Drame à bord de l'indégonflable [Rp concerté]

Hugo est totalement fasciné par les échanges entre la jeune dame et la noble. Tellement absorbé qu'il ne remarque pas qu'il serre fort contre lui l'animal étrange. Jusqu'à ce que la jeune fille le lui prenne des bras, en lui demandant de leur conter une histoire. Le conteur est amusé de cette manœuvre et lui répond:

- Une histoire? Mais une histoire ne se refuse jamais, ma petite dame, que du contraire! Je serai honoré de me produire devant un tel public! Tenez, me vient une idée: que diriez-vous de savoir pourquoi mes ongles et mes lèvres sont peints de noir? Et pourquoi, si je me retourne un infime instant, me voilà soudain un vieillard?

Mimant le geste à la parole, il ne fait qu'un tour sur lui-même et la différence est frappante! Il a pris 40 ans en un tour complet. Il sourit de son petit effet et ajoute:

- Ces artifices me plaisent, car ils sont ceux du personnage qui portent mon prénom et dont je me suis inventé la vie. Ecoutez donc ce qui suit:

Grand Ami, conteur et généreux donateur,
Je donnais sans compter pour faire de mes amis le bonheur,
Ces personnes aux belles parures et merveilleux atours,
Se révélèrent, une fois fauché, de simples vautours.

Renié de tous, seul et sans le sous,
J'errais dans la ville comme un rat d'égout.
J'en vins à vendre mes services aux demoiselles,
Aux hommes et aux vieilles, en recherche du plaisir charnel.

Vous trouverez ce parcours dégradant, c'est vrai,
Mais je n'avais point honte de ce que je faisais,
Car un jour, voyez-vous, une jeune fille,
Crut qu'elle m'aimait et m'épousa pour la vie.

Malheureusement, deux ans plus tard elle disparût,
En cause mon destin funeste d'auteur inconnu.
Les muses, ces jalouses, m'avaient pris tous mes biens,
Arguant, avec ferveur, que je leur appartiens.

En proie à une colère et tristesse incroyables,
Je blasphémai et les envoyai au diable!
Alors celles-ci, vexées et meurtries,
S'emportèrent et firent de moi un maudit:

L’encre qui ne sert à écrire, viendra tes lèvres noircir.
Tu ne pourras que danser, chanter ou illustrer.
Et ce sera ton seul moyen de subsister,
Vivre ou mourir, tu ne peux plus choisir.

Mais prend garde, cependant au récit,
Qui mêle tous les temps connus jusqu’ici.
Du futur au passé, il n’y a qu’un accord,
Marqué par le présent qui leur sert de raccord.

Te voilà donc à jamais représenté,
En jeune homme de grande beauté,
Ou bien en vieillard à l'air illuminé.

Il marque une pause, pour laisser le temps à son public de s'imprégner de ces mots…

- Allons, vous ne pensez pas que je me suis laissé faire ainsi? Ecoutez plutôt:

Ma voix, comme le tonner, gronda,
Et de ce jour tous les bruits elle imita :

-En vérité, je vous le dis,
Votre crime est un bonheur pour qui ne vit !
D’auteur, je passe à conteur,
et jamais je n’aurais de répit.

Mais qu’importe puisque je ne peux mourir,
J'endosse mes personnages au lieu de vivre.
Ainsi Hugo Zeppeline est inventé,
Né d’une rencontre, entre muses et fatalité.

J’irai mon chemin, et vous serez mes amies.
Jamais vous ne m’abandonnerez, à moi vous êtes unies.

- Bien sûr, les muses voulurent protester, mais riant comme un dément, je les arrêtai :

C’est votre propre condamné
Qui vous a enchaîné.
Et votre amie, la jalousie,
Est devenue votre ennemie.

Votre avenir dépend de vos actions,
Ni Hommes ni dieux n’y échapperont.
Venez mes muses, suivez mes contes,
Avec vous, je ferai le tour des mondes !

Il s'arrête. Tourne sur lui-même à nouveau et le voilà jeune homme. Un bon conteur aménage toujours ses contes avec des artifices, et il vient de tout raconter avec de nombreux bruitages, de grands gestes et une sincérité troublante. Hugo est né pour conter, ça c'est une vérité. Il se tait, maintenant, laissant l'ambiance se dissiper, attendant les retours du public qui l'a écouté.

