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 [Background] Chronique de la Ville d'Hiver

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MessageSujet: [Background] Chronique de la Ville d'Hiver   [Background] Chronique de la Ville d'Hiver Icon_minitimeJeu 19 Fév - 12:55

***
Informations:

Les personnages sont des vampires et l'interprétation des vampires ici est mienne et bien mienne, donc ne soyez pas surpris de ne pas trouver de crocs ou du sang humain bu à la paille.

Les extraits qui se trouvent ici sont séparés parfois de 30 ou 50 ans et ne concernent que certains personnages qui vécurent avant et après la naissance de Smirtnoff.

Le nom d'origine de Smirtnoff est Aranev, il est né dans la Ville d'Hiver il y a une petite trentaine d'année d'une mère vampire et d'un père humain.
Dolohev est le frère aîné de Smirtnoff, né de la même mère et d'un père vampire. Il a été exilé.

Gregovi Gregovitch
est un gardien de la Ville d'Hiver, son père s'appelait lui-même Gregovi et était le fils de Gregovi. Ce sont donc tous des Gregovi Gregovitch. Seule le dernier de la lignée se trouve acteur dans cette histoire, son père n'est solicité que dans "La Nature".
Tom est un gardien et ami de Gregovi.

Bonne lecture.




***
Index et Chronologie:

***


-----------------------------
Gregovi, fis de Gregovi



-----------------------------
Gregovi, fis de Gregovi

*
Refuge


-----------------------------
Chronique de la Ville d'Hiver

*
La Nature

*
Un Flocon De Neige

*
Je vais le dire à mon père

*
Imbéciles

*
De Bleu Et D'ambre

*
3e nuit de l'été

*
40ème nuit de l'été

*
Kristina

*
Dernière nuit de l'été

*
Nuit d'Octobre

*
Décembre, Tomshell

*
Décembre

*
Décembre, poste infect

*
Janvier

*
Chuchotis

*
La Couleur du Jour

*
Un Homme

*
Saoul

*
Une Peur

*
Je Ne Vous Ai Pas Fait Demander

*
Provoquer Tom



Dernière édition par Smirtnoff le Lun 12 Déc - 2:17, édité 21 fois
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MessageSujet: Re: [Background] Chronique de la Ville d'Hiver   [Background] Chronique de la Ville d'Hiver Icon_minitimeJeu 19 Fév - 13:30

Gregovi, fils de Gregovi
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[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Gregoviinmymindtr0


Dernière édition par Smirtnoff le Dim 6 Déc - 13:18, édité 5 fois
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MessageSujet: Re: [Background] Chronique de la Ville d'Hiver   [Background] Chronique de la Ville d'Hiver Icon_minitimeMar 24 Mar - 4:22

Gregovi, fils de Gregovi
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[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Gregoviinmymindtr0
*
Refuge


Ça y est, le soleil a disparu derrière la colline. Le ciel, parfaitement dégagé, ouvert par le froid, se trempe d’un bleu rosé. La neige peu épaisse qui recouvre les champs bosselés, éparse, un peu gelée, craque sous le pas lent et irrégulier du cheval.
Un chemin de campagne. De la terre granuleuse, durcie, sans herbe, rien d’autre à l’horizon que des collines basses. Une forêt noire sur la courbe de celle-ci, tout ce qui perturbe les tristes ondulations du sol est cette baraque qui se rapproche, 25m, 22m…
Le cheval s’arrête, une traction sur les rênes, presque une caresse, a suffit. Il se déplace depuis l’aube ce matin, son poil sombre est souillé de transpiration à demi séchée.
Gregovi ouvre le col masquant de son manteau, retire sa casquette, frotte l’humidité de son front avec sa manche. Il retire ses lunettes qu'il porte contre le froid ou la vitesse d’après leur aspect encombrant, contre la lumière trop forte du jour, en fait, qui se reflète de façon violente toute la journée sur le blanc du sol. L’homme est barbouillé, pas propre, il s’étire les bras, les jambes, les reins, juché debout sur les étriers. Il prend son temps, avec, en coin, un œil sur la porte de la fermette qui se trouve sur sa droite, dont le bois noir s’assombrit avec la nuit et dont les fenêtres rougissent avec la vie qui demeure à l’intérieur.
Enfin il descend, la neige craque. Il remue énergiquement et son manteau de pluie fait beaucoup de bruit, mais on doit l’avoir entendu depuis longtemps.
Il vient toquer.
La ferme est tournée sur elle-même, avec une cours dedans, les étables vers l’arrière. La façade ici est celle de l’habitation, on ouvre rapidement. Un couple de paysans. Un homme robuste aux joues rouges, au regard porcin. Une femme aux joues creusées par une longue vie d’effort, le front jeune et les cheveux grisonnants serrés en queue de cheval. Ils n’ouvrent pas beaucoup, juste de quoi observer le visiteur. Ce dernier, gentleman, salue dignement, les traits légers malgré la crasse qui le recouvre partiellement. Ses yeux sont bleu pervenche. Il parle simplement, avec une voix de jeune homme :
-Le salut.
-Le salut, voyageur.
La femme ne parle pas.
-Je cherche l’abri et la nourriture pour la nuit.
-Qui tu es ?
-Mon nom est Gregovi.
Le couple semble méfiant. L’homme a une main posée sur la porte de bois. Il regarde la tenue et les traits fins du jeune homme fixement. Rougeaud, il semble peiner à formuler ses interrogations.
-Tu es soldat ?
-Je porte un manteau de pluie de soldat.
-Et t’es soldat ?
-Non.
-On a parlé de déserteurs. De déserteurs dangereux. Tu sais ça ?
Gregovi s’appuie sur une jambe, la porte ne semble pas prête à s’ouvrir. Il penche la tête, l’air aimable.
-Je sais ça.
-Et tu viens seul avec un manteau de soldat ?
-C’est un très bon manteau. J’ai fait une très longue route.
Le fermier se renfrogne. Gregovi a son sourire d’affichage, poli.
-Je peux entrer ? J’ai un peu froid.
La femme recule. Son homme lui tend un regard. Il hésite mais ne sait plus quoi dire pour ne pas accueillir le voyageur.
Il piétine et souffle, puis demande encore :
-Soulève voir ce que tu as sous le manteau.
Gregovi s’approche plus près de la porte, la requête lui arrache un petit rire.
-Il y a tant de voyageurs sur cette route que votre grange ne peut plus accueillir personne ?
-Montre-toi. Tu as l’air d’un soldat.
-Vous n’allez pas m’ouvrir ?
Faisant un pas de plus vers l’intérieur, le fermier serre son gros bras pour fermer la porte. La main du jeune homme vient s’y coller d’un geste rapide et la porte ne se ferme pas, comme coincée. Le fermier gonfle les muscles mais la porte ne remue pas d’un pouce supplémentaire.
-Je l’ouvre moi-même, si ça ne vous embête pas.
Il ouvre la porte, naturellement comme si personne ne poussait de l’autre côté, et le fermier est forcé de lâcher la poignée pour reculer. Il écarquille les yeux et s’élance pour attraper une masse en bois lestée de fer, ses gros doigts se ferment dessus férocement mais se desserrent de suite, l’os crânien de son front vient de se briser entre ses yeux, sur l’espace des quatre phalanges pliées serré du poing de Gregovi. Il s’effondre presque sur place, à peine remué, la force cinétique horizontale s’est déchargée dans le mou de son cerveau, avec une certaine profondeur. La masse roule le long du grand corps qui tressaute.
Gregovi lève les yeux vers la femme, sourire inchangé :
-Je dois vous remercier pour l’hospitalité.
Elle s’encourt dans les entrailles du domicile. Gregovi essuie son gant sur son manteau et enjambe le gros fermier mort, s’approchant de la table familiale il se déshabille, s’installe et s’approche des casseroles qui bouillonnent et qui sentent la nourriture grasse. À gestes délicats il enlève tout cela du feu. Sous son manteau il y a une gourde, un sabre de cavalerie, une sacoche à munitions.

***


Le feu brûle toujours, cependant, les plats ont refroidis, la graisse s’est gélifiée, la ferme est silencieuse. Gregovi est assis à table. Il n’est plus vêtu que d’un t-shirt noir et juste au corps, ses coudes, ses avant-bras, sont modérément tâchés de sang en cours de coagulation. Il découpe un lambeau de viande crue, un long couteau militaire à la main dont il se sert soigneusement. Il mange, à son aise et depuis longtemps.

***


Il est probablement 5h du soir environnante, la nuit tombe pour la seconde fois sur la fermette. Gregovi ouvre les yeux, allongé sur la couche des maîtres de maison. Les pièces sont froides, le feu ne brûle plus depuis des heures et des heures. Le vent souffle dans les corniches, les animaux gémissent de ne pas avoir été nourris.
Le vampire s’étire, rassasié, relaxé, quitte la couche et s’habille. Il rejoint la morsure gelée de la nuit dehors, abreuve et nourrit sa monture avec le foin des autres animaux, la selle, l’harnache et repart. Il laisse derrière lui toutes les bêtes en souffrance, ainsi que les corps des maîtres de maison, dépouillés proprement de leur chair, viscères et peau. À son départ les chiens se précipitent sur le sol de la salle à manger pour tout nettoyer goulûment. Ils pourront survivre le temps que les voisins les plus proches s’inquiètent. Gregovi pourra jeûner pendant une bonne quinzaine de jours sans souffrir de la faim.

