Ma Princesse« Non pitié ! Me tuez pas ! »
Là c'est sûr il fait moins le malin. A vrai dire il me fait un peu pitié ce môme. A le voir replié sur lui-même et à se protéger le visage avec ses petites mains tremblantes, j'aurai presque envie de lui tapoter ses cheveux bien coiffés et lui donner la chiquenaude. Allez c'est pas si grave, t'as juste merdé avec la mauvaise fille, tu t'en remettras.
« Mais je vais pas te tuer gamin !
- Pitié me frappez plus !
- Ah mais ouai mais là tu comprends... je suis un peu obligé quand même. Faut bien te faire passer le message !
- C'est bon, c'est bon, j'ai compris, je referai plus !
- Ouai tu dis ça maintenant, mais dans deux jours tu vas t'en prendre à une autre gamine.
- Mais elles sont majeures, elles font ce qu'elles veulent. C'est pas ma faute !
- Mais si c'est ta faute ! Tu sais très bien que c'est pas des filles pour toi ça ! La preuve !
- Aïe !
- Ben ouai ça fait mal !
- Mais c'est elle qui m'a chauffé !
- Bon écoute je sais pas très bien ce que tu lui as fait à la petite, mais elle m'a dit texto : « je veux qu'il meure, c'est un salaud ! ». Dis, t'es un salaud ?
- Non ! C'est elle la salope ! Aïe ! Putain ! Arrête !
- On parle pas comme ça des filles bien éduquées !
- Ok c'est bon, je m'excuse !
- Moi pas ! »
Et sbam, je continue la raclée et je le finis à coups de pieds.
« C'est bon t'as compris le principe maintenant ? C'est pas la première fois en plus que tu fricotes avec des dames de la haute ! Y'a deux mois c'était l'Infante et aujourd'hui Ma princesse. On t'avais déjà à l'oeil depuis un moment. Si on te revoit traîner autour d'une d'elles, crois moi ça sera la dernière, parce que tu pourras dire adieu à ta gueule d'ange ! Compris ?! »
Le môme répond pas. Je me penche pour voir dans quel état il est et si je dois appeler l'ambulance. Non. Il est juste en train de chialer comme un gosse. Je crois qu'il a compris. Je le laisse croupir dans sa flaque de pisse et je remets les pans de ma chemise en place dans mon costard avant de m'éloigner de la ruelle. Je fais un petit signe de tête au physionomiste qui fait le planton à l'entrée de la boîte et je textote ma princesse.
« C bon, il a compris. Je te rejoins à l'hôtel »
Elle me répond dans l'instant et me demande de lui ramener une bouteille de Veuve Cliquot de la Réception. Putain ! Un jour faudra vraiment que je lui apprenne à appeler le room service toute seule !
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Je m'appelle Marcel Duchamps, comme l'autre type - ça s'invente pas, mes parents étaient trop ignares pour faire le rapprochement - j'ai quarante trois ans et je suis Attaché Personnel à Mademoiselle Fiona-Annabelle de Clermont-Cigny, cadette du Prince de Morryeux Saint Saens. Mon métier consiste à être la nounou d'une sale peste de dix-neuf ans et à bien veiller à ce qu'elle ne s'affiche pas trop ou qu'elle foute pas la merde dans le microcosme des sangs bleus. A vrai dire c'est plus ou moins moi qui ait inventé ce métier. Aujourd'hui on forme un corps d'élite au service de ces majestés. On est une cinquantaine à travers le monde à gérer les héritières des têtes couronnées, jusqu'à ce qu'elles atteignent l'âge de convoler. Avant Annabelle, je m'occupais de sa cousine, la Bourbon-Sachs qui s'est mariée au Prince de Savoie il y a trois ans.
