[Conf. Sang]L'Envol du Cygne [ Histoire de Sargas ]

Nombre de messages : 2050 Age : 26 Date d'inscription : 07/02/2008

Les spasmes d'Egorann se calmaient au fur et a mesure que sa conscience et son sang la quittaient. Mais elle ne restait pas immobile pour autant, ses mains s’agrippant à son ventre, déchirant et malaxant sa peau. Elle gémissait sous le voile noir qui peu à peu se déposait devant ses yeux.

Faim...

Elle sentait un sentiment de plénitude monter en elle, couplé à une sensation de frustration. Mais sa faim grandissante disparut lorsqu'elle se sentit partir en arrière. Allongée sur le côté, elle sentit ses mains lâcher sa peau et venir se loger au creux de son cou tandis que ses genoux remontaient vers sa poitrine. Egorann lâcha un soupir qui vint perturber les quelques gouttelettes de sang qui flottaient devant son nez. Lorsque ses dernières s'immobilisèrent, plus rien ne bougeait dans la chambre. Puis, tout explosa.

Faim !

C'était cette fois-ci un cri qui explosa. Il émanait d'une forme rouge sombre d'où s'envolaient des lambeaux de fumée. La forme, presque humanoïde, était en équilibre précaire au-dessus des ruines de la cabane. L'air était redevenu clair et pur, mais il semblait vibrer autour de la silhouette qui se dirigeait très lentement vers le petit groupe d'hommes, à une vingtaine de mètres d'elle. Elle hurla et un éclat de rire jaillit de ce qui semblait être des lèvres immobiles. En laissant des lambeaux de peau derrière elle, la silhouette bondit et fonça vers eux, tendant des bras chimériques aux ongles acérés.

Il l'évita d'un saut de côté tandis qu'elle l'effleurait. En roulant, il déchira sa veste et son bras avant mais il n'en eut cure. Il en était encore à se demander, effrayé, comment une si petite fille pouvait devenir un tel monstre. Il avait sorti machinalement son arme, comme si il était prêt à se défendre, et pourtant, il ne voulait pas la blesser. Les deux autres s'étaient déjà placé prêt à en découdre, suffisamment éloignés pour obliger le démon à devoir faire un choix. Dans le même temps Apo'kir continuait ses dessins étranges au sol. L'assistant lui avait moins de sang froid et prédisait mentalement qui allait se faire écharper en premier. Il n'en avait jamais rencontré mais ce qu'il avait lu dans les livres lui retournait l'âme. Ce genre de démon n'avait aucune pitié, il songeait seulement à survivre en volant la vie des autres, et plus il en volait plus il en avait toujours besoin de plus de vie - sombre spirale qui l'entraînait dans des massacres de village entier. Emporté par les souvenirs de ses grimoires , il sorti la dague attachée à sa ceinture et hurla brusquement à la gueule du démon :

- Qu'attends- tu, pourquoi hésites- tu ? Viens, viens! As-tu donc peur ?!

C'était un cri de révolte, un cri de vivant mais pas assez pour effacer l'aura attirante du jeune dauphin Sargas, que l'énergie noire et puissante issue de son sang attirait des kilomètres à la ronde. Le démon chargea une seconde fois, visant la gorge, tel une bête assoiffée. Il roula une seconde fois, déviant l'impact avec le pommeau de son arme comme s'il avait peur de la blesser et s'écroula au sol. Le démon s'élança à nouveau, plus rapide encore que précédent, il dut parer, une fois, deux fois, trois fois. Au loin il entendait les cris de ses camarades mais avec la fatigue et l'acharnement du démon il était devenu incapable d'en comprendre le moindre son jusqu'au dernière siège, celui là même qu'il n'aurait pas pu esquiver, une autre force s'opposa entre la proie et le prédateur. Cette force si chaotique, si infinie, il ne la connaissait que trop bien. A deux pas de lui le Prince tendait sa lame vers le Démon qui reculait d'effroi. Dans le même temps quelqu'un d'autre se posa avec légèreté : Cassiopée était venu aussi. Elle s'était posée un peu plus loin dans un cercle qu'Apo'kir, malin, avait dessiné à son dessein. Pendant le combat inepte, il s'était escrimé à former dans la clairière les marques du Sceau de Kremi: un sceau condamnation qui emprisonnait jusqu'aux démons les plus coriaces. Alors chacun se mit à genoux, la paume de la main droite contre terre, et murmura un long cantique devant le regard incrédule de Sargas.