Laouen a adoré entendre l'histoire de Hugo Zeppeline. Ses talents de conteur incontestables ont éveillé son âme d'enfant qui sommeillait à peine. Elle s'apprête à applaudir et a déjà mis ses mains en position de béatitude pour les battre avec ferveur.
Mais son élan est brisé net par l'intervention de Lydia. L'élégante dame capte très vite l'attention de chacun en récupérant la parole et en se débrouillant pour ne plus la quitter.
La magie du conte fait vite place à l'enfer près de l'oreille de Laouen.
L'animal avec tout son bagout de carnicureuil s'apprête à inonder la femme du monde de sa verve citronnée quand la douce main de son âme porteuse se pose sur sa bouche. Littéralement saoulé par le parfum de la jeune fille, Julius écarquille les yeux, les membres raidis sous la surprise.
Laouen lui souffle :

- Je t'en prie, ne l'irrite pas pour l'instant... Retrouvons plutôt notre chambre.

Est-ce l'annonce de plaisirs imaginés ou la douceur de la voix, Julius reste muet contre toute attente.

Laouen se sent solidaire du petit animal qui lui a permis de participer à ce voyage fabuleux. Elle décide donc de braver ta timidité et s'adresse à Lydia :

- Je suis en compagnie de cet écureuil et je ne saurais m'en séparer un seul moment. Nous devons d'abord trouver notre cabine. C'est un écureuil particulier, il n'est pas en peluche. il parle et est le bras gauche de Ramrod. Il représente l'Héliaste Ame Damnée de Ter Aelis lors de cette traversée. Ainsi qu'il en a été décidé, cet animal sera présent partout où vous m'inviterez. Mais je peux vous assurer qu'il sait bien se tenir, à table comme en toute circonstance.

En disant ces mots, Laouen n'est pas du tout certaine de ce qu'elle affirme.
Elle adresse ses compliments à Hugo et assure Lydia de sa présence pour la partie de cartes, puis quitte la pièce.

Une fois dans le couloir, elle demande à Julius :

-Tu sais jouer aux cartes ?

Le jeune conteur est plus que satisfait d'avoir fait une telle impression auprès de ces dames. Il émet quelques doutes quant à l'origine de l'air captivé que l'écureuil affichait, mais il n'en a cure: ce petit animal n'est qu'un... animal. Et s'il sait bien qu'il faut bien traiter les bêtes, ça reste des bêtes.

Il arpente les couloirs des cabines, la mine songeuse, se demandant s'il doit ou pas se rendre à ce repas avec le commandant. Tout d'abord, il risquerait d'être démasqué, ne figurant pas sur la liste des réservations, et ensuite, il se pourrait qu'on ait la mauvaise idée d'envoyer le room service dans sa chambre, puisque son véritable occupant n'a jamais été invité à dîner avec le commandant, lui. Si par malheur on vient à découvrir qu'il a légèrement "arrangé" ses appartements, il sera en très mauvaise posture.

Finalement, il décide de jouer les malades, prétextant le mal de l'air et file sous sa couette: un peu de repos ne lui fera pas de mal, le voyage lui offrira suffisamment d'opportunités de rencontrer du beau monde que pour vouloir tout faire en un jour. Au moment où il va fermer la porte, il aperçoit Laouen et lui fait un sourire qui se veut énigmatique et charmeur, espérant que ce signe suffira à lui acheter son silence.

Un dirigeable à vapeur n'est pas immense et le nombre de chambres réservées au premières classes encombrent le bâtiment volant sur quelques couloirs seulement. L'odeur a vite fait d'aiguiller le nez en alerte de Julius. Leur chambre est étonnamment fermée par un sas métallique heureusement non fermé à clef.

-Ah enfin ! de la bidoche ! T'en veux un bout ma biche ?

Mais Laouen s'est détournée du spectacle qu'offre Julius, les babines en sang en train d'arracher un morceau de viande crue et juteuse avec les dents.
Le cœur soulevé par la nausée, elle s'est rapidement détournée pour ne pas vomir et s'esquive.

-Non merci, je préfère attendre le repas où nous a convié la Comtesse machin truc bidule. Je te laisse manger en paix, je vais voir un ami. Je reviens tout de suite.

Une fois dans le couloir, Laouen s'assit et ouvre son sac, sort une paire de patins à roulettes qu'elle enfile avec expertise. C'est ce cher Pierrot qui lui a confectionné ces patins à vapeur. Ils sont si pratiques qu'elle ne les quitte que très rarement. Elle enclenche le piston et un petit jet de vapeur blanche discret la propulse déjà vers le soubassement du dirigeable.

Les architectes ont décidement privilégié le cuivre pour construire le bâtiment.
Chaque plaque de cuivre n'excédant pas le mètre carré, celles-ci sont boulonnées entre elles par une multitude de boulons dorés.