Avant j'avais un vrai métier, j'étais conseiller financier à la banque monégasque de développement. Un gratte-papier de second rang. Un jour j'accompagnais un des directeurs pour lui tenir sa mallette et lui tendre ses stylos pour pour la signature d'un contrat de je sais pas quoi. En tout cas y avait beaucoup de millions d'euros écrits sur les papiers. On s'est retrouvé dans la cour d'honneur du Palais de SAS à attendre la limo du Morryeux Saint Saens, qui, si je me souviens bien devait être prête-nom pour la revente de parts sociales d'un truc. Bref, les rupins arrivent, ils descendent de la limo tout sourire, ça s'embrasse et se complimente. L'ambiance est détendue mais le protocole est respecté. Là y en a un qui dit qu'ils doivent ab-so-lu-ment partir à Cortine d'Ampezzo dans la minute pour l'arrivée du Rally de la Comptesse de Machinchose. Sur le coup j'ai pas trop fait attention parce qu'à cette époque je connaissais rien au bottin mondain. Bref, pris de panique nos contractants nous demandent de nous occuper des papelards sans trop de formalité. On a signé dans la Cour sur ma mallette, devant les extras en tenue alignés devant la baie vitrée du salon administratif, là où devait se tenir la réunion et où on devait manger des petits fours et des verrines pour fêter la signature du contrat. Au lieu de ça, ils ont tous déguerpi chercher leurs affaires de ski, mais Saint Saens leur a dit qu'ils n'avaient pas le temps, que l'hélico les attendait déjà, que pour gagner du temps il fallait embarquer au country club, parce l'héliport était inaccessible à cette heure là. Tu m'étonnes, un vendredi après-midi. Et puis de toute façon, il y avait toutes les boutiques et le matériel qu'il fallait là-bas sur place pour s'équiper à l'arrache.
J'ai regardé mon dirlo, il était écoeuré mais faisait bonne figure en faisant de petits saluts polis aux maîtres du monde qui le snobaient pour aller à la montagne. Ils se sont tous engouffrés dans la limo et celle-ci a démarré avec son équipée de nobliaux. Et puis elle s'est arrêtée d'un coup. La Princesse de Saint Saens est sortie avec sa gamine sous le bras et elle a couru vers nous. Là elle nous a dit que la petite était enrhumée et qu'elle ne pourrait pas supporter le froid pendant le week end. Elle me l'a fourré dans les bras en me disant de bien m'occuper d'elle et que j'étais super sympa.
J'ai regardé mon directeur. Il était déjà parti passer ses nerfs sur les verrines à l'aneth et au confis de prune.
La petite m'a regardé, puis elle a éternué sur mon épaule et elle m'a dit qu'elle s'appelait Fiona-Annabelle.
On s'est rencontré comme ça.
Pendant tout le week end je suis resté avec elle au Palais, sans que personne ne sache vraiment ce que je foutais là. Ca semblait choquer personne. Tous les larbins reconnaissaient la petite comme si elle faisait partie du paysage. On nous a assigné dans une suite et tous les quarts d'heure environ on me demandait si tout allait bien, si je n'avais besoin de rien. J'ai demandé un paquet de mouchoirs pour la petite.
Elle m'a dit qu'elle voulait aller au jardin exotique tout en haut de la Principauté. On y est allé le lendemain en grosse bagnole blindée avec vitre teinté et chauffeur armé.
C'est pas tant le fait que je sois devenu baby-sitter de luxe en une minute qui m'a le plus choqué pendant ce week-end à vrai dire. Non. C'est qu'on m'a considéré comme tel depuis ce jour-là.
Annabelle était tellement contente que je sois resté m'occuper d'elle pendant trois jours, qu'elle ne parlait plus que de ce qu'on avait fait : le jardin, les glaces, le zoo, le cinéma, le pop-corn dans la suite au Palais...
On a payé mon Directeur pour me débaucher, on m'a ouvert un compte à la Société des Bains de Mer, on m'a costumé chez Hugo Boss et on m'a présenté à Nicoletta.
Ensuite on m'a logé à l'Hotel de Paris, dans une « petite chambre » à côté de la suite à l'année des Saint Saens. Ca a duré deux ans. De ses cinq à sept ans, j'étais la nounou d'Annabelle. Je l'appelle Annabelle. Je suis le seul au monde à l'appeler comme ça. Venant des autres elle ne supporte pas, allez savoir pourquoi. Comme c'était assez tranquille comme boulot, vu qu'elle était à l'école primaire du Rocher la plupart du temps, moi je passais une bonne partie de ma journée à la salle de muscu du palace. Je suis devenu un peu épais assez vite.
Quand les Saint Saens ont déménagé en Bavière, ils m'ont fait une lettre de recommandation et m'ont expédié en Autriche pour faire la nounou de la cousine de Fiona-Annabelle. J'ai appris l'allemand et l'italien. Et aussi la patience, parce qu'avant d'être couronnée Reine d'Italie la garce était une vraie salope ! Elle me faisait que des conneries. A seize ans on la voyait régulièrement en photo dans les tabloïds en train de rouler des pelles à des actrices américaines ou des chanteuses de k-pop. Elle se bourrait la gueule au Mum un soir sur deux. Elle était intenable. J'ai du la faire avorter deux fois.
