Xupi commençait à se sentir très lasse de rester assise à côté de sa marraine de cœur, dans le comité et de n’avoir rien à faire : une fois ou deux elle avait jeté un coup d’œil sur le i-pouce que tenait sa voisine de table ; mais il ne contenait ni messagerie instantanée ni photo de Kévin Bacon : « Et, pensait Xupi, à quoi peut bien servir un i-pouce où il n’y a ni messagerie instantanée ni photos de Kévin Bacon ? »
Elle se demandait si le fait de commenter un texte quelconque suffirait à lui faire oublier quelque peu son ennui, l’espace d’un instant. Le bruit du réfrigérateur commençait à lui emplir les oreilles, écrasant le silence oppressant qui régnait dans la pièce dédiée au siège du comité. Devant elle passa un lapin blanc aux yeux rougis par la fatigue, tenant un dvd encore vierge à la main. Elle le suivit du regard se glisser derrière ledit réfrigérateur. N’ayant rien d’autre à faire dans l’immédiat elle quitta son poste d’étude pour tenter de suivre l’étrange bête.
Contre toute attente, le lapin ne se trouvait pas coincé entre le mur et le rutilement obsédant de la machine rafraîchissante. En lieu et place d’un espace confiné, Xupi y découvrit une étrange tâche de couleur à même le mur.
Sans trop s’en rendre compte, elle parvint presque malgré elle à se glisser à son tour dans l’interstice. La tâche n’était autre qu’une brèche vaguement circulaire, de belle taille, si bien que Xupi parvint facilement à y glisser la tête.
En effet, il lui avait bien semblé apercevoir la forme blanche et leste de l’arrière train du lapin sauter par cette entrée l’instant d’avant. N’étant pas d’un tempérament méfiant ou excessivement prudente, Xupi s’y pencha plus qu’elle ne l’aurait dû.
«
Tu peux pas lutter contre la gravité, c’ets prouvé… tu peux pas test », furent les seuls mots qui lui revinrent à l’esprit lorsqu’elle bascula cul par-dessus tête à travers le trou béant.
Les leçons de physique et d’anatomie lui revinrent dans le désordre ce qui ne fit rien pour calmer l’angoisse naissante provoquée par le début de sa précipitation. Au bout de quelques minutes, Xupi s’aperçut qu’elle dérivait toujours le long des entrailles de la Terre. La peur reflua dès lors dans son esprit troublé pour laisser place à un échafaudage de théories plus rassurantes.
«
Si on considère que ma destination se trouve être le centre de la Terre, il serait fort sage de s’attendre à ce que la chute devienne ascension passé un seuil critique ». Elle ne savait si son professeur de mathématique lui aurait accordé le moindre bon point pour avoir su élaborer un théorème aussi ambitieux, mais Xupi se retrouva, plus tôt qu’elle ne s’y était préparée, au beau milieu d’une marre. Les bulles, éclaboussures et gerbes d’eau dissipées par son amerrissage finirent par laisser place à des vaguelettes que Xupi s’empressa de suivre vers le rivage.
Comme la marre était somme toute assez restreinte, elle finit par avoir pieds rapidement.
«
Me voilà toute souillée de fange et trempée comme une souche » se plaignit-elle alors qu’elle s’efforçait d’essorer ses jupons.
«
Vite ! vite ! La Reine n’attend pas ! Vite ! je dois me dépêcher de toute urgence »
Xupi fit volte-face promptement pour voir débouler le même lapin blanc, désormais vêtu d’une veste et d’une cravate violette. Il courait le long de la prairie dans laquelle Xupi s’attelait à se sécher.
Sans même lui adresser un regard, l’animal s’engouffra dans une galerie attenante à une paroi, dont la circonférence ceignait la prairie herbue et sa marre concentrique.
S’agenouillant pour découvrir le passage emprunté par le cuniforme empressé, Xupi eut le loisir d’observer un spectacle peu commun : de l’autre côté de la minuscule galerie se jouait une partie d’ultimate. Des éclats de voix aussi joyeux qu’enjoués lui parvenait, éveillant en elle une folle envie de se joindre à la partie. Or sa taille de jeune fille lui interdisait de se faufiler à travers ce trou hélas.
«
Tu es bien trop gauche et imposante pour espérer traverser un tel chas »
Xupi se releva afin de reconnaître celui qui venait de lui adresser la parole.
Elle s’étonna à peine de voir une table de bureau équipée d’un ordinateur portable et d’une souris sans fil auprès de laquelle, un jeune chat jouait. Il s’avéra qu’il s’agissait d’un bien étrange chat, car malgré son faux air de Claude François et la grande épée juchée sur son dos, celui-ci poussait à l’occasion la petite souris électrique du bout de la patte, sans jamais cependant attenter à sa demie-vie.
«
Je m’en rends bien compte, soupira Xupi. Et comment faire pour rejoindre les autres participants au jeu, avant que ne prenne fin la partie… »
Le chaton, sans vraiment la regarder, fouettait l’air de sa queue agile.
«
Tu pourrais assurément débuter par un goûter. Ne te laisserais-tu point tenter par cette myriade de crêpes et de gâteaux bretons ? Et ne les assaisonnerais-tu pas de Nutella à l’occasion ? »
La faim au creux du ventre, le désarroi au fond des yeux, Xupi s’attabla près du chaton.
