[conf. Sang][Histoire des Lys]L'homme oublié

C'est dans la profondeur d'une vallée d'Echoriath, là où neige et vent se confondent pour former un paysage glacé que se tenaient deux personnages, l'un face à l'autre. Le premier ressemblait à un jeune homme aux cheveux d'ébène, au front cerné d'une couronne d’où brille comme un soleil une améthyste triomphale. A ses pieds un lion grognait, les crocs sortis et les yeux injectés de sang. Le Prince était immobile, en face de la seconde Immémoriale du Sang, Cassiopée. Elle trainait dans d'habituelles brumes qui rendaient les contours de son corps indistinct et son regard de lumière se mêlait à l'éclat de la glace qui dormaient sous leurs pieds. Face à face, ils se regardaient comme s'ils attendaient quelque chose. Et le soleil derrière décroissait lentement, prenant son temps et ses aises sur le paysage blanc. Jusqu'à ce que l'un se décide et qu'une tempête surgisse brusquement des airs, noir œil drapé de gris sans même un nuage pour lui donner jour. Et c'est de plein front que les vents s'abattent sur le Prince qui reste imperturbable. Pour seul réponse, un mur de glace jaillit du sol et s'oppose, seul, contre le vent. Un moment les deux forces s'affrontent dans une tension extrême avant que le mur ne se fissure et ne se rompt. Sur les lèvres de Cassiopée un sourire se forme tandis que le Prince réplique par une légère mimique de dédain.

- Ne te réjouis pas trop vite, je n'ai que faire d'un pan de glace, mais ce qui reste intéressant à ce sujet, c'est ce qui peut exister dedans.

A peine eut-il temps de finir sa phrase que les éclats givrés se transforment en poignards et dans l'explosion de mille pointes acérés l'eau contenue, jadis prisonnier se déversa tel un flot incontrôlable. L'eau mue par l'âme du prince se transforma en une boule de puissance qui se jeta à corps perdu dans le remugle des vents, faisant plier chaque espace de sa rage tandis que plus discrètement dans un temps infiniment plus court les éclats de glace traversèrent l'espace, épargné du vent contraint à repousser le flot invasif, et se fichèrent à quelque mètres derrière la Protectrice, lui arrachant deux éraflures aux visages. La décomposition des essences, leur transformation et leur évolution, c'était un des fondamentaux ; le don divin qui permettaient aux Immortels d'être au dessus des races connues.

De l'eau suintait désormais une légère vapeur qui tombe goutte à goutte au sur le sol gelé tout en gardant sa forme brumeuse. Le silence était retombé sur la scène. Les deux personnes se regardaient , les yeux dans les yeux. Et un brouillard épais les enveloppa, faisant disparaître les deux protagonistes dans une nuit de vapeur.

Une brume aussi blanche qu’opaque s’était étendue sur le fond de la vallée. Elle recouvrait les silhouettes et leurs ombres comme un linceul ses morts. Dans ce brouillard silencieux, la vie devenait indistincte et intouchable.
Ce mur de vapeur saturé d’humidité emprisonna Cassiopée comme une gangue qui suivait chacun de ses gestes, chaque regard. Sa respiration était gênée par la densité des gouttelettes aussi serrées qu’une toile cherchant à la bâillonner.
Mais ce brouillard n’était pas de ceux que les vents peuvent chasser, même sous l’impulsion d’un pouvoir surnaturel, sans risquer l’affrontement décisif.
Au-delà du nuage de vapeur, elle percevait le crépitement inaudible de la magie et savait que Sanz veillait, quelque part, là où elle l’attendait le moins, paré au combat. Il était prêt à anéantir ses efforts de libération. Elle savait que les pouvoirs du Prince du Sang étaient grands et il avait choisi de se rendre invisible.
Cassiopée ne sentait plus le lien sanguin qui les unissait. Cette solitude dans laquelle était tout à coup plongée son âme la perturbait. Elle cherchait comment retrouver le contact avec lui afin de l’atteindre et peut-être le vaincre.
Les yeux ouverts sur l’immense vide blanc qui la recouvrait, elle livrait tous ses sens à la recherche. Elle les concentra sur le brouillard en lui-même, sur le crépitement perceptible par ce sixième sens que seuls détiennent les Maîtres de théurgie.
Le signe qu’elle cherchait lui apparut alors comme un feu délivreur. Il lui apparaissait telle une mathématique bleue sur le livre des cycles.
Sanz avait omis de songer à l’empreinte magique que la déformation d’une essence laissait sur son chemin.
Cassiopée lut dans la gouttelette le cheminement surnaturel qui l’avait menée à sa condition d’eau. En remontant à contre-courant la progression de la transformation, elle atteint le moment crucial où l’échauffement avait transformé la glace en eau. Elle évita la boule de puissance qui l’avait foudroyée de cristaux en se serrant près du contre-courant qui longeait le déferlement de magie. Elle remontait lentement le trajet suivi par la composition de la matière qu’avait impulsé le pouvoir de Sanz. Les traces étaient un chemin présent dans chacune des particules de manière infime mais parfaitement lisible pour La Dame du Sang pour qui la modification d’un schéma essentiel était acte aussi courant que la parole. Elle lisait la trace de Sanz comme un chien suit l’odeur de sa future proie.
Enfin, elle sentit sa présence.
Son attaque fut aussi preste que le coup d’un fouet. Le vent siffla avec une force que les tempêtes n’usent pas. Il gifla la joue du Prince des cinq doigts de la magie au moment même où les pieds de l’ange furent fauchés et ceinturés, murés par la pression atmosphérique.

- Je te trouve bien empoté aujourd'hui, Sanz. Tu ne devrais pas garder les deux pieds dans le même sabot.

Consciente que le vent qu’elle avait utilisé menait directement Sanz vers elle, elle s’apprêta à subir la riposte de ce dernier.

Second fondamental. Les essences, la magie, ont toujours une source, un amont brillant qui éclaire celui qui use et abuse.Le vent frappa brusquement le corps du Prince qui resta immobile. En des temps anciens, et pourtant plus modernes qu'aujourd'hui il lui avait fallu apprendre à prendre les coups. Deux estafilades de sang se formèrent sur ses joues tandis qu'Anwen grognait à ses côtés. Naturellement, de la même façon que Cassiopée l'avait trouvé il remonta le fil des essences, mêla son esprit au vent, le tordit par sa simple présence, brisant la cours de son vol. Lentement les brumes s'évaporèrent tandis que se formait dans la main de Sanz un Arc de vent chargé d'une flèche d'eau. Dans ses yeux, l'ombre du sang faisait fleurir des miroitement pourpres jusque dans son iris. Il parla lentement, dans un éloquent murmure qui résonna d'écho en écho au creux de la vallée:

- Au moins n'as tu pas oublié cette leçon. Passons au stade suivant. Comment éviter ses propres sorts.

