Mélange de mots en petit comité.

C'est avec une certaine lassitude que j'entrais dans l'arène, que je pénétrais la Cour. Quelle idée, ce pourvoi ? On est ici devant la Droiture, celle avec une majuscule. Ce n'est plus le petit juge de correctionnelle, qui rigole du palindrome formé par le nom de ma cliente, Anna, et qui menace de martinet les jeunes délicants. La, on est devant le grand crocodile, celui qui te bouffe tout cru sans même t'avoir épicé. Le poids de la justice est si lourd, que j'en aurais des courbatures. Mais par contre, face au buffet offert par mon richissime client, là je suis véloce. Pourtant, on en a connu des échecs. Mais des succès aussi ! Mais cet fois, ce sera un échec. Je le sais, pas besoin de toute cette attente. Ma cliente va perdre. Retourner dans la rue. Se refaire violer. Et je vais revenir ici avec lassitude. Triste épanadiplose.




L'épanadiplose est pleine de lassitude véloce. Malgré sa droiture de crocodile, elle enchaine les échecs. elle se reve richissime palindrome mais elle se retrouve à panser ses courbatures avec des majuscules amers. Un martinet passe et plein d'attente, espère. il pourvoi a sa tristesse de phrase ratée. Après tout que dire d'un martinet qui attend le début de la fin?




Anna, je t'aime. Je ne vis plus que dans l'attente de prochaines courbatures. Je conçois ma vie à ne panser que morsures sur ma peau.   Tu es ce crocodile véloce de mes nuits épicées,  le martinet de mes plaisirs, l'hérésie de ma lassitude.

Anna, richissime palindrome que je découvre en tout sens, toujours semblable, à jamais multiple. Tu es le pourvoi en Majuscule de la grandeur de l'amour, le contrevent de mes échecs, seule droiture dans tes courbures. Anna, je t'aime.

Epanadiplose
Et non pas
Anna dispose




Ca tourne en rond. Dans ma tête. Encore et toujours le même constat : je tournais en rond dans ma chambre d'étudiant. Et maintenant c'est toujours pas prêt de s'arrêter.

Je ne sais plus depuis combien de temps je suis dans ce bureau. Gagné par la lassitude, mon avocat me parle de pourvoi, de vices de procédures, de termes dont je ne comprends pas un traître mot.

En face le juge passe en revue mes échecs. Un à un. Sa main, véloce, feuillette le lourd dossier. Sur la tranche je peux lire le numéro de l'affaire : 2112. Un palindrome. Je me concentre sur mes courbatures. Combien de temps ces ronds de cuir peuvent endurer une telle immobilité, une telle attente vide de sens ? Le juge, l'avocat, la greffière : ils incarnent la Droiture, la Justice et la Société, écrits en majuscule. Encore des mioches élevés au martinet qui ont mal viré. Magistrats !

Moi je me replie sur moi-même. Je pose mon regard sur le décors : ça sent le parfum épicé, un truc de richissime, comme eux. Lunettes cerclées d'or, stylos Montblanc, sous-main en cuir de crocodile.

« Le crocodile et le martinet ». On dirait une fable de La Fontaine qui résumerait la scène dans ce bureau.

Ça me fait sourire. Le juge en face, lui, ne rit pas. Il me jauge d'un regard sévère. Pas même le temps de panser mes plaies intimes.

Ca tourne en rond dans ma tête. Encore et toujours. Mon échec est une épanadiplose perpétuelle : je sais comment tout ça à commencé, je sais tout aussi bien comment ça finira : je tournerai en rond dans ma cellule de prison.





Hector est un crocodile. Mais pas n'importe lequel c'est LE crocodile, avec un c majuscule ! Un bien beau crocodile, véloce, richissime et d'une droiture irréprochable ! Le genre parfait qui saurait combler toutes les attentes d'une belle-famille gagnée par la lassitude des petits amis qui sont bien souvent des échecs cuisants ! Rien de tel pour panser les plaies d'une famille qui a trop subi de courbatures à forcer de supporter un fils ou une fille récalcitrante au martinet. Avec lui, pas d'épanadiplose ni de palindrome mal placés : il les aime bien épicé. Nul pourvoi n'est nécessaire, d'un coup de crocs, c'est terminé. Et ce crocodile, il s'appelle Hector.

Je suis mauvais. Très mauvais. Vous voyez j'ai au fond de moi le vice, la violence, la haine. Tout un vacarme de colère et de cruauté que je garde cloitré sous un contrôle parfait. J'emmerde la police, les guerres et les gouvernements. Je suis la pire ordure qui soit et même les assassins professionnels me conspuent. Je suis le fruit d'entrailles viciées par le sexe, la lubricité et la débauche. Je m'abreuve de la faiblesse d'autrui comme certains aiment frapper les petits animaux. Mais moi je suis mauvais et je suis malin. Je suis le cauchemar des familles parfaites comme des screenshots de bonheur polis dont nous inonde internet. J'ai le vice de détruire tout cela. Ca me fait du bien là où ça vous fait mal. Je suis le mal qui dort près de chez vous et vous observe quand vous nappez vos meringues de chocolat le dimanche matin. Je suis la licorne noire au coeur de la nuit...




