La Salle sur Demande [zone publique]

Si le démon ne montra aucun signe de contrariété, il s'esclaffa même, il sentit que l'elfe redoublait d'effort pour reprendre ses droits. Il l'étouffa du mieux qu'il put. Les changements de paysage ne le perturbaient pas plus que les piques de Hell mais lui-même ne semblait générer aucune modification, comme si l'imagination lui manquait. Et d'une certaine manière, c'était vrai. Comme un loup, il vivait dans l'instant présent, combien même il avait conscience du passé et du futur. Il était tout en réflexes et instincts, cherchant simplement à assouvir sa soif de sang. La vibration provoquée pour la hache se répercuta dans le sol et dans l'air, mais Odaowhleoe n'en tînt pas compte. L'envie d’étriper l'humain devenait pressante, amplifiée sans le vouloir par les réactions de Lùthien. Aussi se jeta-t-il sur Hell comme un fauve sur sa proie, voulant le renverser, cherchant à atteindre la gorge.

Lùthien de son côté combattait aussi, renvoyant petit à petit l'énergie du démon dans son foyer, nettoyant ses cellules une à une de la corruption. Elle luttait, rageait et tempêtait contre Hell et ses idées farfelues de l'avoir emmener ici et contre elle de n'avoir su prévoir les conséquences.

Le loup s'esclaffa à la remarque de Hell sur le choix de la destination. Rire qui s'étrangla quand il sentit la rage de Lùthien se décupler et flamboyer en son esprit. Oda marqua un temps d'arrêt où il concentra un peu plus de sa pensée à maintenir l'elfe sous la forme d'une minuscule étincelle.
Cela ne marcha qu'à moitié. Alors que le démon allait reprendre de plus belle le combat, poussé par l'urgence, la salle changea encore, de telle manière que cette fois-ci il ne put l'ignorer. La cacophonie ambiante lui tira un grognement mi-dédain mi-souffrance tandis que l'odeur lui retroussait les babines.

Tu crois m'avoir avec tes tours, humain? Un louveteau pourrait te tuer !

Il était clair que s'il avait eu le contrôle total et complet de son corps et de son esprit, il n'aurait fait qu'une bouchée de Hell. En vérité, il l'aurait même certainement ignoré, ne remarquant sa présence que s'il lui avait marché dessus. Et encore. Cependant, il était presque aussi bravache que l'homme en face de lui et le plaisir de tuer contre la volonté de son hôte avait un parfum irrésistible. Aussi continua-t-il la bataille. S'accroupissant, il bondit sur Hell, mâchoires ouvertes. Il rata en partie sa cible, n'attrapant que le bras gauche de son adversaire. Le chaos ambiant perturbait son orientation.

Loin, très loin en lui, une petite voix rageait.

Quand j'en aurais fini avec lui, tu seras le prochain sur ma liste, Hell !

Alors qu'Odaowhleoe allait lancer l'attaque qui aurait pu voir la fin de Hell suite à ses blessures, le démon s'arrêta. Il trembla, comme luttant contre une force invisible. L'aura rouge vacilla. Un grognement s'échappa de la gueule du loup pour se transformer en un cri de rage alors que son corps semblait exploser.

... tu vas me rendre mon corps, satané boule de poils puante !!!

Dans une gerbe de poils noirs et de lambeaux de peau réapparut le corps de l'elfe, nu et tremblant, d'une pâleur effrayante presque transparente. Vacillante, Lùthien se retrouva bien vite à genoux, haletante.

Le mariage, hein... Tu as de la chance... que je sois si fatiguée... sinon... je t'en collerais une... qui te ferait comprendre... pourquoi tu n'as pas envie... de te marier avec moi... Avalant goulument l'air, elle reprit avec un semblant de sourire. Tu es un petit rigolo... Hell...

Sa voix faiblit et ses yeux se révulsèrent. Dans un sursaut, la chasseuse reprit place dans le monde et entama une lente progression, à quatre pattes, vers la sortie, toujours barrée par la boîte de Hell.

Sortir...

A cet instant, seule sa survie comptait et Lùthien se fichait éperdument de savoir si Hell avait vraiment disparu dans la brume noire, s'il allait revenir et dans quel état. Elle devait juste sortir au plus vite de cet endroit et se nourrir si elle ne voulait pas tomber dans un coma régénérateur qu'elle détestait. Elle était tellement affaiblie qu'elle ne pensa même pas à utiliser les pouvoirs de la salle. C'était l'instinct de survie qui conduisait son cerveau embrumé.