Dans ses mains, la corde venteuse de l'arc se banda et tandis que la flèche se décocha brusquement une onde de vent accompagne la pointe de pluie. Cette dernière fila à une vitesse redoutable vers sa cible, soulevant sur son passage les reliquats d'essences vaporeuses, les cristallisants autour d'elle comme une carapace fine et tranchante. A la fin ce fut une flèche enveloppée d'une armure tranchante de glace qui défia les réflexes et les pouvoirs de Cassiopées. Quand elle voulut envelopper d'une couche de vent protectrices, ceux ci restèrent immobile, comme dépossédés. Sur les joues de la Protectice, deux symboles noirs s'étaient formés autour des blessures. Deux fleurs noires.

La flèche lancée par Sanz destinait à son adversaire une pluie glacée porteuse de nuit et de brûlure. Sur chaque éclat de glace qui se précipitait à vitesse vertigineuse vers Cassiopée, elle pouvait y lire la combinaison astucieuse dont seul Sanz détenait la clé. Sa propre magie lui revenait en pleine face, mais usinée et tordue jusqu’à la rendre méconnaissable. Jamais les sphères protectrices qui l’enveloppaient ne pourraient résister à l’assaut.

Sanz ne perçait pas ses boucliers, il les rendait inefficaces en fondant son attaque sur la reconnaissance intime de la protection. Les boucliers n’avaient pas pour vocation de protéger Cassiopée d’elle-même.

Toutes ces pensées qui bourdonnaient dans l’esprit de Cassiopée s’échafaudaient plus vite que la vitesse de la pluie qui allaient s’abattre dans l’instant sur elle.
C’est en prenant conscience de la torsion et de ses dangers qu’elle lança un mot dont la sonorité évoluait entre la syllabe et la combinaison inusitée de consonances inconnues.
La formule poussée eut un effet invisible aux yeux d’un spectateur qui aurait pu contempler le combat. La pluie s’abattit sur Cassiopée, à peine détournée par son bouclier de puissance.
Deux éclats s’étaient fichés dans sa joue, là où l’instant auparavant deux estafilades montraient le chemin.

L’incantation brève et péremptoire avait pourtant eut le pouvoir de disloquer ses propres vents de magie, de les disperser au sein de chaque éclat jusqu’à les rendre méconnaissables. La dispersion avait été si totale qu’elle devenait illisible, se contentant d’être évocation. Sous le sceau de l’ombre, les fleurs marquait les joues de Cassiopée mieux que le fer rougi.
Sans connaître les suites de l’assaut que Sanz lui réservait, Cassiopée choisit de riposter :

- Cette leçon que tu me donnes est douloureuse. Elle pourrait être mortelle sur autre que moi qui suis Gardienne Protectrice dans le Sang.
Connais-tu le miroir des sorts ?

Au fond d’une vallée perdue dans les hauts sommets d’Echoriath, le corps de la Dame des Etoiles s’illumina de rais de souvenirs dont les cieux sont seuls témoins. Ils dégageaient une chaleur intense et bientôt une onde brûlante mena une ronde spiralée autour de Cassiopée.

Comme un ressort trop tendu dont la tension contenue est trop forte et devient insupportable, il se relâcha. Sa course, en ligne droite et directe, cibla la face de Sanz. Il entraina dans son sillage une onde lumineuse qui vint se planter violemment sous le regard du Prince.

Là où les doigts de la magie avait griffé la peau, un reflet éclatant prenait l’allure de deux éclairs de feux.

Troisième fondement. Le Miroir des sorts. La trombe de lumière filait droit sur le prince telle une force de colère jusqu’à toucher, non son visage mais la lame brillante d’Anwen qui s’était brusquement interposée. Debout entre le Prince et le feu, l’arme plantée dans ses mains, elle opposait une pression inverse, empêchait la lumière d’atteindre son Maître. Pour seule réponse, Sanz lui décocha une gifle monumentale qui l’envoya au sol tandis qu’il murmura :

- Crétine. Ceci n’est pas ton combat. Reste dans ton coin.

Enfin la douche de lumière brûlante le toucha et il s’embrasa. Seul restait dans l’air que le lent apaisement des éléments. On eut cru la fin de l’histoire, jusqu’à ce que les fleurs ardoranes sur les joues de Cassiopée virent pousser un pétale de plus à leur dessin. Germa de la quiétude la voix du Prince dans un lent murmure :

- Les Ardorans étaient des Princes remarquables de l’Alcyne victorieuse. Empire faste, commandé par un Pouvoir si étrange qu’il n’était accordé qu’à ceux dont l’âme pouvait supporter les lointains chants des Réminiscences. Plutôt que de chercher la mort de leurs ennemis dans des affrontements qu’ils méprisaient, ils se contentaient d’affaiblir par d’infimes blessures, taillades de misère en certaines parties du corps, puis d’éveiller dans le sang qui jaillit des plaies des sombres sceaux plus dévastateurs que les lames elles-mêmes. Ce sceau en particulier est d’une finesse et d’une grâce extraordinaire. A chaque nouvelle combinaison essentielle, à chaque débauche d’énergie nouvelle, dans la construction, dans la dislocation, et même dans l’absence, les fleurs ardoranes copient le sort ciblé puis le scellent...empêchant dès lors une éventuelle redite. On les appelait poétiquement les fleurs de l’Originalité mais concrètement ce sont des verrous qui s’activent peu à peu jusqu’à priver la cible du moindre souffle essentiel... . Miroir des sorts? Mes fleurs lisent en ton sang mille ans de mémoire. A chaque nouvelle originalité un nouveau pétale nait sur tes joues.

Soudainement à la place du Prince s’éleva la même trombe de lumière qui l’avait touché tandis que Sanz sortit de l’ombre à nouveau. Sur son visage les marques de brûlure étaient sévères mais il semblait peu s’en soucier. Les sceaux avaient un autre avantage, plus discret. elles permettaient en lançant leurs racines essentielles dans le sang de leur adversaire de lui voler une maigre partie de ses résistances naturelles. Il passa les mains sur son visage et arracha en frottant la peau qui s’en allait dans un vent de poussière.

Combat d’immémoriaux.

Sanz, seul dépositaire des Sceaux Ardoran, utilisait le pouvoir Ancestral contre l’Equilibre dont était gardienne la Dame Protectrice du Sang.
Les fleurs ardoranes s’enracinaient dans la chair de Cassiopée. Chaque pétale ouvert verrouillait une part de sa magie. Cassiopée savait que le pouvoir du Prince gardien finirait par avoir raison de ses enchantements, à moins qu’elle soit à même de supporter les chants des Réminiscences.
L’Humain est ainsi fait que sa dépouille est destructible mais porteuse d’Esprit. Cet Esprit dont se pare l’humanité. Mémoire temporelle.
Dans le cas de Cassiopée, l’Esprit concevait la matière et sa chair était chargée de magie. Son essence, de part sa création était un subtil mélange de chair, de divination et d’Esprit. Equilibre divin soumis au pouvoir des Etoiles.