[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Farl


Dernière édition par Smirtnoff le Mer 23 Déc - 11:08, édité 7 fois
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MessageSujet: Re: [Background] Chronique de la Ville d'Hiver   [Background] Chronique de la Ville d'Hiver Icon_minitimeMer 5 Aoû - 17:26

Chroniques de la Ville d'Hiver
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[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Vignettebackground
*
La Nature


-Es-tu sorti de tes gonds, mon frère ?
Gregovi second du nom est d’une fine stature, doté d’épaules solides. Son visage est petit et fin, son menton étroit forme un pli sous sa bouche mince et ses lèvres sont ombrées subtilement par son nez aquilin. Il regarde le personnage en armure assis en face de lui sur un muret et ce dernier lève les yeux pour rassurer sur cette question. Le visage ovale de ce dernier, aux traits pleins, cerclés d’une longue chevelure noire, est serein, même amical. Sough a les yeux lourds, sombres, des cils longs qui lui accordent quelque beauté de nature féminine. Une iris d’un vert d’eau de lac à reflets changeants et une bouche sensuelle constituent ses atouts diplomatiques, éternellement apaisants et ce en toute circonstance. Ses épaules robustes et l’armure d’acier noir qui les recouvre s’ajoutent à ses outils parlementaires actuellement. Il est assis avec nonchalance sur la barrière d’une ferme bourgeoise qui prend feu. Il neige férocement et tout est blanc dans les alentours si ce n’est les quelques colonnes de fumée rouge qui s’échappent des chaumières attaquées.
-Je ne peux pas te laisser massacrer ces gens. Ton prétexte n’est pas suffisant.
-Mon… Oooh… Puritain…
Sough se lève, souplement malgré l’armure au corps qui le plastronne. Il porte à la taille le fourreau d’une épée connue. Sough est un patriarche, il y a plus d’un millénaire qu’il foule la neige de ses pieds et son sang fonde la branche des Sough de l’arbre familial. Gregovi ne fait pas partie de cette lignée. Il ne recule pas mais cesse d’avancer à ce mouvement de son opposant.
Sough étouffe un rire léger, presque enfantin. Sa voix est douce et sa silhouette se découpe sur le blanc de la neige avec un noir velouté très élégant.
-Je doute d’être le puritain d’entre nous deux.
-Les chartes qui surprotégeaient les fraîches générations autrefois ne sont plus d’actualité depuis près de 50 ans.
Sough secoue la tête.
-Mon frère, les fraîches comme toi tendent à faire deux pas en arrière avant de marcher devant. Aujourd’hui il n’est plus question de protéger. Vos vieux maîtres ont décidé de répéter quelques bains de sang, ceux qui précèdent et font s’enchaîner les changements qu’eux-mêmes ne désirent pas. M’est d’avis qu’une boucherie n’est pas profitable actuellement et je suis venu te faire part de mon sentiment à ce propos, si mon avis, bien sûr, t’importe.
Gregovi se renfrogne, il a reçu l’avertissement. Sough a une réputation et il hésite à s’y frotter.
-Ton avis m’importe, noble maître. Je note cependant que le sol ici ne t’appartient et que sa gérance ne te concerne en rien.
-Les frontières tracées sur le papier ne changent pas, mon frère. Le sang voyage, quant à lui. Je crains que tu ne commettes ici de meurtre sur des personnes issues de ma descendance et je ne puis le tolérer.
-Si la propriété dépend du sang dès lors le monde entier t’appartient.
-Exact.
Gregovi laisse échapper un bruit méprisant.
-Où en viens-tu ?
-Tous mes frères sont un peu mes enfants. Et mon cœur est assez large pour que je tienne à chacun de ces enfants. Il m’est pénible de voir que vous vous assassinez afin de rassurer certains sur des notions qui sont, il faut le dire, puritaines, légalement archaïques et limitantes pour votre développement, à n’importe quel niveau d’implication. La mixité sanguine n’apporte que des avantages, vraiment.
-C’est une notion intéressante.
-Je souhaite le bien de ma progéniture, au contraire de certains, et je ne te laisserai pas ravager cette ville aussi modeste soit-elle.
-Que comptes-tu faire ?
-Te convaincre.
-Si tu ne me convaincs pas ?
-Te vaincre.
-ça ne règlera pas le problème.
-Si tu es trop stupide pour changer d’avis je te donnerai la mort. C’est là une loi de sélection. La nature. Tu comprends.
Gregovi serre les mâchoires.
-C’est un langage extrêmement vulgaire que tu tiens, patriarche.

L’intensité du vent était double à cette distance des surélévations de la ville. La noire épée de Sough tranche l’air sauvagement à proximité de Gregovi. Il ne passe jamais très loin et semble se réjouir de chaque pas qu’il fait faire en arrière à son adversaire. Ce dernier trouve tout le loisir de contempler ce fascinant visage que la bourrasque dégage, lissant ses longs cheveux derrière sa nuque ou par-dessus son épaule.
À travers l’épaisseur du brouillard quelques mots lui parviennent :
-Tu n’es pas mauvais, Gregovi.
Brutalement l’extrémité de la lame trouve un chemin horizontalement à travers la gorge et la trachée du vampire. Le bruit est horrible dans ses tempes, le choc est violent, la sensation glaçante.
L’épée s’arrête, au bout du bras levé de Sough face à lui. D’un coup il n’y a plus que sa chevelure qui ondule sur le papier blanc. Un liquide chaud inonde le cou de Gregovi, s’écoule sous son vêtement pour descendre le long de son ventre. Il porte une main à sa gorge.
Sough baisse son arme.
Encore, son visage est tendre. Gregovi le fixe avec des yeux écarquillés, une gorgée de sang l’étrangle, s’écoule très rouge de ses lèvres tandis qu’il titube en avant, s’agenouille avec une main au sol. Il lâche prise de son autre main sur son artère et un jet sombre s’élève et ricoche sur son épaule, il vacille et s’effondre sur le flanc. Son corps est agité spasmodiquement pendant que l’hémorragie le noie. Finalement il s’immobilise. Le vent souffle toujours.
-Navré, mon frère.
Sough s’éloigne silencieusement.





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*
Un Flocon De Neige

Un jaune violacé se glisse entre les cheminées d'usines qui fument leurs vapeurs. Il lèche les façades de briques et de rouille en tournant au violet, s'adoucit, rosit et disparaît, remplacé par un mauve bleuté et sale. L'air est glacé. Il a neigé toute la matinée et il fait trop froid en cette soirée pour que le ciel ne soit pas dégagé. Kristina sort la première, vivifiée par la température qui l'agresse et par la rue toute blanche qui s'ouvre devant. Elle s'encourt comme un lièvre et s'empresse de planter ses semelles minuscules sur tout le périmètre vierge des environs. Gregovi ferme la porte derrière lui en sortant à son tour. Il suit des yeux le petit boulet rosé qui rugit de plaisir sous ses yeux. Elle se jette sur ses genoux élastiques de fillette et fourre ses bras dans la neige jusqu'au cou pour tout lancer en l'air et simuler quelque tempête terrible, comme celle d'hier.
Gregovi la regarde faire sans un mot, les yeux attentifs et un vague sourire aux lèvres. Regarder Kristina jouer a quelque chose d'enchantant. Chacun de ses gestes sont maladroits, trop rapides ou trop empressés. Elle veut tout accomplir tout de suite, comme tous les enfants, et s'y prend mal mais ne s'en soucis pas le moins du monde. Lorsqu'elle peut patauger dans la neige elle passe dans un monde bien à elle, rempli de vaguelettes de sucre blanc et de coton, d'oiseaux babillards et de lèvres rougies par le froid. Il s'amuse de ses manières de petite fille distinguée mais pas moins sauvage, qui lorsqu'elle s'aperçoit d'être observée par lui s'enorgueillit, tâche d'imiter quelque découverte importante ou très surprenante et qui donnerait à son spectateur toutes les raisons de ne plus regarder ailleurs. Il suffit alors à Gregovi d'étirer à son égard un sourire ensoleillé pour que la petite rayonne tout le reste de la nuit. Sous la lumière du réverbère à peine allumé elle sautille et tourne comme un flocon et comme son cœur d'enfant éblouit le sien de blanc pur et de légèreté.
Il marche lentement pour traverser la rue lorsque la gamine s'éloigne vers la fin de la ruelle où les barrières de bois humide clôturent une prairie, longeant un chemin de campagne. La petite tête blonde se penche pour agripper quelques dents gelées fixées sous le ventre des planches et ses petites bottes de fourrure décoiffent les herbes couvertes de blanc qui chuchotent à ses genoux.
-Tu ne vas pas sous la barrière.
La voix patiente de Gregovi prévient. La fillette ressort de sa jungle d'herbes hautes cristallisées et affiche au gardien un sourire d'extase, preuve suffisante de ses innocentes intentions. Elle galope ensuite le long de la clôture avec des petits pas rapides et incontrôlés d'enfant, les bras ouverts comme pour freiner son aérodynamisme en cas d'arrêt pressant.
Elle bifurque pour s'intéresser à une mésange sur l'autre côté de la barrière, mais l'oiseau s'envole immédiatement, pas tant parce que l'enfant est bruyant mais parce qu'elle s'exclame victorieusement de sa présence en approchant:
-L'oiseau!
L'oiseau s'envole.
-Il est parti!
Gregovi marche derrière à pas pesés.
-Tu lui as fait peur.
-Oh...
Il suit la petite qui semble d'humeur à marcher juste comme ça et qui lèche une poignée de stalactites. Activité laborieuse du fait de la qualité glissante de ses gants mouillés. Après quelques dizaines de mètres de marche, sportive devant, posée derrière, Kristina fait un splendide demi-tour et vient se cogner avec indifférence contre les jambes du gardien. Elle lui tend gracieusement une stalactite, avec le sourire exquis qui l'accompagne:
-Tiens.
-Merci.
Il prend le cadeau et le coince entre ses dents, parce que c'est ce que la gamine attendait pour se remettre à marcher. Elle ne se décolle pas pour autant et demande d'un air concerné, ce à quoi elle pensait jusqu'à présent:
-Mais comment je dois faire pour que il ait pas peur?
-Tu ne dois pas lui crier dessus. Et tu ne dois pas t'agiter vers lui.
-Tu sais attraper un oiseau, Gregovi?
-Pour quoi faire?
-Pour l'avoir.
-En cage?
-Non, sur ton épaule et dans tes mains.
Il rigole doucement.
-Tu vas le terroriser si tu l'attrapes dans tes mains. Un oiseau n'est pas fait pour ça. Et ils sont très fragiles.
La gamine ronchonne. Ils marchent encore longuement et elle finit par fatiguer.
-On va voir des oiseaux?
-Si tu es calme, oui.
-Je suis calme.
Sur ce, mademoiselle exige d'être portée. Il la prend donc dans ses bras et elle s'agrippe autour de son col avec ses petits poings sans force, pose la tête contre sa joue et enfuit son museau derrière tandis qu'il continue de marcher. Le ciel s'assombrit de ce côté. Dans le lointain à l'autre bout de la campagne les nuages s'enroulent et se déroulent comme des vagues immobiles dont la couleur déteint.
Après quelques longues minutes de marche tranquille dans ce paysage blanc, Gregovi s'arrête:
-Tu veux voir un épervier?
La gamine se redresse soudainement avec une exclamation:
-Oui!
-Chut. Tiens-toi sage.
Elle baisse la voix et se cramponne.
-Il est où?
Il marche quelques mètres de plus en silence, puis il prend la petite main, lui tend lentement le bras vers le lointain et pointe. L'oiseau est assez loin. Ils regardent tous les deux tête contre tête avec des yeux très grands, aiguisant leur vue d'assassin. La fillette observe comme un chaton intrigué, fébrile, puis elle finit par murmurer avec une sorte de ravissement et un sens du sacré:
-Il est beau.
Elle s'enfonce avec plus d'aise dans le creux du coude de son gardien, entourée chaudement par l'autre bras qui la tient. Comme un chaton, ses yeux finissent par se fermer sur son objet d'observation et Gregovi fait demi-tour, le pas posé dans le paysage qui s'obscurcit, ramène en ville son colis sommeillant.



