[Conf. Sang]L'Hymne du Créateur [Histoire du Sang]

La gorge encore serrée par la menace physique de la vampyre, Melaka gisait à terre au fond du cachot sombre dans lequel elle était prisonnière. Juste avant d’avoir été écartée des barreaux de sa cellule, les yeux d’Erylie avaient transpercé les siens. Une lueur familière avait vivement parcouru le long de sa peau jusqu’à lui brûler le cœur. Quelque chose d’indescriptible s’était réveillée en elle sans qu’elle ne puisse en définir la nature. Assise là, perplexe, la jeune fille regardait son agresseur s’éloigner.

Tu sais qui je suis. Je sens que tu ne veux pas réellement me faire de mal. Murmura-t-elle suffisamment fort pour qu’Erylie puisse l’entendre.

Cette dernière poursuivit néanmoins sa route, disparaissant dans l'ombre environnante. Elle avait promis de revenir le lendemain, alors Melaka se résolut à s'allonger en l'attendant. Blottie contre Gipsy, elle ne put trouver le sommeil, mais la présence de son ami la rassurait.

Aurait-il réellement explosé, il ne le pensait pas, mais les paroles de la petite femme lui inspiraient confiance et sympathie, ainsi, il y avait bien quelqu’un ici doué de bon sens et de gentillesse. Peut-être même que celle-ci avait un peu d’honneur.
Pour l’instant il lui fallait se fier à eux, accepter le traitement qu’ils lui réservaient. Et sur ce point il n’avait aucune idée de ce qui l’attendait dans les jours à venir. Dans le cœur du golem, quelque chose bougea, comme une onde électrique, et lui vint alors une pensée nette :

- Fais leur confiance ! Au nom de la vengeance, l’heure du combat n’est pas arrivée.

Cette pensée n’était pas de lui, et pourtant c’est de son cœur qu’elle émanait. Léhault ne chercha pas plus, et en signe de servitude ploya le genou.

- Dame, je vous servirai pour le reste de mon existence. Parlez et j’accomplirai, demandez et je réaliserai. Aucun de vos désirs ne saura être plus comblé que si vous me le confiez, Reine des Reines.

Les choses tourneraient peut être bientôt à son avantage, et quand ce serait le cas, il lui faudrait des amis dans cette citadelle pour pouvoir la quitter, ou, la détruire… La dame était retourné près de son seigneur, et celui-ci attendait quelque chose, Léhault savait très bien quel plaisir cela ferait a celui-ci de le voir se prosterner. Ainsi s’exécuta-il.

- Je vous donne aussi ma loyauté, maître des maîtres, et je n’ai moi, qu’une parole.

Puis se relevant il contempla enfin la vaste citadelle qui l’entourait, les hautes tours, les créneaux de pierre lisse, les dragons survolant les murs, et les cris lointains des hommes s’interpellant. Il prit alors conscience que jamais il ne pourrait sortir d’ici sans que le destin ne lui donne un sacré coup de mains.

Au fond de lui, il entendit un rire, sadique, pervers, et qui lui rendit alors espoir. Il n'était peut être pas seul finalement.

Même ployé, le golem gardait des proportions qui lui faisaient dominer tous ses interlocuteurs. Mais Cassiopée n’y prêtait pas garde. Elle avait simplement contemplé le géant minéral lui jurer serment de fidélité. Elle l’avait entendu mais savait que jamais la confiance ne s’offrait de la sorte sans qu’un échange soit attendu.
Le prisonnier choisissait à présent, de son plein gré, de se prosterner devant le Prince du Sang. Celui-là même qui avait détruit l’être qu’il considérait comme son père. Et Cassiopée observait d’un d’air médusé la scène.
Quand il se releva, elle haussa sa stature pour demander :

-Tu jures de me servir quoique je demande, homme de pierre, mais accepter tes services sans te connaître plus serait une grossière erreur. Comme roche, tu es issu d’un feu minéral, je souhaite en connaître la source. Quel est le monde qui t’a conçu ?