- Tu utilises les sceaux Ardoran pour m’empêcher d’utiliser les Vents. Mais toi aussi tu es touché par le troisième fondamental. Ne sens-tu pas ta chair se consumer ?
L’Eclat de Vriga évolue en toi maintenant. Lorsqu’il atteindra tes organes vitaux, ta voix s’éteindra. Il croit à l’égal du nombre de sorts scellés. A chaque pétale ouvert, il se mêle un peu plus à ton sang et allume un feu qui meurtrit la chair qui te rend accessible à l’Humain.
Je ne te toucherai pas plus d’aucun sort. Je préfère laisser le miroir des sorts qui te regarde se jumeler à ceux que tu diriges vers moi.
Libre à toi de m’atteindre encore. En m’atteignant, tu allumeras d’autres feux qui t’annihileront comme tu me détruiras. A moins que….

Cassiopée avait parlé haut et clair. Consciente que l’instant était soumis aux volontés.

Le miroir des sorts avait rongé ses sceaux, les avait copié, et maintenant c'était deux êtres incapable du moindre sort sous peine d'imploser d'ombre ou de lumière. Un moment le prince resta indécis, il avait senti les vents tourner. Il n'étais pas dépassé par les événements, seulement vaguement surpris. Il avait rarement l'habitude d'être surpris. Anwen feula légèrement à coté de lui. Il compris ce qu'elle voulait et il était d'accord. il était temps de passer aux choses sérieuses.

Une onde de lumière frappés de vent d'ombre les entoura. Il ne pouvait le faire qu'une fois, et il était probable que les fleurs de lumières dans son corps allaient s'épanouir avec force et conviction. Sa main rejoignit le fourreau de sa lame, puis il sortit Azräael et la planta au sol. Une onde de puissance se dégagea du point d'impact qui ébranla l'espace. Puis quand les vent se dissipèrent , en lieu des deux être ne se forma plus qu'un. Sur le front de Sanz, l'opale brillait comme un feu tandis que dans son dos, il n'y avait pas deux ailes mais une seule si grande qu'elle plongeait la silhouette dans l'ombre. Un léger rictus de dédain se forma sur les lèvres du Prince

J'avais oublié que nous n'étions plus beaucoup pour fusionner. Veuillez pardonner cette nouvelle forme mais il y a certaines choses qui changent, et d'autres non...

Comme un vent furieux il sembla s'envoler pour disparaître dans le dos de Cassiopée et lui infliger une taillade. la Protectrice hurla sous la douleur et s'effondra en avant. Une deuxième taillade accompagna la première. Autour du Prince, des pétales rouges des réminiscences volaient dans un lent ballet. Il était à nouveau presque lui même et l'air lui emplissait ses poumons. Sur sa peau les traits de lumières des fleurs de contresort s'étaient tellement répandues qu'elles jusqu'au bout de ses doigts. A défaut de pouvoir continuer d'éveiller les élements pour combattre à sa place, il avait mu en guerrier du Sang, forme originelle de son être. L'absence de son âme humaine lui donnait plus un air de Démon que de Prince mais en contrepartie ses pouvoirs s'étaient affinés, libérés de tous les jougs et contrôles qui l'obligeaient a se réfréner. Le Pouvoir du Sang irriguait pleinement ses veines et l'enivrait. Désormais, il était prêt.

Le Sang contre le Sang et pour le Sang. Toujours plus loin, toujours plus dur, dans l’espoir d’atteindre le cœur du vivant, connaître ses limites et devenir une lame plus tranchante et effilée. Jusqu’où irait l’épreuve? Cassiopée réussirait-elle à préserver l’équilibre si précaire dont elle était la garante ?
La transformation de Sanz empestait l’aliénation. Le démon dont la fusion des âmes était la résultante puisait sa force dans le Sang dont le prince était le porteur.
Dès son apparition, Cassiopée prit peur. Sanz ne pouvait pas être l’objet d’une possession d’un démon commun. Il ne pouvait avoir fusionné qu’avec une puissance démone capable d’utiliser le pouvoir des milliers d’âmes qui le peuplaient. Jusqu’à quel point en était-il le maître ?
Elle n’eut pas le temps de réagir avant qu’Azräael ne lui tranche la peau sans profondément pénétrer les chairs. Un second coup suivit dans l’instant. Cette fois-ci l’épée se planta traitreusement dans son dos et s’enfonça vers les organes vitaux. La douleur qui l’assaillit fut si violente qu’elle s’effondra, le souffle coupé, incapable du moindre mouvement. Elle cherchait son air qui ne venait pas et bientôt, elle perdit conscience.

Mais la conscience de Cassiopée ne pouvait se perdre longtemps. Elle voyagea instantanément vers l’immensité des Cieux sans se soucier de barrière magique ou de quelconque bulle d’expérimentation. Elle se logea sur le trône d’une reine stellaire, car telle était sa place. Là, installée parmi les étoiles de la Constellation de Cassiopée, elles contemplèrent ensemble le corps de leur Dame effondrée sur le sol.
Le temps n’a pas lieu d’être dans l’Espace, ce qui était hier sera demain.

Le corps de la Dame se couvrait d’ombres sombres, fleurs dont les pétales s’ouvraient sur des cœurs de peur. Elles formaient sur son visage et ses bras nus une ramure sombre.

Dans cet instant pétrifié, le ciel se figea dans un noir issu du Néant Profond. Sa pureté était intégrale. Mais au sol la pluie tombait ; une pluie de poussières d’étoiles qui recouvrit le corps inanimé de Cassiopée.

Tu ne peux pas rejoindre ton corps.

La réponse fut sans appel, porté par l'évidence même du type de combat que Cassiopée avait mis en branle. Jamais les règles des sorts en miroirs ne cessaient d'imposer leur système tant que l'un des partis n'étaient pas épuisés, détruit par l'absence totale de magie. Et ce même carcan, ce voile qui supprimait pas à pas leurs capacités les avaient enfermé dans un linceul. La magie ne pouvait plus pénétrer. C'était une évidence. Peut être que la Protectrice l'avait oublié. Dans le même temps, elle devenait, tant décomposée qu'elle était partout et nulle part, intouchable : insaisissable lumière dans l'espace.

Il s'assit lentement en diamant, déposant son arme face à lui sur le sol. A défaut de pouvoir faire quelque chose il attendait. Autour de lui les fleurs se baladaient en d'élégants voltiges. Son unique aile s'était replié dans son dos, trainant son long ramage jusque dans l'herbe calcinée tout autour de lui. Ses yeux se fermèrent doucement, lentement il se concentra sur le savant code des sceaux Ardorans, comme pour les éprouver chacun.

