[conf. sang]L'Immör de Statdt

Le soleil traînait sa course sur les Miroirs du Destins : de longues allégories de formes et de visage sur les vitraux de la salle de conseil. Assis dans son fauteuil, Azräael dormait sur la table. Quand les grandes portes s'ouvrirent, Erylie entra en s'inclinant légèrement. Sur son épaule droite les deux yeux flamboyants d'un colibri rouge sombre fixaient Sanz. Quand elle sortit son épée courbe pour la déposer sur la table, il s'envola brièvement avant de se reposer sur l'épaule gauche. Sanz commençant lentement, le regard perdu dans les vitraux, l'allure désinvolte :

- On m'a dit que certains d'entre vous s'ennuyaient dans les couloirs des Palais. J'ai pris quelque mesure pour s'occuper de ce léger désagrément. Dans les salles basses, une initiée a besoin de repos et de soin suite à son... passage. Je pensais a une petite enclave, à quelque jours d'ici. Statdt. Une bien belle cité qui base son commerce sur des lieux de thérapie a base d'eau de source chaude. Vous l'accompagnerez, et prendrez soin d'elle durant son séjour, quelque soit le temps qui lui soit donné pour recouvrir ses forces.

SOn regard quitta les reliefs pour plonger dans celles de la Vampyre qui écoutait sans montrer le moindre signe d'émotion sur son visage. Il continua sur un ton plus dur

- Elle ne doit en aucun cas être dérangée, ou courir le moindre risque jusqu'à son retour, ici.

Le colibri siffla légèrement en réponse, comme s'il paraissait évident qu'il ne lui arriverait rien tant qu'ils seraient garant d'elle.

- Vous prendrez les chevaux de trait, les autres ont été réquisitionnés par les corps Militaires pour des entrainements dans le sud. Et que cela vous plaise ou non, non n'avons pas d'autres moyens à moins que vous ne sachez voler avec une personne à moitié inconscientes jusqu'à là-bas, et capable de rivaliser avec les vents du Nord.

La remarque fut sans appel, et il n'y eut pas de réponse. Il les congédia d'un geste et replongea dans ses longs songes qui l'occupaient régulièrement.

« L’Histoire est de ces natures polymorphes et changeantes. Nombreux sont ceux qui croient que seuls les Héros y sommeillent. Mais si l’Histoire ne conte que leurs légendes, à ces princes d’autrefois, elle contient aussi en son sein les plus infimes et les plus humbles des créatures. Car tous ont une histoire, fusse-elle dépourvue de « H ».
Même l’éphémère. Même le subtil. Et l’Histoire, parfois, choisit de revêtir leur aspect, afin de rappeler qu’elle n’est pas seulement la Puissance mais aussi cette noblesse délicate qu’est celle de l’Invisible. Et il n’existe point d’être à la nature plus douce, minuscule et fugace que le Colibri d’Aube, créature aux teintes rougeoyantes de la Vallée du Karast. Et puis, le Réceptacle des Mythes aime parfois s’adonner au repos de l’Esprit.
Et nul esprit n’est plus inconstant et, ainsi, plus reposant, que celui du plus frêle des Aviens. »

La Cinquième Page.

Sous l’égide du Colibri, le « Nous » unifié si familier à l’Histoire n’existe plus, remplacé par l’éternel dialogue entre une infinité de consciences qui s’intéressaient successivement à la vie, la raison d’être du pouce préhensile et la véracité du lien reliant les dinosaures et les oiseaux. Débat fréquemment interrompu par la nature parfaitement avienne du Colibri et donc encline a perdre toute retenue devant les fleurs et les vers. Voici, dès l’instant ou le Colibri se posa sur l’épaule d’Erylie, un fragment des pensées de l’Histoire.

« Est-ce que ce sont des vers qu’elle à sur la tête ? Des vers rouges ? Pouvons-nous les manger ?
Non. Nous ne mangeons pas de vers ! Ils sont plus gros que nous ! Nous butinons des fleurs, telle est notre nature.
Et puis, ce ne sont pas des vers, ce sont des cheveux. Mais ils sentent la fleur ! Est-ce une raison valable ? Non. Tu confonds aspect et nature, tant pour elle que pour nous. L’odeur qu’elle libère est un reflet des soins qu’elle s’accorde, non pas de ce qu’elle est ! Et nous, ce n’est parce que nous sommes oiseau que nous devons totalement oublier ce que nous sommes réellement. Un être guidé par des mots tels qu’Excellence, Honneur et Fierté n’est pas de ceux qui peuvent s’abaisser à manger des vers ! Mais j’aime les vers ! Alors tu dois être l’incarnation passéiste d’un chainon disparu entre les Lézards d’autrefois et le Colibri. Une espèce vile, veule et friande de vers ! »

Telle fut la nature du Débat qui eut lieu sur l’épaule de la Vampyre.
Celui-ci continua, sans interruption, jusqu’à la salle du conseil. Là, l’apparition du Prince y rajouta une dimension supplémentaire, étant donné qu’il fut statué par la conscience avienne que cet individu avait l’air foncièrement méchant et que, s’il avait une ascendance parmi les dinosaures, il s’agirait d’un carnivore particulièrement véloce.
Ce à quoi les strates supérieures de la conscience s’opposèrent véhément, de manière purement protocolaire, car il s’agissait du Prince, tout de même. Ce duel intellectuel atteint son paroxysme lorsque le Colibri dut s’envoler, afin de retrouver un semblant de calme. C’est alors que les mots « Initiée » et « Passage » retentirent dans la Salle.
Là revint une étincelle de paix en cette inconstance spirituelle.