[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Aranevid9
*
Je vais le dire à mon père

Le bruit du crayon qui roule. Du bois léger sur bois lourd stoppé par le mou soufflé du contact avec la feuille de papier. Aranev saisit l’ustensile qui semble épais dans sa petite main. Sa bouche est ouverte comme celles des enfants dont l’attention est toute attirée par l’inédit. Ses longs cils noirs baissés étudient la sensation amusante de la forme, rugueuse entre ses doigts, du jeu des lignes d’ombre qui coupent et coulent sur ses bras au rythme des tours de son poignet. Le rideau de feutre lourd à sa droite est entrouvert sur le jour qui se lève et les feuilles de cours couchées sous les coudes de l’enfant rayonnent de blanc. Le soleil fait grossir toutes les pellicules de poussière que l’air transporte comme des flocons. Le sang de vampire marié à celui d’un homme permet aux yeux bleus d’Aranev d’endurer à petite dose la lumière du jour et une langue de ciel bleu mange ses pupilles étroitement serrées qui passent avec vivacité sur les différents objets de son attention. Le cours n’était clairement pas objet d’intérêt jusqu’à ce qu’un carnet de travail vienne tomber devant lui. Le crayon s’échappe et Aranev le rattrape en tapant dessus, puis lèvent les yeux vers Pollus.
Le visage blond et régulier du garçonnet vampire lui offre une grimace du genre de celles qui se dessinent à la vue d’un improbable demeuré:
-Tu fais quoi avec ce rideau ouvert?
Il s’empresse de fermer ce dernier avec consternation avant de s’asseoir en face d’Aranev et de préparer sur la table les feuilles et les plumes destinées à l’apprentissage de l’écriture. Pollus est ici pour l’aider à écrire et rattraper un certain retard en classe. Il a onze ans, Aranev en a cinq, il ne sait toujours pas écrire son nom.
Les feuilles claquent et glissent et la plume mouille l’encre et le vampire joli et blond présente au petit bâtard brun et morne ses outils de travail.
-Commence par cette colonne là. Et puis tu passeras à celle de gauche.
-J’ai déjà fait ce côté.
-Tu l’as mal fait, recommences. Et je suppose que t’as pas fait ce que je t’avais dit hier.
Aranev réfléchit avec incertitude sur ce passage inconnu de la conversation de la veille. Pollus n’a pas besoin de le regarder pour savoir de quoi il en est.
-Bon eh bien tu le feras maintenant aussi, hein.
Il sort un de ses cahiers de mathématique qu’il ouvre sur sa moitié de la table et tourne les pages avec agacement.
Le bruit claquant des chapitres tournés trop vite et trop fort martèle les oreilles du scribe d’en face pendant un moment, qui ne parvient pas à se concentrer. Ce dernier regrette la lumière chaude et bourdonnante de tantôt et toutes ses abeilles de poussière de calme. Il demeure penché sur sa feuille et sa plume pour un tiers d’éternité avant de remarquer la tache d’encre que son inactivité a généré. Il enchaîne sur quelques courbes pour désengorger ce lac intéressant que la pointe de métal divise et tire sur le papier.
-C’est beau l’encre.
Pollus hausse les sourcils et le regarde en riant :
-Qu’est-ce que tu sais à la beauté ?
Aranev pose des yeux sombres sur le visage efféminé de Pollus dont le nez est droit et fin, la bouche petite, les traits raffinés. Il baisse les yeux ensuite sur son œuvre noire et en étudie l’aspect, qu’il trouve fragile, grinçant. Pollus tire la feuille à lui soudainement pour admirer le résultat dont il résume sans équivoque l’absence d’élégance :
-On dirait un crachat. Quand est-ce que tu te mets à écrire ? L'année prochaine ?
-Donne.
Aranev reprend sa feuille mais l’autre la retient d’un seul doigt et le regarde dans les yeux avec autorité :
-C’est pas du papier brouillon, c’est pour que t’apprennes à écrire. En plus c’est mon papier. Alors ne t’avises pas de dessiner des conneries dessus à la place sinon t’écrira sur la table.
Aranev envisage avec ravissement la possibilité de dessiner sur une table mais le ton cassant de Pollus lui sort l’idée de la tête brutalement. Il récupère son bien prêté avec amertume.
Les deux garçons se remettent à l’étude pour quelques minutes à peu près silencieuses et Aranev s’applique à son devoir, mais la répétition de la tâche l’ennuie excessivement et après quelques temps il glisse les doigts entre le rideau pour regarder dehors. Cette fois le soleil est un peu fort et lui picote les yeux. Il laisse le pan de tissu se refermer sans réconfort. Pollus le fixe avec une froide exaspération.
-Tu vas continuer à faire ça longtemps ?
-Non.
-ça m’intéresse pas de t’aider à tes cours alors si t’as pas envie de travailler tu peux aller voir ailleurs.
-Où ?
Pollus éclate de rire et lance en fermant son cahier :
-T’es vraiment comme les gens du chantier, t’es une andouille et t’as une patate à la place du nez.
L’insulte siffle par-dessus son front et rebondit sur le dossier :
-Bin toi t’as une tête de fille de joie.
La face blonde s’offusque d’une bouche ronde qui illustre sans qu’il le sache l’insulte dont il a fait l’objet.
-Je vais le dire à mon père.
Aranev le regarde sortir de la chambre en serrant les dents et reste assis un moment, trop secoué pour se lever. Sans réfléchir il se met à tracer sur la feuille des traits empreints d’acidité, avant de se rappeler que le papier n’est pas à lui et que son père non plus ne lui appartient pas.



[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Aranevid9
*
Imbéciles

-C’est que tu deviens baraqué toi !?
-Quoi ?
Dolohev rigole au nez de son frère. Ses joues se creusent comme il leur arrive si souvent et Aranev se retient de ne pas l’imiter. Il préfère comprendre avant ce qui peut bien causer son hilarité pour ne pas risquer une éventuelle moquerie glissée à son insu. Mais son visage s’illumine malgré lui, le sourire de son frère lui ôte irrémédiablement tout contrôle facial.
-L’entêtement de cette brute de Tom servirait à quelque chose en fin de comptes ?
Tom n’était pas une figure digne d’admiration. Lui ressembler en un quelconque point semble une dérision aux yeux d’Aranev, il se renfrogne sur sa chaise comme si il allait paraître plus étroit de cette façon, les sourcils froncés sur la défensive :
-Non.
-Attends ça, c'est quoi ces bras, mec ! Bientôt c’est moi qui vais me cacher derrière ton dos.
Aranev le regarde une seconde sans rien dire avant de hausser les sourcils et de prendre un ton indigné, étrangement haut perché pour sa voix rugueuse qu’il utilise trop peu et trop bas, trop rarement :
-Je me cache pas derrière ton dos.
-Oh si.
-Faut que je te le prouve ?
-Pas besoin de preuve, je suis convaincu de mes avancements !
Aranev se lève en faisant la moue, il jette un œil rapide aux alentours du bureau et de la salle d’étude plus ou moins vide. Il saisit une règle abandonnée sur une gouttière de bois et la tend vers son frère, en garde :
-Si je t’explique avec ça ?
-Tu vas m’expliquer avec une règle ? Il y a du sens, je suppose.
Dolohev s’agite sur place, toujours souriant et l’air de s’exciter il brandit ses deux paumes entrouvertes avec une sorte de flegme qui ne le quitte pas et que Aranev trouve enchantante. Il sourit en coin et s’éloigne du bureau pour une meilleure liberté de mouvement.
-Elle est très bien ma règle.
Il lève le nez et repousse les cheveux noirs qui lui tombent devant les yeux pour imiter la nonchalance de son aîné. Il en profite pour arranger ses deux mains sur sa prise. Dolohev recule en rigolant.
-J’avoue que je voudrais pas te savoir derrière moi avec ce genre d’objet allongé.
Ce disant il trébuche sur une mallette et se rattrape sur un banc plus loin. Il ajoute avec un doigt levé et le ton pédagogique en remettant ses cheveux à leur place :
-Et d’ailleurs. –Il évitait un autre bureau avec souplesse, sa main à tâtons derrière lui dissipe quelque peu le fil de son discours- Oui, tu veux que je t’explique autre chose ?
-Genre quoi.
Aranev note que les ondulations habiles du corps de son frère pour esquiver les obstacles venaient de plaquer dans sa pensée l’image d’une truite.
Là, Dolohev se rue soudain sur lui en toute finesse, empoigne la règle tout en la rendant inutile par une stratégique proximité. Aranev lâche prise et ils luttent entre les bureaux d’étude avec acharnement pour un moment, s’attitrant de jurons divers et variés.



