscules. L’administratrice-jurée fut tentée de regarder ce qu’il y avait de l’autre côté, un bref instant, mais non, si ces gens étaient des ennemis et qu’elle perdait ne serait-ce qu’un instant… Revenant au soldat, elle palpa son exosquelette à la recherche d’une poche, ou d’une cavité dissimulée. Finalement sur le flanc droit de l’armure, une croix rouge signalait la présence d’un petit renfoncement. Une simple pression sur le symbole fit coulisser une paroi d’une finesse impressionnante malgré sa solidité, et ainsi la sœur-logisticienne put mettre la main sur deux tubes contenant un liquide verdâtre, et sur deux seringues. Chargeant ces dernières avec les nanites, elle respira un grand coup et, sans être vraiment sûre qu’elle s’y prenait bien, injecta les deux produits dans le corps du soldat endormi après avoir déchiré le tissu qui recouvrait sa main. Bien sûr l’endroit n’était pas idéal mais les nanites possédaient une programmation d’initiative et remonteraient vite à la source du problème. Il suffit d’attendre.

Seulement, attendre c’était dangereux. Ce n’est pas comme si ils étaient dans un bel hôpital immaculé et qu’elle était un médecin aux horaires larges pouvant se permettre de veiller un malade. Ceux qui se trouvaient de l’autre côté des éboulis semblaient maîtriser une médecine bien plus agressive que les deux frêles seringues qu’elle tenait encore dans ses mains, et elle ne tenait pas à ce qu’elle lui soit appliquée. Encore moins alors qu’elle n’avait encore trouvé aucun moyen de remplir la mission qui lui incombait.

Soupir. C’était aussi pour cela qu’abandonner ce soldat ne rimait à rien, il était le seul qui pouvait la mener au sous-prévôt. La gratitude n’était pas tout et pourtant… dans un geste doux, la jeune femme prit la main piquée du soldat entre les siennes, espérant de toutes ses forces que ces foutues nanites qu’elle avait toujours détesté feraient finalement effet.


***


- Hmmgr geuh eurl, fit Tedd dans un murmure.

Non, même une toxico bourrée ne comprendrait pas, ça n’allait pas. Une toxico bourrée. Pas si éloigné de sa situation. Le militaire se réveillait lentement d’un sommeil agité et peinait à sortir de l’inconscience. Une chaleur désagréable et picotante lui envahissait le corps, et il se sentait oppressé, comme prisonnier de son exosquelette. Mais ça n’avait pas de sens car pourquoi se serait-il endormi dans une armure de combat ? Combat… n’y avait-il pas eu un combat ? L’image de Friedson engoncé dans une armure de combat lourde lui vint en tête, suivie immédiatement par celle d’une femme aux longs cheveux noirs corbeaux et aux traits spaniques d’une beauté frappante. Et puis, avec cette image, tout le reste vint.

L’intervention, sa décision de laisser partir la femme, l’étrange comportement de celle-ci, le sous-prévôt Chamas, et finalement le bref combat contre Friedson. C’était incroyable qu’il soit encore en vie ! L’autre salopard n’y était pas allé de main morte, et Tedd revoyait encore son expression haineuse alors qu’il était sur le point de le tuer, et il ne comprenait pas que son agresseur se soit arrêté en si bon chemin. Ou alors est ce que l’autre le croyait mort ? Si oui il serait stupide de se manifester. Mais non ça ne tenait pas debout, jamais Friedson ne l’aurait laissé tranquille avant d’être parfaitement sûr d’avoir gagné, quitte à réduire le visage de son ancien supérieur en une pulpe sanglante.

Et puis il y avait Maria. Il ne pouvait pas la laisser après avoir trahi sa hiérarchie afin de la sauver. Sans parler de ces foutus nanites, qu’il avait fini par reconnaître, qui mettaient son corps dans un état de surexcitation insoutenable et le forçaient à ouvrir les yeux. Ce qu’il fit, ses paupières s’ouvrant tout doucement, non sans lui occasionner une douleur à la limite du supportable. Tout d’abord il ne vit rien, complétement aveuglé. Les nanites le rendaient fiévreux, augmentaient ça perception visuelle et il avait l’impression qu’on lui avait fait entrer dans le corps un mélange de toutes les maladies débilitantes qui pouvaient exister dans l’univers.