« Alors, telle était la raison de cette conscience, naissante, lointaine et pourtant omniprésente qui navigue dans les entrelacs du Temps ? Un être s’est libéré de la folie insufflée par un autre, sauvé par un Sang guérisseur. De cet acte, un esprit s’est nourri, devenant plus grand, plus majestueux. Là, par delà les Limbes, un Dragon est venu. Un dragon ? Je n’aime pas les dragons. Leur considération à l’égard des colibris existe à l’instar de celle qu’ont les baleines pour le plancton. » Cette dernière pensée fut évoquée avec le ton laborieux que prennent les élèves lorsqu’ils récitent une leçon autrefois apprise par cœur. Et, en écho à ces mots, retentit un esprit surgit des profondeurs de l’Histoire, qui ne prendrait la parole qu’une fois, et une fois seulement… Sa colère fut si grande qu’elle se manifesta jusqu’en cette réalité physique, note de musique retentissant dans la salle.
« Nous parlons d’un Dragon ! Les créatures que tu évoques ne sont que les pâles reflets de ces Seigneurs d’Antan. Ils ne sont que les aberrations évolutives d’une nature trop sotte pour s’occuper d’eux. De simples lézards avec des ailes ! Les Dragons ont bien plus de considération pour toi que, jamais, tu ne l’imagineras. Ils sont la Vie. Ils sont les Gardiens du Sang, de l’Avenir et du Passé. Ils sont les Aspects du Tout, parfois Sagesse, parfois Puissance, parfois Chaos. La venue de l’un d’entre eux en ces royaumes troublés signifie bien plus… Elle évoque le futur. Elle évoque la renaissance. Et lorsque l’heure du Choix sera passée, ce Dragon portera sur ces ailes les fragments des mondes à venir. Il sera bien plus que toi, conscience avienne aux peurs futiles et imbéciles. » La Voix se tût et toutes les parcelles de l’Histoire surent qu’Adune Shënierastë, le Monarque d’Autrefois et Spectre du dernier Dragon de l’Univers, avait parlé. Toutes, exception faite de l’esprit du Colibri. « Il n’empêche que j’exècre les Dragons, quelque soit la taille de leur « D ». C’est viscéral. Dès que j’entends le mot Dragon, j’ai envie de… Les vers bougent ! » En effet, Erylie quittait la Salle du Conseil, emportant avec elle une Histoire trop absorbée par ses pensées divergentes.
« Parfois, j’ai du mal à nous comprendre. L’aspect du Colibri est certes reposant mais, là, il divague réellement… Enfin. Nous accompagnerons la Vampyre, je crois. En ces sombres temps, la naissance de la Vie ne peut être délaissée. Ce Dragon sera un éclat de lumière en des cieux troublés et, pour cela, d’autres voudront s’en emparer… Sa clarté est de celle qui brulera les yeux de ceux qui ne veulent point voir. Nous devrons la protéger. Alors, tous à Statdt ! Statdt ! Statdt ? Où-est ce que cette Cité se trouve ? Le nom ne nous est point familier. Ne serait-ce point cette enclave dans les contreforts des montagnes d’Echoriath ? Je crois que l’Aspect s’y est égaré, voilà près de cinq siècles. Une erreur de parcours alors qu’il cherchait à rejoindre les déserts par delà l’Océan. C’est vraiment perdu. Très, très perdu. Des rumeurs disent même que certains temples, au cœur des forets les plus dangereuses d’Aelis, sont moins perdus et mieux indiqués que Statdt. Qu’importe. Il n’est point de notre nature de nous égarer. Tant que nous ne suivons pas la lune, tout ira bien. » L’excitation d’une nouvelle aventure embrasa le cœur du Colibri. Sa délicatesse ne lui permit point d’encaisser le coup sans férir. Il s’envola joyeusement de son perchoir féminin afin de voleter dans les corridors, suivant les pas de la Vampyre dans les profondeurs du Palais…

Un bruit de petits pieds effleurant le sol froid de pierres grises du couloir se rapprochait sans se presser. Ceux qui occupaient la salle du Conseil se mirent en pause un instant et leur regard se dirigea en un même point, cherchant l'origine de ce bruit.
En effet, les grandes portes étaient si lourdes qu'on ne les ouvrait qu'une fois, très tôt le matin et que l'on ne les refermait que très tard le soir.
En bref, même si le couloir était rarement utilisé sauf par ceux qui composaient la réunion, il semblait bien étrange qu'il y aie du bruit. Sachant que les seuls autres qui peuplaient le palais, n'osaient venir courir devant la salle du conseil de peur de réveiller le profond courroux de Sanz.
Mais qui était donc cet illustre fou qui osait venir parader sans empressement, déranger la réunion très importante du Palais ?