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*
De Bleu et D'Ambre

Le piano rapide émane des pièces d'à côté, fragmenté et rassemblé au rythme de l'intonation roucoulante des deux solistes féminines. Les tintements de verre accompagnent en cassant la mélodie et en aiguisant les tympans. Kristina s'affale sur sa camarade et les chevelures détachées, l'une d'un rouge doré et l'autre châtain argenté s'emmêlent. Les petits corps s'attaquent avec rudesse, s'emboîtent l'un contre l'autre en courbes graciles, les deux filles sont presque saoules. Gregovi observe leurs hanches maigres se balancer et leurs jupes courtes découvrir des morceaux de chair blanche lors de mouvements trop excentriques. Il porte cette nuit un manteau qu'il sort très rarement, noir comme de la suie et découpé de poches devant. Il est épais et tient trop chaud en intérieur, mais cette semaine d'hiver est glacée et on ne cesse de l'envoyer en patrouille solitaire au dehors, des missions froides et peu commodes. Quoi qu'il en soit, les femmes semblent apprécier cet uniforme. Le côté militaire et ténébreux associés, sans doute.
Les jeunes filles devant lui gloussent depuis plus d'une heure. Il s'est contenté de boire comme d'habitude, vaguement agacé par la chaleur du bar et les grands clients qui s'égosillent derrière lui. Kristina revient à lui après avoir terminé d'en raconter une bonne à sa camarade. Chatoyante, ses cheveux d'argent bataillent sur ses joues roses. Il glisse ses yeux dans les siens placidement lorsqu'elle cherche son attention et ce manque d'égard fait rougir la fille, mais celle-ci se rapproche avec plus d'assurance. Comme s'il écoutait la conversation avec une avidité naïve depuis tantôt elle continue face à lui, les lèvres pendantes avec dramaturgie:
-Sais-tu alors ce que je lui ai dit?
-Non.
Sa réponse était empressée suffisamment pour qu'elle y croit. Kristina ondule et lui dévoile la réponse très attendue, mais Gregovi n'écoute pas sa réponse. Seul le son de sa voix suave et juvénile parvient à ses oreilles. Son regard tâtonne le décolleté frisquet où les petits seins se réunissent au rythme accéléré de sa respiration. Ces derniers semblent chercher ses yeux à outrance depuis tout à l'heure. Il remonte sur le visage triangulaire, Kristina le regarde avec une sorte d'avidité intense. Sa bouche est une fleur très rouge et sa respiration alcoolisée se mélange à la sienne. Gregovi détourne la tête. La fille se détourne également de son refus sec comme d'une défaite, les yeux humides et les lèvres pincées légèrement. Gregovi vide son verre. La jeune fille retombe sur ses pattes aussi vite et lorsqu'il revient de son côté elle rit à nouveau, la gorge grasse et les joues en feu, ses mains blanches sur la table de verre vitré.
Il préfère ne rien faire, se racle la gorge, la contourne et s'en va dehors, passablement inexpressif. La jeune fille est surprise. Il n'est jamais rude de la sorte avec elle.
Gregovi marche quelques mètres dans la nuit, hors du bruit et de la chaleur du bar et soupire, appréciant à travers son manteau la tendre morsure du froid. La température est agréable ici. Sa tête refroidit, il ferme les yeux et entreprend de sortir une cigarette. Lorsqu'il l'allume le bruit revient dans son dos puis s'étouffe derrière la porte qui se referme et il entend des pas crisser, rapides, qui le rejoignent. Il se retourne. Kristina s'est plantée devant lui, maigre et misérable, ses jambes comme des roseaux dans ses longues chaussettes de laine foncée. Son souffle mince fait de la buée. Elle le regarde droit dans les yeux et ses petits poings frissonnent au bout de ses bras, emmitouflés dans l'extrémité des manches.
-Tu ne me vois pas?
Il finit d'expirer la fumée tiède par le nez et répond, impénétrable, la cigarette au bout des doigts:
-Si.
Elle cligne des yeux, puis serre les dents:
-Et? Je t'ennuie?
-Tu ne m'ennuies pas.
-Je ne te plais pas?
Il ramène la cigarette à sa bouche, sans cesser de la regarder mais sans rien partager d'autre qu'un regard assidu:
-Tu ne me déplais pas.
La réponse ne la satisfait pas. Elle plisse la bouche douloureusement et le regarde de haut en bas, tentant de déceler quelque signe d'une quelconque intention. Il en profite pour regarder ailleurs, alors elle le rappelle aussitôt, un haussement de voix qui contenait de la détresse:
-Gregovi!
Il revient en place immédiatement et elle le regarde avec des yeux plus grands et plus noirs qu'avant, presque de la colère. Elle gronde et articule:
-Je n'ai plus... Besoin d'un... Pa-pa!
L'accent du mot est comique et insolent dans sa bouche au fort accent. Gregovi détourne la tête avec un sourire au coin. Puis tous les doigts de la jeune fille emprisonnent ses joues, délicats. Sa voix est proche , il voit battre ses longs cils bruns. Sa voix bleue est chaude et tremblante:
-Je veux que tu m'aimes.
Il ne répond pas. Mais d'aussi près, son expression n'échappe pas à au regard aigu de la jeune fille.
-Tu fais ton faux sourire, enlève-le. Je veux ton vrai visage, Gregovi.
Elle appuie ses dires de son pouce sur le coin de sa bouche comme pour faire partir cet artifice d'expression. Gregovi relâche la mâchoire, les yeux baissés sur la neige.
-Je sais que tu ne souris jamais. Parce que j'ai déjà vu ton beau sourire, ce n'est pas celui que tu colles en toute circonstance.
Elle presse ses joues pour que leurs regards se croisent:
-Je veux entrer dans tes yeux, Gregovi. Je veux entrer dans ta mer.
Il observe les deux éclats de rivière qui le transpercent intensément. Une eau fraîche et limpide de montagne, qui sautille et rampe sur les rochers adoucis et filtrée à travers la mousse des sous-bois. Un peu de bleu et d'ambré, un peu de soif de voyage.
Il pose sur le petit visage sa main gantée de noir, caresse le coin et l'oreille qui disparaît sous les cheveux satinés.
-Je craindrais que du sel ne tombe dans les tiens.






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Gardien des Sceaux N°1
Famille d’Hiver
3eme nuit de l’été
*
Un membre des générations de printemps a été surpris avec une femme. Une humaine. Il semblerait que ce ne soit pas la première fois. Il lui a déjà fait un enfant, âgé de 6 mois. La femme l’élevait en secret, parmi d’autres humains. Quelle impudence, quelle honte. Sigmo’ et moi-même avons réglé cela : L’insolent fornicateur que nous avons découvert a été brûlé vif sur décision de l’assemblée, l’enfant avec lui.
Nous avons pourchassé la femme, qui a voulu fuir, ou récupérer son engeance, que dire, ces créatures sont dotées d’une âme des plus absurdes. Elle est morte le flanc ouvert, comme le reste de sa famille ou de ses colocataires qui vivaient là, entassés à douze dans le même étage d’un immeuble. Un bon nettoyage pour la communauté, ces humains pouilleux grouillaient de puces et de maladies. Nous avons chargé les habitants du quartier de brûler les cadavres proprement.
*

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*

Sough
Famille d’Hiver
40eme nuit de l’été
*
Un couple de jeunes gens a été exécuté hier sur décision de l’assemblée. J’aurais envie de brandir l’inconscience de cette frêle génération, le fait est qu’ils se trouvaient à mille lieues de la ville d’Hiver. L’assemblée les a donc guetté bien avant et pris en chasse jusque là. Quel mal font-ils à la Famille à cette distance, séparés par l’espace, autant que par les idéologies ? Se souvenaient-ils seulement des visages de nos Gardiens ?
Chers Gardiens…
La mixité sanguine ne fait pas de mal, même aux vampires. Et si quelques propriétés des hommes pouvaient être partagées aux nôtres ? Et si nos descendants pouvaient regarder le jour en face ?

Je garde cela pour moi.
*


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*
Kristina


Gregovi passe dans la pièce suivante. Du parquet sur le sol. Deux corps, à présent. Il est une ombre. Il y a des ombres autour de lui. L’orange de quelques bougies par là-bas, encore quelqu’un qui respire. Rapide mais pas trop, une petite femme, un jeune vampire. Des cheveux châtains, gris et rouge dans la pénombre agitée que murmure la chandelle. Elle se tient près d’une table, éclairée de dos par les flammes. Pas d’autre porte, pas d’issue, une fenêtre, la nuit, la neige bleue.
Les yeux bleus. Ciel. Ceux du gardien posés sur elle.
Elle respire de plus en plus vite, sa gorge se noue. Il tient son sabre à la main. La lame incurvée, souple, lisse, parfaite… Elle a tranché, elle a traversé plusieurs autres vampires aujourd’hui, un homme également. Sans faire de salissure. Elle est rouge bordeaux, un feu liquide et vivant qui semble doux au toucher, qui ronronnerait sous la main, si il n’était outil de mort, éduqué à la perfection.
-Gregovi…
-C’est moi.
-… Toi aussi ?
-Moi aussi quoi ?
-Je… J’pensais...

Aucune colère dans la voix. Aucun reproche. Aucune émotion. Il l’observe sans bouger, sa face blanche et symétrique, lisse, parfaite... Dépourvu de toute expression.
La jeune fille se crispe, fautive et jeune, révolutionnaire. Elle a couché avec un humain. Elle a aimé un humain et a partagé quelques moments de sa vie avec la sienne. Elle a trouvé un lit, un sexe, un cœur et de tendres émotions. Mais elle savait pour les autres, elle savait pour ses frères, que les gardiens tuaient.
-J’pensais que t’étais pas comme les autres… Comme les autres… vieux.
Un sourire cette fois, celui que tout le monde voit. Celui qui ne révèle rien.
-Ma pauvre fille… Marche-tu encore à quatre pattes comme un bébé ? ...Si je te donne un biscuit je suis ta mère ? Si je te fais l’amour j’adhère à tes idées ?
Elle réplique, la voix forte et vacillante:
-On a le droit d’aimer. Un humain, ou quelqu’un d’autre, il n’y a pas de mal. Les histoires de sang pur, c’est pour les vieux maniaques comme vous, c'est pour les gardiens !
-Oh je t’en prie…
Un sourire plus large et un regard vers le bas, modestie méprisante et un creux adorable dans la joue.
-Épargne-moi tes beaux sentiments et tous tes mots dégoulinants.
Elle se ramasse, gonfle sa poitrine d’air et d’orgueil. De courage, peut-être. Les doigts se ferment contre les paumes et serrent. Elle va devoir dire quelque chose pour se défendre, les gestes sont inutiles.
En fait, les mots aussi, probablement.
Il parle avant, sa voix résonne dans le silence comme un écho dans le ventre d'un glacier :
-Je t’aimais bien.
Elle se tait. Son courage est en train de s’évanouir, remplacé par la peur. Comme si cette phrase était le signal d’un arrêt de mort. Il ajoute sur le ton de la conversation :
-Je pensais que tu aimais les vampires.
-Je...vois pas de différence.