Cela faisait plusieurs jours qu'Erylie errait dans les Bibliothèques à la recherche d'indices sur le détail qui la tracassait. Un détail, un pressentiment, un filet de doute, une ombre de soupçon. Autant dire, rien. Mais quand même, il y avait quelque chose. La nouvelle dans les cachots, la batarde, quelque chose n'allait pas. Un sang impur mais étrangement familier, une sensation de déjà vu persistante. Irritante.

Attablée devant une pile de livre plus haute qu'elle, la vampyre referma le dernier ouvrage et se prit la tête dans les mains. Puis elle resta la, le regard fixé sur la montagne de papier, prête à recevoir l'illumination. Elle ne trouverait rien ici. Il avait tout détruit, des siècles auparavant. Reléguant l'option de retourner chez elle en dernière place sur sa liste, Erylie lacha un soupir désabusé. Il y avait bien un moyen. Rien que d'y penser elle en avait la chair de poule. Mais ce serait une manière de voir ce que la batarde avait dans le ventre. Voir si elle avait la moindre bride de Mémoire entre ses deux oreilles pointues.
Sa décision prise, Erylie repoussa sa chaise et partit chasser. Elle pouvait bien attendre un jour de plus, se dit elle un sourire affamé aux lèvres.

Le lendemain, repue et apaisée, Erylie descendit dans les cachots. Au fur et à mesure qu'elle descendait les marches, l'odeur du loup lui chatouillait les narines, ainsi que celle plus douce, et plus boisée, de sa maitresse.
Elle s'approcha des barreaux de la cage et sourit dans l'ombre ambiante aux deux prisonniers.

On commence ?

Rapide comme un coup de vent, elle amena une chaise et s'y installa. D'un signe de la main, elle fit signe aux deux autres de s'approcher d'elle, avec un sourire avenant. Le plus avenant possible du moins. Bien que toujours à distance respectueuse de la grille, la fille des bois et son compagnon se rapprochèrent légèrement. Chacune des personnes présentes savait pertinemment qu'un murmure suffirait. Sans élever la voix, Erylie commença donc.

Melaka hein? Je ne sais pas pourquoi je reviens vers toi, mais me voila. Tu as beau être une batarde, une partie de mon sang coule en toi, aussi j'aimerai quelques explications. Vu que tu n'es pas un pur produit, tu n'es pas née comme moi, tu n'as pas connu le drainage, l'attente, la Mémoire. Vu tes attributs physiques, je me demande comment les elfes engendrent leur progéniture. T'en souviens tu ?

Melaka tournait en rond dans le cachot où elle était enfermée depuis plusieurs jours. Elle avait vite compris que crier au secours ne servait à rien et tenter de s'échapper lui était impossible. Alors Gipsy et elle attendaient en prenant leur mal en patience, un espace si confiné étant trop oppressant pour leurs instincts sauvages ainsi que leur besoin de liberté. Quand un bruit se fit enfin entendre, les deux compagnons relevèrent la tête avant de sentir qu'Erylie s'approchait d'eux.

On commence ?

Déjà assise face à leur cellule, la vampyre attendait que ses prisonniers se rapprochent, ce qu'il firent en gardant une certaine distance, par sécurité.

Melaka hein? Je ne sais pas pourquoi je reviens vers toi, mais me voila. Tu as beau être une batarde, une partie de mon sang coule en toi, aussi j'aimerai quelques explications. Vu que tu n'es pas un pur produit, tu n'es pas née comme moi, tu n'as pas connu le drainage, l'attente, la Mémoire. Vu tes attributs physiques, je me demande comment les elfes engendrent leur progéniture. T'en souviens tu ?

