[Conf. Sang]L'Hymne du Créateur [Histoire du Sang]

Dans la cour enneigée, une activité fébrile embrasait l'air. Des valets marchaient en tous sens ; des chevaux étaient arnachés avec la perfection du travail quotidien. AU centre de la foule, le Prince du Sang attendait immobile la fin des préparatifs. A ses côtés quelque généraux attendaient les ordres du Commandeur, affectant le même comportement serein et inexpressif. Sanz posa sa main sur l'épaule d'Ershir avant de lui murmurer

Vous partirez dès que possible. Le village se trouve au sud des Monts d’Orhée ; attendez l’engagement d’Anwen avant de vous lancer. Je ne veux ni survivant et qu’on relève la moindre anomalie vivante ou climatique. Prenez soin que rien nous échappe.

Le Prêtre-Roi inclina la tête avant de faire claquer ses talons et de s’approcher de sa monture, une chimère semblable à un lézard ailé. L’enfourchant, il émit un cri grave et puissant qui réveilla dans les contreforts des Palais une clameur sourde avant de s’envoler vers les cieux. Dans sa course, l’air trembla et sortant des cavernes caché par les grandes murailles, une nuée de volants perça la nuit qui tombait. Leur cri et le bruissement des ailes semblaient imiter le vol des corbeaux au-dessus des charogneries.

Le Prince fixa un moment cet étrange ballet qui s’effaçait dans l’horizon sombre avant de flatter l’encolure de son cheval. Alors qu’il montait sur la bête, la porte de la plus haute tour s’ouvrit en silence et laissa approcher une jeune femme nimbée de la lumière d’Orion. Il lui adressa la parole dans un ton légèrement ennuyé.

Je suppose, Dame Cassiopée, que vous ne daigneriez pas participer à notre chasse à coure. A moins que l’exercice d’une petite ballade ne vous tente de nouveau. Après tout, les plaines d’Yhrt ont toujours chaleureusement accueilli la noblesse.

Ses yeux plantés dans celui de sa confrère, laissant brûler le feu de son triple iris, il n’attendait aucune réponse de la Protectrice. Elle savait les enjeux de la mission, et que retrouver l’homme qui aurait présument créée un élan de vie dans la matière pourrait offrir de sacrées avances dans les Recherches du Sang, parce que la magie a beau surprendre chaque jour de son potentiel, jamais aucun homme n’a pu recréer le vivant dans la matière morte. Si un seul a pu réussir, et si les informations ne sont pas de grossières rêveries, retrouver sa trace devenait d’une importance particulière. Aux abords d’une guerre immémoriale, le progrès du savoir était une nécessité.

Le ciel encore légèrement teinté de rosé s’était brusquement assombri, opacifié par l’envol sonore de lézards qui froissaient l’air de milliers de battements d’ailes et de cris stridents.
Cassiopée redressa sa silhouette sous la clameur des lézards volants et ne put s’empêcher d’admirer leur force à la fois bestiale et aérienne. La contemplation des cieux se couvrant des corps massifs et hurlants donnait espoir à la Protectrice du Sang qui se mit à briller doucement sous l’impact de l’énergie produite par la chaine du Sang.
Elle avait besoin de cet encouragement pour se convaincre et convaincre à son tour du bien fondé de leur entreprise. Elle avait besoin de réaliser la force qui les menait.

Elle franchit les Portes du palais pour rejoindre le poste de commandement où Sanz donnait les derniers ordres avant la rafle.

Il lui était toujours désagréable de considérer les morts futures, quelles qu’elles soient. Mais il arrivait que certaines considérations dépassent le Vivant.
Il leur était venu aux oreilles que de simples hommes se permettaient la création d’êtres porteurs d’essence. Les Monts d’Orhée recelaient de grands savoirs et en ce jour, celui-ci devait être protégé et elle avait choisi d’accompagner les troupes pour être certaine que rien ne serait laissé au hasard.

- Où est Anwen ? Interrogea-t-elle en observant les mouvements concentriques opérés par les troupes volantes.
J’espère que sa sœur Erylie nous accompagnera. Anwen a besoin de soutien en ce moment.

Les clameurs propres aux combats à venir faisaient vibrer l'air matinal. Une force nouvelle et sauvage semblait avoir pris possession du ciel. Les corps tendus et les muscles bandés des hommes et des bêtes s'élançait sans peur des tours du palais. Erylie ressentit l'ardeur du combat dans chaque fibre de son corps. Electrisée par le sang à venir, elle quitta d'un bond le lit dans lequel elle se délassait. Elle se dirigea nue vers la fenêtre pour admirer l'envol des forces du Prince. Vers une nouvelle quête, un nouvel espoir. Le vent engendré par le bruissement des ailes tout autour vint caresser sa peau glacée. Comme il était doux, le murmure de la chasse à ses oreilles. Ses yeux avides enviaient les ailes des lézards volants. La jeune femme regarda avec reconnaissance le tranchant de leurs dents. Elle admira la force de leurs mâchoires et de leurs muscles puissants. Les cris volaient haut et fiers dans le ciel.
Un éclat plus brillant que les autres vint troubler la périphérie de sa vision. Cassiopée était de sortie.
Aussitôt, la vampyre se jeta sur les vêtements pliés pres du lit. Le Sang avait besoin de tous ses membres ce matin. Ce matin particulier où la traque commençait. Eveillant des instincts longtemps refoulés. Erylie noua son corset, passa son pantalon et chaussa ses bottes à une vitesse incroyable. Impatiente de rejoindre les siens. Elle considéra la porte pendant une infime seconde et s'élança par la fenêtre.

La voix de Cassiopée s'envola jusqu'à ses oreilles, portée par le vent et les bourrasques des lézards, ébouriffant ses cheveux. Elle sourit dans sa course.

Me voila, Belle de lumière.

Sautant de toits en terrasses, Erylie eut tôt fait de rejoindre la Dame des étoiles. Elle enjamba d'un bond un parapet et atterit souplement derrière Cassiopée. L'air sentait la force du combat. Erylie se redressa et vint se poster près du Prince et de sa Dame, admirant une fois encore la promesse de mort qui les survolait.

Quand partons-nous ?

D'un saut léger Sanz monta sur ce qui ressemblait à un cheval - de plus près il s'agissait en fait d'une chimère aux ailes noires atrophiées, ses yeux gardaient un iris sanglant et tout son corps semblait n'avoir jamais éprouvé un battement de coeur. Jetant un regard sur les deux femmes, il soupira légèrement, laissant échapper un nuage de vapeur dans le froid des Monts enneigés.

Dans son ombre Anwen apparut lentement, se donne la forme de l'Amazone silencieuse et austère. Tendant Azräael à son Maître, elle murmura:

J'accompagnerai ces Dames au Lieu.

Il répondit avec rudesse, semblant affecter un ennui passager.

Ne perdez pas votre temps, nous devons y être dans deux jours au maximum.

Faisant légèrement ruer sa monture comme pour lui intimer l'heure du départ, il s'élança par les portes ouvertes des Palais. Sa monture et lui semblèrent être une ombre filant à toute vitesse dans la neige, ne laissant aucune trace dans le sol blanc. C'était un courant d'air, l'humeur d'une brise traversant les paysages sans les voirs, bondissant au dessus des abîmes, dévalant les pentes avec une vitesse vertigineuse. Nohr, la chimère qui ne pouvait pas voler, guidait son Maître vers les campagnes d'Yhrt.

