Celui qui criait dans la foule

Du haut de ses vingt ans, il crie à qui veut l'entendre.

Il hurle qu'il est lui-même, que personne d'autre n'est digne de sa vie.
Il dit qu'il souffre, qu'il aime, qu'il veut exister, qu'il mérite mieux que nos absences paranoïaques.
Il a des plaisirs simples, chaussé dans ses Volcom, à l'aise dans son swag. Il tire la couverture sociale à lui, s'étale par tweet, s'affiche sur les murs, blogue et poste à tout va, jusqu'à ce qu'on le remarque.

Il crie à la vengeance, il appelle à la rescousse, il implore l'attention des autres.

Il bourgeonne comme une fleur royale et bougonne comme une peur virale.

Ses pseudonymes fluctuent selon ses humeurs. Il veut plus. Il veut tout, tout de suite. Il veut être partout le centre, acteur de son immense talent dilué dans la foule des millions de ses semblables. Il doit percer la bulle, crever l'abcès, naître dans un monde sourd. Crier sa vie.

Mais qui l'entend ?

Tout le monde se fout de lui parce qu'il est comme tout le monde.

Mais lui sait qu'il vaut mieux que n'importe qui d'autre. Mieux que les bogoss et les boloss qui mûrissent sous le feu des projecteurs. Alors un jour il fera mieux, il se l'est promis devant sa glace, face au miroir médiatique de sa propre télé-réalité.

Alors il pousse le son de ses hauts-parleurs. Il chante à tue-tête ce refrain grunge d'un mec mort à vingt-sept ans, comme tous les autres disparus avant sa naissance.

Il est le fruit d'une génération X qui ne se reconnaît pas dans son engeance.

Il est né dans le réseau, il vit dans la toile d'une araignée qui le pousse à dévorer ceux de sa propre espèce. Bien au chaud dans son cocon d'égoïsme.

Il veut, il exige, alors il réclame. Il clame dans la foule, il slame contre l'Islam, il braille contre l'hébreu, il scatifie le catho, prêche contre la pêche en eau profonde et crache sur le slut shaming, il conteste la Loi et l'Ordre, l'Injustice et l'establishment, même s'il ne comprend pas bien tous ces mots.

Il se fout des émos scarifiés, des goths romantiques, de l'over-geek hipster et de tous ses pairs.

Qui l'entend lorsqu'il se montre ? Qui le voit quand il déblatère ses visions parcellaires d'un monde qu'il renie, qu'il appelle de toutes ses forces ?

Tais-toi ! Ferme-les yeux. Disparais. Dilue-toi dans la mer de tes clones, dans tes mensonges. Voile-toi le facebook, invente-toi un rite cathodique.

Et arrête de nous casser les couilles, mec. Tu vaux pas mieux que nous tous.