Lettre puis lettre venait ficher leur emprunte dans le temps puis appelèrent le phénix errant probablement entre les Néantes de l'univers.
Lettre après lettre, les poussières sur sol commencèrent à se soulever puis tournoyer autour dudit Sceau. Pendant cette valse de terre, Egorann sentit le Démon se mouvoir dans son âme, essayer de prendre sa place. S'y engouffrer insidieusement. Puis la douleur. Celle qui grignote ses nerfs veine après veine. Elle hurla. Supporter, se battre contre les griffes, les dents acérées de son âme démoniaque. La tête qui hurle au ciel.

***

La valse terrienne continue, impassible, neutre son jeu avec la gravité, le vent qui porte. Plus les grains de la terre et du sable mélangés jouent, plus le vent prend de la puissance et fait bruisser les feuilles de l'arbre tout à côté. Grand. Haut. Les feuilles nombreuses comme les les bulles d'air dans un corps d'humain, comme les poissons qui demeurent dans l'océan, comme les étoiles qui parcourent l'univers. Entier. Tout. Tout ainsi. Tout partout.

***

Phénix vole, ventre contre les nuages. Il s'amuse ensuite à descendre dans le ciel pour rejoindre celle qui va mourir. Celle qui souffre. Alors Phénix fait vite. Sa course rapide dans le ciel laisse des traînées de couleurs qui scintillent dans son ombre. Scintillent comme des arômes de vie qui glissent sur la peau. Phénix y a laissé des émotions pour discuter avec le genre solaire. Quelque chose de lui pour que le soleil vienne réchauffer cette âme en peine. Pour que le soleil roule d'un nuage pour trouver l'âme d'Egorann et lui offrir ses tièdes rayons. Alors, pendant que Phénix vole et la rejoint, le soleil s'éveille plus intensément. Pour elle. Car Phénix a demandé à Soleil de lui sourire.

***

Tourne la terre encore et encore.
Phénix apparaît au-dessus des arbres et les frôle en volant. Dans son vol, la couleur de ses plumes aux trois-cent-couleurs se modifie selon l'angle de vue, selon le vent qui crée quelqu'épis dans son pelage de douceur.

Dans les yeux de la Damétoile un rire naît.
Apo'kir, qui n'avait jamais rencontré le Phénix auparavant, se recula d'au moins quatre pas. Simple principe de précaution. Était-ce une hallucination que son esprit lui jouait ? Était-ce provoqué par le Démon qui tentait de prendre un autre corps que celui d'Egorann puisque le Sceau avait commencé à se créer ? Toutes ces couleurs... Qu'était-ce donc ! Il écarquilla les yeux, le regard interdit. Ne bougea plus.
Sargas se contenta de regarder.
Phénix ralentit sa course pour se poser au centre du pentacle déjà dessiné au préalable. La tâche n'en serait que plus rapide. Le corps d'Egorann était cependant à moitié sur le pentacle. L'autre moitié était plus en dehors. Il fallait donc trouver une parade afin de placer cette enveloppe charnelle totale à deux âmes dans le Sceau afin de sceller définitivement le démon, prenant soin de ne pas abîmer l'âme de la jeune Egorann.
Ce fût rapide. Phénix tourna sa tête sur le côté posé sur le bord du Sceau. Son regard pénétra celui de Démon par la jeune fille puis la bouche d'Egorann s'articula dans le langage démoniaque, dans un son sortie des profondeurs des grottes des Grizzlis du Nord Ter Aélissien :

_* Pirtok lkhrm tukrig pchëlk *_

C'était une invitation forcée de Phénix. "Viens avec moi" lui avait murmuré doucement le Phénix dans la propre langue du Démon. Et alors, il avait modifié l'espace ne construisant qu'un tunnel, un vent le poussant par l'extérieur, pour le ramener au centre du pentacle et l'enfermer. Démon se laissa faire, absorbé par cet être intrigant. Si calme. Si sûr. Une aura autour du Phénix comme si dans le pentacle, l'endroit était sûr.