Une nuit j'ai profité qu'elle était en coma éthylique à la clinique pour demander à un docteur de lui faire un implant contraceptif. C'était un soucis en moins. On m'a même pas demandé si j'avais le droit de le faire, on l'a fait, parce qu'on savait qui j'étais, qui elle était et qui étaient ses parents.
C'est là que j'ai eu l'idée pour la première fois de proposer un statut spécial et confidentiel pour ma fonction. Vu qu'elle et ses copines étaient ingérables, j'ai demandé à ses parents si je pouvais lui mettre une dérouillée de temps en temps pour mettre un peu d'ordre dans sa tête. Ils m'ont regardé avec humilité et m'ont avoué qu'ils n'avaient jamais osé me le demandé. J'en ai profité aussi pour leur demander une sorte d'immunité pour le cas où j'ai à la fesser en public ou à mettre des torgnoles à son entourage. Là on m'a regardé avec de grands yeux et un soupçon d'intérêt. Et puis je me suis retrouvé un dimanche matin après la messe à exposer à une bonne partie du Ghota, que leurs héritières étaient toutes des pestes et qu'il fallait les faire marcher droit pour l'honneur des familles et la paix dans le monde et qu'à force de conneries juvéniles, les aristo passaient pour des bouffons.
On m'a applaudit, on m'a donné carte blanche pour recruter des gars dans mon genre et tenir les gamines en laisse.
On s'occupe que des filles. Non pas que les garçons sont mieux, mais comme ils ne sont jamais loin de leurs cousines (ils sont tous cousins entre eux ces gens-là), ils nous repèrent assez vite et reste à carreau. De toute façon, on a aussi le droit de leur mettre des taloches. Au moins comme ça tout le monde comprend, les parents sont contents et les biches sont bien gardées.
Lorsqu'ils ont voulu nous donner des primes à la virginité, en nous demandant de veiller aux hymens des petites et de les amener pures à l'autel, on leur a répondu qu'on vivait pas au Moyen Âge, et qu'il fallait bien leur laisser un peu d'oxygène sans quoi elles deviendraient encore plus agressives.
Une fois la Princesse mariée, je suis retourné à Monte Carlo où j'ai retrouvé mon Annabelle qui était devenue une petite femme. Elle était contente de me retrouver. Par contre très vite j'ai compris que ça serait pas de la tarte de la surveiller.
Elle avait gagné à la loterie génétique un corps de mannequin et un nom prestigieux mais avait su garder une âme innocente.
Les garçons ont commencé à tourner autour d'elle avec l'insistance de mouches vertes un soir d'été.
Et là ça a vite enchaîné !
Marcel ?! Je veux qu'il meure ! Je le déteste, c'est un salaud ! Casse-lui la gueule. Envoie-lui un bouquet de fleurs pour m'excuser. Dis-lui que je l'aime. Empêche-le de me parler. Marcel tu voudrais pas être mon cavalier au bal de la Croix Rouge ?
Ca fait quatre ans que ses parents ont déserté. Ils vivent à Aspen l'hiver et à Saint Moritz l'été. En gros.
Un jour Annabelle est venue me voir après ses cours. Elle avait le maquillage panda et les cheveux dans tous les sens. Elle s'était battue avec l'Infante et elle avait pas gagné. Très sérieusement elle m'a tendu sa silver card en me disant « je veux que tu la tues ! ».
J'ai pris l'amex, je l'ai fourré dans ma poche et je lui ai répondu « je te gère ça ».
Je l'ai laissé dans sa suite à l'Hotel de Paris, et j'ai traversé la place jusqu'au Café de Paris. Là j'ai textoté mon collègue, celui qui gère l'Infante et il m'a rejoint, il avait la silver card de sa gamine. On s'est bu des coups avec et on a échafaudé un plan. On leur a dit qu'on allait tirer au sort laquelle des deux devait mourir, sauf si elles décidaient de faire la paix.
Depuis elles sont copines, et c'est encore pire.