Un silence. Le sol craque, il s’appuie sur l’autre jambe.
-Tu… es en train de m’insulter ?
Un sursaut des épaules, visage bouffi, la jeune fille fond en larmes. Sa gorge serrée ne laisse échapper qu’une petite voix suppliante qui n'était pas voulue.
-Non…


-Ah oui ? …
Quelques pas de plus dans sa direction, il s’arrête. En appui sur une jambe, le sabre tendu vers le parquet de bois noirci. Un coude levé doucement, en suspens, les yeux bleu ciel grand ouverts. Fixés sur elle sans un mouvement des muscles faciaux.
-Continue de mâchonner tes excuses. J’aime à te voir pleurer.

Le visage se tord et un nouveau flot de larme coule, sur les joues, sur la bouche. Elle pleure cette fois sans plus parler. Les longs cils noirs s’emmêlent entre les paupières. Sanglot, un spasme qui secoue les épaules nues. Des cheveux s’y sont collés.

-Tu t’arrêtes déjà ? La justification de tes actes a-t'elle mûrie à ce point ? …
Le parquet claque encore, le gardien marche jusqu’à elle. Le sang sur le sabre est noirci, déjà collé. Presque une dizaine de minutes qu’il a quitté ce corps tiède, et que ce corps refroidit.
Le feu en fusion est une larme séchée, à présent. Un soupir rouillé.
-Même si… Tu me ravis de tes idéaux et de cette naïveté invraisemblable… Même si à moitié nue, même si sale et poisseuse des sécrétions immondes d’un humain tu parviens à me faire frémir d’envie… Je dois te tuer.
Elle éclate :
-Si tu m’aimais, tu ne viendrais pas en personne massacrer mes amis et moi-même !
Les sanglots la forcent à bégayer, à se prendre le visage à deux mains:
- Tu es un monstre et tu n’écoutes rien. N… non, tu… es incapable d’aimer.
-La peur te fait dire beaucoup de stupidités, ma fille. Ce sont les derniers moments que nous passons ensembles, je le regrette. Si tu n’avais pas fait cet écart stupide, je n’aurais pas eu à faire ce que je vais faire maintenant. Ce n’est pas pour mon plaisir.
-Nan tu vas devoir te salir les mains ! Quel inconfort ! Il va falloir nettoyer. Mais je suppose que c’est pas toi qui nettoie tes boucheries, ça serait fort ridicule.
-Tu as raison.

Une violence dans l’air ambiant, le métal a tranché le silence brutalement, derrière lui un creux, une vague, une giclée de sang et des dents. La lèvre déchirée qui se sépare de l’aile du nez, l’œsophage d'où le souffle est coupé, la nuque qui se broie, les cheveux qui caressent... Elle est morte.
Toutes ses dents brisées, la face ouverte, un flot de sang noir s’écoule par-dessus sa mâchoire pendante, une porte entrebâillée. A genoux. La tête est penchée, les yeux sont ouverts.
-Pardon.
Il la retient face à lui par la chemise, agenouillé comme elle. Une main derrière les cheveux pour regarder le côté intact du visage étonné, ouvert passionnément.
-Pardon.
Le rouge liquide recouvre les genoux nus, imbibe lentement le tissu qui recouvre son entrejambe, une courbe jaune de son corps immobile.




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Gardien des Sceaux N°11, Gregovi Gregovitch
Famille d’Hiver
Dernière nuit de l’été
*
Encore des fous ! Ces jeunes vampires traîtres à leur race, ils continuent à se mélanger aux créatures inférieures de la ville. Pourquoi ? Pourquoi ? Le message n’est-il pas assez clair ?
Cinquante-sept années que je veille sur la ville d’Hiver, j’ai, moi aussi, élevé ces gamins après leur naissance, il y a 20 ans pour celui-là, 33 pour elle, 17 pour celui-ci !
Notre patriarche était en colère, de peu il nous accusait de ne pas faire notre travail. Et moi je tue ces gens, les uns après les autres, ou tous en même temps. Pourquoi s’obstinent-ils à ces obscénités?
Kristina, elle aussi. Par le sang… Mon sabre lui a traversé la joue, fendu toutes les dents. Elle est morte rapidement. Elle ne s’est pas défendue, elle n’a pas fui non plus. Sans doute croyait-elle que par affection, par complicité j’allais lui épargner ce sort ? Sans doute.
Par pitié, qu’ils cessent cette sinistre comédie.
*

[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Lavrentipa5

Gardien des Sceaux N°1
Famille d’Hiver
Nuit d’Octobre
*
Ces enfants ne comprennent rien. Sont-ils sourds ? Sont-il sots ? L’amour n’est point un bouclier à brandir, le métal le traverse aisément. Qu’ils périssent. Les naissances de ce demi-siècle n’ont pas de valeur, elles sont remplaçables. Si il le faut, nous saignerons toute la génération pour laver cette habitude blasphématoire.
*

Gardien des Sceaux N°6
Famille d’Hiver
Décembre
*
Nous avons perdu un Gardien. Tomshell a été mis à mort en privé par notre patriarche. Étonnant… Il lui a traversé la poitrine à la main.
J’imaginais qu’il le brûle. Soit.
*

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Gardien des Sceaux N°1
Famille d’Hiver
Décembre
*
Tomshell mort ? Impensable. L’assemblée en tremble encore. L’heure est grave si les anciens commencent à tuer des anciens.
*

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Gardien des Sceaux N°11, Gregovi Gregovitch
Famille d’Hiver
Décembre
*
Tom n’a pas voulu me croire. Moi j'ai éclaté de rire, j’ai du mal à imaginer le visage de son patronyme tordu par la mort.
Quel poste infect.
*

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*

Sough
Famille d’Hiver
Janvier
*
Voilà qu’ils exécutent des Gardiens… La répression ne doit pas bien fonctionner. Ils devraient revoir leurs méthodes d’éducation en premier. Cette bande de vieux fous…
J’ai parlé de la mixité de sangs à Muriel. Il m’a observé en se demandant si par hasard, une blessure à la tête ne m’avait pas fait perdre la raison. Mais il a réfléchi un peu, je sais qu’il va y repenser. Ce n’est pas un imbécile. Il a mentionné la fin déplorable de croisés vampire-elfe, je me doutais qu’il viendrait avec ça. Cet épisode nous a tous éloignés de l’idée. Mais 3 bâtards ne font pas la règle. Leur contexte est à prendre en compte, ils ont été rejetés sauvagement.
Il y repensera.
*



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*
Chuchotis

*Chuchotis*
Frottement de tissu. Voix souriante.
-Tu crois ?
Celle d’un enfant, neuf ou dix ans. Avec un petit éclat féroce et puis une retombée timide et marmonnatoire.
-Oui parce que je l’ai entendu dire.
-Il disait quoi ?
-Non mais je l’ai vu.
Dolohev rigole.
-Tu l’as vu faire quoi ?
-L’était à poil derrière son bureau.
Dolohev éclate de rire.
-Nan, sérieux ?
Le gamin lui enserre le col férocement, droit dans ses yeux qui louchent sous sa frange noire :
-Rigole pas, il était tout nu derrière le bureau, j’ai pas vu, y avait le bureau, mais il était à poil, chu sûr. Et il était beurré, l’arrêtait pas d’rigoler.
Le jeune homme pose une grande main sur les plus petites, sourire serein :
-T’inquiètes pas, j’me moque pas de toi.
-Mé si tu t’moques.
Sourcils froncés, joues rondes : - Sinon tu rigolerais pas, c’est pas marrant, il m’a fait vachement peur.
-Il te fait peur quoi qu’il fasse, de toute façon.
-Non, mais… Oui. Mais t’écoutes pas ce que j’te dis ? Chu sûr qu’cé un pédophal.
*rire*
-Mais c’est trop pas drôle, arrête de rigoler !
Voix soufflée autant que scandalisée. Dolohev arrête de rire et sourit toujours.
-Un pédophile.
-En quelque sorte.
-Et qu’est-ce qui te fait croire ça ?
-Bin tu trouves pas ça un peu bizarre qu’il m’appelle dans son bureau et quand j’viens il est tout nu et saoul et qu’il a rien du tout à me dire sauf des trucs bêtes pour mon horaire des bibliothèques ?
-… Mrr. Si… C’est bizarre. Mais pourquoi ça serait un pédophile ? Si il est beurré et qu’il veut se mettre à poil dans son bureau, c’est son problème.
-Mais je veux bien qu’il fasse ce qu’il veut dans son bureau mais je veux pas lui tenir compagnie quand il le fait.
-Bah oui. Non. Bien sûr.
-…
-Tu sais quoi Ara’ ?
-Quoi ?
-Je veux plus que tu mettes les pieds dans son bureau. Même si il te le demande, okay ? Jamais si je suis pas dans les parages, okay ?
-…
-T’as compris ?
-…Ouais, okay.
-Cool.
Dolohev ne sourit pas. Il regarde ailleurs. Son long nez pointu dépasse d’entre ses ch’veux. Chu trop bête, en fait il le connaît mieux que moi, ça fait 20 ans qu’il le côtoie. Chu trop bête.

-Donc il est pédophal ?
-Non.
-Mais alors, pou…
-Il est pas pédophile, Aran’. Il aime pas les enfants.
-Alors c..
-Il aime pas les enfants, c’est tout.



