[Conf. Sang] La route du Sang [Histoire du Sang]

***

Le rire cristallin de Talys s’envola à la rencontre du vacarme dissonant de ses cris. Elle attendait patiemment l’arrivée de Sanz depuis qu’il avait franchi le portail du Palais. Les portes de la salle du trône où elle passait le plus clair de son temps s’ouvrirent alors devant la silhouette sombre de son illustre visiteur. Les fenêtres de la pièce avaient été habillées de grandes tentures rouges et des dizaines de petites chandelles luisaient faiblement dans l’obscurité. Des coupelles de fruits ainsi que des volutes d’encens, disposées çà et là, parfumaient l’air ambiant de délicates notes sucrées. L’atmosphère était baignée de volupté et de mystère qui commençaient de brouiller la frontière entre rêve et réalité. La jeune fille s’était donné du mal afin de transformer ce lieu à son image, telle la disposition stratégique du premier pion de son échiquier.
Lorsqu’il l’aperçut enfin, elle était assise sur les marches de pierre, caressant du bout des doigts le tapis ouvragé étalé sur l’estrade. Elle le regarda s’avancer sans bouger, ses étranges pupilles étrécies par une colère froide. Elle l’observa longuement, dans la pénombre de ses songes, jusqu’à ce qu’il se soit suffisamment approché d’elle pour qu’il l’entende murmurer.

Nous n’avons pas été avertis de ta visite, Fils du Sang.

Elle étendit ses jambes devant elle et frissonna au contact fugitif du dallage glacial sur sa peau. Elle prit entre ses doigts une baie à la chair vermeil et mordit délicatement dedans.

Et j’ai bien peur que mon maître ne puisse nous honorer de sa présence pour le moment. Tu m’as l’air pourtant pressé, tu aurais dû me prévenir… J’aurais préparé quelque chose afin de te faire patienter. Il faut dire que nous n’avons pas beaucoup de visiteurs en ces lieux…

Elle balaya de ses yeux sombres le visage émacié de l’homme qui n’en était pas vraiment un… Elle fouilla son regard en quête d’une infime parcelle d’émotion, d’un minuscule fragment de sentiment qui subsisterait encore malgré l’armure impénétrable qu’il s’était créé au fil du temps. Les trois âmes qui constituaient son être ne pouvaient être exemptes de toute sensation, de tout ébranlement potentiel… Cependant, son sourire se figea lorsqu’elle n’y trouva rien, laissant échapper de ses lèvres un soupir résigné.

Eh bien… Qu’as-tu donc de si important à lui dire ?

***

Ils vont venir. Et ils vont violer, détruire ce palais.

La voix du prince fut brève et grave, résonnant dans l'architecture comme une menace pressante, une menace urgente. Jetant au sol un médaillon fissuré au centre qui échappa un faible bruit de métal, il reprit dans un souffle.

Les Arcs aux frontières se sont détruit sous la puissance d'un mouvement qui s'approche inexorablement et qui peut supporter tel monde bien que difficilement. Ils vont venir, et ils vont venir la chercher. Ils ne le savent pas encore, mais ils viennent pour Elle.

Jetant des regard rapides autour de lui, ils semblait déjà sentir la présence étrangère qui affleuraient dans l'harmonie et venait rompre la quiétude séculaire du Sanctuaire.

S'ils touchent à la Source, ne serait ce que d'un regard, Tout cela s'effondrera et tu seras Reine de rien, et Shyon devrai s'éveiller du fond de son Présage. Nous devront assumer et supporter l'Avenir incertain qui se dessine déjà dans le sillage de leur sombre volonté. Ils ne sont pas nombreux mais il ne craignent pas l'étouffement de la magie, la rébellion des essences. Ils sont chacun marqué du Sceau et ils sauront venir jusqu'ici et croyant poursuivre leur fatalité vont renverser la Source. Peut être n'existe tu qu'ici et au delà, sans ces palais, tu pourrais bien finir par disparaître. Qu'es-tu d'autre qu'un rêve?

Nous avions fondé ce rêve pour empêcher quiconque d'atteindre la Source des Dieux, d'atteindre notre Secret, celui là même qui nous rend Dieu et Maître du Sang. Que nous arriverait-il si jamais s'ils la retrouvaient? Aujourd'hui sous notre joug, demain libre, ils pourraient se souvenir et venger le Passé de ce qu'ils ont toujours oublié. Car la Connaissance devaient être enfouie, gardée, intouchable. Et qu'ils pourraient tout... remettre en cause. Car ignore d'où l'on vient, c'était accepter d'obéir. Le Sang est sans mémoire tant que nous serons son Dépositaire. Shyon le sait bien, et pourtant il les laisse approcher. Quels sont donc ses dessins?

Jetant vers elle une lame noire semblable à Azraäel, l'arme vola avec lenteur vers les mains de la Pythie.

Quels sont tes desseins?

Les yeux de la jeune femme se teintèrent de rouge tandis que la lame filait vers elle à une vitesse vertigineuse. Mais elle ne cilla pas et la dague s’arrêta subitement, à quelques centimètres de son front. Elle la prit alors entre ses doigts et foudroya le Prince du regard…

Oserais-tu douter de moi, Saigneur ? Tu remets en cause ma loyauté, et tu ébranles par là même celle de mon maître… Dois-je te rappeler avec qui ce dernier partage son âme et ses plus noirs secrets ?

Elle se leva de son estrade et d’un seul geste, souffla les bougies qui illuminaient la pièce.

Les ténèbres les recouvrèrent tous deux jusqu’à ce qu’ils puissent y distinguer une faible lueur qui se balançaient au gré du vent. Le sol de pierre était à présent couvert de neige et trois silhouettes se détachaient contre le ciel piqueté d’étoiles. Cassiopée se tenait là, serrant contre elle la main de marbre de la statue qui gardait l’entrée du Sanctuaire. Derrière elle, deux autres personnes attendaient en silence les instructions de la Dame des Etoiles. Le champ de force entourant le palais avait purement et simplement disparu et aucune magie n'était plus en mesure de le protéger de ces intrusions dévastatrices.

Talys serra les poings devant cette vision funeste et les implications qu’elle recelait. Elle ne comprenait pas comment cela pouvait être possible mais elle ne pouvait plus douter de ce qui la menaçait. Elle tenta tout de même de faire bonne figure devant le Prince et se retint de hurler.

Qu’est-ce que cela signifie ? Pourquoi n’ai-je pas été avertie plus tôt ?

Elle tourna alors la lame étincelante vers sa paume tendue et l’enfonça dans sa chair. Du sang se mit à perler le long de la coupure, témoignant de l’existence réelle et tangible de son enveloppe corporelle. Elle humecta lentement ses lèvres du fluide vital qui s’échappait de ses veines et appela son maître…

Nous n’avons plus beaucoup de temps…

Ce fut l'ébranlement du rêve, une scission violente et troublante, qui secoue les coeurs et les esprits. C'est le réveil du Divin qui pénètre les sens et rend fou pour qu'on ne sache pas si c'était encore un rêve, ou si le réel venait d'être touché par une puissance incommensurable. Pliant le palais dans un balancement de son flot de rage, Shyon le Mangeur d'âme brisa le silence des Palais pour imposer une présence étouffante. La Prêtresse vacilla puis tomba au sol le souffle coupé, tandis que l'image du Prince se brouilla pour n'être plus qu'une ombre sans corps, une trace sans origine au sein duquel la volonté de Sanz s'exprimait sans fatigue. C'était aussi son propre monde, il avait partagé ses essences avec le Divin, il le connaissait tant intiment qu'il s'était habitué à son aura vengeresse qui aurait tué sur le coup n'importe quel humain faible. Quand l'Aspect apparut ce fut sous la forme d'un Roi ancien, à la couronne tachée de sang et au front allumé par une pierre écarlate. Il s'avança vers eux dans un rire dément avant de leur adresse la parole:

Dormir ne signifie pas être ignorant. Et si le Destin approche pour vous entraîner au Néant, je vous y ferai belle place, que me vaut vos vies dans mon Cosmos? Vous êtes dans ma demeure, comme ils le seront bien tôt. Je ferai bien fi de vos pauvres âmes si...

Ce fut au milieu de sa phrase qu'un vent brusque s'agita dans l'ombre et que la silhouette confuse s'affirma. Les traits d'Anwen se formèrent et dans le même temps Azräael s'enflamma dans sa main droite. D'un geste il releva Talys qu'elle remit sur pied avant de s'approcher du Dieu. Sa voix était un orage qui grondait et menaçait l'arrogant :

Imagines tu que tu en état de dominer. Nous sommes dans ces rêves qui laissent libre court à ta puissance comme à la mienne. Souviens toi que c'est moi qui t'ait plié sous ma couronne, et que tu n'a pas eu le choix. Souviens toi que c'est moi qui ait brisé ta prison et que tu pourrais la retrouver si jamais tu osais m'affronter. Que crois tu de ton autorité dans un rêve qui ne s'appuie que sur l'Essence? Le Sang est de toute autre origine que ce que tu domines. Et ce qui risque d'arriver vaudra autant de déception amère à toi qu'a moi-même. Même si je ne peux pas lire l'Avenir, je puis te poser une unique question : QUe deviendras tu si la Source est détruite?

La question sembla troubler le Roi qui s'assit sur son trône et fixant la manifestation répondit dans un murmure :

Crois tu que tes métamorphoses inquiètent un Dragon? Il est écrit un Destin qui ne peut s'annuler sans le prix de lourds sacrifices. L'Enfant est déjà né, il ne voit ni ne sent rien mais du produit de vos choix il est apparu. Il ébranle déjà le Cosmos, inquiétant le Firmament par sa simple naissance. Que peut-il donc réveiller, dans les profondeurs obscures de votre propre Sang? Insensible à ma magie? Que vaux la tienne quand elle est maudite, condamnée au passé, étouffée dans tes habits d'humain? Ma Divinité vaut la tienne dans ce monde, qu'il soit rêve ou réel. Nous souffrons de n'être qu'impuissant quand nous avons été plus que ce monde, plus que cette pauvre humanité qui menace notre règne... . Cette confrérie est de ton sang, même si elle tire sa pureté des étoiles, et quelle grossière erreur que de mélanger les origines. Si elle vient violer le Sanctuaire, c'est de ton propre Destin que ce choix est entré, et qu'il faut déjà, si vite, assumer.