Un instant paniquée, Lùthien se laissa ensuite porter par la brume noire, bercée par la douce chaleur de Hell. Cependant quelque chose n'allait pas, elle le sentait. Alors qu'elle ne faisait plus d'effort, son énergie fuyait à une allure grandissante. Dans le même temps, quelque chose la tirait en arrière, comme si une partie d'elle-même l'appelait. Et, effectivement, elle se sentait incomplète, tronquée. Sans bien comprendre ce qu'elle faisait, agissant comme bien souvent par pur instinct, elle tira sur ce fil qui s'étirait derrière elle. Fort. Encore plus fort. Et dans un grondement sonore, Odaowhleoe revint en elle, dans ce recoin qu'elle lui avait aménagé aux fils des décennies de vie commune. Avec un soupir de soulagement audible, l'elfe sentit l'énergie du démon combler ses défaillances, stoppant l'hémorragie. Un regain de vigueur lui permit de lancer quelques paroles à son compagnon.

Il est moi. Je suis lui. Il m'a tant pris que je ne peux plus vivre sans lui. Il est de retour à sa place. Ne risque rien maintenant. Trop faible.

Alors seulement, la chasseuse sembla se rendre compte de ce qu'il se passait dans la salle : la porte qui se refermait, le sceau qui se mettait en place.

Plus vite, chéri, murmura-t-elle en souriant.

Et elle puisa dans ses maigres forces restantes pour les ajouter à celles de Hell qui sentit le mouvement des muscles puissants du loup en pleine course, comme s'ils étaient siens, les propulsant hors de la salle. Lùthien se laissa emporter, à peine consciente.

Heureusement que tu étais là... On va dire ça comme ça, hein...

Sa voix épuisée traduisait bien son état, mais Lùthien se força à sourire. Évidemment, elle avait aussi beaucoup apprécié l'aventure, se confronter à soi-même étant toujours très enrichissant. Et voir les autres dans les mêmes conditions était tout à fait stimulant. Elle était cependant bien heureuse que ce soit fini.

Prenant la main que lui tendait Hell, l'elfe se releva en chancelant, frissonnant de froid et de fatigue, dévoilant à nouveau sa nudité. Elle ne s'en cacha pas, il y avait bien longtemps qu'elle avait perdu toute pudeur, si elle en avait jamais eu. Elle avait appris à accepter son corps tel qu'il était, avec ses marques diverses racontant sa vie : les longues cicatrices courant sur ses bras, le tatouage de corbeau sur son épaule gauche, l'embrouillamis de balafres boursouflées sur son ventre... Elle se déplaça avec naturel, alors que la plupart des gens se sentent mal à l'aise et vulnérables dans une telle tenue. Lùthien se plaça face à Hell et plongea ses yeux dorés dans les siens.

Si la prochaine aventure se passe devant un bon repas, je suis partante, sinon, ne compte pas sur moi. Et avec un nouveau frisson, elle s'exclama. Mais d'abord, faut que je récupère des fringues, on meurt de froid ici! Un sourire moqueur étira ses lèvres. Enfin, si tu veux bien supporter ma compagnie encore quelques instants, j'apprécierais que tu m'aides à atteindre ma moto, chéri.

Celle-ci se trouvait à l'entrée de la caverne menant à cette salle, attendait patiemment sa propriétaire et contenant dans ses sacoches l'une de ses tenues habituelles (on ne sait jamais quand on peut en avoir besoin). Quelques centaines de mètre à faire. Trois fois rien. Un marathon pour l'elfe qui s'appuya lourdement contre l'épaule de son compagnon.

Lùthien éclata de rire à la réplique de Hell concernant son ton un peu trop aimable.

Ne t'inquiète pas, une fois l'estomac calé je redeviendrais hargneuse. Si tu préfères je peux demander à Oda de revenir...

En vérité, elle n'en ferait rien avant d'avoir largement vérifié que le démon ne pourrait plus réitérer son exploit et l'avoir finement puni pour sa révolte. Il n'y avait qu'un maître dans son corps et c'était elle. Personne d'autre.

Lùthien ouvrit de grands yeux ronds quand Hell la prit dans ses bras afin qu'ils avancent plus vite. Mais elle ne fit aucune remarque, se contentant de répondre à son sourire exagéré. Enfin ils atteignirent la moto de l'elfe, qui la regarda avec amour. Cet engin la suivait depuis quelques décennies maintenant et elle en prenait un soin maniaque. Passant lentement sa main sur le cuir de la selle, la chasseuse ouvrit la sacoche gauche et en sortit un jeu complet de vêtements, des bottes, ainsi qu'un jeu de lames. Ainsi rhabillée et armée, Lùthien observa Hell se débattre avec la mécanique récalcitrante. Elle voyait bien qu'il ne la laisserait pas conduire, que ce soit par machisme ou par peur inavouée, aussi lui montra-t-elle les deux trois trucs à savoir avant de monter derrière lui en lançant très sérieusement :

Si tu l'érafles, je te tue !

Puis elle enroula ses bras autour de la taille de Hell et le laissa se débrouiller.