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*
La Couleur du Jour


-L’hebre c’est de quelle couleur, … ?
-L’herbe ? C’est noir.
-J’trouve que c’est un peu bleu. Et un peu vert. Et un peu jaune aussi.
-Non. C’est noir.
-… Tu dis ça parce que tu ne l’as jamais vue.
-Et toi tu l’as vue peut-être ?
-Oui. Ce matin. Même que le ciel était rose et blanc, qu’on aurait cru qu’il brûlait.
-N’importe quoi. Tu mens, puis t’es qu’un bâtard. Puis t’as toujours envie qu’on te regarde, c’est pour ça.
-Nan.
-Adarha il trouve que t’as une tête de loup-garou.
-J’ai pas une tête de loup.
-Garou. C’est pire.
-J’ai une tête de moi.
-Haha, pff. T’es bête, Araignée.
-Aranev.
-Araignée.
-Je m’appelle Smirtnoff.
-On choisit pas son nom, tu t'appelles comme une araignée.
-Bin moi chu pas "on", mon nom c'est Smirnoff.
-haha tu sais même pas le prononcer les noms que t'invente.


Les autres ne peuvent pas sortir. La lumière du soleil fait trop mal à leur peau. Moi ça me dérange pas autant… Le matin, si il y a des nuages, je peux même regarder le ciel.
J’aime bien ça parce que je peux les embêter.
Maman dit que si je continue à sortir le matin, je vais devenir tout noir et que mes yeux tomberont. Moi je dis qu’Aradha est pas mon papa. Alors elle devient rouge et elle me range dans ma chambre. C’est tant mieux parce que alors je peux lui toucher les bras et ses mains. Et après je suis tranquille des heures pour penser à sa peau que mes doigts ont vu de près.




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*
Un Homme

Un homme.
Ton père est un homme.
Mais je le sais bien. C’est pour ça qu’il n’a jamais pu être là. Un homme n’a pas sa place ici. Maman n’est pas une femme. Maman est parfaite. Maman est un guide, une force. Avec ses jambes elle fait des pas immenses.

C’est ce que tu dis.
Maman parle si fort qu’elle a fait fuir papa. Maman n’a pas la voix douce. C’est comme un javelot qui fend l’air, droit au but, pis il t’emporte sur un mètre ou deux et tu t’étales. Avec du sang partout.





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*
Saoul


Aranev parcourt le couloir obscur longeant les amphithéâtres. Dolohev l’a conjuré d’aller voir M. Pepethoff, un professeur de discours. Maman souhaite certainement qu’il rencontre ce genre de professeur, l’élocution étant chez lui, il se l'avoue, un problème des plus embarrassant. Mais maman n'était pas un prétexte. Puisque Dolohev lui demandait, au final, il tenterait quelque chose.
La nuit est noire et cette partie de l’institut est peu éclairée. Une mélodie familière lui parvient à travers les parois et il se dirige vers l’entrée du fond de cette salle. Au tournant il discerne la porte, elle est ouverte, une lumière bleutée s’en échappe. Un film tourne sur l’écran, vraisemblablement. Il a depuis longtemps reconnu la musique, une vieille chanson de folklore qu’il a entendue souvent. Une voix de femme l’interprète, douce et lente, mélancolique et apaisante, accompagnée d’une orgue synthétique qui donne quelques notes seulement pour un arrière-plan sobre et contenu. Aranev ralentit le pas pour s’imbiber un peu de la mélodie qu’il apprécie toujours et qui tombe à l’heure pour l’apaiser, mettre le clair dans son esprit avant d’affronter ce professeur.

Il arrive au coin et s’arrête, trop timide tout de même pour entrer sans avoir regardé d’abord. Mais il se fige. Quelqu’un est assis sur une chaise à sa hauteur, à quelques rangées de distance. Non, pas quelqu’un, Gregovi.
Il est assis avec les bottes sur la chaise devant lui, habillé de son manteau comme si il venait de dehors. Et il semble bien avoir fait ce trajet, les épaules de son manteau sont légèrement humides d’avoir reçu quelques flocons de neige à présent fondus. Ses mains sont posées sur ses cuisses, il porte encore ses gants de cuir et il tient entre ses doigts une tasse fumante. Il regarde l’écran qui se trouve à l’autre bout de la salle et qui verse sur les chaises et sur lui une lumière d’un bleu artificiel que ses gants réfléchissent avec humidité comme si il les avait trempés dans l’eau.
Aranev avale de travers et fait demi-tour pour se dissimuler sans bruit derrière le coin d’où il a surgit. La vue de Gregovi n’est jamais vraiment pour lui plaire. Il préférait le rencontrer en présence de son frère, juste au cas où. Gregovi n’était jamais trop prévisible. Il respire lentement, avec insistance, la musique est toujours là, berçante et tiède. Il reprend ses esprits. Il ne fait rien d’interdit, il n’a rien à se reprocher, il fait même l’effort colossal de rendre visite à un professeur pour trouver de l’aide afin d’améliorer son misérable manque d’éloquence. Un gardien n’a pas à trouver à redire à ce qu’il interprète personnellement comme un acte de bravoure. Il se recompose un calme relatif et la musique y est sans doute pour quelque chose. Il ressort du coin de la porte pour se montrer à l’entrée, sans particulièrement s’annoncer mais sans se cacher de la vue de Gregovi.
La lenteur de réaction de ce dernier le surprend. Il attend à découvert pendant cinq bonnes secondes avant que le gardien ne daigne remuer les yeux. Il a eu le temps de remarquer qu’il ne regardait pas l’écran mais un point situé quelque part au milieu vide de la salle, entre une chaise vide et une autre. Le rapide coup d’œil qu’il jette lui indique que la rangée tout devant est occupée et qu’un professeur est en train de discuter avec un comité restreint d’étudiants. Gregovi pose les yeux avec lenteur sur le jeune homme à sa droite. Il laisse l’air peser avant de noter :
-Eh. Le petit Aranev…
Contrairement à ses habitudes il parlait sans articuler et en collait les voyelles ensembles salement. Aranev calcule rapidement que la tasse de thé devait contenir au moins une certaine quantité de vodka, si même elle avait contenu du thé. Il croise les mains derrière son dos. La façon de s’être affalé, sans manière et sur deux chaises n’était pas non plus dans les mœurs du gardien. Aranev se dépêche de répondre :
-Bonsoir monsieur. Je cherche le professeur Pepethoff.
Gregovi l’observe avec étrangeté. Ses yeux semblent plus grands qu’au naturel. Peut-être la façon dont la lumière se reflète dessus avec un blanc mouillé y était pour quelque chose. Le gardien hoche la tête et lève un bras vers l’autre extrémité de la salle puis le laisse retomber avec une sorte de claque sur son genou. Il renifle et explicite :
-Il est là-bas.
Les cheveux se dressent dans la nuque d’Aranev. Lorsque le gardien a allongé son bras ganté, la manche a glissé pour laisser voir des taches sombres, d’un liquide frotté, arrosées sur son poignet.
-Merci…
Aranev s’empresse de traverser la salle. Gregovi venait de tuer quelqu’un, il n’avait même pas pris la peine de se changer ou de se laver. Il traînait à présent au fond de cette salle d’auditoire vide, accompagné seulement d’un chuchotis et de la voix floconneuse d’une très vieille chansonnette. Il était saoul. Il avait les larmes aux yeux.
Aranev arrive auprès de la chaire avec le cœur troublé, il espère reprendre contenance avant d’avoir à s’adresser à la silhouette noiraude du professeur qui se dessine contre le bleu piquant de l’écran.







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*
Une Peur


Gregovi l’empoigne comme un fétu, une seconde ? Un peu moins ? Il a vu la pièce à l’envers, le sol de pierre l’a cogné dans le dos, une violence qui pétrifie. Sa main lui écrase la gorge et l’autre fait jaillir de son dos un couteau. Il vient droit dans son œil, terreur. Le noir.
Il entend l’air expirer de sa gorge par deux fois. Gregovi parle comme à travers un océan, sa voix est amplifiée par l’obscurité :
-Je vais t’expliquer une peur, tu m’entends ? Cette peur-là, A. est –REGARDE-
La secousse lui fait rouvrir les yeux, Gregovi est penché sur lui, il ne semble pas sourire. Le courage lui manque il regarde à côté. Sa voix lui parvient, c’est comme si le couteau avait terminé sa parabole :
-..te dissout le corps comme une médecine dans l’acide, elle ondule et sépare les lambeaux fébriles de ton âme, elle t’arrache tout ce que tu es et sais. Du rose ! Du bleu ! À quoi bon ? Et de la poussière, du rien ! Tu n’es plus même des créatures qui se meuvent debout. Quand tu es tellement rien… Cette peur-là trace un seul mot, un mot tout droit et pur et blanc, « maman ».

Gregovi se relève avec lenteur, en s’appuyant sur un genou. Avant de s’éloigner il affiche son sourire bienveillant :
-Tu comprends vite.
Aranev ne se relève pas.

Le monde ressurgissait, du coton baigné dans l’huile et de la glace nauséeuse dans les poumons. Aranev cligne des yeux pour la deuxième fois depuis tantôt, la salle est vide, du vide, un mur sombre. Il se tourne, ses membres sont lourds, son cœur bascule comme s’il ne tenait sur rien en bougeant, il s’enserre le corps de ses bras et ramène ses jambes contre lui. Plus rien, plus rien.
Son visage se tord, ses yeux qui voient toujours lui sont trop indécents. Sa douleur brise le silence un court instant.