La jeune femme parut surprise des révélations mystérieuses faites par sa geôlière. Elle était d'autant plus perturbée par ses dires, qu'elle n'en comprenait à peine la moitié. Comment pouvait-elle partager son sang avec cette femme qu'elle n'avait jamais rencontrer auparavant ? Erylie semblait exiger des réponses que Melaka ne pensait pas avoir. L'elfe-vampyre se concentra malgré tout pour fouiller dans son esprit, cherchant en vain un détail qui pourrait l'éclairer sur la situation. Le drainage. L'attente. La Mémoire. Tout se floutait dans son esprit jusqu'à lui en donner la migraine. Elle se força malgré tout à formuler une réponse pour sa semblable qui s'impatientait visiblement.

Je ne sais pas. Réussit-elle à articuler. Mes parents s'aimaient. Je revois seulement leur amour au-delà des lois de leurs peuples, au-delà de tout. Mais toi, tu me connais ? Qui es-tu ?

Melaka plongea à nouveau son regard dans celui d'Erylie, comme si elle pouvait trouver des informations supplémentaires, comme si elle pouvait entendre une quelconque pensée, comme si elle pouvait reconnaître une personne proche. Son sang pulsait à travers ses veines, battements qui résonnaient à l'unisson avec ceux de la vampyre.

Qui je suis n'aura surement aucune importance pour toi. Tu ne sembles même pas pouvoir réveiller la mémoire qui s'écoule en toi.

Avec un air dédaigneux, Erylie repoussa ses cheveux en arrière. Elle voulait partir d'ici. Abandonner cette chose à l'ombre et l'humidité des cachots. En plus, elle n'avait jamais apprécié les chiens. Mais le sang chantait pour le sang. Faiblement mais assez pourtant. Assez pour qu'elle le sente, comme une caresse furtive à l'orée de son esprit. Contractant ses muscles pour s'astreindre à l'immobilité, la vampyre reprit dans un souffle glacial.

Je suis Erylie, la dernière née du Sang pur. Et malgré ton allure.... singulière, tu fais partie de mon peuple. Les vampyres partagent leur mémoire dans leur sang. Une trame de souvenir et de savoir qui se transmet tout au long des siècles. Plus le Sang est pur, plus il chante fort et clair. Une partie de toi essaie de hurler à mes oreilles, mais l'autre fait écran.

Erylie se leva de sa chaise promptement et s'approcha de la cage. Brutale et grognante, elle saisit la jeune demi-elfe par les cheveux et lui colla le visage contre les barreaux, tout près du sien.

Et si nous jouions? A savoir qui tu es ?
Je te propose un nouveau jeux. Tu vas me laisser entrer dans ta tête et nous verrons bien si tu te rappelles ou pas.

Avec un sourire glacial, Erylie planta ses prunelles bordeaux dans celles de sa prisonnière.

Surprise par l'élan de démence dont faisait preuve Erylie à l'idée de découvrir qui était vraiment Melaka, cette dernière se retrouva subitement à deux centimètres de la vampyre, uniquement séparée par les barreaux de fer.

Un jeu, dis-tu ... Soit. Si tu es capable de m'en apprendre davantage alors vas-y ! Fais chanter la Mémoire, comme tu l'appelles. Lui soutint la prisonnière.

C'est sûrement dangereux, ne la laisse pas diriger ton esprit ! Gronda Gipsy, peu convaincu par l'attitude des deux femmes.

C'est ma seule chance d'en savoir plus.

La réponse de Melaka avait été prononcée autant pour le loup que pour Erylie qu'elle fixait toujours intensément. Les prunelles des deux étrangères s'attiraient, s'attisaient. Leurs esprits commencèrent à fusionner à leur tour, ouvrant une brèche cérébrale prête à peindre en elles des images du passé.

