[Lunaires] Les Palais Lunaires

Les Hauteurs de L'orgueil, région inhospitalière, comme le reste d'Echoriath diraient certains. Pourtant, sur ces pentes enneigées et rocailleuses, quelques arbres s'accrochent aussi, formant un bois clairsemé. Juste en bordure, deux constructions aussi dissemblables que bizarrement harmonieuses se faisaient face.

Petite, en bois, la première avait tout d'une simple auberge. Les couleurs criardes et l'enseigne de fer forgé représentant un jongleur sur un croissant de lune la désignaient comme le lieu de réunion privilégié des saltimbanques et du petit peuple. Musiques et rires s'en échappaient à toute heure et croiser l'un ou l'autres des membres de la Confrérie n'était pas rare, certains y passant plus de temps que dans leur résidence. Celle-ci se trouvait juste en face.

Elégante, aérienne, d'une pierre blanche presque transparente lui donnant la couleur de l'astre s'y mirant, elle ressemblait véritablement à un palais. Mais même là, la folie régnant dans les cerveaux des différents membres de la Confrérie depuis les temps immémoriaux s'était exprimée. Arches s'élançant dans le vide, tours s'étirant en un équilibre douteux, formes trapues de gargouilles difformes... le palais n'était pas un mais multiples comme les personnalités l'habitant. L'intérieur n'en était pas moins biscornu, formant un ensemble étrange et déroutant pour le néophyte. Pourtant, une certaine unité semblait se dégager, à l'instar de ces camps formés d'un déploiement de roulottes de formes et de couleurs discordantes et qui s'assemblaient en un ensemble chatoyant. Les Palais Lunaires étaient ainsi : multiples, changeants, harmonieux dans leurs folies.

Dans les palais lunaires, l'arrivée de Freuzne et de Grendelor passa inaperçu à la plupart des habitants. Seuls ceux percevant les flux d'énergie purent sentir le déplacement dû à la téléportation des deux corps. L'endroit était calme, une grande pièce faisant office de chambre et de salon, peu décoré si ce n'est par quelques bouquets de fleurs. Une baie vitrée donnait sur un petit balcon, permettant de profiter du soleil levant sur les monts enneigés.

Rapidement, la guérisseuse déposa le corps de Freuzne sur le canapé bas et elle-même s'assit par terre, dos au mur, une main effleurant le front de l'homme. Elle entra en transe et pénétra dans le corps de Freuzne. La première chose qu'elle fit fut d'essayer d'atteindre son esprit. Il ne lui fallut qu'une seconde pour repérer la petite bulle pâle et repliée. Il n'était pas accessible pour le moment, ce qui arrangeait Grendelor de 2 façons : la première était qu'il ne souffrait pas, ce qui lui évitait de perdre des forces; la seconde était qu'il n'interférerait pas dans le processus de guérison. Certains esprits forts, par réflexe, ne laissaient pas un autre esprit s'immiscer dans leur corps et luttaient contre. Soigner quelqu'un d'inconscient était parfois bien plus difficile que quelqu'un de conscient qui pouvait agir sur son esprit et son corps.

Ne laissant qu'une partie de sa conscience auprès de celle de Freuzne, la dame turquoise entama un chant d'apaisement qui se propagea dans la pièce. Celui-ci faciliterait son retour quand son corps serait guéri. Elle se concentra ensuite sur les dégâts qu'avaient subi l'homme. Un rapide état des lieux lui apprit que ses blessures externes n'étaient pas dangereuses et que celles internes étaient minimes. Il ne restait que quelques saignements qu'elle arrêta aussitôt. Le plus inquiétant était cette espèce de poison qui l'envahissait et détruisait tout sur son passage. La guérisseuse se focalisa dessus, le reste attendrait qu'il soit tiré d'affaire. Ce poison lui laissait une impression désagréable, poisseuse et noire. Son dégoût à l'approcher était tel qu'il se refléta sur son corps pourtant à peine relié à son esprit. Ce n'était pas un véritable poison, mais une corruption. Cela lui rappela lorsqu'elle avait travaillé sur le sceau démoniaque d'Aspharoth. Ce qu'il fallait opposer n'était pas tant des soins, mais de la pureté pour contrer le démon. La différence ici était que la corruption était entrée par les nombreuses blessures de Freuzne au lieu d'être concentrée en un seul endroit comme pour le sceau. Heureusement, elle était bien moins forte que celle du roi-démon. S'enfonçant plus profondément dans le corps de son patient, Grendelor entama un long processus où elle opposait le blanc au noir, le doux au violent, la joie à la peur, l'amour à la haine. Ce faisant, elle ne s'en aperçut pas, mais une énergie bleuté entoura ses avants-bras et son aura grandit, portant son chant d'apaisement dans les pièces alentour.