Il savait que ces sceaux détruisaient la moindre réplication essentielle, mais il n'en était peut être rien d'un tout autre Pouvoir. Le Pouvoir du sang n'était pas issu des essences, ni du monde. Il était un don, un tout autre sens de la magie. Confiné dans le flux de vie des Vivants, comme l'empreinte précise de la mémoire et de sa survie, le Pouvoir du sang répondait à d'autres règles, d'autres dieux que les Ardorans ne connaissaient pas forcément. et il compter tirer profit de cette omission.

Lentement, au fond de sa conscience, il laissa ses âmes se confondre dans la recherche du Sang qui les unissaient tous. Au sein de son arme, les voix des morts se soulevaient à mesure qu'il plongeait dans sa mémoire. Effleuré par le sombre cri du Prince, les hérauts d'autre temps se réveillaient, prenant part au voyage comme des visiteurs. Il se passe un long moment, probablement de longues heures, jusqu'à ce qu'il touche enfin à son but.

Les Ardorans avaient su enfermer la Magie des Essences, si profondément que plus un Sorcier ne pouvait les effrayer. Oui mais les morts et les vivants partagent un autre secret, bien plus terrible : Celui de la mémoire.

Les yeux du Princes passèrent du rouge sombre au violet éclatant, son aile se déploya brusquement tandis qu'il se releva et dans un bond prit son arme au vol pour se jeter sur le corps inanimé de Cassiopée.

Le prince du Sang se déplia dans une soudaine seconde qui s'éternisait.

Chaque bribe du mouvement allongeait le temps et le corps de Sanz se déployait avec lenteur dans l'insupportable tension d'une durée qui se perd.

Les yeux de Cassiopée s'étaient fermés sur le monde qui l'environnait. Elle n'était plus qu'une conscience. Seul son corps meurtri laissait une trace sur le sol.
Deux entailles maculaient sa peau blanche, bleuie par le mal. La plus grande des deux laissaient s'écouler un sang pourpre. Le liquide s'étalait lentement sur le sol. Il imbibait la terre et percolait dans ses entrailles sans se soucier du monde. Il s'échappait du corps abattu.

Le Sang dont la chair de Cassiopée était porteuse s'imprégnait de la mémoire de la Terre. Sur son passage, il laissait la trace indestructible de la révélation d'un lien unissant le vivant aux morts, la lumière à l'ombre, le passé au futur, la parole au silence.
Il se chargea de l'eau du sol comme des larmes du dormeur. Il emmagasina l'énergie métallique du substrat acide et s'accorda aux ondes bruissantes que charriait la lave ardente du cœur terrestre.

Comme autant de gouttes onctueuses et veloutées, le liquide rouge sombre s'assembla dans le silence de l'oubli, dans la nuit noire d'une prison qui ressemblait à une tombe.
Bientôt, à quelques pas de Cassiopée se forma une mare de Sang. Le Sang attirait le Sang et la résurgence formait un petit jeyser dans la flaque.
Celui-ci monta doucement et se mit à murmurer sa chanson au vent.

La nuit avait empli le ciel et les étoiles veillaient.
La poussière d'étoiles s'était répandue sur le corps de leur Dame comme pour voiler la nudité crue et mordante de la perte.

Soudain la voix d'Issac sembla sortir du Néant.

-Regarde bien, Sanz. Toi , qui est le détenteur d'une prophétie. Ne vois tu pas ce que crée à ton insu le monde qui t'entoure ? Il est ta paix.
Sort contre Sort. Mais jamais Sang contre Sang. Dans le Sang, la mort est porteuse de vie dans un lien infini et doux. A jamais ininterrompu.

Le jeyser s'était élevé vers l'arme à présent dressée prête à s'abattre une nouvelle fois et la forme d'un homme aussi nu qu'un vers se dessinait dans les reflets rouge du sang.

La forme d'un homme recroquevillé comme un nouveau né se dessinait dans le sang. Un bref instant le prince, les yeux rivés sur la flaque rougeoyante qui commençait à faire des bulles comme si elle était en train de bouillir, était comme pétrifié. Les formes devenaient de plus en plus précises.

Soudain, un cri effroyable fit trembler la vallée d'Echoriath. Partout autour du Prince et de la mare de sang, la neige se mit à monter vers le ciel, elle tombait vers celui-ci, comme si l'apesanteur était inversé. Le corps formé par le sang, toujours recroquevillé, se mit à léviter laissant trace de sa forme au milieu du sang qui s'écoulait déjà lentement dans celle-ci. Une goutte s'envola, se mit à gonfler comme une bulle tout autour de l'homme, protectrice et fragile à le fois. De celle-ci sortit deux filets de sang : un se dirigeant vers le corps de Cassiopée et l'autre vers Sanz qui n'osait ni bouger ni même dire mot. Le premier filet alla se nourrir du corps de la Dame aux étoiles, pompant les traces de l'énergie, la magie, la bonté et la sagesse de son corps sans vie. L'autre , plus lent, rampait tel un serpent vers le prince qui restait fixé sur la bulle de sang. Le fil de sang contourna la lame avant de se planter dans la jambe du prince qui ne ressentit aucune douleur, pompant une partie de sa force, sa magie, ses pensées mais aussi sa colère.

Après quelques secondes qui parurent durer des heures, les flocons retombèrent vers le sol et il y eut un bruit sourd dans la membrane qui entourait le corps formé dans le sang de Cassiopée. Les filets se brisèrent et la bulle commença à se casser tel du verre. Une brèche se forma libérant une lumière aussi intense que tous les soleils de l'univers. Un cri aussi puissant que si une étoile avait explosée dans la vallée en sortit. La lumière s'estompa quand une main vint toucher le bord de la brèche pour casser un peu plus la bulle et pouvoir sortir. Chaque morceau qui tombait disparaissait dans l'univers. La membrane de sang finit par se briser laissant un homme entièrement nu apparaître aux yeux du Prince du Sang qui n'avait pas cligné des yeux une seule fois.

Les yeux de l'homme ne voyaient pas. Enfin du moins ne voyaient pas comme ceux des autres...il était aveugle. Ses sens lui faisaient voir le monde sous une autre dimension plus élaborée, il voyait tel que le Sang lui avait imposé de voir, tel que l'espace qui l'entoure était réellement. L'homme ressentait une atroce douleur dans tout le corps. Il sentait le sang de la Dame aux étoiles et du Prince se glisser dans ses veines comme des lames. Il pleurait.

- Tu es Lis. Tu es né dans le Sang. La mort dans le Sang t'a amené à la vie

Sans s'en rendre compte, il répéta cette phrase de vive voix à la première personne du singulier à Sanz, d'un ton presque provocateur. Celui -ci caressait sa lame, les yeux fixés sur le nouveau né. Lis se pencha vers le corps inanimé de Cassiopée, la prit avec tendresse dans ses bras et lui fit un baiser.