«
Comme il me rappelle ma chatte Astrid, pensa Xupi avant de succomber aux gourmandises ».
Mais dès lors qu’elle se réjouissait de tant de sucreries offertes, le chat sembla grandit démesurément. Ainsi que la table sur laquelle il trônait.
Prise de stupeur Xupi, chercha des yeux un endroit où déguerpir, et choisit de s’enfuir vers une grotte d’où lui parvenait moult bruit. On l’aurait crue digne de la grotte des quarante floodeurs.
A peine parvenue de l’autre côté du passage, Xupi fut estomaquée de la splendeur des lieues, car sur des centaines d’arrhes fuyait vers l’horizon une forêt lumineuse et chaleureuse. Les arbres légers et toujours habillés de leurs atours de la belle saison, laissaient s’immiscer une chaude lumière et un parfum de miel.
Une partie de beach-volley se tenait non loin de là, aussi Xupi se rapprocha du terrain de jeu.
«
Je vois bien un ballon, des adversaires, un arbitre, une aire de jeu sablonneuse et délimitée, mais je ne vois point d’océan, or il va de soi de jouer au beach-volley sur une plage, pensa à très juste titre la jeune fille. »
Mais elle fut bientôt tirée de ses réflexions par l’agitation qui régnait en ces lieux.
«
Qu’on m’apporte victuailles et chaudron de récupération, cria la Reine de Cœur. »
«
Qu’on m’apporte une quadruple tortue en guise de table, dont les pieds en seraient d’authentique, ordonna le Roi »
«
Signez ici Messire, intima le lapin blanc au Roi.
Il en va de la survie de votre si beau royaume je vous l’assure. Et encore ici je vous prie, car cet exemplaire est pour Maître Untel, Régisseur des Mornes Plaines et exécuteur testamentaire à ses heures perdues. »
Xupi, n’osa pas plus s’approcher de la Reine que du Roi, que du lapin bavard.
Elle s’éloigna donc pour venir s’assoir à une table où se tançaient beaucoup de personnages, réunis en d’incroyables duels, mi-forts mi-doux. On pouvait ainsi voir apparaitre sur la scène, tour à tour Chuck Norris, Manon des Sources, le présumé Livingstone ou le Professeur Moriarty de sinistre mémoire. Xupi , quelque peu perdue parmi tant de belligérants préféra s’éloigner, alors qu’arrivait J-Lo et Gérard Philippe.
«
Quelles étrangetés depuis ce début de matinée, pensa Xupi. »
Cherchant son chemin vers un recoin plus calme, elle croisa 3872 Orques en train de charger, tous armés de hallebardes suisses multi-fonctions ou de missiles magiques.
«
Si on me cherche… je suis dans le clocher ! entendit-elle menacer.»
Mais l’auteur de cette mystérieuse phrase resta mystérieusement invisible, jusqu’à ce qu’elle le voit sourire, allongé sous une branche, les deux pouces levés en signe d’assentiment.
«
Quels étranges habitants peuplent cette contrée, pensa Xupi. »
«
Tu cherches quelque chose ? »
Une voix étrangement jeune et tintinnabulante s’adressa à elle. Or elle ne voyait rien d’autre qu’un grand jeune homme tout habillé de plate dorée. Ne pensant pas que celui-ci pouvait lui avoir parlé, elle continuait de chercher du regard l’origine d'une si petite voix.
«
Ne me vois-tu pas de là bas ? Mais peut-être devrai-je faire coucher ma monture [b]». A ces mots, le géant s’affaissa et plia l’échine afin de révéler la présence d’une jeune fille, la Princesse de Piques, juchée sur son héraut d’infortune.
« [b]Euh, mademoiselle, s’il vous plait, entama Xupi, ne sachant quel ton prendre pour se montrer respectueuse de l’étiquette.
Je souhaiterais me retirer de cet étrange pays pour retrouver mes salles de corrélations. »
La Princesse de Piques lui sourit en lui indiquant un chemin menant à une clairière.
De la clairière émanait de grands fracas. Xupi se tint sur la ligne de l’orée et vit un spectacle d’une violence inouïe : ici les 3872 Orques se livraient bataille en renversant des baquets d’eau, se roulant dans la fange en hurlant des insanités. Les fanions oranges, roses, bleus et verts qui flottaient au vent étaient d’inégales factures, aussi Xupi se dit qu’ils devaient appartenir à des factions différentes se jalousant mutuellement.
Espérant ne pas se faire repérer par l’attroupement hostile, elle choisit de longer le bois jusqu’à un endroit où l’air chargé de musique lui sembla plus accueillant.
Ici jouaient de divers instruments, un orchestre hétéroclite et improbable. Une petite foule réunie devant les musiciens se chamaillait en se tortillant au son des cuivres et des bassons. Xupi tendit l’oreille et reconnut instantanément un morceau de Dragon Ash interprété par Jean-Marc Barr.
Elle s’assit parmi l’attroupement caquetant, et avant que la tiédeur ne quitte totalement le sous-bois, le soleil déclinait déjà.
Bercée par la cadence de cet étrange endroit en dehors du temps, Xupi finit par s’assoupir, rêvant d’un Pays où tout serait possible, où tous les rêves du Monde lui seraient accessibles, un Pays de de joie et de lutins.