***

Au palais, Anwen invita les deux femmes à choisir sur oiseau d'envol : des jeunes dragons qu'on avait enharnaché dans un enclos. Les bêtes étaient revêtues des somptueuses soieries marqué de l'emblème de la Confrérie. L'Amazone s'attacha quand à elle un étrange oiseau qui ressemblait à un phoenyx. Elle sourit en tournant son regard vers Cassiopée et Erylie:

C'est Noyhs, un oiseau crée à partir d'essence uniquement. Nous avons mis tant de temps à lui donner vie, il est si beau.

L'animal semblait émaner de son corps une lumière multicolore, arborant dans ses plumes des arcs en ciel embrasé par un feu mystérieux. Basculant légèrement sa tête sous les caresses de la jeune femme, il laissa à la vue des observateurs sa gorge où pulsait l’image d’un dragon. Posant délicatement sa main sur la forme Anwen murmura :

C’est un oiseau tactile. Personne ne peut le soumettre hormis mon Maître. D’une légère pression de la main il reconnait son créateur ; né de ses rêves il ne sait obéir qu’à une seule main… . Et moi qui lui ressemble il m’obéit parfois, quand Il le veut bien. Mais on ne l’enfourche pas comme une monture quand on vole avec lui, non. On fait seulement corps à son envol.

Une lumière irradia brusquement l’enclos avant d’envelloper la Vampyre dans son éclat. Il ne restait face à eux plus qu’un Phoenix au regard de braise, ou la seule preuve de le fusion résidait dans la présence du triple iris. Anwen fit battre ses ailes lumineuse avant d’ordonner.

Il est l’heure de partir, même en volant, le voyager sera un peu long.

Et dans le sillage d’une comète filante, deux dragons poursuivaient un Soleil.

Les muscles puissants du dragon propulsèrent Erylie dans les airs. Avec un grondement sourd elle s'accrocha aux soieries délicates qui recouvraient la bête. Le voyage commençait.
Suivant Anwen et sa trainée de lumière, Erylie savoura la fraicheur de l'air matinal. L'amazone filait à toute allure devant elle. Cassiopée qui semblait étinceler dans le ciel pâle chevauchait à ses côtés, un sourire aux lèvres. Raffermissant son assise sur le dragon, la vampyre se prit à admirer la puissance de l'animal et le bonheur de flotter librement sur les courants aériens. Les montagnes projetaient leurs pics et leurs flancs tout autour d'eux. Cathédrale de pierre pour rehausser la beauté du Palais du sang qui envoyait ses tours danser à l'assaut des géantes de roches. La montagne semblait un terrain de jeux tout trouvé pour les dragons.
Erylie, un sourire pointu aux lèvres fit une brusque embardée sur sa droite, venant frôler du bout de l'aile la monture de la Dame. S'esquivant, elle laissa un éclat de rire fendre la distance entre elles.

Comme elle se sentait bien. Presque vivante. Et forte, prête a tout. Perchée au dessus des nuages et des monts, la chasse commençait. Son premier combat, sa première participation en tant que membre du sang. Comme elle avait hâte.
Deux jours de voyage. Si peu et tellement pourtant. Tandis que ses pensées vagabondait aux rythmes des battements d'ailes, le dragon qui portait la jeune femme poussa un long hurlement. Prédateur.

Oui, moi aussi je veux voler plus vite et plus loin. Arriver vite et répandre le sang qui nous nourrit. Et si nous prenions de la vitesse? Si nous laissions ta force s'exprimer en impesanteur?

A peine ces mots furent-ils prononcé que la monture accéléra la cadence de ses ailes, projetant son corps effilé en avant. Anwen filait toujours comme une étoile filante, mais la distance entre eux s'amenuisait petit à petit. Au bout de quelques minutes, Erylie finit par rattraper le phoenix et virevolta autour d'elle. Satellite gravitant autour de son étoile embrasée. L'amazone ne lui prêta aucune attention, alors qu'elle poursuivait son jeu aérien, glissant sur les courants et se défiant des vents.

Sensiblement, le paysage se fit différent. Les hauteurs diminuèrent, laissant place à de hauts plateaux puis à des plaines. Erylie abandonna sa soeur à son voyage silencieux pour retourner auprès de Cassiopée. On lui avait peu parlé de cette mission où sa présence était requise. Quelques mots seulement avait été perdu. Golem. Néant. Savoir et connaissance. Qu'en était-il de cet homme capable de création telle qu'on en avait vu depuis les vampyres et la Dame des étoiles.

Dis moi, amie. Comment crée-t-on la vie à partir du néant ?

Pendant ce temps-là, du côté du village en question encore paisible, s’éveillait le marché hebdomadaire qui emplissait la place principale d’une ambiance festive. Les habitants déployaient leurs produits du terroir aux couleurs chaleureuses. Toutes sortes de fruits et légumes prenaient place devant les commerçants locaux qui appâtaient les villageois de leurs cris enjoués.

- Il est frais mon poisson ! Péché ce matin même, vous ne trouverez rien de meilleur !

- Venez voir mes fruits ! Ils sont bien gros et juteux, vous allez vous régaler !

- Choisissez mes légumes ! Sentez les parfums d’un potager entretenu avec amour !

Par dessus le bruit assourdissant de la foule, aux abords des premières habitations, Melaka observait. Comme à son habitude, son instinct l’avait entraîné vers une population qui n’était plus la sienne depuis longtemps. Adossée contre un des arbres qui marquait l’orée de la forêt avoisinante, son regard enregistrait les vas et vient des passants. Gipsy, assis à côté d’elle, guettait le moindre mouvement de la jeune fille.

- Fais vite, je t’attends ici, comme d’habitude. lui indiqua le magnifique loup à la fourrure de jais.

- Ne t’inquiète pas, j’en ai pour une seconde ! lui répondit Melaka d’un ton assuré.

- Sois prudente …

Les derniers conseils de Gipsy se perdirent dans l’air tandis que sa protégée s’élançait agilement en direction du village qui s’offrait à elle. Se fondant dans la masse, elle récoltait ça et là le nécessaire. Un vêtement neuf, un morceau de pain, une poignée de fruits, de quoi résister quelques semaines supplémentaires parmi sa meute. Les loups prenaient soin d’elle convenablement mais elle devait trouver de quoi s’habiller, s’armer et se nourrir d’une manière différente car elle, n’était pas de leur race. C’était une habitude que la jeune femme avait acquise depuis presque dix ans. Sa rapidité lui permettait d’agir furtivement, sans que personne ne s’aperçoive de sa présence. Voler ne faisait pas partie de son vocabulaire … Elle se servait pour subvenir à ses besoins, voilà tout ! Ce matin là, elle ressentait pourtant une certaine appréhension. Le fond de l’air ne lui présageait rien qui vaille. Melaka jetait sans cesse des coups d’œil vers son précieux ami qui surveillait la situation. Son esprit peu à peu envahi par les pensées de tous les habitants grouillants autour d’elle, l’elfe-vampyre se réfugia discrètement derrière une chaumière typique de la région. Une main appuyée contre le mur le plus proche, l’autre sur sa tête encore bouillonnante d’une télépathie parfois douloureuse, Melaka retrouva son calme progressivement. L’ambiance changeait, elle en était persuadée. Malgré l’angoisse qui se frayait un chemin au creux de son ventre, l’adolescente n’aurait su expliquer son désir de rester là. D’attendre que l’inévitable se produise et de laisser cette once d’attraction la retenir auprès d’un danger qui s’avérait imminent. Quand soudain, la voix lointaine de Gipsy la sortit en un instant de sa torpeur.