Se relevant lentement il retira sa couronne et l'envoya au pied du Prince.

Il n'existe qu'une seule solution. Et vous n'y êtes pas prêt. Car il faudra les tuer tous. Et n'en oublier aucun. Avant qu'ils puisse toucher à la source, avant qu'ils sachent ce que nous sommes réellement. Des Dieux perdus dans trop de matière, dans trop de réel, des dieux oubliés. Qui pourraient ne jamais savoir revenir. Que vaut le sacrifice de cent peuple si quelque siècles plus tard, du sang vient noyer nos résultats? Que feraient-il s'ils savaient qu'en d'autre temps tu as déjà sauvagement assassiné ta propre confrérie et que dans une nuit malencontreuse, avide de retrouver ta divinité, tu pourrais recommencer? Qu'ils boivent ce Sang des origines et ils en sauraient tellement... . Qui est vraiment menacé?

Quand la main de Cassiopée atteignit la pierre, elle était froide sous sa paume. Plus froide que la glace qui recouvrait le sol sous ses pieds. Aussi gelée que le moment où l’on pénètre le Néant par les portes du temps. Mais Cassiopée ne put résister au besoin insurmontable d’entrer en contact avec la roche sculptée. La blancheur immaculée de la main de cette femme de pierre l’attirait comme le feu ronge le bois.

Et le feu qui circulait en Cassiopée se déversa lentement dans le marbre.

La chaleur de son corps ondula, circulant de son cœur vers le bout de ses doigts jusqu’à illuminer la roche sur un large cercle autour de la main posée.

Derrière elle, Lys et Sephiroth se tenaient un peu à l’écart des deux sculptures immenses, mais suffisamment proches pour sentir le flux sanguin qui les unissait ronfler en leur corps. Cassiopée ressentait les lourds grondements des déferlements qui envahissaient son âme et qui l’inondaient de lumière alors qu’elle transformait leurs échanges en douces caresses envers la femme de pierre.

Peu à peu, le corps de marbre se réchauffait et peu à peu l’irradiation s’infiltrait en profondeur, s’étendant sur le bras entier avant d’atteindre le torse.
Cassiopée sentait la vie gagner sur le minéral. Le Sang se transmettait par le Sang pour que la main lui ouvre les portes.

Les voix s’étaient tues au moment même où ses doigts avaient effleuré la douceur polie du caillou.
Un immense silence avait remplacé le vacarme des supplications. Le monde présent attendait…

La luminescence qui émanait de Cassiopée se déversait dans le bras de la sculpture qui semblait de chair laiteuse conçue. Elle avançait irrémédiablement vers son sein...

Quand elle atteint le cœur, le monde autour des trois alliés sembla se plier pour les réduire à néant. La Salle ouverte à présent se précipita sur eux pour les écraser et les coucher au sol.
Un vent d’une force effroyable les faisait se ployer sous la tourmente.

Unique, le lien qui les unissait les gardait à genoux.

Cassiopée avait fermé les yeux et seule la main de pierre lui semblait à présent réelle. Elle en gardait la trace sur sa paume comme une impression de doigts dans la glaise. Mais elle était la glaise. Une glaise chargée d’une puissance dont son être entier était le réceptacle mais qui s’amenuisait sous le souffle tempétueux.

Lys n’était plus qu’une boule plantée dans le sol sur lequel il se maintenait en s'y agrippant par la force unifiée de leurs pensées.
Sephiroth, avait été jeté au sol et couché, les bras en croix, tentait d’épouser les moindres petites saillies des dalles afin que le Vent ne le rejette pas totalement.
Leur seul salut résidait dans leur capacité à résister au Vent. Ils devaient se mêler à l’élément solide tout en gardant l'esprit rivé sur l’attache ferme et consistante du Sang qui les liait entre eux.

Cassiopée sentait que sa force provenait presque exclusivement de l’union de leurs êtres par le Sang. Les étoiles étaient à présent au-delà.
Alors, en cet instant parmi tant d’autres elle l’appela.
Elle appela celle qui avait la force nécessaire pour supporter le Sang lorsqu’il torturait leur être. Un monde inconnu cherchait à les ensevelir sous un tourment insupportable et celle qui était l’Héritière devait à présent les rejoindre et soutenir leur marche vers la source.

Elle hurla sans qu’aucun mot ne sorte : Tàranis ! Rejoins-nous !! Viens !

Tàranis était loin des rêves de la Confrérie, profitant du soleil renaissant à la fenêtre de sa chambre, quand l'appel étreignit son cœur. Il occulta d'un coup toute pensée rationnelle et ne resta plus à son esprit que celle de rejoindre Cassiopée et Lys au plus profond des trames meurtrières du Sang. Le paysage s'effaça devant ses yeux et une vision s'imposa : ses confrères et Sephiroth, maltraités par les vents furieux et luttant pour ne pas être projetés au loin. Elle ne reconnut pas le paysage. Et pour cause : elle n'avait jamais vu ni même imaginé le sanctuaire qu'elle voyait autour d'eux et qui abritait pourtant la source, l'origine du Sang.

Aussitôt, la jeune fille courut au dehors des palais, laissant échapper Sirona de son corps dès qu'elle en atteignit les portes extérieures. La dragonne, fière et majestueuse, se dressa devant elle et l'interrogea du regard, sceptique. Les yeux de Tàranis se firent durs et, plongeant dans ceux de l'animal, lui intimèrent de ne pas poser de question.

Oui, nous devons y aller. Je le dois. Je ne sais pas si nous nous en sortirons, mais je ne peux ignorer l'appel du Sang.

Elle ne donna pas plus d'explications et se hissa sur le dos de son Autre d'un mouvement rapide. Cette-dernière se projeta dans les airs d'un large battement d'aile et prit rapidement de l'altitude. Les deux compagnes empruntèrent un passage du Néant afin de rejoindre au plus vite leurs confrères, et se posèrent face à une sorte de haute falaise dont le sommet se perdait dans les nuages.

Tàranis descendit du dos de Sirona et s'engagea dans une faille qui sinuait au bas de la muraille. Quand elle se rendit compte que la dragonne n'avait pas reprit sa place en elle, elle se retourna pour la voir couchée au dehors, attendant déjà son retour. Elle revint sur ses pas, mais la créature lui fit signe de n'en rien faire, accompagnant son geste de quelques paroles :

Tu dois avancer seule...

L'elfe, légèrement inquiète de sentir ce vide dans son être, reprit son chemin dans la grotte, mais se rendit compte qu'elle n'irait pas loin en cherchant sa route avec ses sens. Alors, elle ferma les yeux quelques instants, concentrée, cherchant dans son âme l'appel de Cassiopée qui la guiderait dans ce dédale de cavernes et de couloirs. Quand elle perçut enfin le cri de sa consœur, elle garda les paupières closes et se laissa mener sans résistance, enchainant les pas aussi instinctivement qu'elle respirait.
Tandis qu'elle approchait de l'entrée du Sanctuaire, elle sentait l'âme de Nolëwen, le renard immortel, s'éveiller en elle. Elle essaya d'en faire abstraction pour ne pas perdre le fil ténu qui la liait à Cassiopée, mais l'animal, répandant ses essences dans ses veines, tentait de prendre le contrôle de son corps, gênant sa marche et troublant sa concentration. Elle ne savait pourquoi il cherchait ainsi à entraver sa progression, mais d'un cri intérieur violent, elle le fit tenir tranquille le temps d'arriver à destination. Ce fut rapide. Quand elle ouvrit enfin les yeux, ce qu'elle vit la stupéfia et, frappée de plein fouet par les vents qui maintenaient déjà les trois autres au sol, elle fut projetée contre un mur où elle resta appuyée, le souffle coupé par la puissance du choc.

Shyon se releva lentement de son siège puis, s'approchant d'Anwen, effleura de sa main son visage avant de se tourner vers sa gardienne. Arrachant de la main de l'Amazone Azräael il la donna à la jeune prêtresse et déposa ses mains sur ses épaule lui murmura à son oreille.

Ils sont rentré, proche et loin derrière ces portes. Ils ne vont pas tarder. Seul les retient le feu de mon Aura que tu sens exploser au sein de ta poitrine. Tu sais ce qu'il reste à faire. Lui n'osera pas. Tue les tous. Avant qu'ils n'approchent du Trône. Tue les tous. N'oublie personne. Et ne reviens ici que lorsque tout sera terminé.

Et les laissant sur place, dirigeant son pas vers la sortie de la salle, dans son dos, des ailes de braise naquirent tandis qu'il murmurait:

Quand au dernier, ni du Sang ni des dieux, ce monde n'est pas le sien.

Voyageant dans son courant il atteint le petit groupe plié par le flot divin qui tentait d'y résister. Volant vite, jetant un vague regard, il fut surpris par l'étrange puissance qui semblait les unir et les protéger à la fois ; quand au loin il reconnut sa cible. Créant dans sa main longue et fine épée, il se mit face à eux et martelant brusquement le sol dans un coup de tonnerre accentua le flot harmonique. Sa voix ténébreuse couvrit le vent à la force multipliée:

Que ces courants vous convainquent du chemin à prendre. Ceci n'est pas. Retournez en vos monde!

Ses grandes ailes embrasées semblaient dans son dos être une lune noire et braisée aveuglant les yeux qui l'observait et aspirant au fond de chaque âme les derniers bastions de magie sur lesquels ils auraient pu s'appuyer.

***

Au palais, le corps de femme du Prince se troubla, laissant place à sa silhouette originale. Fixant son arme dans les mains de Talys, il afficha un air de mépris:

L'arme d'un Dieu dans les mains d'une Oracle... .

Talys fixait elle aussi la lame qu’elle tenait du bout des doigts d’un air incrédule. Les évènements s’enchainaient beaucoup trop vite et elle n’y avait pas été préparée. Seule dans son Sanctuaire, elle avait eu tout le temps nécessaire pour ériger et renforcer son champ de protection mais cela n’avait apparemment pas suffi. Elle était pourtant certaine de l’efficacité de ses barrières mentales. Personne n’aurait du être en mesure d’avancer si loin dans ses retranchements. Elle ne comprenait pas ce qui avait bien pu se passer et elle se trouvait à présent au pied du mur. L’arme que son maitre lui avait donnée luisait d’un éclat métallique, meurtrier, implacable. Elle devait s’en servir, elle n’avait pas le choix. Il était de son devoir de traverser les couloirs glacés du palais, tâtonnant dans le noir, à la recherche de ces inconnus qui n’auraient jamais du se trouver là. Il existait pour elle mille façons de résoudre le problème mais on ne lui avait pas laissé le temps d’en décider. Pour la première fois, elle allait verser le Sang, un sang chaud qui coulerait de ses mains mais qui ne serait pas le sien. Un fluide vital qui s’échapperait pour laisser place à la mort, une mort cruelle, douloureuse mais indubitable.