_*Trelm brok plaöth kar galsr*_ parle-pensa Phénix.

Cette fois, l'être ailé lui exprima en ces termes humains : "Plus de corps à chercher. Toujours." Cette promesse était réelle et Phénix ne lui mentait pas. Il serait enfermé dans le pentacle à jamais. Il n'aurait plus à se préoccuper d'humain quelconque à trouver pour survivre, perpétuellement. Ce cycle prenait fin. Et sa faim, également, serait également enfermée. Il serait lui-même délivré de ce ressenti insupportable.

Egorann, à pas de fourmi, se rapprocha de Phénix. Elle vit ses plumes de couleurs de plus près. La lumière la réchauffa. La brise légère du vent qui faisait voler les feuilles ramena jusqu'à elle une odeur de fleurs légères d'un autre monde.
Sa respiration était tendue mais se calma peu à peu. La souffrance que le Démon avait provoqué s'échappait de son corps. Allait en disparaissant. La sérénité dans le corps puis l'esprit engourdi, elle regarda Phénix : elle était dans le cercle entouré des branches du pentacle. Elle était en son centre. Elle lut le regard de Phénix. Enfin, elle serait délivrée.
Phénix parle-chanta le cantique en langue démoniaque ce qui donnait l'effet de renforcer les barrières du pentacle : il serait bien plus efficace.
Egorann sentit ses lèvres se mouvoir pour prononcer cette langue qu'elle ne comprenait pas, que le Phénix lui demandait de parle-chanter. Nulle obligation. Egorann avait confiance. Elle comprit le sens non par la langue mais par ce que véhiculait le Phénix : une conversation d'âme à âme en parallèle.
Les mots étranges reprirent dans un rythme saccadé, une pause longue d'une minute entre chaque phrase. Nécessaire pour que la magie de la phrase opère.

Phénix regardait le ciel. Il parle-chanta pour l'univers.

_* Om'l khru Yiarth
Plar münt khru Kharn
Oml ker trelc nost
Kurn filst plerth fajh
Qorv skren üln irv ol prex
Om'l khru kharn
Plar münt khru yiarth*_

"Vent du Sud
Rencontre celui du Nord
ses ancestres signent en mon nom ta délivrance
dans le champ de l'hiver et celui de l'été
qu'importe la pluie, le soleil, la lune et la tempête puisque
Vent du Nord
rencontre celui du Sud" fût le cantique que se répétèrent Apo'kir ainsi que la Damétoile qui connaissait la version en la langue des Humains en parallèle à l'oiseau particulier.

Soudain un mécanisme âmique opéra. L'âme Démon fût absorbée par une infime partie de l'âme d'Egorann. Phénix modifia l'espace et le temps. Une parade éternelle qui rendait toute fuite du Démon impossible. Il ne pouvait voir au-delà des corps humains, au-delà des choses physiques. Or, Phénix avait modifié l'espace, physique, avec le cantique en Démonique*. La barrière était absolument sûre.
Egorann se sentit soulagée. Mais elle sentirait bouger Démon dans un coin de son âme profonde parfois. Peut-être apprendrait-elle à marcher sur son chemin de vie avec cet être maléfique. Peut-être parviendrait-elle à apprivoiser Démon et s'en servir comme force. Comme peu le firent des humains que Phénix avait croisé.
La pose du Sceau avait été éprouvante pour la grande enfant. La chevelure qui entourait son front était humide et collait à son visage. Son soulagement ne pouvait parer sa fatigue. Elle se laissa tomber sur les genoux et s'assit. Elle respira plus profondément encore, plissa les yeux en contemplant le soleil.

*Démonique = langue des Démons.

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