Elle se recomposa lentement tandis que l'homme de Sang la tenait sous son aura suintant la puissance du Pouvoir qu'il sentait gronder en lui tel un orage prêt à éclater. Ce ne pouvait être les sceaux Ardorans qui avaient fait preuve d'un peu trop de zèle dans leur manège. A moins qu'il en ait sous estimé leur puissance. Une seconde, il hésita, tenant son arme avec une main légèrement fébrile, jusqu'à ce qu'il discerne dans le courant sanguin de l'être sans corps le symbole d'un oeil sombre au niveau du coeur. Finalement, c'était peut être cela : une éclosion ardorane, la naissance d'un monstre sur le fruit de près de mille ans d'études. Ils s'étaient tant acharné à détruire toute trace de magie en eux qu'ils s'étaient épuisés à se détruire eux même, pour renaître sous une autre destinée - sous une autre harmonie, fusse t-elle plus terrible que leur précédente.

Le Prince leva son arme et lança un trait mental de la pointe de la lame qui vient exploser et se disperser au contact de Lis. L'attaque aurait tué un homme, aurait tué même quelque démons un peu faible, mais visiblement elle n'arrivait même pas à entailler sa cible Avec un léger rictus de mépris il murmura :

- Si c'est une invocation, elle n'est pas faite pour durer. Autant la laisser mourir de son propre fait.

Cassiopée ne connaissait rien des Ardorans et il n'avait pas envie de la mettre au courant. Si c'était réellement le cas, d'autres problèmes allaient surgir qu'il n'avait pour le moment pas envie d'affronter. La fatigue s’immisçait en lui telle une vielle maladie. Il avait besoin d'un long repos. Se retournant il traversa la vallée dévastée et s'éloigna silencieusement.

Lis entendit un bruit et ressentit instantanément une petite douleur mais ne comprit. Il vit le Prince lui tourner le dos et disparaître au loin, ne devenant plus qu'une forme imprécise. La douce caresse du vent lui donnait des frissons , lui rappelant sa nudité. Il ne comprenait pas ce qu'il faisait ici, il voulait juste aider cette femme, il le voulait plus que tout au monde. Une vive douleur à l'épaule faillit lui faire lâcher la Dame aux étoiles, il n'avait pas les bras assez solides, même pour porter une femme. Il la déposa délicatement sur l'herbe, se releva et fixa l'horizon. Sa vision n'était pas commune à celle des autres êtres de ce monde. Ses yeux aveugles étaient d'un rouge vif. Dans le fond de ceux-ci quelque chose bougeait, une forme qui était en train de se modeler, lentement, très lentement. Il ne voyait pas les arbres avec un tronc et des feuilles, il ressentait leur forces, la vie qui les habitaient. La neige n'était pas blanche, il voyait chaque flocon sous toutes ses formes, sous tout ses détails et plus encore. En chaque chose et être de ce monde, il ressentait sa peur, sa colère, sa sagesse, il discernait toutes les faces cachées de ceux-ci. Leur douleur était sienne, leur bonheur entré en lui, il se nourrissait de leurs émotions. C'est ce que le Sang lui avait offert, c'était ainsi qu'il était, lui Lis, né du sang de Cassiopée et du Prince du Sang. Son cerveau était capable d'analyser les choses qui l'entouraient à une vitesse folle. Il voyait couler le Sang dans les feuilles des arbres, dans l'eau, le feu, la terre...dans tout.
L'homme de Sang se sentit fort et faible à la fois, il était frais comme un nouveau né mais tout aussi perdu que l'est un bébé. Il voulait aider cette femme qui lui paraissait merveilleuse. Contemplant la hauteur de son impuissance, une larme perla le long de sa joue.

- Ne pleure pas fils du Sang. Tu sauras trouver la voie. Fais confiance à tes émotions et à tes sens. Laisse toi guider mon Fils, tu es des nôtres désormais.

Une sombre colère gronda en lui. Comment pouvait-il être aussi lâche, aussi faible ? Il s'en voulait d'avoir, l'espace d'un instant, laissé le désespoir s'emparer de lui. Ses yeux rouge vif devinrent si brillants qu'un être faible croisant son regard deviendrait fou ou finirait par mourir dans d'atroce souffrance. Et soudain, il fut effrayé...par lui même. Pourquoi cette sombre colère ? Il ressentit la puissance de Sanz. Un feu inconnu brûlait en lui, le même que le Prince, peut-être même pire. Il voulait en avoir le cœur net. Il laissa Cassiopée et alla chasser le gibier dans le bois voisin. Après quelques minutes, il vit une biche en train de s'abreuver à une source. Son cœur battait à une allure folle, il ressentait le calme qui habitait l'animal, il ne voulait pas lui faire de mal. Il se releva et s'approcha doucement. La biche le vit et fût comme pétrifié en croisant son regard. Lis s'approchait. Vingt pas le séparait de la créature. Dix pas. Elle ne bougeait pas. Cinq pas. La biche, soudainement, se mit à hurler, recula vainement, ses yeux devinrent rouge étincelant et elle s'écroula. Elle était morte. L'homme se précipita vers l'animal mais il comprit vite qu'il était trop tard. Sont regard l'avait tué, il le savait. Il resta à côté de la biche pendant des heures, à pleurer toutes les larmes de son corps. La douleur qu'avait ressentit cet être avait été trop forte, il avait souffert tout autant qu'elle. Pris de colère, il retourna à l'endroit ou ce trouvait la Dame aux étoiles, arracha un bout de sa manche et en fit un bandeau qu'il mit autour de ses yeux.

Ses sens aiguisés perçurent un craquement de branche au loin, il était prêt à tout pour défendre le corps de Cassiopée, quitte à y laisser sa courte vie.

De la mémoire nait la force de vie. Du Sang s'écoule la mémoire harmonique. C'est un chant violent qui arrache le ventre et bouleverse la conscience des êtres.

Les étoiles couvaient le corps de Cassiopée dont le Sang s'écoulait.
Elles protégeaient les forces intérieures projetées vers l'ailleurs.
Elles guidaient le souffle de vie pour qu'il ne s'égare pas.

Le dragon tatoué, cernant le sein gauche de la Dame des étoiles s'étalait sur sa peau blanche.
Le dessin grandissait au fur et à mesure que le fluide s'échappait, cherchant la voie de la résurrection.

Les poussières d'étoiles effleurèrent les sceaux ardorans quand le Sang à leur côté bruissait de lourds bouillonnements. Ils formèrent un poing gigantesque qui explosa vers le firmament, libérant un souffle extraordinaire. Le vent céleste fut une bouffée d'air dans le corps agonisant de la Dame des Etoiles. Il s'insinua dans ses veines guidant le flux du Sang à présent chargé d'une vie supplémentaire.