Laouen se remémore le lent assemblage des pièces en atelier lorsqu'elle assistait les ouvriers. Sa joie d'être là est au comble.

En croisant un long cheminement de tuyauteries fumantes, Laouen constate que le débit d'eau est un peu trop lent dans cette partie du vaisseau. Elle décide de sortir la clé à molette de son baluchon et de donner un peu de mou au circuit. Sans aucun doute, Pierrot lui en sera reconnaissant.

En arrivant dans la salle des machines, elle ne trouve pas son ami. Elle poursuit son chemin vers la salle des pistons dont la taille monumentale est impressionnante. Elle surveille la pression à l'oreille comme le lui a appris Pierrot.

Déçue de ne pas avoir trouvé son ami, elle remonte la mine chiffonnée vers les couloirs des premières pour rejoindre la chambre qu'elle partagera avec un drôle d'écureuil bleu.

Nestor vient de se trouver une planque plutôt confortable pour ses petites affaires. Tranquille surtout : recoin d'un recoin, inaccessible à qui ne souhaitait pas s'y rendre, sans utilité pour l'équipage. Le seul hublot à l'horizon est celui qui sert d'oeil à Nestor.

Dans cette salle, un entrepôt. Des trucs et des bidules de survie. En cas d'accident. Ils ont quand même foutu les matériaux de sauvetage au beau milieu de ce rafiot volant ; petite touche d'arrogance des concepteurs.

Tout d'un coup, pendant qu'il fait son ménage, la porte s'ouvre sur une boule de poil bleu.

- Mais s'il devait y avoir déguen ... C'EST QUI, LUI ?

- Si vous ne savez pas qui c'est que ce LUI, jeune castor, c'est que vous êtes certainement au mauvais endroit. Cet endroit est réservé exclusivement au personnel autorisé, que faites-vous là ?

Dans la cabine, Laouen attend le carnicureuil avec beaucoup d'impatience.
Son estomac commence à grouiller et elle s'ennuie ferme toute seule. Il n'y a rien autour d'elle pour la divertir. Une seule couchette assez étroite occupe les deux tiers de l'espace.
Par contre, la couchette en elle-même est très esthétique. L'architecte a misé sur les couleurs et le beau velours rouge du matelas s'associe parfaitement au bois vernissé des parois. Un gros hublot de cuivre occupe le seul mur non utilisé par l'espace de couchage. Il donne accès à un placard où Laouen a posé sa besace au coté de la grosse valise de Julius.
Aucune vue sur l'extérieur.  
Assise sur le lit, Laouen ne peut que contempler les tubes dorés, boulonnés entre eux, qui circulent au travers de la petite pièce. Seule distraction qu'elle ait pu trouver en attendant l'animal.

Un dernier soupir, la met debout et la décide à ne plus attendre son partenaire de voyage.

- Si, je vous assure que je suis invitée par Mme Von Harbou à la table du commandant...

Voici, déjà quelques minutes que Laouen parlemente avec le quartier maitre afin de le convaincre de la laisser entrer.  Il n'accepte d'aller quérir l'autorisation qu'au bout d'un acharnement de sourires et d'assurance mesurée de la part de la jeune fille.

Quand elle pénètre dans la salle de réception du bord, elle est scotchée par la différence d'espace entre sa cabine et le lieu. Une table est mise avec grand apparat et Lydia Von Harbou est déjà en grande discussion avec  le commandant installé à sa droite.

Laouen n'a pas de le temps de constater que la personne qui dialogue avec le commandant n'est pas la belle Lydia Von Harbou, mais la Contesse de Traquelspur. Le monde dans lequel elle se débat n'est plus la salle de réception de bois vernis du vaisseau qui lui refusait l'ouverture de ses portes mais l'entrée des enfers.

Une détonation fulgurante la fait se recroqueviller sur elle-même en fermant les yeux le plus hermétiquement possible pour ne plus entendre et surtout ne pas risquer de voir ce qui va suivre.

Mais très vite, la raison est plus forte que la peur. A moins que l'instinct de survie ne soit le seul guide vraiment efficace car une forte vapeur très chaude arrive en grands jets du couloir d'accès.

Quand une deuxième détonation survient et que l'indégonflable se cabre brusquement la jetant violemment contre la table, elle ne prend pas le temps de noter l'hématome qui vient de se former en l'instant sur son épaule. Elle s'empare de la nappe et s'en pare pour se protéger de l'eau chaude qui ne manque pas de les éclabousser.