Ma guerre a commencé. J’engendre les premiers mouvements sur le plateau, la carte de l’assassin en main, prêt à frapper la licorne adverse. Par la fenêtre, les phares d’une voiture de police nous aveuglent brièvement. Elle glisse sa meringue au chocolat dans sa bouche, son dernier recours pour me déconcentrer, mais je contrôle notre jeu depuis trop longtemps. Elle est tendre comme un fruit mûr, ma soeur-rivale, ses faiblesses trop évidentes. Elle pourrait m’ouvrir ses cuisses et m’offrir son sexe que ce serait la même chose. Je souris à l’image. Screenshot mental.




Tain c'est l'dawa ici, c'est la guerre, la perte de contrôle ! Aucune faiblesse n'est tolérée pour la police, il va falloir frapper, et fort ; arrêter de se toucher le sexe sur du screenshot de licornes en bouffant du chocolat apporté par la petite vieille contribuable de moins de cinquantes ans. Eh ouais, cette fois, c'est un assassin dont il s'agit, pas un petit rigolo qui a volé la meringue à votre petite soeur en revenant de l'école.
Alors là, t'as le flic, il prend son fusil, et il tire. Et il meurt. Parce que c'est un flic.




Finis les fruits sans saveur, le contrôle volontaire des plaisirs. Finie la guerre du sexe ou de se faire la police pour la moindre bouchée de luxure. Fini, le règne des assassins tueurs de nos faiblesses. N'hésitons pas, prenons juste un dernier screenshot de notre passé car demain nous siroterons notre café frappé accompagné d'une énorme meringue au chocolat. Demain nous serons licorne voluptueuse en lieu et place du loup fouettard qui empêche l'ivresse. Tout est question de choix. Choisissons.

La chouette n'était pas contente. Le loup, ce vaurien en blouson de cuir, adepte de l'usurpation d'identité était passé à un tout autre niveau de délit. Et elle en était la victime. Vol caractérisé de son repas de choucroute par association transparente d'une croix et d'un jet d'eau. La pauvre chouette n'avait rien pu faire contre le carnassier ambidextre qui d'une main la saupoudrait de liquide et emportant de l'autre le précieux repas.
Et quel repas... la chouette en aurait pleuré de rage. Un orgasme culinaire. Un miracle de la tectonique gastronomique. Son tournevis dans le bec, maigre arme de poing pour se défendre contre les rapias de ce monde, la chouette se balançait de droite à gauche comme une métronome cassé. La mort sur le loup, sa louve et ses petits dégénérés. Tous des voleurs, maugré la chouette. S'en prendre à une faible femelle seule dans la nuit. Ils mériteraient une bonne gynecomastie. Le volatile délesté de son repas secoua son plumage et prit son envol vers la forêt, à la recherche d'une nouvelle choucroute sauvage.




Depuis des années, Gaulder souffrait de gynécomastie. Il avait été diagnostiqué trop tard pour y remédier, à cause de son imposante masse qui ne cessait d'augmenter avec le temps. Bien malgré lui, cela usurpait son identité et il n'arrivait plus à se définir autrement qu'ainsi. Gros, laid. Il avait le physique d'un lutteur de sumo, et encore, d'un lutteur de sumo obèse, ce qui n'était pas peu dire. Il n'était plus monté sur sa balance depuis des mois, non par peur mais parce qu'il avait cassé sa vingt cinquième et qu'une nouvelle adaptée à son poids aurait été trop onéreuse. Ses tentatives de réparation maladroites lui avaient bien fait comprendre que même en dehors de sa maladie, il ne possédait aucune des qualités habituellement considérées comme viriles. Il avait fini par jeter son tournevis et laisser la fatalité l'emporter.

Pourtant il ne manquait pas de qualités et il cuisinait divinement bien. Il se le rappelait souvent, quand plein d'amour, il saupoudrait langoureusement de poivre un plat de choucroute garnie. Avec le sourire de plaisir anticipé des gourmets, il se mettait à table et se délectait de ses chefs d’œuvres, allant jusqu'à redécouvrir chaque jour la douce joie de l'orgasme culinaire.

Ses blousons finissaient toujours par se tendre de toutes leurs coutures. Pour ne pas trop rogner sur son maigre salaire, il s'était mis tant bien que mal à retailler toutes ses affaires. Il s'était ainsi découvert une passion pour la couture, et même récemment pour la broderie. Son ambidextrie et sa patience le récompensaient et, au point de croix, il ajoutait patiemment chouettes et loups sur ses chemises. Cela n'était pas du meilleur goût, il en convenait, mais l'un des avantages à se trouver énorme était justement qu'il ne se sentait plus vraiment concerné par les canons de la mode classique.

Aussi, dans un élan de je-m'en-foutisme, il s'était initié aux joies de la danse, découvrant une nouvelle façon de s’approprier son corps. Entre valse et salsa, il s'essayait même à la tectonique dans l'intimité de son appartement.