Erylie se laissa porter parce qu'elle devinait dans les prunelles de sa prisonnière. Le murmure des feuilles, le bruissement du vent. L'odeur de musc des loups. Le changement des saisons. Puis elle bascula.
Les images crépitèrent devant ses yeux. Une mémoire altérée, ne respectant aucune chronologie. Aléatoire. Sauvage. La vision fugace d'un palais qu'elle connaissait. La foret. Un rendez vous. Et deux silhouettes allant, mains dans la main. Un autre palais, inconnu. Une mémoire différente, faite de sensation, de frémissements.

Erylie regarda sa main, grise et transparente comme un rideau de fumée. Debout au milieu d'une clairière, elle vit une jeune femme aux oreilles étrangement pointues, accompagnée d'un loup. Elle sourit mais frémit cependant quand la jeune fille dressa l'oreille au son de son rire. Puis tout se remit à tourbillonner follement. Sans aucune cohérence. Les draperies et les blasons entrechoquaient des maisons dans le creux des arbres.La Mémoire essayait de reprendre le dessus, en vain. Noyée qu'elle était dans le flot de verdure.

Erylie s'extirpa de l'esprit de la jeune femme en se tenant les tempes.

Il va falloir faire un effort jeune fille. La discipline ne doit pas faire partie de l'apprentissage lupin.

La tête de Melaka bascula en arrière lorsqu'Erylie se retira de ses bribes de souvenirs confus. Ses pensées lui brûlaient la tête et seules ses mains agrippées aux barreaux la tenaient encore debout. Intérieurement elle fulminait contre la vampyre qui la rabaissait à nouveau. Mais elle ravala sa fureur pour mieux se concentrer.

On n'a pas fini !

Aussitôt la jeune femme replongea son regard dans celui de sa geôlière et força sa mémoire à refaire surface. Bien sûr, la pression qu'exerçait Erylie était nécessaire pour l'aider à fouiller dans des parcelles inexplorables de son esprit. Ainsi elle revit la forêt, une petite fille au milieu des loups, la chasse, le chapardage dans les villages proches. Et puis les images tourbillonnèrent avant de revenir sur une vue d'Atalantë, les parents de Melaka, leur maison, leur petite vie tranquille. Et le cataclysme de la Cité Mystérieuse les entraîna vers un autre lieu que la jeune fille ne connaissait pas, mais qui lui semblait pourtant étrangement familier. Des palais luxueux immenses, son père plus majestueux que jamais, son visage, ses yeux. Il s'inclina avec respect devant ... l'image se coupa nette, ramenant l'elfe-vampyre dans le noir du cachot qui la retenait prisonnière. Elle dévisagea Erylie avec effroi, espérant des réponses de sa part.

Je ne viens d’aucun monde, je suis issu de la roche elle-même, forgé par le temps. Mon créateur, ou plutôt devrais-je dire mon découvreur n’as fait qu’assembler les parcelles de mon corps rependues au fils du continent. Mais je n’en reste pas moins un être bien supérieur à lui. Comment je vie ? Je n’en sais rien. Je sais qu’il me faut cette roche, au plus profond de moi. Car elle me donne le pouvoir, le pouvoir illimité ! Sans elle je n’existerais sans doute pas. Mais sans moi elle n’existerait pas non plus. Et si vous en doutez, sachez que je ne saurais mentir. Tel fut les mots que Lehault voulu prononcer. Mais sans réel gorge, il ne put que dire :

- Lehault ne sais pas d’où il vient.

En fait le golem était intelligent, car le Vif-Sang qui le composait renfermait bien des secrets. Mais son esprit ne savait formuler plus d’une dizaine de mot.

Les images qui prirent place derrière les prunelles de la vampire lui coupèrent le souffle. elle se dégagea haletante du regard de Melaka et profita des quelques secondes de battements pour se recomposer un visage..

Eh bien, en voilà une surprise. Batarde peut-être mais pas batarde à demi!