Une grosse ombre qui se mouvait commença à apparaître du côté gauche de la grande ouverture sur le couloir. L'ombre approchait en paix suprême avec elle-même. Puis, étrangement, plus l'ombre se rapprocha, plus elle se réduit jusqu'à faire apparaître une petite silhouette : celle d'un enfant. C'était Miel qui passait par là. Il portait son éternelle tunique de toile beige fade. Il était nus-pieds et ne semblait pas du tout dérangé par le froid glacé que l'édifice produisait, même en temps estival.
Il rentra à demi dans la salle et fût pris d'un large bâillement. C'est pourquoi il avait levé ses deux petites mains pour cacher sa bouche et étouffer le son.

Puis, il se dandina dans tous les sens et dit :

- Sanz, je m'ennnuiiiie.

Sa plainte sourde perça le plafond de la salle du Conseil.

Un bourdonnement sourd résonnait dans la tête de Melaka depuis des heures, ou peut-être bien des jours, voire des semaines. Son esprit était si embrumé qu'elle était incapable de penser, prisonnière d'un voile opaque qui l'isolait du monde réel. La jeune femme ne pouvait pas non plus bouger, son corps refusant de lui obéir. En ouvrant les yeux, elle balaya brièvement du regard l'étrange lieu dans lequel elle se trouvait, sans succès. Seule une vision floutée répondit à ses questionnements et ne l'avançait pas plus sur la nature des environs.

- Oauuusuujjjeee...

Nul son intelligible ne sortit de sa bouche engourdie. Elle tendit son bras gauche dans un geste de désespoir, mais dût se rendre compte qu'aucune force ne pouvait la sortir de sa torpeur. L'elfe-vampyre s'effondra au sol. Ses membres étaient aussi faibles que son âme et elle ne cherchait même plus à se battre tant son état léthargique bloquait chaque mouvement.

Des pas se firent alors entendre au loin, comme l'arrivée d'une présence réconfortante. Le bruit claquant des talons sur la pierre froide bourdonnait dans le crâne de Melaka, toujours paralysée.

"Oauuusuujjjeee"

Devant ce râle issu des profondeurs du Palais Sanguin, le Colibri surexcité fit une embardée. Il se rétablit au prix de maints efforts acrobatiques et de quelques piaillements. Emporté par son enthousiasme ainsi que par son incapacité à se focaliser sur une vitesse constante, il avait dépassé Erylie pour poursuivre son chemin, guidé par un instant de Confrère pas totalement refoulé. Guidé par la curiosité, il fila en direction de ce grondement, l'esprit noyé sous un flot de réflexions diverses et contradictoires : "Par l'Unique, les Immör , le Père Chasseur, Sélène et tous les autres ! Vous avez entendu cela ? Oui. Oui. Te sens-tu obligé de jurer sur la moitié du panthéon transfuge d'Aelis dès que tu remarques quelque chose d'improbable ? Oui. Oui. Cela me rappelle ce bruit... Tu te rappelles ? Le cœur du Varaderim, juste après la Bataille. La mélopée venait d'être entonnée et nous marchions, sur la plage, lorsque nous entendîmes ce son... Ah oui. Je crois que c'était une espèce de Morse. Un Morse ? Est-ce une fleur ? Est-ce que cela se butine ? Pas que je sache. Mais je serais curieux de savoir ce que fabrique un tel animal dans les profondeurs du Palais..."

Sur ces entrefaites, le Colibri qui, au vu de son verbiage, pouvait être associé à un groupuscule de philosophes en pleine réflexion métaphysique, était arrivé dans les salles basses et, par conséquent, face à la source du bruit. "Ah. Ca parle comme un Morse... Ca bouge comme un Morse... Tu veux dire que cela ne bouge pas ? Oui. C'est bien ce que je veux dire. Mais, indubitablement, ce n'est pas un morse. Il lui manque quelque chose d'informe et de terne. Cela doit être le colis, de fait. Bon, ne perdons pas de temps." D'un battement d'aile, le Colibri plongea vers sa cible, refermant ses serres sur ses vêtements et, agitant frénétiquement son ramage, il... Tenta de décoller avant de se rendre compte que oui, au final, c'était un Colibri. L'air vaguement gêné, il se tourna vers les escaliers, espérant y voir la Cavalerie. Et rien ne vint. "Bon, les gars, je crois que nous avons lâché tout le monde. S'ils ne débarquent pas dans les prochaines minutes, va falloir qu'on pense à arrêter le Colibri pour passer à quelque chose de plus... Efficace."

Et le Colibri attendît. Mais, foi de Colibri, il ne comptait pas attendre longtemps !

» [Conf. Sang] La route du Sang [Histoire du Sang]
» [Conf. Sang ]RP des Origines: l'Heritage [ Histoire du Sang ]
» [Conf. Sang ]Le Noeud du Fauve [Histoire du Sang]