La jeune fille releva la tête et serra les poings autour de la garde de l’épée pour dissimuler ses tremblements. Elle fixa ses yeux noirs sur le sourire sardonique du Prince avant de tourner les talons et de se diriger vers les portes monumentales de la grande salle. La résignation était lisible dans chacun de ses pas, elle ne pouvait se détourner de son destin. Elle avait été créée dans le seul et unique but de protéger ce Sanctuaire et l’heure était venue pour elle de faire ses preuves. Elle se mit à courir le long des corridors et ne tarda pas à arriver près de l’entrée du magnifique palais. Par l’entrebâillement de la porte, elle aperçut le jardin couvert de neige… Le vent hurlait dans les branches d’arbres qui en bordaient l’allée. Le froid était insoutenable mais ce n’était qu’un rêve, qu’une illusion établie de toute pièce, mais cela, elle seule le savait. Avant même qu’elle les ait effleurés, les battants s’ouvrirent avec fracas devant elle, faisant sursauter violemment les trois intrus recroquevillés sur le sol. La tempête qui faisait rage vint s’engouffrer dans sa longue chevelure d’ébène et un éclair de folie furieuse passa dans son regard.

Vous n’êtes pas les bienvenus ici, étrangers.

Tàranis à ses cotés, Cassiopée pliait sous la tourmente mais ne pouvait rompre. Elle se pliait comme le roseau se courbe sous la force du vent, en épousant le souffle sans chercher à le contrer. Elle avait seulement ancré ses pieds sur le solide du sol, ignorant la neige et le froid. Elle était comme la flamme que nul souffle ne peut éteindre mais qui ploie en dansant.
Ne pas lutter contre le vent mais épouser sa force pour se frayer un passage. Cassiopée savait utiliser le vent. Mais celui-ci n’était pas qu’un souffle, il était rage et cruauté.
Repoussé par la force colossale d’une rafale, le battant d’une porte claqua sous la tourmente déclenchée dans la nuit. Elle releva la tête pour voir la silhouette balayée par les vents. Une femme armée d’une épée presque trop lourde pour elle était apparue sous leurs yeux et menaçante leur signifiait son mécontentement.

Vous n’êtes pas les bienvenus ici, étrangers.

Cassiopée contemplait la femme, sensible à sa beauté si proche ce celle de la sculpture que sa peau avait éveillée. Elle ne parvenait pas à quitter des yeux l’arme que celle-ci tenait en main et qui lui certifiait tel un sceau qu’ils étaient proches de leur but. C’était elle, Azraael, l’épée que Sanz avait si souvent empoignée pour alimenter le Sang.

Comment pourrions-nous être étrangers chez nous ? Cria-t-elle mais seul un murmure atteignit la femme.

Qui était cette femme qui était la réplique charnelle de cette sculpture de marbre qui l’appelait tout à l’heure ? Ne l’avait-elle pas entendue elle aussi ?

Je suis venue car c’est ici que j’étais appelée. Je dois atteindre la source. Laisse-moi passer.
Ne sens-tu pas le Sang ? Qui es-tu donc pour être si proche d’elle et ne pas sentir le Sang bouillir en toi et nous reconnaître ?
Où est Shyon ? Je veux voir Sanz ?

A l’évocation du Prince du Sang, Cassiopée ressentit l’effluve d’un parfum qu’elle connaissait bien. Une senteur intime dans laquelle se mêlaient les relents de cruautés cachées. Elle s’y accrocha comme une sangsue se colle au fluide pour sentir sa force grossir.

A ce moment une trombe de vent glacé broya les arbres sur son passage, rudoyant toute chose et tout être. La tornade siffla aux oreilles des membres du Sang soudés, par leurs veines, comme un seul homme aux fondements du lieu. Elle chercha à compresser leurs corps mais ceux-ci se mouvaient en drapeaux ou se tassaient sur eux-mêmes.

Seul, Sephiroth, n’avait pas la force nécessaire pour se lier à eux. Son sang encore impur, non éprouvé par celle qui purifie, ne pouvait se mêler aux autres.
Le vent profita de sa solitude et le projeta avec une force vertigineuse vers les contreforts extérieurs.

Cassiopée sentit son ami se décrocher. Elle hurla son nom, mais toute sa concentration tournée vers la Source, elle ne pouvait l’aider.

Invité

[Conf. Sang] La route du Sang [Histoire du Sang] - Page 2 Lysicne

Au moment où Cassiopée ouvrit les portes, le monde des songes qu'ils avaient eut tant de mal à traverser se désagrégea. Des craquelures apparurent sur son enveloppe qui finit par exploser en une myriade de nappes brunes et cotonneuses. Puis les rêves s'estompèrent, balayés par le Vent Harmonique. Leurs essences se dissipèrent pour dévoiler la véritable nature du Sanctuaire.

Ses remparts inébranlables, surmontés d'oriflammes virevoltantes, enserraient les intrus. Dans la cour, les arbres voyaient leur feuillage s'envoler, suivant les aléas des bourrasques. Et au milieu de la tourmente, à quelques pas des marches de marbre, cloués au sol, Lys et ses compagnons luttaient contre la rage destructrice de la tempête. La seule chose qui subsistait, que le souffle écrasant ne pouvait emporter, était le réseau de veines gorgées de sang qui liaient les confrères.

Lys observa la Dame des Etoiles qui se frayait un chemin vers les escaliers, ondoyant sous les rafales que son corps épousait en se pliant. Il avait pu la rejoindre grâce à Sephiroth, dont le recul par rapport à l'Harmonie lui avait permis de ne pas se noyer au milieu des songes. A présent ce recul handicapait le tutélaire car la fragilité de son lien l'empêchait de sentir bouillonner le Sang en son sein, ce qui l'affaiblissait face à la tempête. Il ne bougeait pas, concentré sur son combat épuisant.

Tàranis la dragonnière venait de les rejoindre. Lys ne l'avait croisée qu'en de rares occasions, mais il savait qu'elle était l'Héritière du Sang et que l'avenir de la Confrérie dépendait en grande partie de ses futurs exploits. Répondant à l'appel silencieux de Cassiopée, elle avait remonté leurs traces jusqu'à atteindre le sanctuaire, qui n'était plus protégé maintenant que les voiles des essences s'étaient évanouis. Cependant l'ouragan dévastateur ne l'épargna pas plus que les autres et elle dut également lutter pour ne pas être projetée au-delà des sommets.

La Pythie, dont l'existence avait été si longtemps cachée par Shyon, apparut alors sur le seuil du Sanctuaire. A son arrivée, le vent redoubla de puissance. Sephiroth finit par lâcher prise, s'envolant dans les cieux comme une vulgaire poupée de chiffon sans que personne ne puisse lui venir en aide.

Cassiopée lança une tirade que Lys put à peine entendre. Au bout du bras de Talys patientait une lame glaciale qu'il aurait reconnu parmi mille autres. Azraaël, la Dévoreuse d'Âmes. Chacun des échanges qu'il avait eu avec elle lui revinrent en mémoire et il frissonna de tout son être. Sanz, Shyon et toutes ces entités damnées détentrice de l'héritage de l'Appel n'étaient pas loin. Ils abattaient leurs dernières cartes pour empêcher quiconque de violer le sanctuaire. Quels lourds secrets la Source renfermait-elle pour qu'ils cherchent à la protéger contre leurs propres confrères ?

Les yeux de Talys semblaient se perdre dans le néant. Le fait qu'elle détînt Azraaël présageait un grand danger. Dans un effort surhumain, Lys se redressa et brava la tourmente pour s'avancer auprès Cassiopée. Elle, il pouvait toujours la défendre.

Les vents émanant de la divinité du sanctuaire avaient surpris le gardien. Il résistait autant qu’il le pouvait mais sa magie à sec et son sang impur le rendait impuissant. En cet instant, il ne s’était jamais senti aussi mortel et cela l’inquiétait. Il n’aurait jamais cru avoir la crainte un jour de mourir, attendant plutôt cela comme une libération, mais il fallait croire que même lorsqu’on a l’immortalité, les instincts tel que celui de survivre ne nous quittent pas. Une rafale plus forte que les autres l’arracha au sol et il perdit de vue les autres. Sa propulsion semblait le mener plus haut, mais pas vraiment dans un ciel. C’était comme si on remontait la ligne d’une canne à pêche et qu’il parvenait dans des eaux moins profondes. Le rêve changeait et des contours flous se dessinaient. Il était dans une sorte de mer-ciel ou il flottait. Cette sensation de légèreté lui semblait confortable et il laissa son esprit en profiter quelques secondes, épuisé qu’il était d’avoir lutté contre des forces qui le dépassaient.

C’est alors que le rêve changea. Il se sentit empoigné dans des griffes immenses ! Une bête immense, défiant toutes les lois du possible, le tenait dans sa patte griffue. L’esprit du tutélaire se remis à travailler et il pensa immédiatement à un Dragon. Mais cela était impossible… il était prêt à parier qu’aucun impur ne pouvait invoquer un dragon. Et il en était d’autant plus sûr qu’il doutait fort avoir une telle bête en lui, son tempérament ayant toujours été plus proche du loup. En outre, Cassiopée semblait incapable d’invoquer Issac, ce qui voulait dire que ce monde n’acceptait pas les bêtes ailées.

Le souffle coupé par la puissance des griffes, il parvint à articuler péniblement :

- Qu…qui es-tu ?

La bête sembla rugir intérieurement et une connexion mentale s’opéra :

- Tu n’es qu’un bon à rien, Sephiroth ! Même cette mission tu n’es pas capable de la remplir. J’ai pris la forme de ces sales bêtes pour m’immiscer dans ce monde sans trop le bousculer. Les divinités ont l’habitude de ne pas interférer dans les mondes de leurs semblables ! Mais vous, les Hommes, vous ne respectez aucune règle, vous franchissez les limites sans prendre garde et vous nous poussez à intervenir ! Je vais te réexpédier vite fait devant ce Sanctuaire et tu feras comprendre à Shyon qu’il n’a pas à défier ma Magie et que je perçois mal son impolitesse. En outre, tu lui présenteras tes excuses, ça devrait compenser le fait que j’ai commis l’indélicatesse d’intervenir ! Un combat de dieux serait plus destructeur que tous les vivants réunis, autant l’éviter.