L'être égaré aussi nu qu'un ver qui prenait Cassiopée dans ses bras était né de la matrice unissant la mémoire de la Terre nourrie du fluide Sanguin et du feu stellaire. Cassiopée ouvrait lentement les yeux sur un homme oublié des dieux dont les yeux bandés laisser percer l'embrasement d'une fournaise venue des cieux.

Alors que le monde reprenait sa place, autour de Cassiopée l'air scintillait au reflet de sa peau luisante de lumière. Le silence total les environnait à présent.

Le crissement des branches écrasées surgit comme un signal de danger.

Lis sentit un pouvoir grandissant. Renaissant. Mais cette branche qui venait de craquer l'inquiétait, il ne savait plus vraiment quoi penser. Il ressentait la force de la Dame aux Etoiles. Des bruits de pas dans l'herbe au loin. La force de Cassiopée grandissait à chaque seconde, il pensait que ses sens le trompait. Il avait mal. Le coup de Sanz l'avait affaibli, il n'était encore qu'un nouveau né. L'homme de Sang paniquait, il faillit perdre le contrôle de lui même quand la voix, calme, douce et reposante intervint pour le guider, une fois de plus, vers le chemin qui était le sien.

- Reprends ton calme, laisse toi guider par l'instinct qui t'a été légué, sens le pouvoir couler dans tes veines, inonde toi de sa force.

Il desserra les poings, laissa retomber doucement ses épaules, prit une grande inspiration et s'assit en tailleur. Il sentait le cerf aux cornes immenses s'approcher vers lui d'un pas léger, presque inaudible. Sa taille dépassait l'imagination, il aurait pu aisément coucher le grand et solide chêne qui se trouvait à quelque pas. L'animal le fixa de ses grand yeux bleu azur. Ceux-ci paraissaient émus à la vue de l'homme. Lis se leva, doucement, arracha une touffe d'herbe qu'il offrit au cerf. Celui-ci recula d'un pas et se prosterna devant le fils du Sang. D'un pas si léger que l'herbe ne semblait pas bouger, Lis tendit la main et toucha le bout du museau de la bête. A l'instant même ou ses doigts le touchèrent, le Cerf éclata et se transforma en une épée de lumière qui vint le transpercer. La douleur fût violente, il crut que sa courte vie prenait fin à l'instant, que c'était une ruse d'un être maléfique qui avait porté ses fruits. Et puis au bout de quelque secondes, la douleur laissa place à une sensation vraiment agréable, presque soporifique. Il sentait une puissance bienfaisante en lui, protectrice, solide et fragile à la fois. Délicate et brutale. Calme et violente.

- Je suis Fëanturi, maître des esprits. Je t'attends depuis toujours, toi et moi sommes liés depuis la nuit des temps. Ma vie je l'ai passée à t'attendre, à guetter le signe de ton arrivée. Nous voici enfin soudés. Nous ne faisons plus qu'un, tu es ce que je suis et je suis ce que tu es. Je serai ton ange gardien, ta monture, ton ami, celui qui te complète. En temps voulu tu sauras m'invoquer comme bon te semble Mais pour l'instant tu es trop faible, tu n'es pas encore conscient de la puissance qui t'habite. Je serai là pour guider tes pas, être l'épaule qui te soutiendra toujours, quoi qu'il arrive. Lis, fils du Sang né dans le Sang, je suis ton plus humble et dévoué serviteur.

Lis tremblait, cette pénétration en sont âme lui fit perdre beaucoup d'énergie. Sa vue se troublait et il eut juste le temps de voir Cassiopée qui venait vers lui avant de sombrer dans le néant.

Cassiopée s'était levée, portée par un sang renouvelé depuis les entrailles de la terre.

Elle s'était emplie du fluide chargé de la mémoire des tombes, du souvenir des êtres. Leur puissance était intense là où reposait le Sang.

Mais cette fois ci, le Sang avait réveillé une mémoire oubliée que Cassiopée n'avait encore jamais connue. Le sang pur de Cassiopée avait abreuvé celle-ci sur une terre ancestrale porteuse d'un ancien pouvoir.

La silhouette de Cassiopée se dressait plus haute, plus droite qu'avant sa renaissance commune avec l'homme oublié. Elle regardait impassible cet être perdu depuis les étoiles intégrer son nouveau pouvoir. Un pouvoir qu'elle sentait. Elle en mesurait la force et l'étendue, mais quand Fëanturi se présenta à l'homme, elle comprit.

Et elle lança son attaque comme un coup de fouet. Il claqua sur les épaules de Lis et emplit son esprit. Elle libérait la force harmonique contre le pouvoir trop ancien qui tentait de reprendre sa place par le biais de l'homme à l'âme perdue .

-Fëanturi n'a pas sa place dans le Sang ! Ferme ton oeil, Fëanturi ! Oublie cet homme ou oublie toi !

La voix de Cassiopée tranchait le silence de son ton métallique et péremptoire. Tout son être était à l'écoute du danger sournois qui lui faisait face.

Mais quelque part au fond d'elle même, elle savait que seule, elle n'était pas certaine ne pouvoir le contrer.

Dans l'air un orage claqua comme une sourde menace. Le visage du Prince se durcit, il tira son arme du fourreau majestueux et la tendit vers les deux qu'il avait abandonné tantôt. Une seconde, il entendit la voix de Cassiopée gonfler, et la seconde d'après il savait qu'ils n'étaient pas prêt de pouvoir affronter ce qui venait de s'éveiller. Une pensée l'effleura, pensée vieille de mille ans, avant que son arme ne s'envola dans les airs et tel la foudre frappa de plein fouet l'homme de Sang. Non, personne ne renaîtra des Abysses sans sa permission. Quand il parla ce fut une menace sourde et sans appel.

Ce corps ne t'appartient pas, Démon. Si tu ne veux pas que je brise ton âme dans la seconde même, tu ferais mieux de t'en aller rapidement.

Un hurlement se fit entendre tandis que l'arme du Prince brilla d'un feu noir jusqu'à embraser l'homme de Sang dans un étrange spectacle. Le sang se tordait, en ébullition, abimant, détruisant ou reconstruisant les sceaux qu'il dessinait sur toute sa peau. Ce que ne savaient l'homme c'est que Sanz changeait l'ordre des Sceaux et leur configuration pour éviter soigneusement la moindre emprise du monstre qu'il refusait de voir revenir. Et dans une souffrance infinie, le temps que le processus s'accomplisse, l'homme de Sang plongeait dans un bain d'acide, dans une mer qui rongeait son âme et son coeur, l'obligeant à rejeter au plus profond de lui même, jusqu'en des lieux insondables, l'ombre qui s'était approché d'un peu trop près.