Les yeux de la vampyre passèrent bruquement du rouge sang au bordeau. Passant une petite langue rose sur ses lèvres, elle ouvrit la cage d'un mouvement de bras et se glissa à l'intérieur. Elle regarda la fille reculer comme elle s'approchait. Le loup grogna. Elle fit de même, lachant un grondement sourd dans sa direction. Dominante. D'une main preste, elle saisit la jeune fille à la gorge et la ramena vers elle.

Se débattre ne sert à rien. Tu veux savoir? Alors tiens-toi tranquille.

Elle profita du moment d'hésitation de la demi-elfe pour planter ses crocs dans la chair tendre de son cou. Sa Mémoire fouilla, appela dans l'esprit de la jeune fille. La scène s'imposa à leurs esprits comme un rêve éveillé. L'homme qu'elles savaient être le père de Melaka, se tenait droit devant un trône de pierre. Il s'inclina face à ses souverains et sourit à la fillette assise sur les marches près de ses parents. Erylie eut un hoquet mental. Il souriait à son moi d'avant. Nathaniel. L'oncle et l'ami. Le paria. Le regretté.
La Mémoire d'Erylie se fissura. La batarde était du Sang, souillée mais à jamais liée.

Erylie lacha la jeune fille et elles tombèrent sur le sol, deux pantins désarticulés. La vampyre resta paralysée. Elle leva ses yeux sanguins vers le loup et gronda, incapable de faire autre chose. Tout avait changé.

Quand Erylie planta ses canines acérées dans la chair de Melaka, celle-ci bascula dans un autre temps. L'image qu'elle avait entre-aperçu quelques minutes plus tôt refit son apparition, aussi claire que si elle vivait vraiment ce souvenir. Tout comme l'autre vampyre, la jeune fille vit et comprit enfin ce qui les liait. Erylie. Ce nom sonnait si familier à présent. Tout prenait sens. Sa cousine l'avait lâché sous le choc de la révélation, les laissant toutes deux engourdies sur le sol. Melaka porta sa main gauche à sa tempe et usa de sa main droite pour se relever. Elle chancela sous l'effort mais retrouva rapidement ses sens, son cerveau réfléchissant à toute vitesse. Une pensée rapide décida Gipsy à en faire de même. Erylie semblait trop étourdie pour bouger, seul un grognement sourd émanait d'elle. L'elfe-vampyre et son ami lui adressèrent un dernier regard avant de filer à toute vitesse hors de la cellule.

On se retrouvera ! pensa-t-elle suffisamment fort pour que sa parente l'entende.

Sortir des cachots fut néanmoins plus difficile que la jeune femme ne l'aurait imaginé, d'autant plus qu'elle était encore bouleversée par ce qu'elle venait d'apprendre. Mais elle se concentra sur la prison. C'était un dédale sans fin dans lequel elle avait peur de se retrouver encore nez-à-nez avec un des membres du Sang, ce qui la ferait sans aucun doute retourner derrière les barreaux. Son instinct la guida malgré tout jusqu'à une sortie sur un flanc du palais. Elle vérifia que personne ne trainait dans le coin puis courut jusqu'à l'orée de la forêt, non loin de là.

Ta cousine ?! Tu crois vraiment qu'elle aurait à nouveau verrouillé la grille après avoir appris la vérité ? haleta Gipsy.

Je ne sais pas de quoi elle est capable. De toute manière ses actes au sein de la Confrérie ne dépendent pas uniquement d'elle.

J'ai vu le regard qu'elle a fait ... Elle n'est pas indifférente à cette révélation et je crois qu'elle est obligée de t'accepter.

Quelque chose de fort nous rapproche, Gipsy. Erylie ne peut pas aller contre les liens du Sang.

Sur ces mots, les deux compagnons s'enfoncèrent entre les arbres, et comme le ciel se parait d'étoiles ils décidèrent d'aller les admirer de plus près.