Sephiroth peinait à assimiler tout ce que la Déesse lui disait. Il n’avait pas la force, ni l’envie de l’écouter. Et il comptait encore moins s’excuser de quoique ce soit. Il se fit violence pour tenter vainement de se dégager de l’emprise de celle qui l’avait maudit, et c’est à ce moment qu’un dragon, scintillant d’une blancheur immaculée, vint heurter de toutes ses forces le dragon noir. Le blanc était plus petit, moins puissant, mais l’effet de surprise eut pour effet de faire lâcher prise au noir et le premier en profita pour voler la proie au second, avant de filer à toute allure vers ce qui semblait être le haut. Sephiroth, vulgaire pantin au milieu de cet accrochage, entendit dire :

- Désolé, Ô Déesse du trépas, mais je t’emprunte ton Maudit, que tu le désires ou non.

…

Le vide. L’espace. L’étendue. Rien. La Paix. Puis les secousses. Faibles. Puis intenses. L’énergie. Le torrent. La force. Le débit. La vie. La guérison. Il ouvrit péniblement les yeux et vit de la lumière, si intense qu’elle l’aveuglait. Quand les contours finirent par se dessiner, il aperçut son vieil ami, Sirius, qui le regardait d’un air soucieux. Quand il le gratifia d’un sourire pour lui signifier qu’il allait mieux, ce dernier le gifla avec une force à peine retenue. Le tutélaire vacilla une seconde, choqué.

- Fieffé crétin ! On n’a pas idée de se lancer là-dedans sans réfléchir, sans même penser une seule seconde à un semblant de stratégie ! Triple idiot ! Tu as dix têtes dans un corps et tu n’es pas fichu de faire appel à ne fut-ce qu’une ! Comment as-tu pu devenir Gardien ?! Ter Aelis a du souci à faire, si toute la hiérarchie est composée de poissons rouges de ton acabit !

Le tutélaire ne répondit pas. Sirius savait pourquoi il agissait si stupidement, il n’y avait pas à s’excuser, ni à revenir sur les faits. Le vieillard soupira, puis parla avec douceur :

- Si nous voulons la protéger, toi et moi savons que nous devons agir de concert. Tu dois faire fonctionner ta tête, mon garçon. Que représente Cassiopée, dis-moi ?

- Elle représente beaucoup de choses. Elle est l’envoyée des étoiles, elle est morte et vivante selon les lieux, elle est aussi fille de la mer, le Gourou du Sang, et la représentante de l’Ennemi. Elle est aussi l’Amour…

Sirius soupira, son esprit vieux de plusieurs millénaires n’arrivait pas à comprendre comment un cerveau si jeune pouvait penser si lentement.

- Et rien ne te choque ? Cassiopée contient en elle les étoiles et la mer, et rien ne te choque ? Où est-elle en ce moment, dis-moi ?!

- Elle est à deux pas de Shyon et je ne peux l’aider… Elle est… à deux pas de SHYON !! Mon dieu, Sirius, pourquoi n’y ai-je pas pensé !!

- Parce que tu n’es qu’une brute aveuglée qui pense avec ses bras plutôt qu’avec sa caboche ! Si Cassiopée résiste et qu’elle est drapée d’étoile, alors c’est que la magie des étoiles oppose une résistance à celle du Sang ! Et pour cause, nous ne savons pas déterminer laquelle est la plus vieille, et donc la plus puissante. Sers-t’ en !

- Mais, je croyais que cela avait un risque.. ? Que je pouvais perdre le contrôle…

- Voyons, Sephiroth. C’était un risque à partir du moment où tu n’étais pas en phase avec tes différentes personnalités. Mais ce n’est plus le cas, tu as réussi à apprivoiser Malkhut. En outre, tu es dans une situation qui demande des risques. Enfin, je finirais par t’avouer qu’étant en plein territoire du Sang, tu peux espérer une résistance, mais pas une insensibilité à cette magie. Le plus gros reste à faire, et ton combat sera sans doute rude ! Ton ennemi, ce seront les Vents, n’espère pas atteindre un dieu, tu dois laisser faire Cassiopée. Mais sois à proximité, pour le moment venu, tendre une main secourable. Approche le plus possible, défais les dangers que tu croiseras sur ta route et perturbe l’attention du lieu même. C’est le mieux que tu puisses faire.

Il joignit les mains comme s’il venait de finir de réciter une prière et offrit un grand sourire empli de bienveillance à son ami.

- C’était là ma dernière intervention dans ce monde. Je n’en ai pas l’air, mais mon escapade de toute à l’heure m’a épuisé. Je vais avoir besoin d’un bon mois de repos après ça, je le sens… Enfile ta parure, Chevalier du firmament, ta belle t’attend.

Et d’un signe de la main, un seul, Sephiroth sentit le sol se dérober sous ses pieds, en douceur, tombant droit dans les profondeurs malsaines du Sang et de son sanctuaire. Faisant la paix avec lui-même, le tutélaire pria son âme de s’assembler, pour se montrer unie et activer la magie céleste. Un changement profond dans son être s’opéra, le tutélaire se libérant de toutes les impuretés qui pouvaient le souiller. Au dehors, on pouvait voir son corps se pare d’une armure d’étoiles, blanche et scintillante, faisant obstacle aux forces hostiles. Sa chevelure, d’ordinaire argentée, s’était allongée et avait blanchi, dégageant une lueur douce et étrange. Sephiroth mit pied à terre et la sensation changea. Les Vents revenaient à l’assaut et il était prêt à les recevoir. Loin du sanctuaire, il devrait manœuvrer avec intelligence pour s’en rapprocher et espérer retrouver d’une quelconque manière ses amis…

Un long rire hystérique s’échappa de ses lèvres tandis qu’elle contemplait les deux êtres terrassés à ses pieds. Le troisième n’avait pu résister plus longtemps aux rafales infernales et s’était envolé à l’autre bout du jardin, comme une feuille d’arbre arrachée lors d’une pluie automnale. Un rictus de mépris déforma un instant son visage alors que l’autre homme bravait la tempête afin de rejoindre la noble dame affaissée sur le sol. Ses yeux d’un bleu électrique tentaient d’arracher la jeune fille à sa folie mais il était déjà trop tard. Ce fut à peine si Talys entendit le cri de désespoir qui déchira l’air et sa signification lui resta malgré tout étrangère. Ses yeux se teintèrent de rouge lorsqu’elle descendit les quelques marches du porche et qu’elle brandit la lourde épée au-dessus de leurs têtes. Du coin de l’œil, elle perçut un léger mouvement contre l’un des murs d’enceinte qui gardaient le palais. Une quatrième personne avait réussi à franchir ses barrières sans même qu’elle ne s’en rende compte.
Le doute l’assaillit à nouveau tandis qu’elle dévisageait l’elfe écrasée contre la pierre. La peur qu’elle refoulait jusque-là lui noua la gorge et ses mains moites devinrent glissantes sur le manche de son arme trop lourde. Le cadeau empoisonné du Prince devenait un fardeau qu’elle avait de plus en plus de mal à porter. Les éclairs qui vrillaient le ciel se reflétaient sur la lame noire qui luisait d’un éclat maléfique. Par ailleurs, les réserves de magie qu’elle devait utiliser pour maintenir en place sa brillante illusion consumaient ses forces à une vitesse vertigineuse. Elle savait qu’elle ne pourrait tenir ainsi encore bien longtemps.
Mobilisant ces dernières ressources, elle utilisa le vent afin de ramener à elle l’inconnu qui se débattait sur la terre glacée par les intempéries. Ce dernier tenta vainement de se raccrocher à la main tendue de son amie mais ne put lutter plus longtemps. Talys le frappa à la tête à l'aide du pommeau de l'épée, le fit tomber à genoux devant elle et tira ses cheveux en arrière. Usant d’Azraaël comme d’une dague effilée, elle plaça la lame contre son cou vulnérable et exerça une pression qui arracha un cri de douleur à sa victime.

Avant toute chose, j’aimerais savoir ce que vous faites là et de quelles manières vous avez réussi à pénétrer dans mon Sanctuaire.

Un filet de sang s’échappa de la plaie encore superficielle de l’intrus qui remua faiblement et dont le regard terrifié supplia ses compagnes de lui venir en aide. Déjà, les bourrasques se faisaient moins violentes et la neige perdait de sa substance. L’atmosphère se réchauffait imperceptiblement tandis que la jeune femme relâchait sa volonté et laissait son rêve partir en fumée. Sa voix se fit alors doucereuse et se mua en un murmure éloquent.

Après cela, je pourrais vous tuer sans plus d’effusions.

Invité

Tout bougeait trop vite autour de Lys. Les efforts qu'il devait déployer pour tenir debout l'empêchaient de se concentrer sur le reste. En un éclair, sans même comprendre ce qui s'était passé, il se sentit happé vers l'avant se retrouva bloqué contre le corps svelte de la pythie. Le contact froid du métal sur sa gorge le fit tressaillir. Il se débattit sans succès, c'était comme si les Vents le paralysaient.

La pression se fit plus forte. Une perle pourpre goutta au bout de la lame. Azraäel mordait sa chair pour pouvoir lire dans son sang. Une nouvelle fois, un rude combat interne s'engageait. Le sang déjà aguerri de Lys d'un côté, qui pulsait avec vigueur dans chacune de ses veines. L'intrusion perverse et glaciale de la Dévoreuse d'Âmes de l'autre. Les deux adversaires ne se connaissaient que trop.

- Avant toute chose, déclama Talys, j’aimerais savoir ce que vous faites là et de quelles manières vous avez réussi à pénétrer dans mon Sanctuaire. Après cela, je pourrais vous tuer sans plus d’effusions.

- Nous sommes à la recherche de la Source, répliqua Cassiopée d'un ton clair et assuré, afin de stopper la spirale d'incohérence dans laquelle le Sang s'est engouffré. Ce lieu recèle les réponses à nos sourdes interrogations. Nous sommes membres de la Confrérie, éternellement liés par le Sang. Pourquoi le Sanctuaire de Shyon nous serait-il interdit ?