La nuit tomba et les heures passèrent. A un moment donné, Sargas entra, observant les flux manipulés par sa mère. Il ne pouvait pas participer, ni même prêter son énergie. D'une part il n'avait pas la maîtrise nécessaire et d'autre part, à chaque fois qu'il se liait à un autre corps que le sien, il se mettait immédiatement à absorber son énergie au lieu de donner la sienne. Ni lui ni Grendelor ne comprenaient pourquoi mais il lui était impossible de se lier à quelqu'un par l'esprit. Cependant, il pouvait voir et sentir les énergies, ne se sentant ainsi jamais seul, les sentant l'entourer, le caresser, l'apaiser. C'était d'ailleurs ce qui l'avait attiré présentement. Bien qu'ayant une maîtrise suffisante maintenant sur lui-même pour combattre ses accès de colère, la présence de sa mère et le chant qu'elle émettait maintenant lui facilitaient la tâche, le détendant bien plus sûrement. Il s'allongea avec délicatesse, posant sa tête sur les genoux de Grendelor, faisant bien attention à ne pas la sortir de sa transe ce qui pourrait être fatal à son patient et même dangereux pour elle-même. Il resta là une bonne heure, se régénérant dans le giron maternel. Il repartit aussi discrètement qu'il était venu, retournant à ses études.

Sa tête flamboyante passa à nouveau la porte de la chambre de Grendelor alors que le petit matin pointait. La baisse d'énergie soudaine provenant de la guérisseuse l'avait averti que son travail s'achevait. Sargas entra en tenant un plateau lourdement chargé de fruits secs, d'une tisane fumante et d'épaisses tartines de miel du désert. Elle aurait besoin de reprendre des forces immédiatement.
Quand la guérisseuse ouvrit ses yeux bleu, elle croisa le regard rouge de son fils. Elle sourit devant son interrogation muette.

Ses blessures devront guérir naturellement, je n'ai pas l'énergie pour le faire. Vas me me chercher de quoi faire des cataplasmes et des bandages s'il te plait.

Sérieux comme toujours dès qu'on lui donnait une mission, Sargas partit dans le laboratoire de sa mère. Guérisseuse reconnue, elle avait commencé son enseignement avec le chatange Astriel, apprenant l'utilisation des simples. Pour palier aux absences aussi longues que non prévues de l'ange, elle avait trouvé d'autres professeurs et avait vite dépassé ses maîtres, que ce soit dans l'art de la magie que dans celui de l'utilisation des plantes. D'ailleurs, la plupart du temps, elle préférait les simples à la magie, les corps se remettant beaucoup mieux de ces traitements plus doux. Mais parfois, le temps était compté et seule la magie pouvait sauver un membre ou même une vie. Dans les quelques mois qui avaient suivi sa naissance (bien qu'ayant l'apparence d'un garçonnet de 12 ans, Sargas n'avait pas plus de 6 mois aelissiens), et dès qu'il avait su manipuler correctement son corps, Grendelor avait commencé à enseigner à son tour à son fils ce qu'elle savait sur l'utilisation des plantes pour guérir. Vu son incapacité à soigner par la magie, il avait été heureux de pouvoir partager cela avec sa mère.

Revenant dans la chambre avec tout le nécessaire, il s'arrêta une minute, interdit. Sa mère s'était endormie, une tartine à la main. Après quelques instants de débat intérieur, le garçon s'occupa des blessures de Freuzne. C'était la base de ce qu'il avait appris. En quelques minutes, ce fut réglé et le corps de l'homme ressemblait à une momie sortant de son tombeau (Sargas restait un enfant qui aimait s'amuser). Satisfait de son travail, un léger sourire en coin étirant ses lèvres, il éveilla sa mère.

Il faut que tu manges, maman, sinon tu vas mettre des jours à t'en remettre. Ce n'est pas le moment.