- Que se passe-t-il ?

- Je n’en sais rien… Tu devrais peut-être t’approcher, depuis là où je me trouve personne ne te remarquera.

Le fauve exprima un grognonnent réprobateur mais il rejoint néanmoins Melaka rapidement en veillant à se cacher derrière elle. Tous deux attendaient impatiemment quelque chose qui ne semblait pas affecter le village dressé devant eux. Pour le moment.

Tout en souplesse Erylie, avait rejoint, tel un félin, les hauts confrères prêts à partir et Cassiopée l’avait vue arriver avec soulagement. Pourtant Anwen semblait être enhardie par présence de ce magnifique phénix près d’elle. Aussi étrange que cela soit, l’oiseau ne paraissait pas totalement inconnu à la Dame des étoiles, sans qu’elle en sache la raison profonde et elle admira l’envol gracieux du couple unique qu’il formait avec l’amazone. Libérant Issac de son sein, elle traça bien vite une trainée de poussière d’étoiles dans le sillage de Noyhs.
Une noria de battements d’ailes vrombit alors, et le ciel s’obscurcit soudain quand les chimères s’élevèrent dans les airs dans un même ensemble, cachant le soleil levant pour former un gigantesque nuage noir.
Alors Cassiopée songea à l’épreuve qui l’attendait.
Le vol en compagnie des dragons, aussi limités soient-ils, était pour Cassiopée un plaisir qu’elle ne reniait jamais et qu’elle goûtait avec saveur. Mais l’objectif de leur vol lui laissait un goût amer dans la gorge.
Le village vers lequel ils se destinaient était très isolé et leur expédition resterait sans aucun doute ignorée mais Cassiopée répugnait à devoir utiliser la force et le massacre.
Cependant les troupes avaient faim et là demeurait la chose.

-Dis-moi, amie. Comment crée-t-on la vie à partir du néant ?

Cassiopée en était là dans ses pensées quand celle d’Erylie s’inscrivit dans son esprit.

-Seuls les dieux créent la vie à partir du Néant car eux-mêmes y demeurent. Les hommes se contentent de créer le Néant à partir de la vie.

Tout en répondant mentalement à sa confrère de Sang, elle observait le paysage qui s’étendait sous les ailes d’Issac.
Ils volaient à présent au dessus des nuages et pouvait apercevoir par une percée de lumière, les monts hérissés de l’Orgueil derrière eux. Les dernières lueurs roses cernaient le mauve foncé des dents qui pointaient vers le ciel pour le griffer d’une série de crocs carnassiers.

En savourant le vent sur ses joues, Erylie prit le temps de réflechir à la réponse de son amie. Créer le Néant à partir de la vie. Créer le Néant. Créer. Ces paroles la renvoyait au propre mystère de son espèce. Au silence dans lequel ils évoluaient à présent. Disparus et inconnus de tous. Mis au secret.
Erylie fit jouer un courant descendant pour placer sa monture sous celle de Cassiopée et passer sur sa gauche. Arrivée à sa hauteur elle plongea son regard dans le sien.

C'est ce Néant que nous allons anéantir en si grand nombre ?

Attendant la réponse de la Dame, elle laissa son regard s'hasarder sur les pics et les arretes coupantes de la montagne. Jaillies comme d'un seul élan vers le ciel, les aiguilles semblaient désireuses de les attaquer à travers les nuages. Prélude à la violence qui se profilait au loin, leur tranchant aiguisait le plaisir du combat qui battait aux tempes de la vampyre. Malgrès tout elle se demandait. Et espérait savoir. Qui allait-on affronter? Et pourquoi?

Celui qui crée le Néant est-il si fort que nous devions tous venir ?

Ils ne doivent pas savoir, personne ne doit savoir.
L’homme marmonnait tout en marchant rapidement dans la dense forêt de conifères. Il jetait des regards inquiets derrière lui, comme persuadé d’être suivi, mais les seuls êtres vivants réveillés dans la forêt à une heure aussi matinale n’étaient que deux biches et leurs petits.

Je vais y arriver, aujourd’hui je vais réussir, je le sens, fit l’homme pénétrant dans une sombre cabane dissimulant une trappe vers une grotte souterraine. Son regard vérifia que personne n’avait pénétré dans son sanctuaire et il entreprit de défaire sa veste. Ses yeux ne pouvaient se détacher de la forme qui gisait sur la table de travail. Un tas de boue humide, des graviers, voilà tout ce qu’était pour l’instant cette chose, mais dans quelques heures, si tout allait bien, cela deviendrait le premier être vivant construit à partir du minéral. Cela faisait dix ans qu’il avait cherché partout pour connaitre les secrets de la vie. Ses pas l’avaient porté sur les plus hautes montagnes et aux cœurs des plus profondes mines. Il avait accumulé tant de savoir, tant de connaissances sur la magie qu’il était sûr de pouvoir créer un Golem, et pourtant, quand il avait entrepris, il y a six mois, son œuvre, il n’avait réussi à rien. Ses êtres se levaient bien de table, mais après quelque pas, la matière redevenait elle-même et le corps se disloquait. Alors, il devait récupérer la terre sur le sol, et la reposer sur la table pour un nouvel essai. Mais hier, très tard dans la nuit, il avait eu une révélation, il fallait une âme, rien de plus.

La sombre caverne était baignée dans les lueurs étranges provenant des lampes magiques. De l’eau coulait sur les parois et faisait rayonner la lumière, pourtant, celle-ci paraissait étouffée par la magie régnant en ces tristes lieux. Car le flux magique pratiqué ici était plus sombre que l’Eshet, la pierre des runes.

Sans perdre de temps, il commença ses incantations. Une longue mélopée résonnait dans la caverne, la voix de l’homme emplissait l’espace. Il récitait des mots plus anciens que la terre elle-même, et son visage était marqué par l’effort. Il continua pourtant encore pendant dix minutes, qui pour lui représentaient une éternité. La fatigue se lisait sur son visage et l’effort le vieillissait colorant ses cheveux en gris, puis en blanc. Quand il fut sur le point de tout arrêter, la boue dans laquelle le golem était constitué s’unit et prit vie. Les rides de son visage s’estompèrent alors et ses cheveux redevinrent normaux. Il fit alors le tour de la table pour déposer dans la bouche de sa création un morceau de pierre plus noir que la nuit, et sa création respira. Il déposa sur les yeux de celle-ci deux morceaux de braise et son regard s’illumina. Jusque là, il avait toujours réussi, mais le plus compliqué arrivait. Il aurait pu créer l’âme du golem par magie, mais alors celui-ci aurait été si puissant qu’il aurait pu détruire le monde, sa création ne devait pas pouvoir user de magie, ou rien ne pourrait la stopper. Alors il découvrit son avant-bras, et d’un mouvement sec appliqua la pointe d’un couteau de son coude jusqu’à son poignet. Le sang coula alors sur le visage du golem et s’infiltra en lui. L’homme attendit quelques secondes, croyant avoir échoué devant le visage inerte de sa création, mais, alors qu’il allait abandonner tout espoir, celle-ci prononça d’une voix grave et rocailleuse : Père.