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*
Je Ne Vous Ai Pas Fait Demander

Dolohev entre dans la pièce. Gregovi relève la tête lorsque la porte claque, ses yeux tombent tout droit dans ceux du jeune homme. Ils se jaugent un instant, aucune expression ne s’immisce dans aucun des deux ovales blafards.
Dolohev ensuite s’avance jusqu’au bureau.
-Vous m’avez fait demander ?
Ses pas sont longs et légers sur le parquet de bois gris vert. Ses longs bras oscillent le long de son corps maigre. Lorsqu’il a fini sa phrase sa chemise d’un gris pâle et sa cravate de même couleur viennent de frôler le meuble noir. Gregovi fixait la cravate. Sa main droite est ouverte à plat sur le plan de travail. L’autre est sur son genou, invisible.
Sur l’arête de son nez les tons sont crème nacrée, un reflet blanc. Une courbe gris et mauve, ses yeux bridés sont penchés comme ceux d’un enfant.
Les paupières clignent, l’œil bleu repousse les longs cils pour regarder au-dessus, les yeux tombants et jaunes du jeune familier et son visage qu’aucun sourire forcé ne vient rompre. La surface d’un lac sans soleil et sans vent.
-Non.
Dolohev bouge. Sa main droite s’élève dans l’air. Aucun cil d’aucun œil d’aucune paire ne bat durant cette infinie seconde durant laquelle sa main retombe. Elle frappe le bureau sur son milieu droit. Un bruit qui résonne comme d’une grotte, immense et vague. Gregovi n’a pas remué d’un œil mais son cerveau a eu le temps de relire quatre fois ces quatre phrases, Dolohev va relever la main. Elle se trouve au-dessus d’un tiroir où se trouve son revolver, ce qu’il est en train de faire c’est glisser l’arme à lui en la faisant traverser la surface du bureau. Une manipulation d’expert. Qui lui a appris à jouer ce genre de tour, c’est un niveau élevé de sorcellerie.
-Bam-
L’œil du gardien tourne de 40°. Il n’envisageait pas une telle habileté de la part de ce gai luron. Cette interrogation lui fait perdre quelques millièmes de secondes, mais pas plus de temps ne s’est écoulé jusqu’à présent. Il tire le tiroir vers lui brutalement, ce qui déplace l’arme et l’empêche de sortir du bureau par des voies inattendues.
-Bam-
Dolohev balance la main gauche pour attraper le revolver dans le tiroir ouvert et Gregovi le referme aussitôt, d’une réaction logique et, comme la première main de Dolohev n’a pas bougé elle se relève au-dessus du bureau avec le flingue serré, déverrouillé d’un clic, pointé sur Gregovi.
-BLAM-
La douille tinte sur le parquet derrière la chaise.
-BLAMBLAMBLAM-
Que quatre balles. Dolohev attendait plus, il appuie sur la détente deux fois encore, clic, clic. Gregovi est tombé de sa chaise, un bruit mat qui suivait le grincement du bois contre bois.
Quatre balles dans la poitrine. Dolohev est mauvais tireur, les impacts sont séparés de 6 à 10 centimètres, il a tiré à bout portant.
Il jette l’arme devant lui qui cogne quelque chose à l’autre bord de la pièce, objet lourd, trajectoire courte. Sa respiration ne s’est pas accélérée. Son expression n’a pas changé. Il regarde Gregovi étendu à ses pieds.
Le gardien plisse le menton, le souffle court, pour le regarder. Son visage a perdu du peu de couleur qui s’y trouvait, ses traits sont plus durs, il laisse retomber sa tête en arrière en soufflant plus fort, plisse la lèvre et montre les dents. Ils n’ont rien à se dire.
Dolohev n’a pas d’issue, il semble avoir prévu de demeurer à sa place. Il sourit, finalement, il ne s’approche pas.
Une toux humide étrangle Gregovi et du sang s’échappe de sa bouche. Il plie un genou et remue pour se tourner sur le côté, on entre dans la pièce.
Dolohev est emmené, il n’oppose pas de résistance.
La main puissante de Tom empoigne l’épaule de Gregovi tourné vers le vide, le soulève du sol glacé.
La pièce bascule…

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*
Provoquer Tom

Provoquer Tom n’apporte jamais d’agréables conséquences. À voir l’expression de son visage lorsqu’il entre dans la pièce, Gregovi doit être dans un mauvais état.
Il fixe Dolohev debout au milieu de la pièce avec une froide absence d’émotion. D’habitude son visage allongé et ses yeux tombants reflètent diverses impressions maladroites, une lassitude ou un agacement qui trahissent la stérilité de son esprit et son manque de personnalité.
Il s’avance d’un pas lent jusqu’au jeune homme, les yeux fades et sans cligner, sans remuer la bouche. Son iris est clair, d’un bleu dégarni comme son âme et comme son front sur le devant.
Tom est un gardien particulièrement maussade et violent. Son dessus en tissu clair est peu épais et témoigne d’une musculature conséquente. Dolohev s’amuse de la belle courbe qui sort du haut de son dos et qui s’arrête trop loin pour porter un petit crâne, un visage allongé posé sur un menton très court qui ne cesse de reculer sur un pli expressif, drôle, presque caricatural, un éternel paradoxe du personnage.
Fis de la noirceur de la situation, Dolohev sourit lorsque Tom arrive à sa portée.
Il est empoigné par le cou sans plus d’avertissement. Le pouce et le majeur de sa grande main se retrouvent presque dans la nuque de Dolohev. La sensation ne lui déplaît pas jusqu’à un certain point, lorsque sa respiration est coupée notamment.
Tom le regarde de près. Il demande abruptement :
-Est-ce que tu es cinglé ?
Le sourire de Dolohev se déforme. Il n’essaye pas de prononcer quoi que ce soit mais la pression autour de son cou l’oblige à ouvrir la bouche et il suffoque silencieusement.
-Ou est-ce que tu fais semblant ?
Les cervicales crient de panique sous la force de ses doigts. Tom a ce don pour faire mal à des endroits très improbables. Avant que quelque chose ne casse il le lâche, Dolohev rabaisse les épaules sans avoir pu maîtriser le réflexe. Il regarde quelque part ailleurs vers le bas.
Tom continue de dévisager presque avec amabilité, sans le toucher. La pièce est sombre. Les lumières sont raides et sans couleur.
-Cette fois c’est pas pour t’éduquer. Il y a longtemps que je perds plus mon temps à ça. Si t’es toujours en vie dans 4 jours, je pense que tu seras banni. Sinon tu seras brûlé. Il y a longtemps que ta petite réputation passait plus dans la presse, tu vas y refaire un tour. Après ça t’as plus intérêt à te montrer à qui que ce soit pour le reste de tes jours.
Dolohev n’a pas de réaction notable, il reste penché et sourit du bord de la bouche sans conviction.
-Si j’étais toi je tâcherais d’abréger ma discutable existence. Ça ferait tellement de bien à tout le monde, à ta mère.
Il soupire d’un air sympathique en lui tapant sur l’épaule.
-Bref.
Il le retourne sur lui-même en le tirant par le coude. Ses bras sont attachés dans son dos, le nœud est trop serré. Sans faire figure de son poids Tom le soulève par un bras et l’étale à plat ventre sur l’estrade de pierre froide qui se trouve devant eux. Un collègue vient l’aider à nouer une corde solide autour des chevilles de Dolohev ensuite, ils le transportent quelque mètres plus loin et l’insèrent tête la première dans une sorte de puits étroit dont s’échappe des relents de pisse et de lointains cadavres d’animaux.
Dolohev ne sourit pas, il réagit pour la première fois depuis plusieurs heures de traitements indélicats. Brutalement il se démène comme un forcené et donne du mal à ses geôliers qui, malgré tous ses efforts primitifs pour échapper à sa conserve, l’y enfoncent comme un suppositoire. Ses pieds sont accrochés quelque part en haut et le trou est fermé, d’un bruit métallique.
Dolohev demeure dans le noir complet, les bras écrasés dans son dos, les épaules collées à la paroi, très à l’étroit. Aucune possibilité de se retourner. La porte de la pièce se referme, personne n’a rien dit.
Le silence se fait. Le fond du puits semble proche et ouvert de façon parsemée, comme un grillage. Des bruits en parviennent. De l’humidité, des égouttements. L’air est lourd et mal odorant.
Dolohev est immobile. Sa respiration s’allonge, il reprend son souffle la bouche entrouverte, ravale sa salive en plissant le visage.
Le sang tombe lentement dans sa tête.
Ses côtes lorsqu’il inspire touchent presque le mur qui l’entoure. Ses mains sont douloureuses déjà, elles sont serrées depuis longtemps. Ses pieds refroidissent.
Sa peau s’hérisse le long de ses flancs, le manque d’espace chatouille sa peau douloureusement, intérieurement.
Son visage est déjà couvert de sueur alors que différentes expressions l’agitent.
Après un temps il essaye de remuer son buste.
Ce bref mouvement lui apprend toutes les conditions de sa situation et là-dessus son front chauffe, son souffle s’affole. Il essaye de maîtriser la peur panique qui investit ses reins et son échine, qui sert ses muscles abdominaux.
Mais l’accélération de son rythme cardiaque ne fait qu’amplifier le déséquilibre du sang dans le bas et le haut de son corps et la sensation n’en est que plus désagréable. Ses oreilles bourdonnent dans l’obscurité, lorsque ses pensées ont fait le tour de tous les culs de sac qui constituent sa vie, son sens et les lois physiques de la pièce il hurle d’angoisse, essaye en vain de remuer, de soulager d’une quelconque façon tout ce qui l’oppresse dans cette position.
-AAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAAArh HAAAAAAAAAAAAA hahahaha.
Sans parvenir à rien il cesse de faire entendre sa voix à travers les murs. Son rire dément se tord en un long gémissement et il pleure sans se retenir, plus concerné par rien.