La nourrissant comme un oisillon tombé du nid, il l'aida ensuite à se coucher et s'allongea près d'elle. Ils dormaient encore souvent ensemble.

Sur le canapé, Freuzne dormait toujours, d'un sommeil réparateur maintenant.

Même la débauche d'énergie de l'ange sombre n'éveilla pas Grendelor. Sargas, lui, ouvrit un oeil, reconnu Teysa d'après les descriptions de sa mère et se rendormit. On approchait de midi quand le jeune garçon se leva et quitta la chambre où rien n'avait bougé. Il quitta le palais discrètement et se rendit à ses cours.

La guérisseuse, elle, n'émergea qu'en début d'après-midi. Quelques cernes ornaient encore ses yeux mais elle était gaillarde et se leva d'un bon pas. Le spectacle qui l'accueillit la laissa perplexe et elle s'approcha de Teysa avec un soupir.

Tu ne peux pas t'empêcher de te mêler de tout, petit ange, murmura-t-elle avec un sourire désabusé. Regarde toi maintenant...

Délaissant la forme sur le sol, elle alla vérifier l'état de Freuzne, l'ange noir ayant parfois des réactions... imprévisibles. La dame turquoise retint un éclat de rire en voyant la momie qu'était devenu son patient.

Sargas...

Posant sa main sur le front de Freuzne, elle l'examina minutieusement. Plus aucune infection n'était à l'oeuvre dans son corps, ne restait que la cicatrisation. Satisfaite, elle retourna vers Teysa. Celui-ci avait visiblement un peu trop pris sur lui-même.

Tu ne sais pas être raisonnable...

Avec difficulté, Grendelor souleva le drow et le porta sur son lit.

C'est les ailes qui pèsent lourd comme ça? grommela la guérisseuse.

Une fois tout le monde installé, elle partit chercher une tisane pour réveiller ses deux "princes charmants". Elle commença par Teysa, le faisant boire doucement.

Allez, debout là-dedans. Qu'as-tu encore fait, petit prince? On a un invité, c'est pas le moment de dormir.

Un grand éclat de rire résonna dans la chambre, joyeux et léger. Dans un geste affectueux, Grendelor ébouriffa les cheveux de Teysa.

Que de questions! Au moins ça veut dire que tu es en forme et ça tombe bien on va avoir des choses à régler!

Le visage de la guérisseuse redevint sérieux mais ses yeux bleu pétillaient toujours.

Commençons par la plus facile. Le jeune garçon est tout simplement mon fils, tu dois bien être le seul dans tout Ter Aelis à ne pas être au courant... Sais-tu au moins que je suis mariée? demanda-t-elle en regardant l'ange avec curiosité. Tu devrais sortir de tes songes parfois.

Son regard se posa ensuite sur Freuzne et le sourire revint.

Quant à notre ami ici présent, momifié par les soins de Sargas, eh bien c'est un vieil ami justement. Comme qui dirait qu'il a eu quelques ennuis avec nos "amis" et voisins les dragonniers. Je l'ai donc récupéré et soigné. Maintenant, j'attends son réveil pour en savoir un peu plus et justement savoir ce qu'on en fait. Toujours est-il que je ne pouvais pas le laisser dans cet état là. Je ne sais pas contre qui il s'est battu mais c'était pas vraiment joli à voir.

Se relevant du lit, Grendelor s'approcha de Freuzne et lui fit boire la même tisane qu'à Teysa.

Voyons donc comment il se sent et si on peut en savoir plus...

La nuit dura longtemps, trop longtemps. Ce n'était pas naturel, ce n'était pas habituel... plutôt. Les soins que l'on lui avait dispensé avaient suffit à stopper la progression du mal qui lui avait été inoculé mais malgré cela l'hôte accueilli en ces lieux ne semblait pas retrouver le chemin de la surface, vers la lumière et la parole.

Son inconscience durait maintenant depuis plusieurs jours. Organiquement, cet homme vêtu d'une robe simple de confection était en pleine forme physique, état qu'il avait retrouvé grâce à l'attention et l'expérience de ses soigneurs. Seul un conflit spirituel à la fois important et profond pouvait expliquer cette dysharmonie entre le corps et l'esprit responsable de son inconscience.