Le visage de l’homme transpirait, de grosses gouttes de sueur tombaient sur ses épaules et sur le visage de sa création. Il avait réussi, mais la fatigue le mettait au bord de l’évanouissement. Mais il avait enfin pu, après tant d’efforts et de temps, créer une bête.

Juché sur la colline qui dominait le village, Sanz observait la vue de son regard pénétrant comme pour chercher dans d'infimes détails quelques révélations qui pourraient les aider. Réellement, il sondait l'espace, cherchant dans le remugle des odeurs naturelles la trace, même discrète, d'une présence magique dans les environs. Il en sentait une vague et incertaine, et qui semblait se mouvoir.

Quand Anwen se posa à un mètre de lui il soupira. Elle amorça la parole d'une voix lente et murmurante:

Mon Prince, nous sommes là.

Il ne quitte pas la vision de l'horizon, imperturbable, et approchant sa main du fourreau de son arme, il lui répondit:

Je ne sais ce que nous cherchons, ni s'il est encore réellement ici. Toutes les maisons devront être fouillées, tous les villageois rassemblés sur la place principale. Qu'aucun nous échappe. Il n'y a pas que des humains ici, c'est certain.

Tournant son regard il la fixa de ses yeux de serpent et reprit plus rapidement :

Vous engagerez avec Erylie et Cassiopée par l'Est pendant que les traqueurs et moi même remonteront de l'ouest jusqu'à nous. Nous laisserons les chimères et les deux gardes couvrir les autres front. On se retrouve sur la place.

Claquant d'une main sèche sa monture il s'élança sans attendre de réponse. Le sol filait à tout allure sous les sabots de Noyhr. Derrière lui, une centaine cavaliers rouges le suivaient à la trace. Quand il eu atteint les limites du village, Ershir à ses côtés lui indiquait les paysans tétanisés par la surprise. D'un signe de tête suivi d'un cri puissant, les traqueurs, chien de combats enragés s'élancèrent au devant des hommes. Bondissant subitement sur les proies, ils entamèrent lentement un travail de harcèle pour faire reculer les humains effrayés vers leurs villages. Piétinant les champs, saccagant les clotures, l'escorte avançait inexorablement jusqu'à atteindre les premières masures. Le choc régulier des sabot, et les grondement des traqueurs rythmaient leur lent cheminement. Se plaçant en tête, le Prince sortit Azrâael de son fourreau, laissant briller d'une lueur aveuglante l'arme et dans son dos sa veste ample se déchira pour laisser place à des ailes semi atrophiées aux plumes de jais. Sur son visage , les arabesques prophétiques reprenaient leurs dessins habituels. Dans cette transformation il était méconnaissable. Figurant tel un Archange s'enfonçant dans un hameau, il pétrifia les habitants et les obligeait à se replier vers la place où trônait une petite fontaine en pierre.

Ershir ricana en faisant remarquer au Prince Archange que certains s'agenouillaient. Ce dernier eut une moue dédaigneuse.

N'en crois rien, ca va bien nous aider dans nos recherches s'ils nous prennent pour des Dieux. Commencez à fouiller les maisons. Anwen est en retard ceci dit.

Les soldats descendirent de leur monture et allant par trois pénétrèrent les chaumières. On entendit vaguement des cris, parfois des râles, puis de grand silences.

***

De l'autre côté Anwen qui avait avancé avec Eryliée et Cassiopée fixait avec une vague surprise une jeune enfant qui semblait s'apprêtait a voler sur les étalages désertés par les pression des deux armées se rejoignant vers le centre. L'aura de cet gamine paraissait plus intime, moins étrangère. S'approchant sous sa forme de lyon, elle la surprit brusquement d'un bond avant de la faire rouler à terre et de découvrir son visage. Au même moment un loup se projeta violemment sur elle et la fit rouler bouler quelque mètres plus loin. Légèrement étourdit, elle se remit sur patte et montrant ses crocs luisant fixa la bête.

On ne va pas s'entendre toi et moi, et m'est avis que tu ne vas pas résister longtemps...

Se flairant et tournant en rond tout en restant face à face ils se jaugeaient du regard. Elle allait lui sauter à la gorge quand l'enfant se releva brusquement et rejoint son compagnon. Tout en se grattant machinalement l'oreille avec la patte Anwen soupira. Tournant son regard vers les deux femmes elle dit d'une voix triste.

Ce doit être elle...la présence d'essence dans cette région. Mon Maître va être déçu.

Se dessinant en Amazone guerrière, quittant ses habits de lion, elle réajusta des mèches à son front avant d'envoyer des cordes à Erylie.

Il faudra l'attacher maîtriser le loup et les emmener avec nous. Visiblement, elle est pas humaine.

Melaka et Gipsy se tenaient aux aguets, à moitié cachés par une maison du village. Le fond de l’air se chargeait d’une toute autre saveur à présent mais la jeune fille n’aurait su dire de quoi il s’agissait. Un cri lointain effleura son esprit, ce qui l’entraîna à regarder au-delà de la foule. Elle apercevait des formes en mouvement à l’horizon et tentait de les identifier. Bien avant que les habitants ne le remarque, elle réalisa que les paysans qui travaillaient au champ couraient dans leur direction en hurlant de toutes leurs forces. Tout se passa alors très vite, Melaka n’eut pas le temps de réagir suite à la panique grandissante de la population qu’elle fut projetée à terre par un puissant quadrupède qu’elle ne put distinguer. Faisant volte face depuis le sol, son visage sembla se paralyser. Gipsy avait déjà répliqué à l’attaque et la jeune fille pu observer la véritable nature de l’animal. Un lion terrifiant menaçait son frère. Ils se toisaient agressivement alors qu’elle comprenait difficilement la situation, encore sous le choc de sa chute. Néanmoins son instinct la poussa à se relever d’un bond afin de s’interposer entre les deux bêtes.

- Ce doit être elle...la présence d'essence dans cette région. Mon Maître va être déçu.

L’elfe-vampyre ne comprit pas le sens de ces paroles mais remarqua enfin la présence de deux femmes, restées discrètes sur le côté de la ruelle. L’une semblait porter le poids du ciel sur ses épaules et une lumière éblouissante éclairait son visage. Le seul mot qui lui vint à l’esprit en la regardant fut « céleste ». Quant à l’autre, elle était plus jeune et paraissait plus farouche. Lorsque leurs yeux se croisèrent, un frisson envahit Melaka et son sang ne fit qu’un tour. Elle se demanda qui était cette mystérieuse fille au regard perçant. On pouvait lire la faim dans ses yeux pourpres et elle entrevit deux canines aiguisées lorsque cette dernière se lécha goulûment le bord des lèvres.

- Il faudra l'attacher maîtriser le loup et les emmener avec nous. Visiblement, elle est pas humaine.

Pendant qu’elle était occupée à détailler les deux inconnues, Melaka en avait presque oublié la lionne qui s’était métamorphosée en une toute aussi puissante amazone. Quelques cordes volèrent au-dessus de sa tête jusqu’à ce que celle qui répondait au nom d’Erylie les rattrape agilement.

- Non attendez ! Je ne sais pas qui vous êtes ni ce que vous comptez faire de nous mais je ne pense pas qu’un simple vol à l’étalage mérite autant de complications.

Un grognement hargneux de Gipsy soutint ces paroles, en signe de résistance.