[HRP]La suite ici.[/HRP]

Quel était ce corps de pierre assemblé comme un monument ? Qu’avait donc voulu son créateur en formant le conglomérat rocheux qui se trouvait, le genou ployé, à leurs pieds.
Cassiopée percevait dans le golem une puissance plus grande que celle issue de sa propre masse. Pourtant, elle ne savait pas exactement d’où cette force provenait. C’était une force diffuse, sans accroche réelle.

Elle s’approcha du géant de pierre et posa sa main sur ce qui aurait pu être la peau sur un homme. Elle fut en contact avec une matière rugueuse et froide. Un caillou grenu et mal taillé. Mais au-delà de la simple sensation apportée par la roche, elle conçut le chao qui composait l’être. Le schéma humain avait été respecté. Cependant, la substance elle-même était totalement désordonnée. Cassiopée pouvait clairement percevoir les infinies particules dans lesquelles était condensé un pouvoir perceptible mais totalement diffus. Elle se trouvait dans l’incapacité de les reconnaître.

Le golem était brut. La main de Cassiopée parcourait lentement les sinuosités rocheuses qui formaient parfois des nœuds de force dans la masse. Sous la caresse, elle sentait une odeur étrange qui rappelait à la Dame Protectrice du Sang des souvenirs non encore identifiables.

A ses côtés, le Prince du Sang se tenait, à présent, imperturbable et silencieux. Il dominait la scène d’un regard inexpressif, comme désintéressé par le sujet. Il observait discrètement l’arrivée de Erylie qui guidait leur jeune prisonnière vers les cachots.

Cassiopée déclara soudainement :
-Je voudrais en avoir le cœur net, Sanz. Je vais l’étudier en profondeur. Si tu n’y vois pas d’inconvénient, je voudrais qu’il soit mené en salle d’invocation pour que nous l’étudiions afin de savoir ce qu’il en adviendra.

Le golem était conduit dans les profondeurs, il ne comprenait pas vraiment, ne pouvant rien dire, puisque les mots refusaient de sortir. Il se laissait trainer, tel un fardeau, le coup enserré de sa lourde chaine de fer noircie par le temps. Ses yeux vides étaient posés sur celle qui le précédait, la douce Cassiopée. Elle avait eu un étrange effet sur lui, car en lui, une chose, plus ou moins endormie s'était réveillée à son contact, une chose que le Noir'sang n'avait pas prévu de voir exister en son hôte.
Et le golem toujours tiré vers l'avant s'enfonçait petit à petit dans des galeries sombres où l'obscurité lui serrait la poitrine comme confinant son cœur inexistant. Lui qui avait jusque alors connu que la colère, la haine et l'amour, connaissait maintenant la peur, une peur atroce, qui lui fit, l'espace d'un instant oublier tout amour pour cette femme devant lui. Il s'arrêta net, faisant trébucher les gardes qui le tirait vers l'avant. Elle ne se retourna même pas. Elle ne le regarda pas, mais, sans trop savoir comment, doucement, tranquillement, le calme revint en lui.

Puis son esprit frêle et faible s'effaça devant celui du Noir'Sang, qui lui, loin d'être inquiété par cette femme singulière en était au contraire curieux. Il voulait découvrir qui était cette personne, pour procurer chez son hôte une telle réaction. L'on prenait l'être de pierre pour une bête ignorante, peut être, car il s'exprimait mal, parlait peu et ne pouvait, à cause de la nature aligner plus de deux mots. Alors qu'en fait il était sûrement plus intelligent que bon nombre des personnes présentes en ces terres, mais son intelligence serait à jamais enfermée, dominée, par le Noir'Sang. Il sentait, alors que la descente arrivait à son terme, sa puissance augmenter, peut être ne lui faudrait-il pas, comme prévu, attendre un siècle encore pour libérer son courroux, peut être, avec l'aide de ces hommes et femmes, son étrange pourrait il faire subir à tous le juste châtiment pour les temps oubliés ou leurs ancêtres l'avaient défié.