Puis haussant la voix jusqu'à en faire trembler les remparts. Elle s'adressa au maître dragon en personne.

- Je sais que tu m'écoutes, ô Shyon, n'étions-nous pas du même côté ? N'avais-tu pas choisi de me protéger de la folie destructrice du Prince ? Les secrets que tu caches en ces murs ont donc plus de valeur que ton propre honneur ?

Et reprenant plus doucement à l'intention de la pythie :

- Tu veux savoir pourquoi nous sommes ici, devant toi, à te tenir tête ? Libère Lys et va demander à ton maître.

Un infime tressaillement de Talys trahit son hésitation. En proie au doute, frustrée par cette impasse dans laquelle Sanz l'avait précipitée, elle appuya plus fortement encore sur la gorge de Lys. L'esprit du jeune homme entra en collision avec celui de la dague. Il put lire en elle comme elle lisait en lui et comprit aussitôt que Talys ne contrôlait rien.

- Elle est la Dévoreuse d'Âmes, lança-t-il soudain, usant non pas de ses cordes vocales, toujours comprimées par la lame, mais de l'Harmonie elle-même pour s'adresser à Talys. Assoiffée de pouvoir, avide de sang. Elle te domine. Tu es son pantin.

Gagnée par la colère, Talys commit l'erreur d'élever son arme pour asséner le coup de grâce à Lys. L'espace d'une seconde, le lien avec Azraäel fut brisé et le jeune homme, retrouvant soudain toute sa lucidité, put enclencher son dernier mécanisme de défense. Le médaillon d'ambre qui pendait contre son torse scintilla, libérant Yuki. A l'instant même où elle abattait sa lame, Talys fut violemment bousculée par le singe et lâcha prise. Lys en profita pour s'écarter vivement de son étreinte.

Les yeux de la pythie devinrent plus rouge encore, si c'était possible. Ils n'étaient plus que deux étroites fentes qui crachaient des flammes de fureur. Azraäel se déchaîna. Prenant totalement le dessus sur Talys, elle projetta une lumière éblouissante tout autour d'elle. Une image fantomatique se matérialisa : deux immenses serpents qui semblaient jaillir de la garde de l'épée et qui fondirent droit sur Lys et Yuki. Talys, possédée, entama une danse mystique en faisant tournoyer la dague dans les airs. Il fallait que Cassiopée et Tàranis interviennent à tout prix.

[Conf. Sang] La route du Sang [Histoire du Sang] - Page 2 Gara_t10

L'enfant sans bruit était là, tout près mais si loin.
Si ses poumons ne se remplissaient pas d'air, on aurait pu croire qu'elle était morte. Immobile dans les serres du dragon, étendue comme s'il s'agissait d'une poupée de porcelaine.
Comme toujours, son esprit évoluait ailleurs, bien loin de son corps matériel d'enfant oubliée. Son corps, pourtant précieux, était comme déserté.

À la lisière d'une forêt rouge, une petite fille, assise sur un socle en pierre taillé. Dans le ciel, des formes incertaines, D'elles se dégageaient puissance et honneur, créant dans leurs mouvements continus une respiration.. Mais certains se flétrissaient et chutaient, devenant une pluie d'or et de sang qui irriguerait la roche. Bientôt, ce spectacle laissa la place à un autre, celui de lumières venant du sol qui plantèrent leur racines dans le ciel devenu bleu avant d'y grimper comme un rosier dans un chant magnifique. La fillette, silencieuse sur son socle, ne pouvait quitter du regard cette féerie , sans prendre conscience de son étrangeté. Après tout, elle y a vécu depuis si longtemps.

Le décor n'avait aucune des cohérences terrestres habituelles, il changeait continuellement, laissant sa place à un autre, puis encore autre chose, au gré des songes du sang. Souvent, la fillette se retrouvait dans une grande salle à contempler et qui semblait être un bal, puis la salle devenait une ruine, qui devenait un lac. Le lac, ensuite, pouvaient s'enfoncer dans le sol, colorant la roche comme une toile, où des formes continuaient à y danser. D'autres fois, le lac se relevait comme un serpent ailé et gagnait le ciel, le marbrant de rouge.

Un nombre incalculable de flux circulait non loin de l'enfant, mais de tous les flux qui parcouraient ce monde, un seul arriva à se frayer un chemin dans l'esprit de la gamine. Il venait de la forêt d'arbres rouges.
Comme une douce rivière, cet étrange flux l'attirait de sa lumière vert d'eau, si familière. Tout doucement, au loin, à peine perceptible mais si présent à la fois. Sans s'en rendre compte, la fillette avait décollé son regard du spectacle d'or et de lumière rouge pour celui de ce petit ruisseau chantant.

Lentement, le ruisseau flottant s''approcha d'elle, créant de sa lumière bleutée des taches de couleurs sur les troncs écarlates alentours. Ses lents remous étaient comme une mélodie silencieuse qui parlait à l'enfant. Elle connaissait cette chanson.
Des larmes lui montèrent aux yeux.
Elle était là, cette sensation depuis si longtemps oubliée. Une émotion que la fillette n'avait connu que peu de temps. L'émotion d'avant le grand silence, le silence qui avait précédé le sang.

Quand il fut proche d'elle, la fillette se pencha, mais n'y vit aucun reflet. Ses larmes tombèrent et se mêlèrent au flux. Trois petites gouttes qui devinrent poissons d'un blanc comme absent. Elle s'assoupit dans le ruisseau et se laissa conduire jusqu'à l'émotion d'avant.

L’être qui leur faisait face avait pris l’aspect d’une harpie dont le rire pithiatique couvrait le souffle qui tourbillonnait autour d’eux comme pour les prendre au piège d’une spirale sans fin.
La femme avait perdu sa beauté incomparable pour ne plus montrer d’elle que la haine qui l’habitait.
Elle avait attrapé Lys comme on cueille une fleur et le menaçait de la dévoreuse d’âmes avec un sourire grimaçant et pervers attaché aux lèvres. L’hostilité déformait ses traits d’une manière diabolique.
Cassiopée savait Shyon proche et était sensible à la présence de Sanz qui se tenait en retrait, comme une ombre négative, un frein à leur progression. Luttant intérieurement au tumulte qui assaillait l’Harmonie afin de la mener vers des airs de destruction, elle tentait de rendre au Sang son équilibre par la seule force de sa conscience et de son être.

Alors que la lutte était à son comble, elle percevait la constance d’une musique au-delà des Vents. Un relent assidu et régulier, semblable à une eau dormante qui l’épingla quand elles se trouvèrent en contact.

Bien que rivée à la mélodie silencieuse, Cassiopée prit conscience que la pythie avait commencé la danse de l’Appel.

-Cesse donc Folle que tu es ! Ne fais pas intervenir des forces que tu ne pourrais maintenir !

Profitant de l’accalmie que lui procurait la transe de la pythie, elle se précipita jusqu’à elle afin de devancer Yuki qui s’apprêtait à se jeter sur elle après avoir écarté Lys de sa trajectoire.
Mais au moment où elle comptait s’emparer de l’arme, les yeux de Talys devinrent deux fentes flamboyantes dont le rayon aussi tranchant qu’un rasoir cherchait sa proie. Azraael libéra deux serpents aux yeux vicieux et la langue sifflante qui lentement s’avançaient vers Lys et Yuki, coupant leur course et les immobilisant.
Alors que Talys enchainait les passes du rituel, Cassiopée s’arrêta net.
Contrer cette gardienne par la force des poignets ne la mènerait nulle part. Elle ne pouvait, pour lutter contre elle, qu’utiliser ce qu’elle était venue chercher ici : la Connaissance.

Elle concentra alors toute son énergie à se tirer vers la présence incertaine qui s’était jointe à elle un moment plus tôt, puisant dans ce murmure une nourriture qu’il lui fallait comprendre.
Fantomatique, Cassiopée se déplaça vers le fond du repaire. Une odeur légère et familière se fit alors sentir. Suivant le parfum, elle glissa le long du haut mur de pierres sans trouver la moindre faille. Elle percevait à présent un bruit sourd et lourd de forges en action.

Quand soudain, elle se rendit compte qu’elle tenait en main trois perles argentées.

Elle s’était suffisamment écartée de la pythie pour ne plus en percevoir que la masse de Yuki abattu au sol, et Lys uni à Tàranis dans l’ultime barrière devant la porte que Talys venait d’ouvrir.

La gardienne du sanctuaire n’était plus que l’ombre d’elle-même. Une force étrange s’était imposée à elle et elle n’avait plus conscience, ni de son corps, ni de ses actes. Azraael et la puissance obscure qui l’habitait avaient tout bonnement pris possession de son être et elle restait prisonnière de sa propre enveloppe charnelle. Au fin fond de son esprit, une infime partie d’elle se rebellait contre cette intrusion intolérable mais continuait de se heurter aux barrières infranchissables qui y étaient érigées. La danse de l’Appel, comme on la baptisait, n’était pour elle qu’un enchaînement de pas, plus compliqués les uns que les autres, et qui ne rimait à rien. Elle ne savait pas ce qu’elle faisait et encore moins quelles en seraient les conséquences. Elle continuait de voir par ses propres yeux ce qui se déroulait à ses pieds mais ne pouvait en comprendre les différentes implications.

Avant que l’épée ne lui fasse perdre le contrôle, elle agissait suivant son devoir, bien qu’elle commençât à douter des réelles motivations de ses commanditaires. Jamais ils ne l’avaient mise au courant des secrets que recelait le sanctuaire, ni de l’importance que la préservation de ces secrets représentait. Elle obéissait en aveugle depuis trop longtemps déjà, et ses visiteurs venaient d’un seul coup bouleverser l’ordre des choses. Elle s’était habituée à la solitude du palais désert, passant des heures à contempler son reflet dans les miroirs de la Grande Salle en se persuadant qu’elle avait quelque chose de spécial, que personne d’autre n’égalerait jamais. Elle était l’enfant et la femme chérie de Shyon et cela lui suffisait amplement. Elle ne connaissait rien de l’extérieur et sa curiosité n’avait jamais été plus forte que l’amour qu’elle portait à son seigneur et maître. Seules les visites intempestives du Prince venaient perturber son équilibre et bien qu’elle ait été préparée à une telle intrusion de la part de quelque ennemi, la pratique n’était jamais venue illustrer la théorie.