***
Une parole, vague,un souvenir...

...ous ne pouvons rien faire d'autre. Ce n'est plus qu'une question de temps... c'est à lui et à lui seul de suivre son fil d'Ariane jusqu'à émergence. ... inon... ver jusque l... ...a noyade.
***
Où suis-je? ... Pourquoi... et comment suis-je arrivé ici?

A l'ouverture de ses paupières, ses yeux se mirent à piquer son éveil. Quelques secondes eurent raison de cette gêne après quoi il se redressa. Assit, il regardait cet environnement inconnu et inattendu, recherchant tout ce qui serait à même de fournir réponse à ses questions, puis se leva sans tarder. Il vacilla, perdu dans ce grand calme, dans cette sérénité qui transudait depuis chaque molécule de cette pièce, jusqu'à l'air lui-même.

L'humain est un animal avant tout.
Personne, en tout cas pour l'instant. Il faut que je me barre d'ici...
Fuir l'inconnu avant de s'y intéresser, de s'y confronter. C'est un réflexe de survie et nous ne dérogeons pas à la règle. Freuzne s'approcha furtivement de la porte, prêt à la franchir.

Alors qu'il s'apprêtait à franchir la porte, celle-ci s'ouvrit franchement, laissant le passage à la dame turquoise. Elle avait senti l'éveil de Freuzne et venait voir comment il se sentait. Elle ne le remarqua pas de suite et marqua un temps d'arrêt en constatant qu'il n'était plus dans le lit qu'on lui avait aménagé. Elle commençait à entrer dans la pièce quand elle remarqua l'ombre qui se tenait près du mur.

Freuzne? ça ne va pas?

L'inquiétude perçait dans la voix de Grendelor qui constatait l'allure furtive et limite craintive que portait l'homme.

Le bonhomme était visiblement troublé. Grendelor s'étonnait de le voir ainsi car s'il ne connaissait pas Teysa, eux s'étaient déjà côtoyé. Or il n'avait même pas l'air de la reconnaître. Il resta quelques secondes à essayer de comprendre quelque chose avant de se jeter à l'eau.

Excusez moi, dit-il pour commencer.
Je... Freuzne, oui en effet, c'est comme cela que l'on me nomme.

Il marque une courte pause durant laquelle il observa le drow, méfiant.
Aussi, sans vouloir vous déranger, j'aurais quelques questions à vous poser, notamment qui êtes-vous et comment connaissez-vous mon nom?

Ce fut comme un glas qui résonna en la dame turquoise ; il se tut bien vite. Les traits du jeune homme au visage pâle se creusèrent rapidement à partir de cet instant, énervé par cet obstacle. Leur hôte venait droit de chez leur ennemi et avait perdu la mémoire, une partie tout du moins. Heureusement pour Freuzne, Grendelor était un être intelligent, doux et patient qui saurait rapidement trouver les clés de ses faiblesses.

Bien que l'histoire fut intéressante, Lùthien n'avait écouté que d'une oreille, prêtant bien plus attention aux intonations et au comportement de Teysa. Calme, presque prévenant, sa main ne quittait pas son épaule, comme s'il craignait qu'elle ne s'échappe. Jouant les parfaits hôtes, l'elfe lui rendant la pareille. De loin, on aurait pu les prendre pour cela : le maître des lieux faisant la visite à son invitée. Pourtant, en observant de plus près, il était évident qu'il y avait bien plus que cela : frôlements, murmures, la danse entre les deux joueurs était perceptible. Quand le Primera ouvrit la porte menant à son antre, revint en lui cette étincelle de folie si attrayante et dangereuse. Lùthien en avait bien conscience. Mais elle savait aussi qu'il ne savait rien d'elle-même. Aussis, avant de franchir le seuil, la Chasseuse se permit cette remarque concernant la statue.

Elle ne rend pas honneur à votre personne et cet espadon, vraiment, quelle idée.

La pique était légère, comme le fut son pas en entrant. L'elfe murmura, roucoulante.

Il faudra que le lapin blanc dévoile plus d'un mystère avant que je ne sois satisfaite...

Le message était clair, elle dépouillerait sa proie de tous ses secrets avant de s'en repaitre. Nul peur en la Chasseuse. La Vie n'est qu'un Jeu menant à la Mort.