Souffrance. Plus puissant que toutes les tempêtes du monde. L'âme de Lis divaguait un instant avant d'être déchirée en mille morceaux. Les sceaux se modifièrent complètement, l'esprit de l'homme changeait. Torture.
Le sang ne s'infiltrait pas dans la terre, l'herbe se desséchait. Les roches touchés fondaient comme neige au soleil. Peu à peu, le sang en ébullition reprenait la forme d'un homme. Le corps n'était pas modifié, seul une cicatrice partant du haut du torse allant jusqu'au bassin été apparue, effrayante à voir, marque du terrible porté par Sanz.
L'âme se recomposait dans le néant, s’entremêlant avec celle de Fëanturi qui tentait de lui happer sa conscience. Combat inégal entre un Maître et un Nouveau Né, la noirceur du rien assistait au monstrueux spectacle. Telle les racines d'un arbre, le maître des esprits planté sont âme dans la sienne, pompant chaque miettes de son être. Et puis soudain, alors que Fëanturi allait vider l'âme de Lis, le néant éclata. Partout des vagues de Sang pénétraient dans l'âme de l'homme. Une vague plus grosse que les autres enferma l'âme de l'esprit et l'emprisonna dans celle de Lis.

Grande bouffée d'air. Caresse de l'herbe. L'homme de Sang était revenu parmi les vivants. Il se releva brutalement, une chaleur si forte l'entoura et lui fit lâcher un cri de douleur.

- Vous ne pourrez me tuer, moi Fëanturi, maître des esprits. Ce corps sera mien et vous ne pourrez plus m'arrêter, ma haine sera le bourreau de vos âmes déjà miennes.

Sanz...Cassiopée. Les deux noms résonnèrent dans la vallée, avant que l'esprit ne soit enfermer dans le corps de Lis, condamné à être emprisonner en lui. A jamais.

De nouveau nu, aveugle mais remplis d'une force nouvelle, il se dressa devant Sanz et Cassiopée, plein de haine. Il fixa la dame droit dans les yeux. Celle-ci ressentie instantanément une terrible douleur, le regard de l'homme pénétrant violemment dans son âme. Lis ne se rendait pas compte qu'il était la source de la souffrance de la Dame aux Etoiles. Il recula, continuant de fixer Cassiopée, ne prêtant aucune intention au Prince, vers la forêt proche. Il ressentit la haine. Une haine grandissante.

- Fuis !

Cassiopée recula d'un pas sous l'assaut de la profonde Haine qui giclait des yeux de l'être né de son sang. Une Haine issue des profondeurs d'un monde inconnu d'elle et qui cherchait à lui nuire.
Ce pas en arrière lui permit de refouler la peur qui amoindrit la force émanant de l'individu. Sa silhouette sembla grandir lorsqu'elle avala la bouffée d'air. Elle formula une imperceptible incantation. Dans sa main gauche, la main de la fermeté, une longue corne torsadée fit son apparition. Elle luisait du même éclat lumineux que celui qui cernait la Dame du Sang.

- Fëanturi. L'homme que tu as choisi d'habiter est fait de mon propre sang. En dirigeant ta haine sur moi, tu le blesses d'une même balafre. Vois celle qui fend ton torse en deux , elle est la réponse à tes attaques mal placées.

En prononçant ces mots simplement destinés à canaliser l'attention sur l'homme, Cassiopée avait lentement levé sa corne, la présentant vers l'homme comme une supplique appelant le pardon.
Mais le geste qui ponctua la fin de sa tirade fut si bref et précis que le temps parut s'arrêter au moment de l'action. La corne s'abattit avec la précision de l'artiste pour se glisser parfaitement dans la plaie laissée par l'arme de Sanz.
Elle fusa entre les deux lèvres entrouvertes. Son chemin fut identique au premier coup donné. Mais sur son passage la blessure se referma hermétiquement.
Lorsque la corne sortit de l'homme, celui-ci paraissait indemne.

Mais la corne brillait maintenant d'un éclat mat et violent.

L'homme LIS avait baissé son regard pour suivre le geste trop rapidement exécuté. Il avait vu sa blessure disparaître comme par enchantement sans comprendre la raison d'un tel acte.
Les yeux de Cassiopée brillaient maintenant autant que sa peau. La Dame des étoiles écoutait le cheminement d'Azzraël, l'épée porteuse du passé que Sanz avait abattu sur l'homme. Elle entendait son propre sang éveillé qui tressait autour de ce chemin des méandres complexes en se mêlant au sang vieux.

Rien ne pourrait plus arrêter le processus de création.

Tremblant de toute sa personne, le nouveau-né était perdu dans un océan de haine et d'incompréhension. Celle qui, il y a un instant, était une source de haine, devenait petit à petit une source de bien-être, de calme. Palpant son torse, il ne comprenait pas ce sentiment nouveau pour lui. Il était né dans la haine, mais dans son sang coulait une douceur qui lui faisait tourner la tête. Il repensa au prince, ce monstre qui lui avait infligé cette terrible blessure. Pourquoi avait-il tourné sa haine sur cette dame ? Il ne savait que faire, il voulait la remercier, mais aucun mot ne pouvait sortir de sa bouche à cet instant.

Il eut l'impression d'avoir pensé pendant des heures, mais ce n'était que quelques secondes. Son crâne lui infligeait d'atroces douleurs, et à chaque seconde qui passaient, il voyait le monde plus clairement. Son corps absorbait les forces aux alentours, mais ce fluide ne touchait pas Cassiopée, comme par respect. Le cœur battant, il regarda cette femme qui l'avait aidé alors qu'il la détestait à l'instant. Dans sont corps, Cassiopée ressentit une agréable sensation dans ses veines, comme si on les lui caressés. Doucement, Lis reculait vers la forêt. Malgré ce geste, la Dame n'exprimait aucun sentiment dans son regard, et il avait peur que ce ne soit qu'un jeu pour lui infliger une autre blessure. Bientôt la douleur fut trop intense, il ne pouvait plus reculer. Son cerveau se développait à une vitesse folle, et ses organes le brûlaient. Sa vision devint sombre, il ne voyait plus que la feuille se trouvant devant son genou qu'il avait posé à terre. Il perçut un cri au loin avant de sombrer dans le néant.

- Ta douleur étanche ma soif, qui est grande. Chaque souffrance, chaque colère me rend plus fort. Tu seras mien.

Epoé avait plongé sa corne dans le corps de LIS. Elle avait tracé un chemin dans la chair de l'homme. Mais ce chemin n'était pas une simple trace. Il ressemblait plutôt à un enchevêtrement de particules lumineuses qui suivaient pas à pas celles qu'avait déposées Sanz en plongeant son épée dans le torse du nouveau né.
Elles se multipliaient comme une traînée sur la longueur d'une cicatrice invisible qui formait une barrière. Le corps de LIS était intérieurement partagé en deux parties bien distinctes.
Ainsi qu'un conglomérat vivant, le mur s'activait. Tout en se multipliant, les particules progressaient à vive allure vers les sceaux Ardorans. Le démon qui avait profité de la faiblesse de l'homme oublié se tenait là. Les molécules inconsistantes et empoisonnées déposées par Azraael, l'épée de Sanz, s'agglutinaient autour de lui Elles rongeaient lentement ses bases.

