Vision

La tête renversée, regarde mes mains, mes mains de cires, quelque chose.
Appuyer sur la chair rose. Distordre. Les tendons, fils, tension. Multiples creux. Gris, disloquer, le poids balancé. Poignets cassés, débris de peau. Statique. Pétille-bleu sur les dents. De prunier, tirer, s’arrache, le plastique, non-vivant.




C'était court.
C'était court, en fait, c'est un truc que j'ai vu en levant la tête, une petite seconde ou deux.
Je trouvais ça bizarre et j'avais pas le temps de trouver un moyen imagé pour l'exprimer alors je l'ai noté. Mais je doute de la justesse de la retranscription.

C'est trop bref pour que l'on ait grand chose à en dire: je ne t'ai jamais vu écrire mais ça correspond assez à l'idée que je me faisais de ton caractère.
Un style stacatto, haché, fait de coupures et de ruptures. Des phrases qui coordonnent, qui énumèrent en faisant disparaître l'outil de coordination - on appelle ça une asyndète -, mais aussi des phrases qui vont jusqu'à la dislocation syntaxique, image d'un certaine effritement du sens, de la bizarrerie de l'objet - on parle alors plutôt d'épitrochasme. Finalement, cette description va plutôt dans le sens de tes créations graphiques: l'oeil qui montre transforme par là-même l'objet de son regard, il baigne alors dans cette ambiance sombre et vaguement sado-masochiste qui semble caractériser ton oeuvre.

C'est pas inintéressant.

Ces caractétistiques sont tout à fait propres à la modernité, qui a largement tendance à se révolter contre des phrases amples et des images doucereuses que l'on associe aujourd'hui à un classicisme plus ou moins vieillot. L'imparfait et le passé simple sont les temps de base du genre romanesque: qu'à cela ne tienne, nos écrivains adoptent le présent de narration, plus tranchant, jusqu'à ne plus savoir conjuguer leurs passés simples. A la description, qui est l'apanage du roman balzacien, on substitue un récit plus introverti qui laisse libre cours au mouvement de la pensée. Tout cela correspond finalement assez bien je crois à tes préoccupations esthétiques.
Cette écriture est une écriture que je qualifierais d'extrême: elle doit être brève et incisive, dépouillée, à l'image d'un coup de poignard elle doit tout dire en un instant. Je trouve ça très intéressant, mais cela soumet leur auteur à deux grands dangers: le danger de la porosité - l'écriture ainsi malmenée perd de sa substance, si elle ne parvient à tout dire, alors elle ne dit plus rien - et le danger de la banalité.

pari gagné, smirty, je te l'avais parié qu'il ferait cette (juste) analyse.

J'aime beaucoup le mot "chose". A condition qu'il soit employé intelligemment. Ce qu'il y a de fascinant dans ce mot, c'est cette idée de capitulation, d'abandon du langage, qui renonce à enclore l'objet dans une signification donnée, mais qui ne peut s'empêcher néanmoins d'exprimer cet objet. "Chose", c'est un peu l'anti-mot de la langue française, il veut tout dire et pourtant il ne dit rien, il a cette espèce d'innocence désabusée, il exprime l'impossibilité d'exprimer. C'est d'autant plus intéressant qu'en ancien français, on ne disait pas "une chose " - le mot n'existait pas encore - mais "une rien". Pourquoi employons-nous ce mot bizarre ? Eh bien, peut-être simplement parce que la conscience d'un monde qui se dérobe à notre syntaxe se fait plus présente à notre esprit, à mesure que le statut de la langue évolue. J'ai en tête ces très beaux vers de Bonnefoy, tirés du recueil "Dans le leurre des mots":

Et je pourrais
Tout à l'heure, au sursaut du réveil brusque,
Dire ou tenter de dire le tumulte
Des griffes et des rires qui se heurtent
Avec l'avidité sans joie des vies primaires
Au rebord disloqué de la parole.

J'ai beaucoup aimé, rapide, mystérieux, on entrevoit ce que tu décris dans vraiment la comprendre, comme une petite fente en lien direct avec ton imagination.

Ca me plait.