A seize ans les princesses rêvent toutes de devenir Reine quelque part en Europe. Elles vont en soirée avec les stars de la télé et du cinéma, se foutent parfois sur la gueule avec des chanteuses coréennes et sont amoureuses de tout ce qui passe.
Entre dix-sept et dix-huit ans, elles veulent se marier à un roturier beau gosse, un jardinier musclé ou un prof de yoga, juste pour sortir de ce carcan éducatif et de cette vie de luxe et de richesse, mais surtout pour faire chier leurs parents.
Généralement c'est à cet âge là qu'elles nous détestent le plus.
Non parce qu'on a beau avoir pas mal de liberté dans notre champ d'action, on a quand même un devoir qui passe au dessus des autres : les marier à d'autres aristos pour en faire des Princesses couronnées.
Bien sûr ce n'est ni nous ni elles qui choisissent leurs époux, c'est déjà assez compliqué comme ça.
Ma Princesse se fait souvent larguer par des types sans honneur qui se servent d'elle et qui lui disent que leurs parents ont déjà accepter sa dot. C'est des conneries ça. Mais elle y croit toujours. Et puis les mectons une fois qu'ils sont passés deux ou trois fois dans un tabloïd ou sur Paris Première, ils pensent qu'ils se sont fait un nom, et ils visent plus haut. Comptesse, Duchesse, Grand-duchesse, Princesse, Héritières. Evidement on leur tombe sur le râble et ils vont au commissariat montrer leurs bouches en sang. On appelle ça une main courante.
Ma Princesse n'aime pas le ski, mais elle est bien obligée d'aller à Saint Moritz de temps en temps pour faire bonne figure. Je déteste le ski, mais je suis obligé de la suivre sur les pistes avec mon kit de secours au cas où.
Dans mon sac à dos il y a toujours : une boîte de chocolat Godiva, un tube d'aspirine, des préservatifs, des serviettes et des tampons, une mignonnette de Veuve Cliquot, un smartphone de rechange, un paquet de mouchoir, de la ventoline, un rouge à lèvre Guerlain, une bouteille de Dior, un sac à vomis, 7 000 dollars US, 4 000 €uros et un tazer.
Ma Princesse me caresse parfois la joue lorsque je dois la coucher tard le soir quand elle est saoule. Elle n'oublie jamais de me dire merci lorsque je lui tiens le front avec une serviette humide quand elle vomit ses tripes dans les chiottes de chez Régine. Elle peut porter une robe raz la salle de jeu et croiser et décroiser ses jolies jambes sans qu'on voit jamais sa culotte. Elle porte des Victoria's secret, je le sais, c'est moi qui les ramasse et qui les envoie au pressing.
Une fois j'ai cru que j'allais tuer un mec. Pas même un branleur de son âge que j'aurai surpris la main dans son bonnet B. Non. Un vieux malappris de la télé qui étalait de la coke sur ses nibards tout en lui pelotant le cul. La scène aurait pu être habituelle, Annabelle m'a déjà habitué à pire (je ne supporte plus les lendemains de skin party dans la suite de l'Infante). Sauf que cette fois, elle était complètement pas là. Le type lui avait fait boire une saloperie ; ma princesse avait décrochée.
Je l'ai trouvé à genou, le calbute baissé jusqu'aux chevilles. Là je me suis fait un peu plaisir. Je me suis dit que j'allais lui donné deux ou trois bonnes idées pour son prochain bouquin de ouin-ouin. Après la garde à vue, le service de sécurité. Je l'ai amené par la barbe jusque devant le palace et je l'ai foutu dehors à grands coups de pied au cul.
Ma princesse m'a dit plus tard qu'elle voulait mourir parce qu'elle se sentait souillée et triste et sale. Elle m'a tendu sa silver card et m'a demandé d'aller lui acheter deux sabres japonais. Un pour qu'elle s'ouvre le ventre, et l'autre pour que je lui coupe la tête.
J'ai appelé le room service et j'ai demandé à faire venir le sushi meister du bouddha Bar pour qu'il découpe des poissons devant elle. Ensuite on est allé au jardin exotique tout en haut de la Principauté et je lui ai offert une glace.
Ma princesse est une peste, elle fait caca et s'essuie avec du triple épaisseur, elle a mal quand elle a ses règles, elle pleure au cinéma et donne des coups de pieds aux petits chiens qui ont des colliers en strass dans la rue.
Ma princesse est une princesse comme toutes les autres, mais c'est la mienne.