Cassiopée savait que la protection offerte par Epoé était inébranlable. Le démon ne pouvait la défaire. Mais LIS saurait-il l'utiliser pour survivre ? Quelle force mentale l'homme conservait-il ?

Dans l'esprit inconscient de Lis, une lutte sans merci se menait. Fëanturi, qui prenait à chaque instant un peu plus de forces, l'empêchait de reprendre connaissance.

- Inutile de te battre, je suis maître de ton corps et de ton âme. Je m'infiltrerais dans tes veines, et je souillerais tes organes. Tu es déjà mien Homme de Sang.

Les yeux rouge sang du démon brûlaient d'une passion destructrice, et l'homme se sentait de plus en plus faible fasse aux assauts du mal qui le rongeait. Il savait qu'il devrait trouver un moyen de contrôler cet être, ce virus qui était en lui. Soudain, tout explosa dans sont esprit et une lumière vint éclairer ses sens. L'emprise de Fëanturi semblait soudain moins forte, moins pesante sur l'âme de l'homme. Il pouvait enfin voir plus que les yeux du démon. Son corps était une sorte de drap noir fantomatique. Lis pouvait distinguer des centaines de bras qui était plantés, comme s'ils aspiraient des parties de sont âme. Deux grands yeux brûlaient, et complétaient parfaitement ce tableau de l'horreur. Le monstre était enfermé dans une sorte de cage brillante, mais ne semblait pas l'affaiblir.

- Fëanturi, tu as trop longtemps abusé de ma faiblesse. Je vais te remettre à ta juste place, jamais plus tu ne viendras troubler ma paix.

Dans la main gauche de Lis, une épée de feu apparue. Elle ne semblait pas réelle, comme si elle n'était qu'une invocation de sont esprit. Combattre le feu par le feu, la rage par la haine, le désespoir par la lumière. De par cette force nouvelle, l'homme trancha en deux le démon qui poussa un cri de rage qui déchira l'univers. L'esprit de l'homme explosa à nouveau dans un fracas titanesque, et il reprit connaissance.
Devant lui se tenait encore Cassiopée. La vue troublée, il aperçut ce qu'il devinait être un sourire sur sont visage. Sa main gauche le brûlait, et il savait que cette épée, qui croyait invention de sont esprit, était réellement apparue. Ce touchant le torse, il ne ressentait plus cette douleur affreuse au fond de sont cœur. Il s'était levé d'un bond et fixait la Dame. Après un instant, Lis lui tendait sa main pour là remercier, sans savoir pourquoi il faisait ce geste, ni quelle réaction elle allait avoir.

L'homme qui tendait la main vers Cassiopée avait vaincu. Il se sentait puissant. Un sentiment chevaleresque irradiait de lui.
Cassiopée ne se dirigea pas vers la main tendue. Elle se tenait devant lui, attentive mais ne lui adressa pas le moindre signe de bienvenue. Elle attendait.
Elle attendait car cet homme n'était pas achevé.
Elle attendait et observait.

L'homme fut réduit à abaisser la main tendue. Il avait baissé son regard vers cette main restée sans accueil et ne comprenait pas. Que faisait-il ici ? Qui était cette femme qui se tenait à ses côtés mi protectrice, mi combattante ?

La corne d'Epoé n'avait pas achevé son travail. En l'homme, une fleur s'était ouverte, résidu du pouvoir de Sanz, rose rouge encore en bouton. Lentement les pétales se déplièrent. Insensiblement, le temps accomplissait son œuvre. La fleur s'épanouit peu à peu. Un corps libéré du démon s'offrait à elle et les pétales naissaient là où l’œuvre démoniaque avait laissé place.
Nul ne pourrait dire combien de temps s'écoulait. Celui-ci s'était arrêté aux marges des palais du Sang. Une fleur naissait, chargée de la folie des hommes et de la jalousie des dieux, chargée d'un héritage qu'aucun homme ne pouvait supporter.

Bientôt le cœur de l'homme fut envahi et les effluves empoisonnées de la fleur prirent possession des dernières gouttes de Sang.

LIS plaqua ses mains sur sa poitrine dans laquelle l'air ne pouvait déjà plus s'introduire. Il suffoquait, cherchant à aspirer sans réussir à faire pénétrer la moindre parcelle d'oxygène en lui. La fleur avait coloniser son torse.
Il tomba à genou sur le sol, ses yeux maintenant suppliant s'accrochaient à ceux de Cassiopée qui le regardait, imperturbable.

Lorsqu'il s'effondra sur le sol, elle murmura pour elle même :

- La mort est la meilleure des armes.

De retour dans ce lieu qui devenait déjà familier, l'Homme de Sang souffrait comme jamais. Les cris de sa naissance lui déchiraient l'âme, infligeaient plus de douleurs que mille lames aiguisées le transperçant toutes en même temps. Fëanturi, qu'il croyait mort, lui apparut, plus terrifiant que jamais, les yeux pleurant du Sang à flot.

- Pourquoi vouloir me combattre fils du Sang ? Ne te rends-tu pas compte du lien éternel qui nous unit ? Tes blessures, tes souffrances et tes peines, mais aussi tes joies, tes amours et ta force sont les miennes. Je suis celui qui doit-être et je serais. En toi. À jamais.

Les paroles du démon résonnaient dans sont esprit, tel un écho au sommet de la plus haute montagne. Peu à peu, Fëantury cessait de pleurer du Sang. Celui-ci commençait à pénétrer dans le démon. Bientôt, une bulle l'enveloppait, protectrice mais fragile à la fois, Lis savait, il comprenait. La part de Sang du Prince de Sang et de la Dame aux Étoiles formait en lui un être qui, à jamais, serait sont lien le plus fort avec lui-même. Fëanturi était en train devenir sa force, celle qui lui apprendrait, avec du temps, tous les mystères du Sang. Tout devenait plus clair à chaque seconde qui passait. L'Homme du Sang, pure création du Sang lui-même. Il comprenait enfin sont langage, il oubliait la douleur. Dans une explosion titanesque, la bulle de Sang explosait, laissant apparaître Fëanturi sous la forme d'un Dragon Titanesque.

D'une taille extraordinaire, l'être était entièrement noire, les yeux remplis de Sang. Ses ailes noires, parcourues par des veines rouges vivent, se déplièrent et Fëanturi poussait un cri terrifiant qui résonnait à travers l'Univers.

- Homme de Sang, je suis en toi, pour toi. Nous étions autrefois ennemis, nous avons vaillamment combattu. Désormais liées pour notre survie, et par le Sang, je serais ton serviteur pour l'éternité.

Lis, voyait la lumière, celle qui le ramènait à la vie, plus puissant que jamais.

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