- Tedd ! Nous dev…. Ir….sait pas…tué… boîte… amas…

Une voix mélodieuse, la voix de Maria. Mais une voix tendue par la peur et l’angoisse, qui lui criait des choses qu’il n’arrivait pas à comprendre, ses oreilles bourdonnant, bourdonnant sans cesse comme un chœur d’abeilles ou de guêpes. Il tenta de se concentrer, mobilisa toute sa volonté, et petit à petit la luminosité ambiante diminua, diminua, et il finit par voir les formes, les couleurs, jusqu’à percevoir distinctement son environnement. Maria était au-dessus de lui, son visage rougi par les larmes envahi par la colère et la frustration, murmurant – en essayant de ne pas crier, visiblement - des insanités, lui ordonnant notamment de se bouger. Ce qu’il fit, en commençant par se redresser.

- Bon sang ça va, mes nanites ont fait effet et je vous entends, cessez de me secouer.

Elle tituba, un peu choquée. Elle devait être persuadée qu’il ne s’en relèverait pas, et pendant un instant il se demanda si ça l’aurait vraiment chagriné de le voir mort. Après tout il portait les couleurs des Nouveaux Révolutionnaires, ceux qui avaient détruit les Strategium et le Grand Royaume que cette femme avait voué sa vie à défendre… une réalité qu’il ressassait depuis qu’elle lui avait crié le nom de Chamas. Revenant au présent il écouta ses explications confuses, et jeta un regard ahuri sur le cadavre de Friedson. Son plastron était entièrement fondu, le métal liquéfié se mêlant aux chairs dans une bouillie immonde.

D’un autre côté lui-même n’était pas en excellent état. Son plastron brisé, plus léger, n’avait pénétré sous la peau qu’en quelques endroits, et les nanites s’employaient à repousser le métal incrusté dans sa chair et à faire cicatriser celle-ci, mais même quand il aurait été entièrement purgé de ses corps étranger et que les nanites seraient décomposées dans son sang, il faudrait qu’il supporte la fatigue et qu’il subisse le contre coup, ce qui le tuerait peut être. Les stimulants ne faisaient qu’illusionner le cerveau et prêter une vigueur factice, c’était l’une des premières choses qu’on enseignait aux forces spéciales. Et puis, l’ex lieutenant se tourna vers les éboulis. Les bruits d’excavation s’étaient rapprochés, et à gauche un trou de la largeur d’un ballon laissait entrevoir l’autre couloir. Fort heureusement situés sur la droite des éboulis, l’ex lieutenant et sa compagne étaient invisibles de ceux qui cherchaient à les rejoindre.

- Ecoutez-moi, si les forces des NR ne sont plus là pour nous barrer le passage, chuchota-t-elle, si ces nouveaux arrivants les ont vaincu, peut-être qu’ils n’ont pas sécurisé toutes les issues, qu’il n’avait pas les plans du Strategium ou qu’ils ont subi trop de pertes pour couvrir l’ensemble. Si tout ça est vrai je connais une sortie, discrète et peu connue qu’ils n’ont peut-être pas découvert… Mais… pouvez-vous enlever votre armure ? Elle fait un vacarme fou et nous nous déplacerons plus rapidement sans.

Se rangeant à l’avis de la sœur-logisticienne, l’ancien officier commença, non-sens peine à retirer son exosquelette, le mécanisme se grippant au niveau du torse, qu’il dut retirer manuellement. Il poussa un gémissement de douleur tandis que les fibres synthétiques mêlées à sa chair lui arrachaient la peau et que des fragments de métal faisaient couler son sang. Sans parler des nanites venues faire cesser cette attaque contre leur hôte qui occasionnait une souffrance inoffensive mais terrible. Vêtu finalement d’un pantalon de combinaison et d’un haut en piteux état le soldat se mit à courir derrière Maria.

- Hé vous ! Attendez nous ne vous voulons aucun mal, nous sommes les ennemis des NR ! C’est Chamas qui nous envoie !

Le soldat s’arrêta, quelque peu estomaqué et se tourna vers les éboulis. Une ouverture de belle taille y était pratiquée, et à travers elle, grâce à ses yeux amplifiés, Tedd voyait un homme en costume gris pâle – vision pour le moins incongrue dans ces circonstances – au port aristocratique entouré de soldats en armures noires.

- Ma sœur, nous devrions sûrement…

- Ne vous arrêtez pas ! Je reconnais cette voix et ce n’est pas notre ami, c’est…

Soudain un sifflement aiguë et horrible à l’oreille se fit entendre devant eux, et l’air se mit à miroiter, à se troubler d’une façon incompréhensible et inquiétante.
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