Dernière édition par Smirtnoff le Lun 12 Déc - 2:12, édité 1 fois
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MessageSujet: Re: [Background] Chronique de la Ville d'Hiver   [Background] Chronique de la Ville d'Hiver Icon_minitimeLun 28 Juin - 14:38

[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Dolohev
*

Dolohev se tourne donc vers le comité privé qui le regarde, sa mère, son père, les gardiens assignés à sa tutelle, Tom, dont le regard lourd d'un gris sordide le dénude, Gregovi, dont le visage est blanc comme la mort. Quatre jours pour réfléchir. Vingt-quatre heures la tête en bas. Un crime de ce type offre deux sentences possibles, la mort ou l'exil. L'accusé a le droit, et surtout le devoir, de faire ce choix terrifiant, conscient que s'il cueille des doigts la mort son honneur sera lavé et son nom méritera quelque respect.
Dolohev n'a jamais reçu de respect. Ce mot n'a pas plus de signification pour lui. Choisir l'exil revient à déclarer au monde sa lâcheté sans limite, la petitesse de sa personne, l'insignifiance de son âme tout juste bonne à froisser comme un papier d'aluminium. Les claques minuscules de l'eau croupie qui goutte résonnent dans le sillon grinçant de ses oreilles, comme les éclats de rire blessants de Tom et le vert sordide du fond de son oeil trouve écho dans le boyeau vaseux de la prison qu'il sait si bien garder.
Il est courant qu'un vampire choisisse la mort, qui le pardonne pour l'éternité à venir et libère son nom et sa famille d'une humiliation décuplée par le choix inverse.
Le visage du jeune homme est creux et ses yeux vides sont comme barrés d'un coup de peinture décolorée. Les épaules sont affaissées, les mains bleutées. Cette figure de rebellion, cette intelligence aiguë, cette volonté d'or pur qui avait su fouler vingt années d'insultes, de solitude, de discrimination harrassante, de haine, d'effroi et de coups sournois n'est plus qu'une ombre vide, un blouson noir bourré de courants d'airs. Dolohev, planté devant sa mère, son père et son frère, n'est plus. La souffrance l'a vaincu, roulé dans la poussière, labouré de blessures qui ne cessent plus de saigner.
Aranev cherche en vain à croiser le regard de son aîné et il s'épouvante de ne rien trouver dans ses beaux yeux noirs où l'éclat est absent. L'assistance voit ce dernier debout mais son âme est à terre qui s'écoule à ses pieds, se déverse sur le marbre sombre, plus brillant qu'elle. Une volute triste qu'un seul mot disperse comme de l'eau sale:
-L'exil.
La voix est celle d'un inconnu. L'épaule de Tom sursaute, quelques sièges devant, et sa joue s'étire en retenant un rire. Aranev surprend avec horreur son mépris. Dolohev n'a plus d'honneur. Dolohev est banni. Dolohev ne reviendra jamais.


[Background] Chronique de la Ville d'Hiver Aranev

Elle le regarde depuis cinq bonnes minutes sans se décider à bouger. Le garçon ne l'a pas remarquée. Il est assis dans l'ombre rouge du mur. Au travers de la grille, Viviane observe son visage bourru et joli, les longs cils noirs de ses yeux qui s'emmêlent aux cheveux de même couleur et derrière lesquels il semble se cacher. Elle se décide et, sans trop réfléchir, balance assez fort pour qu'il entende:
-Vous êtes un vampire?
Aranev soulève la tête. Au regard féroce qu'il lui lance, Viviane s'en veut d'avoir jeté un truc aussi plat. Elle cache sa lèvre inférieure derrière ses dents et remue, les mains cramponnées sur les barreaux. Il grogne:
-Qui tu es?
Elle sourit joyeusement pour se rattraper:
-Viviane!
Elle ajoute:
-Est-ce que t... Vous êtes Aranev?
-Ouais.
-Qu'est-ce que ça vous va pas!
Elle avait lâché ça sans réfléchir. Ce nom ouvert, crochu ne semble pas coller avec l'allure réservée de ce jeune homme qu'elle trouve un peu fragile, même sympathique. Elle s'excuse.
-Je voulais pas dire ça.
Il ferme sèchement le carnet de feuille qu'il avait sur les genoux et la regarde, le menton en avant, visiblement de mauvais poil. S'attendant à ce qu'il lui demande de partir, Viviane s'empresse:
-Il y a vot' père qui veut vous voir.
Il la regarde sans rien dire, elle se demande pourquoi. Elle précise:
-à l'entrée du rempart, qu'il m'a dit.
-J'ai pas de père.
Son ton brusque la surprend, elle demeure la bouche ouverte, perplexe un instant. Puis son bon sens la reprend:
-Bin si, même que vous lui ressemblez si fort qu'il aurait pas eu à me le dire.
Elle hoche la tête pour affirmer ses propos, le visage souriant. Aranev ne bouge pas. Les yeux de Viviane sont vert d'étang et le soleil, qui s'entortille sous le porche de la grille, miroite d'orange dedans.
-Alors vous y allez?
Elle observe le vampire sans plus de peur, trouvant son désarroi bien inoffensif. Elle s'appuie au muret pour mieux le regarder et pour qu'il voit le sourire immense qu'elle lui fait. Son minois boudeur ne correspond pas aux larges épaules qui le portent par-dessous, se dit-elle.
-Qu'est-ce que vous craignez aussi, avec les bras que vous avez?
Elle rigole.
-à quoi il ressemble?
Elle abrège son rire pour ne pas paraître importune:
-Il a l'air de toi, avec les cheveux qui grisonnent. Il a ptet les yeux plus bruns. Il parle doucement comme tu le fais.
Enfin il se levait. Il la rejoint face à la grille et Viviane se dit qu'il a l'air pataud.
Aranev ne sait plus quoi penser. Il n'était jamais censé le revoir. Dolohev, un jour, avait lâché sur son bureau une enveloppe épaisse, sans gentillesse et il avait sifflé: « Adhara ne doit pas savoir. »
Dolohev n'appelait pas son père autrement et le sujet du père d'Aranev était tabou. Aranev ne posa pas de question. Il avait surpris une violence dans le ton de son frère ce jour-là qui l'avait cloué à sa chaise. Un sentiment de faute l'avait empêché d'ouvrir la lettre, mais Dolohev n'était jamais revenu sur le sujet. D'ailleurs il ne reviendrait jamais, lui non plus.
Il entend sa propre voix:
-Il a dit quand?
-Maintenant, maintenant!
Arane et Adhara niaient ce fait jusqu'à l'existence de sa conséquence. Il arrivait qu'Aranev ait le sentiment étrange d'avoir le corps transparent., surprenant dans la même pièce que lui des propos l'ayant pour sujet. Dolohev parti, la vie à la maison avait changée. Il semblait avoir repris couleur, repris le poids de cette union de la honte. Il gênait. On faisait de son mieux pour ne pas le voir dans la pièce.
-Alors?
Il regarde les joues roses de Viviane et elle rit de sa tête:
-J'ai cru que tu ne sortirais jamais de tes rêveries!
-Pardon.
Elle rit encore sans savoir que répondre. C'est bien la première fois qu'un vampire s'excuse devant elle! Qu'il était beau, aussi. Et même gentil. Elle veut l'étreindre pour lui communiquer son amitié, et sa franche sympathie envers Aranev le trouble. Il contourne la grille en regardant le sol blanc sablonneux, le rayon de soleil qui lui a touché la nuque une seconde le fait suer.
Qu'est-il en train de faire? Il aime sa mère profondément. Il n'ose pas s'adresser à elle de peur de la blesser, de tourner le couteau dans la plaie. Il se contente d'admirer de loin son immense dignité dont il n'a pas hérité. L'existence passive a quelque chose de confortable.
Viviane fait quelques pas dans la rue, elle s'assure qu'il la suit. Sous le pont noir ils marchent en silence.
-T'es différent des autres.
-Ah bon.
-Tu te tiens comme si t'étais tout p'tit.
Il existe sous les yeux de Viviane. «Elle ne m'a pas vouvoyé longtemps. » Aranev pense avec amertume qu'il n'inspire pas le respect. À quel genre de vieux chiot ressemble-t-il pour qu'une jeune fille à couette, inconnue, sortie de la rue, lui parle avec tant de compassion?
Il pense à Gregovi. Même pas plus grand que lui. Cette âme de fer devant laquelle ses côtes se mettent à trembler, devant qui tout le monde retient son souffle. Et Gregovi qu'on ne voyait plus depuis. Gregovi qui se terrait. Son regard empreint d'effroi lors du procès. Dolohev dont Gregovi avait eu peur.
Dolohev, lui aussi, parti pour toujours. Il ne l'entendrait plus au piano.
Ses pensées s'emmêlent, décidément.
-Ça fait longtemps qu'vous vous êtes vus?
Il halète. Il ne peut plus de sa pitié.
-Je sais y aller seul.
D'un pas furieux il la dépasse, lui laissant son dos à regarder.
Viviane ralentit. Quelle curieuse elle fait. Elle l'a peut-être bousculé, avec ses questions idiotes, pense-t-elle. Les vampires là-haut ils sont bien cachés. Sans le rattraper, elle laisse partir cet original qu'elle ne reverra sans doute jamais.

Par chance une pellicule de nuages filtre le soleil vif de tantôt. Aranev marche le long de la butte de terre, ses pas claquant sur les larges pierres blanches qui consolident le sol farineux de la côte. Encore deux escaliers à descendre, il voit de loin la colonne sombre du rempart coupant l'herbe sauvage du vieux chantier. Cette part abandonnée de la ville servait autrefois à monter les matériaux de constructions. Ouverte et vide, le vent glacé de la mer balaye la plaine avec force, déviant le marcheur de son chemin et faisant loucher ses pieds. Le ciel porte une odeur d'humidité.
Arrivé au milieu des marches il s'arrête. Ses yeux sont rivés sur la silhouette qui se détache dans la distance. Un profil sombre d'homme couvert d'un long manteau. Des mains épaisses portent une cigarette au visage, sous le nez court. La peau est brune, tannée par l'exposition au jour, les cheveux courts dressés sur la tête large, contrastant dessus d'un gris plus clair sur la nuque. Il n'a pas remarqué son fils venir. Le vent souffle trop fort pour entendre le tissu frotter.
Aranev retient sa respiration. Ses yeux s'écarquillent tandis qu'il détaille, sans se signaler, l'homme qui souffle la fumée en se grattant la tempe d'un geste furtif. L'homme dont la joue rugueuse se plisse de nervosité. Dont le coin des paupières sourient à force de rires. Qui regarde la mer comme un livre sage, ou un comte pour enfant.
Il regarde les belles mains se croiser dans le dos, les doigts forts s'entrelacer comme les cartes graciles d'un jeu qu'on mélange.
Le carnet qu'il tenait dans la sienne touche le sol à ses pieds et il en voit les pages tourner dans la brise, un petit bruit d'ailes marquées par la forme humide de ses doigts.


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