A présent, elle ne pouvait rien faire d’autre que de contempler le désastre provoqué par la lame furieuse et sanguinaire dont l’acharnement ne pouvait qu’induire un bain de sang sans précédent. Le peu de conscience qui lui restait encore tentait d’affirmer son autorité sur le reste de son esprit mais cela devenait de plus en plus difficile à mesure que les minutes s’écoulaient. Elle ignorait depuis combien de temps elle se trouvait là, à la merci de Sanz et de son épée, mais elle sentait qu’il fallait qu’elle réagisse, et vite. Elle pouvait voir Cassiopée s’agiter du côté du Mur, se rapprochant dangereusement du palais. Les deux autres, ainsi que le singe, étaient enchaînés par les serpents persiflant qui avaient surgi, sans prévenir, de la rapière. Elle sentait leurs forces vitales diminuer mais, loin de s’en féliciter, elle avait comme l’impression de trahir ses propres origines, voire même son propre sang.

Ne pouvant agir contre cela, elle se laissa porter par le flot d’Harmonie qui émanait de la Dame des étoiles et tenta de rassembler les bribes de son pouvoir afin de calmer les esprits. Elle allait mettre du temps à y parvenir, la souffrance causée par sa résistance à l’épée devenant de plus en plus insupportable, mais elle gagnait petit à petit du terrain. Lorsqu’elle en eut terminé avec la mangeuse d’âmes, elle concentra son énergie en un seul et même point qui commença lentement à croître sous la lumière pâle du soleil. Devant les yeux ahuris de ses compagnons d’infortune, le profil d’un dragon se détacha dans le clair obscur qui baignait le jardin d’ombres impalpables. Sa silhouette grossit jusqu’à atteindre une taille incommensurable et vint se poster juste derrière la jeune fille, protégeant de son énorme corps et de ses immenses ailes la porte du Sanctuaire.

Le flamboiement d’Azraael diminua alors sensiblement, les pieds de la Pythie arrêtèrent là leur folle danse, tandis que son bras vengeur retombait, épuisé. Sa tête ballota ensuite sur ses épaules, ses longues mèches brunes déployées en éventail devant son visage, qui venait subitement de recouvrer toute sa beauté et sa fragilité. Un doux murmure s’échappa de ses lèvres entrouvertes pendant qu’elle se laissait tomber à terre, percluse de fatigue.

Arrêtez ça, je ne peux en supporter davantage. Quoi qu'il arrive, vous n’irez pas plus loin.

Tàranis, plaquée au mur par la force du vent, avait du mal à suivre le déroulement des évènements. Tout allait tellement vite... Avant qu'elle n'ait pu s'approcher de ses compagnons pour tenter de renforcer le lien qui les unissaient, elle vit Lys projeté vers la folle Pythie. Et un clignement d’œil suffit à faire changer la scène du tout au tout. Même les vents s'étaient modifiés. Ils se faisaient moins violents, comme si leur volonté s'affaiblissait en même temps que la gardienne perdait le contrôle de son corps. Quand elle commença la danse de l'Appel, l'elfe sentit en elle une déchirure violente. Alors, du plus profond de son être monta un Sang noir et épais qui se mit à emplir ses yeux, débordant en arabesques sur son front et ses tempes. Cela recouvrit ses iris, le blanc de ses yeux. Puis ses pupilles se mirent à rougir et elle se redressa le long du mur, ignorant les restes de vent.

Tout cela s'était déroulé en quelques secondes. Quelques secondes qui avaient suffit à modifier encore la scène : Yuki était apparu, protégeant Lys des serpents d'Azrael, ainsi qu'un dragon imposant dressé derrière la Pythie. Et Cassiopée, au contraire, s'était reculée, tâtonnant le long de la pierre à la recherche d'elle ne savait quoi. Mais Tàranis continua d'avancer, sa flûte serrée dans son poing comme un lien vers la réalité, malgré les gravures luisantes pulsant doucement, au rythme de son cœur.

Elle s'arrêta à quelques pas du dragon et posa son regard flamboyant sur Talys, quelques secondes. Mais elle sentit qu'il ne servirait à rien de s'adresser à elle. Alors, levant la tête vers la créature, elle chercha ses yeux pour y plonger les siens.

Est-ce toi, Shyon ?

Elle laissa sa question en suspend, quelques secondes, avant de reprendre, lentement, tout en avançant d'un pas de plus :

Nous avons besoin de réponses... Vois le Sang qui coule en Nous. Nous avons besoin de réponses...

Reveillé d'une langueur obscure, tenu par le cri muet de son propre oracle, le coeur soulevé par une prophétie qui annonçait l'arrivée du Sang au Sang, le Dieu penchait sa lourde tête écailleuse vers les étrangers de son Palais. Dans ses yeux brulait des mondes infinis qui se consumaient et se reconstruisaient sans cesse. Autour des arabesques vivantes semblaient aller de flux en reflux comme des serpents noirs et menaçants. Shyon observait en silence ceux qui avaient osé pénétré ce palais rêvé, ces mondes illusoires ou venait s'échouer les songes fatigué du Sang. Quand il s'exprima ce fut un orage de voix et de cris lointains inaudibles

Quels chemins empruntez vous, et quelle vie menez vous. Où va le temps qui pleure dans ses lits de mer... Quelle source? Humains de peu de foi... vision petite du temps immortel. Fragment, fragment, que méritez vous pour entrer ici, en amont de vos pouvoirs, dans le berçeau de vos naissances, voulez vous donc sonder le passé? Qu'est ce votre Passé?

Balançant derrière lui sa lourde queue, les piliers du palais furent tranchés net, et peu à peu, les murs cédèrent ; les fondations tremblèrent et il sembla que le monde dans lequel ils étaient devenait instable. Sous les tremblement du sol, chacun ne peut que s'accrocher comme il pouvait avant de se sentir inexorablement glisser vers les profondeurs. Et tandis que chacun tombait, même l'Oracle, au dessus deux se tenaient face à face le Prince et le Parjure.

Sous sa forme d'Ange Prophète, laissant ses longues ailes noires allumées de la lueur sombre des Damnés, il fixait son ancien compagnon de son œil bleu. Il n'y aurait pas d'affrontement dans ce monde sans magie,ou les essences se brisent sous la pression du Puissant Shyon. Mais chacun observait l'autre comme un rival, porté dans l'âme par une haine mutuelle.

Tu leurs interdis et pourtant tu les aides. Tu les opprimes et pourtant tu les sauves. Ce ne sont pas tes jouets, ce ne sont pas tes soldats. Ils sont membre du Sang qui ne répond qu'au Gardien, celui là même que tu as trahi, Toi, le Gardien du Serment. Que crois tu pouvoir leur ordonner? Ils sont attiré par la source, par leur propre origine comme tu es attiré par ta propre descendance. Quels sont tes dessins, vieillard divin?

Battant ses ailes au rythme de son adversaire, il le toisait de sa forme imposante.

Le Serment devait défendre ce monde, et son règne était bon et puissant jusqu' à ce que Noz sombre dans une folie destructrice ou personne, PERSONNE n'avait le moindre Avenir. Les Drem devaient être les Gardien du Crépuscule, non pas leur prophète. La fin du Sang était écrite dans les Songes des Dieux. Vous n'aviez aucun avenir. Vous n'en avez toujours pas. Mais au final, la suite ne répond que de toi. Qu'ils accèdent à Elle, et qu'ils comprennent qui tu es vraiment, et ce que tu fais... et bien des règnes vont tomber ce soir. Elle est l'enfant de ta Création. Après tout, tout cela est tien.

Sa voix se perdit dans un long chuintement de vents sifflants tandis qu'au loin la chute se poursuivaient dans les profondeurs du Songe. Jusqu'à ce que le Prince reprenne lentement :

C'est Elle qui les appelle, enfantée, elle veut une mère. Elle veut sa mère.

]Il n'y a pas de choix, Enfant du Trahi. Il n'y a qu'un seul Destin. Et dans celui là, ta mort les sauvera.

Je ne suis pas né une troisième fois pour mourir une quatrième fois.

Ce fut en écho que les derniers échangent parvinrent aux consciences des membres du Sang avant qu'ils ne s'enfoncent pour de bon dans les profondeurs du Rêve, jusqu'à en sortir, lente chute de corps au sein d'une caverne grandiose. Au centre un Sanctuaire gelé brillait de mille feux, et dedans encore, une masse sombre et géante, respirait faiblement. Dans un rayon de lumière, on pouvait voir une chair malade se décomposer et se recomposer au rythme d'une lente régénération. Tout autour d'eux, des niches vides creusées dans la roches, des stalagmites immenses venues d'improbables plafonds servaient de décor. L'Hétyr, demeure glacée endormie dans ses rêveries d'autres temps, autres mondes, plongeait dans les puits sombres, nuits infinies sans fond ou attendent les ambitions d'un règne oublié.

Les corps de chacun des membres restaient profondément endormi, pénétrés encore du Rêve qui les avait déchirés. Seul debout, enveloppé dans une chaude fourrure, se tenait Sanz. Son triple iris brillait tel une lueur faible se reflétant en milliers d'éclat sur l'architecture de glace. En observant la silhouette étendue de Talys, il compris que Shyon pour prix de son retrait l'avait abandonné. Une seconde il se demanda ce qu'elle pouvait devenir avant d'observer le dragon qui pulsait sur sa peau. Et ce fut dans son âme qu'une réponse fleurit d'une voix grave et exsangue

Elle aurait pu mourir, mais je ne veux pas. Son pouvoir brille faiblement en elle, survivance. Protège la... elle nous sera utile. Tu viens pour l'Enfant n'est ce pas?

Ce n'est pas moi qui vient, Noz'drem hakar*. Ce sont eux.

Un oeil s'ouvrit de la masse informe, ensanglanté, l'oeil effrayant du monstre albinos.

Je ne les attendais pas si tôt, si jeunes. Ce ne sont que des enfants.

Ils sauront mieux écrire que nous n'avons su faire, ils sont né ici, pas ailleurs. Le Sang leur est promis tout comme ils ont promis de le servir. Nous avons de dignes héritiers. Donne leur ce qu'ils recherchent. Avant qu'Issac n'arrive et ne gâche leur Destin.