- Nous n’avons pas beaucoup de temps, mon fils, je sens qu’ils approchent. J’ai encore beaucoup à faire avant de partir.
L’homme avait l’air d’être fatigué et ses mains tremblaient tout en rangeant les parchemins posés sur une table. Il les mettait tous dans un brasier qui servait à chauffer la grotte et murmurait que le démon ne devait pas trouver les incantations.
Puis il se tourna vers le golem, qui assis dans un coin de la caverne, ne savait pas vraiment ce qu’il se passait. Son créateur vint alors vers lui et lui dit :
- N'oublie pas que tu dois toujours agir avec ton cœur, fils. Le sang que j’ai mis en toi te confère une âme et une conscience. Protège-les, ou tu seras torturé par les remords toute ta vie.
Avant que le golem n’ait pu répondre, l’homme se leva et monta l’échelle qui menait à la cabane. Quand il fut en haut, il cria à son fils de suivre la caverne jusqu’à une sortie cachée et de ne surtout pas aller au sud pour l’instant. Puis il claqua la porte et le golem se retrouva seul dans le noir.

Il se leva alors doucement, mesurant près de deux mètres, il regarda son corps nu et prit plaisir à voir la force que celui-ci dégageait.
- Je n’ai pas de nom, se dit-il, comment puis-je exister si je n’ai pas de nom ?
Sur ces mots, le golem marcha vers un boyau qui s’enfonçait dans le sol et disparut dans le noir. Il ne trouva la sortie que deux heures plus tard, non pas car il s’était perdu, étant nyctalope il n’avait pas eu de mal à trouver son chemin, mais car son père avait voulut l’éloigner au plus du sud et de la menace que cette direction représentait.
Il déboucha sur une clairière, et ne sachant pas vraiment pourquoi, courut vers le sud. Son père avait eu peur de quelqu’un, mais lui n’aurait jamais peur, il savait pourvoir affronter n’importe qui.

Alors qu’il marchait, il aperçut une maison, et, frappant à la porte, y pénétra. Il n’y trouva qu’un cadavre en décomposition. L’homme mort devait faire presque la même taille que lui et par chance, le golem en fouillant un peu, découvrit un manteau sombre à capuche qui lui dissimulait le visage. Sur une étagère se trouvait une lettre, où le golem vit écrit le mot Laio… Il n’aima pas du tout cette façon d’écrire un mot qui lui semblait si poétique et il décida alors de s’appeler Léhault, une façon bien plus noble de coucher sur le papier ces quelques syllabes. Puis il reprit la route vers le sud, dans l’espoir de rattraper son père.
Ses pas le menèrent vers un village, duquel il entendait monter des cris et des pleurs. Quelque chose d'affreux était en train de se passer ici, sans savoir pourquoi, Léhault compris que son père voulait le protéger de ce qui faisait du mal à ce village. C'est alors qu'il vit son père attaché et tiré par deux personnes vers la place du village.
La peur le saisit alors, et d'une voix rauque, il cria :
- Père.

Le vol au-dessus des monts d’Orhée avait été de courte durée. Les chimères s’étaient considérablement élevées dans les cieux et volaient en formation groupée derrière leur chef de file en dessinant une longue flèche prête à être lancée.
Le soleil resplendissait et réchauffait les corps au dessus des nuages, et quelques rayons perçaient la voute opaque qu’ils offraient aux terriens en venant frôler les cîmes dorées qui émergeaient de la mer duveteuse et rosée.
La présence d’Anwenn faisant corps avec le phœnix à leur coté, avait laissé Cassiopée médusée car l’union était si intime et si parfaite qu’elle ne pouvait concerner qu’un seul être, Sanz.

Cassiopée, Erylie et Anwenn avaient, dans un même élan rejoint le chef des armées puisque c’était sous commandement que se déroulerait l’affrontement. Et Cassiopée, comme Dame Protectrice du Sang, ressentait les bouillonnements que celui-ci entrainait dans leur Confrérie.
La présence d’Erylie, Antique Reine des mondes vampyres marquait la confrérie du tournant qui s’opérait dans l’âge des guerres. Elle accentuait l’avidité qui nourrissait le Sang dans sa quête d’âmes dont le flux viendrait grossir ses rangs.

Quand les ordres de bataille furent donnés, Anwenn plongea vers les plaines d’Yrht, fusant vers le sol telle une flèche d’argent suivie dans son élan par Erylie précédant Cassiopée.

En arrivant par l’Est, Les trois guerrières pénétraient par les quartiers artisans du village, mais la vue des amazones juchées sur des montures dignes de contes ancestraux faisait courir la moindre vie vers un abri plus sur que de simples masures. Sans en trouver devant eux, ils se contentaient donc de courir droit devant en tachant de laisser en arrière la peur qui leur tiraillait le corps.

Anwenn avait vite repéré les seuls êtres capables de ne pas fuir devant l’ombre des dragons. Il s’agissait d’une jeune elfe et d’un loup qui se tenaient tapis derrière une maison.

Cassiopée descendit tranquillement d’Issac, le caressant pour sentir la rude douceur de sa peau écailleuse au passage. L’œil du dragon en brilla de plaisir avant de venir flairer d’un air dédaigneux le loup.

-Le loup sent le sang. Mais il n’est pas rouge en dedans, il est froid. C’est animal est lié au sang froid.

La sentence prononcée par Issac avait conduit Cassiopée à observer de plus près l’elfe. Elle sentait dans cet être une étrangeté dans laquelle venait se mêler quelque chose de familier.
Elle mourait d’envie de la violenter pour voir la réaction du loup, mais se retenait, attendant qu’Anwenn en ait fini avec elle.

Seul, le regard de la dame des étoiles s’assombrissait de la profondeur des espaces.

Alors qu’Erylie s’apprêtait à attacher la femme, Cassiopée prononça d’une voix sourde, trois mots qu’elle avait empruntés aux confins et qui ricochèrent entre eux pour grossir vertigineusement. Ils vinrent frapper le jeune corps pour le jeter avec violence sur le sol.

Erylie regarda avec un léger sourire la jeune fille se tordre par terre. Puis elle eut une moue réprobatrice. Les proies qu'ils pourchassaient ne représentaient vraiment pas un challenge interessant. D'un regard elle balaya le village autour d'elle. Il ne restait plus personne. Sans doute avaient-ils tous pris leurs jambes à leurs cous quand les premiers rugissements avaient retentit dans le ciel. Ces humains, vraiment.
Une odeur de mort et de pesant silence enveloppait les maisons. L'odeur des dragons aussi, forte et puissante. L'odeur du Sang, réuni. Et un fumet suave et lointain. Il apparaissait et disparaissait en circonvolutions étranges. Erylie baissa ses yeux bordeaux vers le petit corps à ses pieds. L'odeur ténue semblait provenir de lui. Comme un rappel ancestral de ce qui était.

Du bout du pied, la vampyre fit rouler la jeune fille sur le dos pour voir son visage. Un pied sur son épaule pour l'empecher de bouger, elle regarda d'un air blasé les oreilles pointues. Depuis combien de temps son peuple n'avait-il pas croiser d'elfe? Trop longtemps. Mais pas assez pour se souvenir de leur rencontre.
L'odeur se rappela soudainement à Erylie lorsque l'elfe remua et soupira au sol. Un éclat entre les lèvres séches fit tressaillir la vampyre.

Pas une elfe. Une sang-mélée tout à fait improbable. Regardez moi ces canines, si petites. Et ses oreilles.