Leur arrivée en ces lieux aussi étranges que leur maître fit dresser les poils de Lùthien. Elle dut faire un effort rude pour ne pas se laisser à son instinct et se transformer en loup pour déchiqueter ces poupées malsaines, tout comme elle avait du retenir un cri quand ils avaient dansé dans les airs. La magie avait cet effet là sur la Chasseuse. Au lieu de tout cela, l'elfe avait suivi le primera sans broncher et seule une légère crispation avait dû la trahir leur de leur envol. A présent, dédaignant la table dressée, elle s'approchait du coffre à jouets.

Je ne sais si je dois m'extasier devant l'esprit pratique de l'utilisation de poupées comme serviteur ou m'inquiéter des conditions de vie de ces pauvres êtres. J'ose espérer que ce n'est qu'un simple sortilège d'animation et en même temps, cela m'étonnerait beaucoup de vous. Ce n'est pas votre genre.

Détachant son regard du manège des poupées, Lùthien examina Teysa ainsi que leur environnement.

Si je devais choisir quelques adjectifs pour qualifier cette pièce, folie et décadence me viendraient à l'esprit en premier. Suivis de près par vanité. D'ailleurs ces trois là vont souvent ensemble. Un seul me semble inadapté à votre personnalité telle que je la perçois : décadence. Je ne crois pas que ce soit vraiment le cas. Mais les deux autres... sont parfaits !

Lùthien claqua de la langue, satisfaite. Et s'enfonça gracieusement au milieu des coussins, ses yeux scrutant le plafond.

Ceux-là sont vraiment dérangeants. Ils sont... indiscrets...

Elle finit sa phrase dans un murmure doux et suggestif.
En elle, se battaient toujours le loup, qui voulait montrer les crocs, et la Chasseuse, qui voulait tout savoir de sa proie avant de décider si elle était vraiment digne d'intérêt. Pour le moment, l'elfe avait le dessus.

L'ambiance étrange donnait des démangeaisons à Lùthien, qui se retenait de plus en plus difficilement de tout déchirer à coups de dents et de griffes. La tension qui l'animait était perceptible lorsqu'elle se leva et alla s'accroupir près du coffre à jouets. Elle voulait savoir comment cela marchait et ignorait totalement Teysa. Outre son inquiétude vis-à-vis de la servitude des poupées (et seul un esclave pouvait s'en inquiéter), la provenance de la nourriture l'intriguait. Retenant son souffle, l'elfe se pencha au dessus du coffre et ouvrit de grands yeux.

Lùthien ne fut pas convaincue par les paroles de Teysa. Toutefois, la magie était plus que présente dans cette partie des Palais, aussi laissa-t-elle de côté ce mystère. Dans la malle, elle n'avait aperçu que le fond, vaguement brouillé par des volutes d'énergie. Faisant fi, une nouvelle fois, de son instinct, l'elfe s'approcha lentement de l'ange, le fixant intensément. Avec la grâce de sa race, elle s'assit à côté de lui et s'empara d'une tasse de thé. Elle la but sans dire un mot, délicatement, à petites gorgées. Il n'y avait plus un bruit dans la pièce, comme un souffle suspendu. Deux prédateurs au même endroit créaient une tension qui électrisait l'atmosphère.

Enfin, Lùthien reposa sa tasse dans un léger tintement de porcelaine. Elle se leva et entreprit de se défaire de ses parures d'emprunt. Bijoux et vêtements tombaient les uns après les autres. Que cherchait-elle à faire?

Un sourire tout à la fois charmeur et moqueur se dessinait sur les lèvres de Lùthien. La réaction de la magie ne lui avait pas échappée, pas plus que celle de l'hôte de ces lieux. Débarrassée de ses atours, l'elfe se planta devant Teysa et lâcha avec un aplomb audacieux face à l'ange noir :

Ces lieux sont un vrai cauchemar pour ma sensibilité. Je vous saurais donc grès de rendre ces affaires à Dame Grendelor, qui a bien meilleur goût que moi pour ce genre de vêtements. Je vais finalement répondre à mon instinct.

A peine eut-elle prononcer ces mots qu'elle redevint la louve noire dont les puissantes pattes la propulsèrent dans le couloir où l'elfe avait repéré une fenêtre donnant sur les pics enneigés. La boule de poils fracassa la vitre et se réceptionna souplement. En quelques foulées, elle était hors de vue. Si l'ange déchu voulait poursuivre leur petit jeu, ce serait sur un terrain plus avantageux pour l'elfe.