L'écho du Tisseur de vent résonna comme un frisson dans le Convent. Levant lourdement son aile il découvrit ce qui ressemblait à une poupée, immobile et silencieuse. Elle était la, sous une pluie de sang qui fuyait le corps du Gardien. Sous ces perles vermeilles elle semblait incroyablement calme et fragile. Un tout petit corps pour un Pouvoir si grand. S'agenouillant devant elle pour être à sa hauteur, il la contempla longuement avant que Noz 'drem ne lui rappelle :

Il arrive, il est l'heure d'en finir. Il y a cette guerre bientôt, et tout le reste. Tout le reste... Réveille les, jeune Prince.

Il se releva alors et faisant naître une lueur dans sa paume, il la fit s'envoler, insufflant dans les coeur l'élan de vie qui les unissaient tous, l'écho lumineux et splendide du Pouvoir du Sang, unique Héritage qui leur restait.

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** Hakkar : C'est le nom draconien donné à l'Avatar ( Ou Gardien) d'un Dieu ancien. L'évocation de ce langage rappelle ici que le Gardien ne maîtrise pas le langage commun et que cette discussion se fait en réalité dans la langue des Dragons et non comme ici dans une transcription lisible.

Invité

Lys avait soudain senti l'étreinte mortifiante des serpents se relâcher. Puis le sol s'était dérobé sous ses pieds. Répondant à l'appel inconscient de la pythie, le Gardien du Serment s'était enfin décidé à ouvrir aux confrères les portes du Sanctuaire. Il les laissa sombrer dans les profondeurs insondables du Convent mais resta lui-même à l'extérieur, préférant abandonner Talys plutôt que pénétrer dans cette prison souterraine où il avait fait reculer, lors des Anciennes Guerres, la couvée de Noz'Drem.

Lorsque la chute cessa, Lys put se relever et constater que les autres étaient toujours là. Cassiopée et Tàranis semblaient aussi déroutées que lui. Talys gisait inanimée non loin d'eux. Le jeune homme avait des difficultés à discerner les alentours. Les murailles naturelles qui les encerclaient étaient un enchevêtrement de roche volcanique et de glace. Les veines rouge sombre s'entrelaçaient avec des éclats d'une blancheur éblouissante. Sous leurs corps grondaient des torrents magmatiques aux lueurs dansantes.

Et face à eux, au cœur du Convent, dardant vers les sommets infinis des tours aux pointes effilées, se dressait le temple d'un Dieu mystérieux et oublié des mortels. Entre les colonnes spiralées reposait le Garde-Sang. Sa masse pourpre colossale s'ébranlait à chacune de ses lentes inspirations. Sa cuirasse rugueuse était recouverte d'entailles sanglantes qui semblaient ne jamais pouvoir cicatriser.

Sanz flottait au-dessus de Noz'Drem, se mouvant sans un sifflement dans le silence religieux du Sanctuaire. Il se mit à prononcer des phrases incompréhensibles d'une voix rauque. Lys reconnut les sonorités rudes de la langue des Dragons, mais il ne put en saisir le sens. Noz'Drem souleva l'une de ses ailes, révélant la présence d'un être frêle et fantomatique plaqué contre son corps.

Les trois confrères n'eurent pas le temps de comprendre la signification de la scène à laquelle ils assistaient : le Prince atteignait déjà le chapitre suivant de leur histoire. Des rayons lumineux d'un rouge flamboyant émanèrent de ses mains, giclant contre les parois gelées et se répercutant dans tout le Convent, enveloppant bientôt les trois confrères, les traversant de part en part. Lys sentit le Pouvoir du Sang affluer en lui comme jamais, porteur d'une puissance qui dépassait l'entendement.

Des cris et des rugissement retentirent tout autour. La couvée de Noz'Drem s'éveillait, comme pour témoigner de la page qui se tournait. Les dragons jaillissaient d'entre les circonvolutions de la roche. Il quittaient leurs niches glacées, chacune n'étant qu'une porte de plus ouverte sur les Limbes.

Une bourrasque d'un vent glacial se forma au milieu de cette véritable fourmilière. Un dragon majestueux en surgit soudain et se posa sur un promontoire rocheux qui s'élançait au-dessus du temple. Lys aurait pu le reconnaître parmi un millier d'autres. Il réalisa à ce moment à quel point le vide laissé par l'absence du Garde-Vent était immense. Sans s'en rendre compte, au fil de leur périple, Cassiopée et lui s'y étaient habitués. Une voix caverneuse qui semblait provenir de la moindre parcelle du Convent résonna alors dans tous les esprits :

- Issac... Tu n'étais pas venu en ces lieux depuis bien longtemps.

C'était encore et toujours la langue des Dragons, mais maintenant que les confrères étaient habités par l'héritage du Sang, ils la comprenaient avec clarté.

- Depuis le jugement d'Hézériel Shinobi, répondit le Garde-Vent, à qui j'ai dû transmettre la Science des Essences.

- Telle était la volonté de l'Appel Sombre.

- Je constate d'ailleurs qu'il est ici, pour apprendre la vérité à tes héritiers au sujet de leurs origines, pour leur offrir la connaissance qu'ils sont venus chercher.

- Vas-tu vraiment t'opposer à l'accomplissement de leur Destin, Issac ? Ils ont découvert la Source. Mère et fille sont enfin réunies.

En pénétrant dans le Sein du Sang sans y être invité, Issac imposa la présence d’une force extérieure que Noz’Drem ne pouvait que souhaiter contrer. Il impressionnait l’humain par sa taille mais troublait l’air de sa volonté.
Cette volonté sans faille envahit l’espace et se mut dans son environnement en un souffle brûlant et cinglant qu’il dirigea contre Cassiopée tout en s’adressant à Noz’Drem.

- Je ne voulais pas venir ici si tôt. Si Cassiopée a pu accéder au lieu dans lequel passé et futur se confondent, c’est que les Cieux l’y ont aidée. Mais son rôle n’est pas de détruire le Sang dans l’œuf. Elle doit, hors du temps et de l’espace protéger ce qu’il reste du Sang même s’il apparaît en lambeaux. Tu as porté en elle, toi-même, les germes d’une faim qui ne saurait être calmée. Mais elle est par son sang assujettie au pouvoir des étoiles.
Et la Déesse des Etoiles rêve du Réel.
L’Enfant est autant son œuvre que celui du Sang.
Maintenant, elle est prête à se battre pour affirmer ses rêves.

La voix d’Issac emplit le sanctuaire et résonna sur les parois, jusque dans les niches vides que les dragons laissaient ouvertes comme des bouches béantes :

-Aujourd’hui, ton aile, en dévoilant l’Enfant, ouvre un nouveau chant à l’Harmonie du Sang. Entends-le. Il est porteur d’une lumière que le Sang n’avait pas vue depuis une éternité.
Vas-tu, Noz’Drem, laisser ta faim dévaster ce qu’il reste encore ?

L’immense créature qui avait rempli l’espace de sa présence se modula en un courant dont le souffle sinua et serpenta sous le nez des humains. Il s’attarda sur Lys en l’encerclant paresseusement avant de venir siffler aux oreilles de Talys un air un peu moqueur. Puis le toron de puissance se dressa devant Cassiopée.

La carcasse démesurée de Noz’Drem ébranla le sanctuaire quand, il tenta de se dresser sur ses pattes, mais Issac en profita pour pousser un Vent de colère vers les oreilles de Shyon :

-Et que veut le gardien du Serment aujourd’hui ?

Shyon au loin, dans la brume qui couvrait l'entrée du Convent jetait son regard amer et déçu devant les Destinées qui trouvaient chacune sens dans l'horizon du Sang. Dépossédé de son lien avec le Prince il ne pouvait ni ne savait plus contrôler son âme et maintenait les Héritiers loin du Foyer qui leur appartenait pourtant. De cette façon il avait su ralentir la renaissance du Sang, et l'éveil de son Gardien. De cette façon il avait freiné ce que les Prophéties murmuraient depuis cent siècles : l'Envol du Vol Sombre. Cette race qu'il jugeait violente, archaïque et barbare, venait de retrouver sa demeure, et du point de liaison naissait de l'enfant qui avait attendu cent ans avant d'apparaître. Désormais le Destin du Sang retrouvait ses libertés, et ses pulsions de vengeance.

Devant le sifflement d'Issac Shyon gronda mais mesura sa voix. Tout le monde savait qu'il ne fallait pas tenir front ouvertement au Tisseur de Vent pour ces mêmes raisons qu'il était depuis longtemps le héraut favori des Dieux : il était le plus vieux et probablement le plus puissant au fond de cette réalité. D'un revers d'aile il se dégagea pour s'en aller non sans répondre :

- Les Guerres vont reprendre, et cette fois ci, il te faudra choisir un camps, Enfant du Vent. Nous devrons tous choisir un camp.

Des images chaotiques virevoltaient dans les songes dévastés de la jeune fille. Elle n’avait plus conscience ni de son corps ni de ce qu’il pouvait bien se passer autour d’elle. Talys luttait en vain pour revenir à elle mais la fatigue mentale et physique était encore trop forte. Son énergie vitale avait été vidée en quelques secondes et elle ne disposait plus des ressources nécessaires pour la recouvrer. Les battements de son cœur se faisaient rares et désordonnés. L’air venait également à lui manquer mais une entité mystérieuse veillait à la maintenir en vie.

Pourtant, elle se serait bien laissée happée par les sombres profondeurs qui l’envahissaient. Elle avait failli à son devoir et ne pouvait se le pardonner. Elle était la Gardienne du Sanctuaire et elle n’avait su comment faire pour le préserver. C’était la première fois que des étrangers tentaient d’y pénétrer et elle n’avait même pas été capable de les en empêcher. Ils étaient venus saccager son univers et elle était restée là, à les regarder faire, impuissante et faible.

La culpabilité la rongeait de l’intérieur mais une sensation étrange persistait également. Au-delà du sentiment de honte dû à son cuisant échec, elle sentait comme un soulagement, une sorte de contentement liée à une étrange idée de devoir accompli. C’était comme si elle était finalement parvenu à l’aboutissement d’une tâche déterminée par une fonction latente qui lui incombait sans qu‘elle n‘en ait jamais été informée. Des émotions paradoxales l’envahissaient bel et bien et ne faisaient qu’accroitre son désespoir.

Après de longues minutes de lutte acharnée, Talys parvint peu à peu à reprendre conscience. Elle commença à percevoir les bruits et les odeurs qui l’entouraient. Elle retrouva la sensation glacée des dalles sur lesquelles elle reposait et l’engourdissement de ses membres tétanisés. Petit à petit, elle distingua des voix, des sonorités et des personnalités différentes. Des répliques gutturales résonnaient dans la cour, proférées dans un langage qu’elle connaissait mais sans pour autant qu’elle en comprenne un traitre mot. Elle sentait que ce qui se jouait dans le jardin du Sanctuaire était d’une importance capitale mais elle n’avait pas encore la possibilité d’y prendre part.