Erylie rit à gorge déployée. Aussi intriguante et inquiétante que fut cette découverte, elle ouvrait la voie à de nombreuses possibilité pour les siens. Les vampyres pouvaient donc procréer avec des elfes. Reste à savoir si cette version quelque peu... dénaturée de sa race était viable. Les yeux brillants, Erylie enleva son pied de la petite épaule et d'une main lui attacha pieds et mains. La soulevant sans effort, elle la jeta sans ménagement sur le dos de sa monture. Puis elle se retourna vers Cassiopée qui l'avait regardé sans un mot.

Il faudra m'apprendre ces mots là. On y va ?

Puis elle enfourcha sa chimère et attendit le signal du départ, toujours plongée dans ses pensées.

Dans un raisonnement grave, Melaka fut projetée à terre. Le bitume rugueux lui arracha une grimace douloureuse. La jeune fille passa une main sur sa joue gauche et se rendit compte qu'elle saignait. Au même moment Erylie la bloqua le dos contre le sol puis la fixa de ses yeux flamboyants. Son regard fit frissonner Melaka qui réalisa que quelque chose de fort s'éprenait d'elle. Une odeur puissante de fer lui embrouillait l'esprit sans vraiment qu'elle n'en comprenne la cause.

Pas une elfe. Une sang-mélée tout à fait improbable. Regardez moi ces canines, si petites. Et ses oreilles.

Quoi ?! Évidemment que je ne suis pas qu'une elfe ! se dit intérieurement la concernée.

Un rire coupa net les pensées de la jeune fille qui fut surprise par la réaction de son bourreau. Elle se demandait bien en quoi la vampyre trouvait le fait qu'elle soit de différentes origines était un problème. Cette dernière relâcha la pression exercée sur son épaule, laissant le temps à Melaka de ressentir à nouveau la fragrance mystérieuse se répandre en elle. Maintenant elle se souvenait. Il s'agissait du parfum attirant de la viande qu'elle dévorait d'ordinaire avec les loups ! Pourtant cette fois il était plus prononcé et elle ne put s'empêcher de lécher le coin de ses lèvres afin de récupérer le peu de sang qui coulait le long de son visage. Mais sa seconde de liberté fut vite écourtée car Erylie s'empressa de la ligoter avant de lancer violemment son corps déjà meurtri sur le dos du dragon qui semblait être le sien. Gipsy se trouvait juste derrière elle, lui aussi enchaîné et impuissant face à ces inconnus.

Il faudra m'apprendre ces mots là. On y va ?

Où va-t-on ? Dans quel but ? Que vont-ils faire de nous ? semblait exprimer le visage de Melaka.

Sanz fixait négligemment le corps rompu et prisonnier de sa proie. Dans ses yeux un vague air de mépris s'insinua. Ce n'était qu'un humain, du moins si c'était bien lui. Sa voix résonna en un ton dur et sans compassion.

Ce n'est donc que ça. J'aurai cru trouver plus passionnant. Vous me faites perdre mon temps.

Il tira de sa ceinture une fine dague et l'envoyer frapper l'épaule du prisonnier qui hurla aussitôt.

Et ce n'est pas même résistant. Ce ne peut être tant manant qui sache recréer la vie dans la pierre. Qu'on me trouve le bon ou je ne laisse que cendre de ce VILLAGE !

Ses derniers mots furent un cri d'orage, coupé brusquement par une voix grave et étrange.

Père.

Il aurait pu se taire et laisser croire que tout le monde s'était fourvoyé sur la cible, que ce n'était là qu'un humain comme un autre mais la voix de cette étrange pierre mouvante, capable de prononcer des sons, des cris, une phrase ; capable de parler. Le Prince abaissa sa main qui avait jeté la lame et tournant son regard vers l'étrange monstre, s'approcha avant de murmurer :

Quoique...peut être...ne sommes nous pas venu pour rien... . QU'on l'enchaîne aux chimères et qu'on l'emmène au palais, cette étrange chose... .

Dans un concerto parfait les Archers sortirent des chaînes de leur sac et les lançant sur le golem l'amarrèrent à eux. Dans un rugissement effrayant, la bête se défendit et envoya valser ses bourreaux qui heurtèrent violemment le sol. Sanz grogna, descendit de son cheval, s'empara du prisonnier,et le jeta devant les yeux rocailleux du golem. Callant son pied sur la tête du père il siffla:

Tu continues tes histoires et je l'écrase.

Le monstre regarda autour de lui, le village était désert, en dehors des hommes du sang. D’étranges sons s’élevaient autour de lui. Et là, juste devant lui, son créateur, dans les mains d’un homme terriblement étrange. Dans ses yeux régnaient une folie et une puissance étrange.
Le Golem fut intrigué par cette personne. Alors qu’il voyait son père qui était sur le point de se faire écraser la tête sous le pied de l’homme, il se dit qu’il se devait de sauver la personne qui lui avait donné la vie. Alors le Golem baissa les bras et, d’une voix dure et rocailleuse dit :

Très bien, je suis à toi, mais j’y donnerais mes conditions. Tu pourras m’étudier autant que tu veux, mais tu devras me laisser être libre.

Sans même demander son avis à l’homme, Léhault se mis à genoux et attendit que les soldats du seigneur viennent le faire prisonnier.

La tête du prisonnier explosa sous la pression de la semelle, et tandis qu'un hurlement bref mais violent éprouva les spectateurs, le Prince retira son pied taché de cervelle et de sang avant de s'exprimer avec nonchalance.

Tu aurais pu poser pour condition de l'épargner mais visiblement ta liberté s'attache mieux que tes liens, ce qui somme tout me convient. QU'on le mène aux palais et qu'on lui présente sa nouvelle demeure.

Prudent les soldats se rapprochèrent et glissant des chaines les accrochèrent a un harnais. Du ciel vint un dragons rubicon qui battant ses larges ailes balaya la zone proche d'un vent furieux pour se poser et laissant les hommes attacher à lui le golem s'élança dans l'air dans un cri bestial. Sous ses pattes griffées pendait le sombre monstre. Peu à peu leur ombre fantasque disparut à l'horizon.

Sanz se retourna vers ses trompes et signalant l'ordre de retour rejoignit sa monture. Il ne murmura qu'un dernier mot.

Qu'on rase ce village, et qu'il ne reste rien de vivant, un fou ne nous aurait servit en rien, mais cet étrange produit de la folie pourra nous aider. Nous avons déjà perdu trop de temps, et nous sommes en retard. Nos armées devraient être prête déjà.

Sa chimère grogna quand il approcha sa main du museau, il l'enfourcha et sifflant l'ordre de retraite s'envola à son tour dans le ciel cendré.

Sous son vol, un paysage prenait feu et des ombres s'envolaient à leur tour.

Il avait flotté sous l'immense masse rouge pendant plusieurs heures, à un moment il s'était même endormi. La mort de son père l'avait bouleversé, mais pourtant cet acte l'avait lié à Sanz. Il savait que jamais il ne pourrait lui pardonner de ne pas avoir honoré sa promesse. Sans vraiment savoir pourquoi il se dit qu'un jour, il lui ferait payer ce meurtre. Sous son corps les plaines et les montagnes défilées, le dragon lui faisait parcourir des centaines de kilomètre, et à chaque battement d'aile il accélérait.