Finalement, il se plaisait à son état. Être ainsi, pour tout ennuyeux que ce fut sous certains aspects, le libérait dans d'autres, et tant qu'à endurer les moqueries, autant y aller jusqu'au bout. En y pensant parfois il se voyait comme une sorte d'association transparente et réussie entre deux êtres radicalement différents : le monstre adipeux et l'artiste sensible, qui cohabitaient amicalement dans son corps, l'un servant de rempart et de prétexte à l'autre, l'autre lui permettant de s'envoler loin de toute gravité.
Il était Gaulder, énorme, laid, et heureux.




En matière d'usurpation d'identité, la gynécomastie semble être une maladie la plus utile. Pouvoir se faire passer pour le sexe opposé sans opération chirurgicale, c'est une orgasme intellectuel ! Mais bien d'autres choses peuvent-être utile. Être ambidextre est aussi une telle sinécure que dans le métier, bien peu sont les monodextres ! Ce serait comme un choucroute sans saucisse, un vrai chemin de croix ! Avoir des notions de droits comme les critères de discrimination qui font une association transparente, des connaissances en tectonique des plaques ou l'art de manier le tournevis, tout ceci est un plus non-négligeable, le tout étant de savoir s'adapter à la situation, qu'elle soit chouette ou non. Comme dans beaucoup de domaines, savoir ménager la chèvre et le chou, tout est une question de balance dans les différents domaines. Un zeste de connaissances généralistes que l'on pourra saupoudrer d'une bonne dose de rhétorique, rien de tel pour qu'une couverture ne tombe pas à l'eau. Pensez à emporter un loup pour les soirées déguisées, surtout en cas de cérémonies dévêtues à tendance tantrique, gardez les yeux grands fermés et laissez tomber blouson et chaussures : profitez !





Je ferme les yeux, m'amusant avec mon tournevis préféré. Oui, un tournevis, parce que c'est toujours pratique, et personne ne se pose de question en le trouvant dans votre sac. J'ai eu une dure matinée, des affaires d'usurpation d'identité, d'association transparente ; à bas la robe de juge, place au blouson de la femme ordinaire, et celle-ci avait besoin de laisser la roide balance de la justice de côté. Heureusement, les toilettes des juges femmes sont peu fréquentées, je peux tranquillement m'amener vers un orgasme aux allures de plaques tectoniques qui s'entrechoquent dans mon esprit. Cette fois je m'imagine un fantasme étrange que j'ai rêvé il y a peu. L'eau transformée en vin coule à flot sous une croix de laquelle pend un soutien-gorge dégrafé, je soupçonne d'ailleurs qu'il ne provienne pas d'une femme, mais de cet homme à la gynécomastie impressionnante. L'ambiance est moite, sombre, et je porte un loup aux yeux de chouette. Tout dans ce fantasme est histoire de nourriture, le vin, la choucroute qui sert de matelas et dont les viandes lubriques font le plaisir des corps ambidextres. Je me laisse finalement saupoudrer des délices d'un homme qui me croque à pleines dents. Dans cet espace étrange, ce tournevis roulant entre mes doigts, je me laisse emporter.

Vous l'êtes, en effet.
Les quatre textes sont excellents - surtout avec un choix de mots aussi... Original.
Une mention spéciale pour le 1, qui, exception faite de l'utilisation de "gynécomastie" un peu décalée - d'un autre coté, c'était vraiment difficile de la placer dans ce contexte et, sincèrement, celui qui a pondu ce mot en mériterait vraiment une ! - est juste magistral et complètement fumé. J'aime. Cela ne retirant en aucun cas du mérite aux autres. La dernière phrase portant sur Gaulder est parfaite, tant par sa forme que par sa finalité dans le texte.
Le dernier est Space ! J'ai beaucoup aimé mais, quand même, le fantasme reste bizarre - d'un autre coté, les mots n'étaient pas en faveur de la normalité !
Félicitations à tous les quatre.
J'en regrette presque d'avoir privilégié la préparation de ma présentation de microélectronique au détriment de cet exercice majestueux. La prochaine fois, je me décarcasserais pour en être !
En espérant que j'avais le droit de commenter ici,
Tristan.

Aborder les différents textes tout en connaissant la contrainte commune qui les a structurés ajoute un second degré vraiment intéressant à la lecture. Et on n'en ressent que plus le talent qui se cache derrière les plumes.

Mention spéciale pour les deux premiers qui incorporent cette liste (pour le moins curieuse) avec une transparence déconcertante. A chaque nouvelle apparition on ne se dit pas "hein ? mais d'où ça sort ça ?", simplement : "bien joué !". Ca coule de source quoi. Le premier m'a surtout plu par son rythme et le second par la cohérence et la fluidité de sa narration. Enfin je suppose, car l'écriture est un art où je ne sais pas vraiment poser les mots sur ce qui me séduit.

Bravo également aux deux autres participants, c'est vrai que vous êtes bons. :)Chapeau !

PS : Au départ, j'ai essayé de vous écrire un commentaire en réutilisant ces mêmes mots, puis seulement la moitié, puis le quart... et j'ai abandonné.
(mais j'avais réussi à caser choucroute.)