Le mur d'en face prend feu dans un bruit assourdissant. Il semble qu'un cracheur de feu s'amuse à souffler sur le brasier. Lydia se pelotonne contre elle et profite de la protection fournie par la nappe qui s'avère être plus solide qu'un simple tissu de banquet.Alors, toutes deux tentent de se glisser dans la pièce adjacente.


Le dirigeable prend de la gite et pique dangereusement du nez. Laouen sent la vitesse du navire aérien s'accélérer. Elle est sonnée et les cris autour d'elle résonne dans sa peau, contre ses dents et elle tremble de tous ses membres.

Hugo est saisi par l'ampleur de la catastrophe qui s'étend devant ses yeux et ne tarde pas à exulter: quelle scène fantastique! Il s'avance négligemment jusqu'à sa cabine où il compte bien récupérer son fidèle mécachien. Ceci fait, il récupère les tuyaux qu'il avait enlevé plus tôt lorsqu'il avait traficoté sa cabine par manque de place et se dirige vers une échelle permettant d'atteindre la toile de l'indégonflable. Là, il se pose, et regarde le spectacle: un incendie ravage les ponts du navire aérien et la panique est grande. Il décide de prendre le temps d'esquisser un rapide croquis dans son journal, avant d'arracher un grand morceau de toile du Zeppeline. Ceci fait, il redescend du ballon pour revenir sur le pont où l'attend toujours son robot fidèle. Il lui fixe la tuyauterie et la toile de telle sorte que celle-ci se présente sous la forme d'un grand cerf-volant. Il n'y a plus qu'à sauter, mais, avant de sauver sa peau, il doit en sauver d'autres... Rebroussant chemin, il cherche et fouille, hurlant à qui veut l'entendre:

- UTILISEZ LA TOILE DU ZEPPELINE COMME UN PARACHUTE !!!! TOILE, ZEPPELINE, PARACHUTE!

Dès qu'il a fait ce qu'il a pu et qu'il juge dangereux d'évoluer encore au sein de cette fournaise, il monte sur le dos du mécachien et lui fait faire un bon dans le vide. La sensation lui soulève l'estomac, il croit un moment s'écraser, mais l'air s'engouffre dans la toile et bientôt c'est une sensation de flottement agréable associé à un vertige impressionnant qui s'empare de lui.

La chute n'a rien d'une galipette. Les corps conjoints de Lydia Von Harbou et de son bouclier vivant ont pris le large. Celui de Laouen Lostarbleiz est tombé comme une brique, jusqu'à ce qu'elle décide d'ouvrir les yeux et voie le sol encore lointain avancer à vitesse prodigieuse vers elle. Alors, paniquant de plus belle, elle fait ce qu'il ne faut jamais faire en pareille position. Elle tente des gestes désespérés pour reculer l'obstacle. Mais les mouvements nerveux l'embarquent dans une embardée qui disloque ses membres et la fait ressembler à une poupée démantibulée.

Elle cherche des yeux Lydia, espérant trouver en elle le secours que son expression dévastée appelle de toute la face. Mais Lydia n'est pas visible dans l'angle de vue qui est le sien. Par contre, la bouche grande ouverte par l'effroi, elle contemple sans respirer l'indégonflable qui l'accompagne dans sa chute. Le ballon se vide de son air et une colonne enflammée suit sa descente. Il a l'allure d'une comète dont le but finale serait d'atteindre la terre ferme.

Une bouffée d'air entre de force dans ses poumons. Il libére à la fois sa poitrine et son cerveau.
Alors, Laouen entend la voix bleutée de la belle Lydia qui lui dit dans son souvenir :

"Ne tirez pas sur la cordelette bleue avant que je vous l'ordonne."

Et elle agit. Aussitôt, un parachute sort de la sacoche qu'elle porte sur le ventre comme un immense animal qui feule sa rage. Sa chute est alors stoppée net. Ou du moins, a-t-elle cette étonnante impression. Ses pieds semblent se balancer dans le vide quand sa gorge nouée tente d'avaler la salive qu'elle n'a plus. Ses oreilles sont douloureuses.

Elle entend maintenant le ronflement détonnant de l'indégonflable que se dégonfle en rugissant son feu. Et, perdu au milieu du vacarme, les cris stridents d'une Von Habou qu'elle n'arrive cependant pas à comprendre, ni à discerner.

Sous elle, la mer étend sa houle. Bleue. Parfaitement bleue. Une île perdue au milieu de nulle part semble trop lointaine pour être atteinte. Avec réflexion cette fois, elle ferme les yeux pour ne plus voir, en serrant toujours le sac que lui avait confié sa sauveuse avant d'ouvrir le sas.