Bien plus tard il arriva en vue de ce qui devait être le palais du sang, le dragon se posa alors attendant son maître qui les suivait. Le golem, toujours attaché au dragon ne bougeait pas, attendant patiemment que l'on vienne le délivrer, et alors il ferait comprendre que sa colère pouvait être terrible. Quand Sanz arriva sur sa chimère, et qu'il le libéra de ses chaînes, pensant que Léhault serait docile, il ne vit pas le regard plein de haine que celui-ci lui lança. Et alors qui lui ordonna de le suivre, et qu'aucune réponse ne vint, il se retourna pour voir le Monstre droit, les yeux fous.

Le Golem dit alors :
Non, je ne viendrais pas avec toi, traitre. Tu avais promis de le laisser vivre si je me rendais, tu es un menteur, et je ne suis pas sûr que tu me laisseras ma liberté. Va misérable créature, va me chercher la dame que je vois là-bas. Dit-il en pointant le doigt sur une ombre dans le lointain. Va me chercher cette femme, pour qu'elle me confirme que je suis libre, sinon, je pars de suite, car plus rien ne me retiens ici.

Ses poings frappèrent la plateforme faisant trembler la tour de pierre noire. Des gardes arrivèrent en courant, et pointèrent leurs armes sur le golem. Plusieurs d'entre eux décochèrent une volée de flèche qui ne lui fit rien. Un rire guttural monta de sa gorge. Bientôt, alerté par le bruit, plusieurs personnes étaient arrivées sur le toit, notamment l'héritière Tàranis. Qui eut un sursaut en voyant la masse informe et sale de Léhault. Une mimique de dégout sur le visage.

J'attends misérable créature, vite si vous ne voulez pas encourir mon gourou.

Dans l'ombre du golem, un vent sombre passait furtivement puis dessina des formes étranges de d'harmonie hésitante. En face d'eux le Prince échappa un léger rictus de mépris. Il ne sera jamais rien de plus qu'un monstre qui hurle à la liberté et finit agenouillé devant les Dieux. Il ne sera jamais rien de plus qu'une création abandonné par son créateur, un objet perdu dans l'onde du vivant. Et tandis que se formait le ténébreux Shyon, il éclata d'un rire sonore quand ce dernier copia les formes du golem pour imiter sa colère dans une représentation fidèle et physique de son anatomie. Recopiant au ton près les propos il parodiait sa menace comme pour la rendre grotesque. Les deux golems se retrouvèrent nez à nez dans un ballet de regard comique et insensé jusqu'à ce que Shyon brise l'illusion et prenne sa forme originale de Dragon. Son souffle ardent frôlait la pierre et ses yeux bleus fixèrent la bête de rocaille. Sa présence seule plia l'atmosphère et augmentant la pression plia les corps des mortels. D'un mouvement d'aile il créa un vent brusque et violent qui emporta l'ombre lointaine qui approchait du palais, Cassiopée, pour l'entraîner face à eux. L'attrapant dans une de ses ailes, il l'enroula dans sa queue d'écaille rougeoyante pour la maintenir en suspension dans le vide. Quand sa langue siffla pour s'exprimer, on eut crut entendre le tonnerre gronder dans l'âme:

Dites lui donc, ce qu'il en est de sa liberté à ce tas de pierre...

Aux côté du groupe un rire cristallin précéda la réponse. Anwen s'était posé dans la cour, illuminant l'espace avec son phoenix d'essence.

Une fois la jeune elfe et le loup attachés sur le dos de la chimère qui portait Erylie, Cassiopée leva son regard vers le ciel où un essaim de chimères bourdonnait près des nuages. Leurs cris trop lointains pour être clairement perceptibles alimentaient la tension latente qui s’exerçait sur le lieu.
Si en périphérie la population semblait avoir fui devant la venue des dragons, elle s’était regroupée involontairement vers le centre du village en tentant d’échapper à la peur qui venait de l’extérieur.

Cassiopée choisit ce moment pour enfourcher Issac et lui ordonner de quitter les lieux. Elle s’éleva au dessus du village en quête du prince régnant dont elle pouvait sentir la présence sans le voir.
Elle mit quelques instants avant de le dénicher à proximité de la place centrale du village.
Mais au moment même où elle décidait d’atterrir, un dragon s’élevait lourdement chargé d’une masse informe dont l’odeur et l’aura insolite attirèrent son attention. Il était escorté de près et Cassiopée considéra la situation d’un œil suspicieux.
De même, Issac maugréa :

- Cette chose…. C’est une chose…. Mais elle sent.

Ils avaient tout deux arrêté net leur progression et stationnaient bien haut au dessus du village quand Anwen donna le signal de l’attaque. Les chimères piquèrent vers le sol en formant un rideau noir aux gueules hurlantes qui poussaient des cris stridents. Bientôt, elles recouvrirent le ciel de toute perspective aux yeux des villageois.
La Nuée plongeait telle une ombre géante et se glissait dans les moindres recoins du village. Elle sentait chacune des chimères affamée avide de se nourrir.

- Suivons la chose Issac. Je veux savoir ce qu’elle est réellement. Peux tu savoir où elle va ?

- La trace des dragons d’Ershir n’ont aucun secret pour moi. Susurra la voie moqueuse d’Issac avant de battre énergiquement des ailes afin de s’élever à la verticale pour disparaître totalement aux yeux des hommes.

Le passage par le Néant était maintenant pour Cassiopée un moment d’oubli complet. Le froid lui paralysait le physique autant que le mental et elle commençait presque à apprécier la sensation de ne plus être.
Quand elle pensait ainsi, Issac la sermonnait sérieusement, lui ordonnant de tâcher de concevoir un destin possible. Mais, Cassiopée se refusait d’imaginer un avenir dans les périodes de transition entre deux portes. Le Néant l’avait un jour effrayé, aujourd’hui il la tentait.

Ils émergèrent près des palais du Sang alors même que l’équipage chargé de la chose atterrissait sur l’esplanade des dragons.
Issac prit son temps avant de se poser, survolant la scène de loin, désireux de comprendre pourquoi Sanz avait quitté si rapidement le village.
Cassiopée gardait les yeux rivés sur la chose, son esprit tendu vers ce qu’il représentait.

Elle sentit le souffle froid et dur de Shyon s’approcher, mais elle ne courba pas la tête devant ses ténèbres. Shyon agirait quoiqu’il arrive. Elle se laissa capter par le vent qui tourbillonnait autour d’elle avant de redevenir le temps d’un instant le dragon qu’elle avait connu. Il l’étreignit dans sa puissante queue dont il se servait comme d’un bras et la souleva de manière à la séparer d’Issac.
Décoiffée et malmenée elle fut déposée au coté de la chose.

Cette chose minérale pensait et s’exprimait.
Et cette chose parlait de liberté.
Le masque impassible de Cassiopée se plissa d'un sourire moqueur qui ne laissait déborder aucun éclat.

- Mais tu n'as pas la liberté de ne pas être libre, la chose.

Tu oublies que la liberté n'est pas la possibilité pour toi de réaliser tous tes caprices.
Tu n’as comme tous ici que la possibilité de tenter de choisir les contraintes qui s'imposeront à toi. Mais avant, commence donc par chercher la vérité, celle que tu ne possèdes pas mais que tu dois chercher.
La connaissance t’apportera la liberté de devenir à moins que tu ne finisses dans les cachots. Que préfères-tu ?