Lorsqu’elle rouvrit enfin les yeux et qu’elle eut l’énergie nécessaire pour lever la tête, ce fut pour voir la silhouette de son Dieu et maître se découper dans le ciel au dessus d’elle. Il n’eut même pas un regard pour elle lorsqu’il s’éloigna à tire d’ailes et elle sentit son cœur se déchirer au fond de sa poitrine. Son créateur venait de lui tourner le dos et sa raison de vivre l’abandonnait. Elle voulut le retenir mais aucun son ne put franchir ses lèvres closes et fébriles. Une haine intense explosa en son sein et une douleur insupportable électrisa tout son corps.

Prise d’une peur panique, elle retomba à plat ventre, incapable de respirer. Elle tâtonna frénétiquement le sol à côté d’elle jusqu’à ce que ses doigts se referment sur la garde d’Azräael. Lentement, elle rapprocha l’épée de son corps glacé. Elle ne savait plus quoi faire et sa raison ne lui appartenait plus. Elle se releva à demi, implorant le néant de lui venir en aide… Ses gestes lui étaient à présent dictés par les réminiscences de Shyon et par l’immense vide qu’il avait laissé en elle. La puissance occulte qui souhaitait qu’elle continue de vivre se délitait, ne laissant place qu’à l’amertume de la solitude. Plus rien ne la retenait ici et plus rien ne comptait à présent… Alors doucement elle ferma les yeux et enfonça la lame dans son abdomen, éclaboussant le marbre de pétales écarlates...

Choisir un camp… Depuis la création de Cassiopée, Issac laissait les Vents précéder ses pas. Il l’avait escortée en lui ouvrant le chemin sans que son âme humaine en ait conscience. Aujourd’hui, il l’accompagnait ouvertement, il s’était révélé à elle. Au monde, il avait dévoilé une part de pouvoir.
Son camp, il l’avait choisi en vouant La Dame des Etoiles à accomplir son Destin. Mais l’âme humaine de Cassiopée en aurait-elle la force ?

Issac retenait les Vents. Aucune permission n’était donnée d’en saisir la teneur. L’ombre du Garde-Vents vira au carmin lorsqu’il étala ses ailes de manière à emplir l’espace qui surplombait le sanctuaire. Il s’adressa alors à Noz’ Drem dans cette langue presque inaudible que les dragons empruntent.

- Je vois que Shyon a pris de l’envergure depuis la dernière fois que nous nous sommes croisés… Si je suis venu jusqu’à toi aujourd’hui, ce n’est pas pour constater ta déchéance, ni pour te voler un enfant.

Le ton n’avait rien d’arrogant et le vent se chargeait de poser la parole.
Mais Noz Drem avait ouvert plus qu’un œil.et observait avec méfiance la présence non souhaitée.

- Les guerres sont proches et bientôt arrivera le temps des vengeances. Le gardien du Sang va se retrouver très seul, le sais-tu ?

Noz’Drem avait levé sa lourde tête. Son souffle était devenu plus bruyant et soulevait ses plaies sanguinolentes.

- Peut-être aurais-tu besoin d’aide ? Ajouta t-il, railleur. Je pourrais prendre soin de ton enfant si tu te sens faible.

Noz’Drem souleva sa lourde carcasse avec lenteur. Chaque mouvement déployait une masse considérable de muscles. Et le moindre déplacement faisait couler un peu plus de sang de chaque entaille. Son rugissement emplit la caverne, ricochant sur les parois.

Pendant ce temps, Tàranis avait repris conscience et n’avait d’yeux que pour Talys. Le désespoir de la Pythie l’atteignait au plus profond de son âme. Lys de son côté reprenait pied, la main sur la garde de son épée, il paraissait près à agir sans savoir décider vers où porter ses coups. En lui, un sentiment irrépressible l’encourageait à défendre celle qui l’agressait dans ce qui lui semblait n’être qu’un rêve au regard du lieu où ils se trouvaient.

Talys se vidait se son sang. Sous elle, une rigole emplie d’un sang noir prolongeait son corps étendu. Le sang de Talys empreignait la Terre du Sang et la Terre se nourrissait d’elle.

Cassiopée percevait tout ceci, mais tout son être était attiré vers la couche de Noz’Drem. Un formidable appel l’empêchait de concevoir d’autres gestes que marcher vers elle.
Aussi, quand Noz’Drem se dressa sur son séant en rugissant contre Issac, elle profita de l’instant pour foncer vers le Nid. Son cœur battait tellement fort que son sein semblait fracassé. Complètement électrisée par l’envie, elle se précipitait vers son but et se glissa entre les pattes du Dragon géant.
Là, dans un creux de roche, dans la chaleur des feux magmatiques, gisait un tout petit être.
Il était blanc comme le marbre et semblait aussi inerte que lui. Ses longs cheveux de neige lui couvraient une grande partie du corps, cachant son visage.
L’ombre de Noz’Drem occupait tout l’espace et opacifiait les sons qui provenaient de la caverne.
Cassiopée se glissa jusqu’à l’enfant et s’agenouilla près de lui. Soulevant une mèche de cheveu, elle découvrit son visage, presque translucide. D’un doigt léger elle caressa les paupières closes sur un monde qui n'appartenait qu'à elle seule.

Tout était si calme, si reposant.
Elle ne savait pas depuis combien de temps elle n'avait pas ressenti cette émotion. C'était il y a si longtemps...
Mais quand ?
Impossible de compter, sa mémoire se dérobait à chaque tentative, mais sans qu'elle ne s'en aperçoive, elle qui n'avait toujours vécu qu'en spectatrice silencieuse, se mettait à penser en « je ».« Je crois me rappeler, mais je n'y arrive pas ».
Un changement avait commencé à s'opérer.

Le doux courant du fleuve de lumière où l'enfant se laissait porter se changea doucement en un remous différent qui la berçait. Intriguée, elle se redressa, admirant pour la première fois un décors de ce monde qu'elle n'avait jamais vu auparavant...
Pour la première fois?
Mais pourtant, tout cela lui paraissait si familier.
C'était un immense océan où les étoiles semblent s'y baigner, joueuses. Un écho se fit dans son esprit, elle avait déjà, elle aussi, baigné dans ses eaux, tout comme ces étoiles.
Elle est pourtant sûre de n'avoir jamais vu un tel lieu.

Subitement, une pression se fit sur ses yeux. Mais comment ? Il n'y avait rien autour d'elle qui aurait pu la toucher !... la toucher.. Quelqu'un l'avait touchée ! Elle n'avait jamais été touchée.
Son cœur se mit à battre à tout rompre. Dans un sursaut elle essaya de retirer ce qui appuyait sur ses yeux, mais se rendit compte qu'elle ne pouvait plus bouger, ni rien voir. Elle était tétanisée.
Elle avait peur, très peur. Elle ne comprenait rien à ce qui était en train de lui arriver.
Elle était perdue dans ce noir profond et ne pouvait esquisser le moindre geste.
Puis, une douleur aigu se mit à circuler en elle, en partant par le bout de ses orteils jusqu'à ses autres extrémités. Lorsque la douleur disparut, dispersés dans tous ses pores, toutes ses cellules, elle eut la sensation d'être posé contre de la roche... non quelque chose d'autre... Mais qu'est-ce que tout cela signifiait ? Où était-elle ? Il faut qu'elle sache ! Il faut qu'elle fuit !

Elle s'arrêta.

Ses mains venaient d'en attraper d'autres, plus grandes mais fines. Elles étaient douces, fraîches.
Doucement, elle se rendit compte qu'elle pouvait bouger, très peu, mais son immobilité venait de la quitter. Après quelques efforts, elle réussit à ouvrir les paupières. Le monde lui parut flou et rouge, mais doucement, tout doucement, les formes devenaient plus nettes, une en particulier. Elle était d'une blancheur !

Elle ouvrit la bouche, rien ne sorti. Elle se contenta alors de quelques larmes.

La peau translucide de l’enfant ruisselait. Dans son petit visage défait, les yeux grand ouverts fixaient Cassiopée et posaient leur regard anxieux vers elle comme un appel au secours.
Cassiopée prit ses mains aussi froides que la porcelaine dans le creux des siennes. Une chaleur tendre glissait de son être vers la petite fille qui se tenait là, raide comme une poupée.
Et pourtant, un mouvement léger animait les jambes de l’enfant. Son esprit semblait surgir d’un autre monde.

Les mains de Cassiopée parcoururent le corps de l’enfant. Chaque parcelle de peau éveillait chez elle une foule de souvenirs. Sa mémoire s’enclenchait au contact charnel. Des sensations d’appartenance où se mélangeaient la certitude du don partagé évoquaient les souvenirs d’une naissance qu’on l’avait obligé à oublier. La chaleur humaine qui se dégageait de ce petit corps pourtant froid appelait dans le sien des battements de cœur oppressants.
Elle avait envie de le prendre dans ses bras, de l’étreindre, et de le serrer contre son cœur.
Cet enfant était le sien. Alors, elle le porta avec délicatesse contre son sein et leurs cœurs s’unirent dans un même diapason.

Mais, elle n’eut pas la possibilité de longtemps goûter la rencontre fantastique car un rugissement phénoménal retentit.

Noz’Drem, qui s’était écarté de son nid appelé par Issac, venait de se rendre compte de l’infamie qui se tramait dans son propre sanctuaire.
Au même moment, un vent rageur et sourd lui fit échos et dériva son attention. Le temps pour Cassiopée de se coller à la paroi.

A quelques mètres de là, Tàranis et Lys s'étaient agenouillés près du corps de Talys. Après s'être regardés un court instant, ils avaient, d'un même élan, sorti l’outre de cuir bouilli qu’ils gardaient toujours à leur ceinture.

En s’entaillant le ventre avec Azraael, Talys la désespérée n’avait eu qu’une volonté, celle de se purifier et de rejeter un sang corrompu. Elle avait cherché à s'arracher à l'emprise de Shyon. A présent, elle se desséchait pour ressembler à une momie aux traits parfaits.

Mais son sang ne devait pas être perdu et les deux confrères s'appliquaient à le recueillir avec précaution.

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