Pendant ce temps là, Melaka s'était envolée aux côtés des mystérieux personnages qui l'avaient capturé. Elle se trouvait dans une posture peu confortable mais elle pouvait sentir Gipsy juste en-dessous d'elle, lui aussi ligoté sur le dragon par des cordes solides. La jeune fille n'osait pas bouger de peur de tomber. Elle se demandait vers quel lieu l'équipe se dirigeait à présent, et surtout dans quel but. Les cris du peuple martyrisé résonnaient dans l'immensité des cieux tandis qu'ils gagnaient toujours plus en hauteur. Au bout d'un périple éprouvant ils atteignirent enfin les portes d'un palais gigantesque. Melaka essayait tant bien que mal de se pencher pour observer les alentours mais les cordes semblaient se serrer encore plus contre sa peau au moindre mouvement. Elle se contenta donc d'attendre l'atterrissage imminent avant de poser les questions qui s'accumulaient dans son esprit.

Quel est cet endroit ? commença-t-elle par interroger Gipsy intérieurement.

Je n'en ai aucune idée. Mais cela ne me dit rien qui vaille ... pensa-t-il en retour.

L'elfe-vampyre n'eut pas l'occasion de tergiverser plus longtemps avec son frère qu'Erylie les avait déjà forcé à descendre de la bête. Agrippant fermement les deux prisonniers, Erylie les entraîna tout droit à l'intérieur du sombre palais. Une fois le seuil de la porte franchi, Melaka et Gispy pouvait admirer l'ambiance particulière qui se dégageait de la structure du bâtiment. Leurs pas claquaient contre le sol luisant et quelques voix se distinguaient du silence angoissant. La troupe ralentit un instant, observant une scène étrange. Un personnage à l'air hautain siégeait face à un golem, accompagné par deux des ravisseurs. Melaka et Gipsy n'eurent pas le loisir d'en savoir plus car la vampyre les poussa violemment dans le couloir pour les mener dans les sous-sols du château. La lumière devenait de plus en plus faible et les victimes s'épuisaient. Erylie s'arrêta ensuite devant une grille. Elle fit tinter un trousseau de clés, trouva celle qui l'intéressait puis fit grincer la porte métallique. D'un mouvement vif, la vampyre dénoua les liens qui paralysaient les deux acolytes, les jeta au fond du cachot et referma la prison aussi sec. Melaka se précipita contre les barreaux froids et fixa la jeune femme.

Qui es-tu ? Pourquoi m'enfermes-tu ici ? RÉPOND ! hurla-t-elle désespérément.

La serrure claqua dans l'air froid du cachot. Enfermée. Erylie sourit à cette idée. Enfermés les démons du passé et maitrisés ceux de l'avenir. Au moins temporairement.
La presque vampyre et son chiot geignaient et gigotaient vainement, il faudrait leur apprendre la discipline. Les échos de leur conversation mentale lui donnaient mal au crâne. Elle allait partir, une main sur les tempes quand un cri lui vrilla les tympans.

Qui es-tu ? Pourquoi m'enfermes-tu ici ? RÉPOND !

Le sang d'Erylie ne fit qu'un tour. Rapide comme seuls le sont les vampyres, elle se jeta contre les barreaux que tenait Melaka et la saisit à la gorge dans un sifflement contrarié. La jeune femme ainsi entravée avait du mal à déglutir. Erylie la regarda tenter de se dégager sans succès.

Tu apprendras à parler quand on te l'ordonnera. Si on te l'ordonne un jour. Tu es ici parce que c'est un bon endroit pour réfléchir. Tu ne trouves pas ?

Erylie relâcha son étreinte en envoyant la jeune femme à terre d'une main. Elle la regarda longuement, faisant fit des grondements qui s'échappaient de la gorge de son animal de compagnie. Puis elle braqua son regard dans celui du loup. Et lui dit le long d'un battement de cil que son silence aussi était vivement souhaité. Il atténua son grondement sans toutefois le taire complètement.

Voila qui est mieux. Les enfants sont vraiment insupportables.

Puis rajustant ses cheveux d'un geste, Erylie sourit aux ténèbres de la cellule. "A demain" murmura-t-elle en pensées. Et elle s'éclipsa.

Sans qu’il ne sache réellement pourquoi, toute détermination quitta l’esprit du golem. Le monstre se rendit compte qu’il ne pourrait rien faire contre des personnes aussi puissantes que celles-ci. Bien sûr, maintenant, ils n’avait plus aucun moyen de pression sur lui, et si l’envie lui prenait de les tuer, rien ne pourrait l’en empêcher. Mais dans son cœur de Noir-ébène se mit à battre une conviction étrange. Il voulait lui aussi devenir l’un des leurs. Avoir cette force qui coule dans son sang – si sang il avait – et sentir battre en lui le même charisme que les deux personnes qui lui faisaient face.

La femme et l’homme le regardaient, comme amusés par son comportement. Que savaient-ils de lui ? Avaient-ils pu préparer ses réactions ? Le golem fut pris de vertige. Pour la première fois depuis le début de sa courte existence, il douta de lui, des motivations de son créateur. Alors une sorte de profonde affection le lia instantanément aux deux personnes qui venaient de lui faire prendre conscience que son être n’était qu’une infâme création, et qu’il n’avait aucun droit sur ce monde en tant que tel. Il regarda dans les yeux Sanz, mais ne put soutenir son regard. Alors il tourna le visage vers Cassiopée, et il y vit un amour sincère, qui n’était peut-être que le fruit de son imagination, mais qui le transfigura.

- Je, je vous demande pardon. Je ne suis rien, rien de plus qu’un monstre. Mais si vous l’acceptez, je veux être votre prisonnier.
La phrase fit sourire le prince. Et le golem continua.

- Mon nom est Léhault, et l’homme que vous avez tué, mon… père… à fait de moi un être plus puissant, et plus indomptable que la mort elle-même. Pourtant, seigneur, je voudrais, si vous l’acceptez, donner ma vie pour vous.

Les deux confrères le fixèrent alors, et un frisson parcourut la nuque rocheuse du monstre, dans quoi venait-il de s’engager, qu’allaient-ils faire de lui, maintenant qu’ils le savait brisé ?

Pénétrant la roche brute et froide, les pensées de Cassiopée ne quittaient pas celles du Golem. Elle s’étonnait de la tendresse que recelait le minéral et de la douceur de l’opinion de la Chose à leur égard.

- Tu te crois plus puissant et plus indomptable que la mort elle-même ? Qu’en sais-tu, toi que le temps n’a même pas encore érodé afin de créer quelque rondeur, ni poli la face de manière à offrir un sourire?

Cassiopée fit alors un pas vers l’homme de pierre. Elle paraissait toute menue et fragile face à la masse rocheuse qui la dominait.
Pourtant, sans crainte, elle posa sa main blanche et fine sur la patte énorme du Golem.

La roche était froide et dégageait une odeur de fer.

-Je sens ta force et ta puissance, mais je me demande ce que vaudrait un échauffement brutal et violent de tes cellules…. J’imagine l’explosion de ton corps en milliers de petits bouts de semblant d’humain !

Ce retournant vers Sanz, elle rit et ajouta :

-Non… ne créons pas à notre tour des milliers de petits golem à partir de cette masse compacte ! L’unité à parfois du bon… Que dirais-tu de marquer cette Chose de notre empreinte ?
Il est fort, il est grand et majestueux. Il pense. Il est près à nous servir. Mais son corps est totalement vierge. Cet être est vierge du flux le plus infime qui fait que le vivant est œuvre des Dieux. Qu’en penses-tu, Sanz ?

Dans les cieux, Issac émit un sifflement long et profond qui sonnait comme l’ouverture d’une ode. Le dragon s’amusait.

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