Comme si elle avait conscience du Vif'Sang, Cassiopée se retourna et posa ses yeux dans ceux de Syhis. Comme un défi contre cette force qu'elle ne pouvait encore comprendre, mais qu'elle espérait percer à jour, briser, dans les caves les plus profondes de l'antre des seigneurs du Sang. Syhis, tout comme Léhault, prit alors conscience qu'ils ne sortiraient pas d'ici indemnes.

La salle d’invocation était une vaste crypte voutée, aux murs pavés marqués par le temps. Sans fenêtre, la lumière provenait des feux toujours entretenus et déposés dans de larges coupoles. Les invocateurs gardaient jalousement le chemin qui menait vers eux et alimentaient régulièrement les flammes en y jetant des essences rares qui dégageaient des odeurs tenaces.
Les parfums multiples embaumaient l’air, mais la fumée était soigneusement canalisée vers le Pas de Prios.
En pénétrant dans la salle, Cassiopée hésitait encore sur le chemin à emprunter pour satisfaire sa curiosité.
Quand elle se retourna sur le golem, l’immense masse rocheuse lui parut plus vivante que jamais.
Ses yeux mats, sans éclats, laissaient transparaitre les remous intérieurs qui circulaient sur les plis de la roche devenus mouvants près des paupières.
Les yeux clairs et limpides de Cassiopée suivaient chacun de ces mouvements en cherchant à en comprendre la signification.

- Tu es un être décousu. Finit-elle par conclure.

Le golem s’ébroua et tira sur sa chaîne. Par ce simple geste, il entraina deux de ses gardes dans une envolée incontrôlée.

-Détachez-le. Ordonna Cassiopée. Cette chaîne est totalement inutile. Elle n’a pour seul effet que d’avilir l’homme.

Elle se rapprocha plus près de Léhault, jusqu’à déposer sa main sur son immense pogne de pierre.

- Or, je perçois en toi, un potentiel humain qui ne parvient pas à aboutir.
Tu es une carcasse magnétique sans pôles.
Vas-tu te prêter à ma connaissance sans tenter de fuir ?

Les gardes avaient détachés le golem mais s’étaient positionnés en ronde autour du couple.
Cassiopée les chassa d’un geste et d’un regard vers les profondeurs de la salle et commanda aux invocateurs :

-Garnissez les feux de cyprès, de cidèles et de tourbes. Je veux que le parfum de la Terre réveille nos sens et que les Origines soient invoquées.

Le golem percevait l'arôme des encens flotter dans l’air autour de lui. Si sa forme ne lui permettait ni de sentir les odeurs, ni d’exprimer le moindre son cohérent, sa vision, elle, était bien plus développée que celle des autres personnes présentes dans cette caverne. Il voyait les effluves colorées quand les humains pouvaient les sentir. Pour lui, chaque mouvement d'odeur était une couleur et chaque son une résonnance dans son corps de pierre.
Il comprenait ainsi parfaitement ce que Cassiopée voulait faire de lui, mais ne pouvait s’exprimer en retour. Au fond de lui, le Noir’Sang attendait patiemment de voir comment les choses allaient se dérouler. Il savait que l’instant était crucial, avec un peu de chance, la femme, sans le savoir libèrerait une puissance passée dont elle n’avait même pas conscience. Et alors son règne viendrait. Mais pour l’instant, le temps passé à attendre lui avait appris la patience, et le Vif’Sang n’était pas pressé.
Après tout cela faisait maintenant près de dix milles ans qu’il attendait son heure. Bien entendu le Golem n’était pas le seul corps qu’il avait emprunté entre temps et s’il avait comploté avec ses acolytes pour établir les bases de son futur empire, il n’avait pour l’instant jamais eu la possibilité d’emmagasiner assez d’énergie pour revenir sur le devant de la scène. Mais les choses allaient changer grâce au Sang et à sa volonté de dompter le golem.

Sans le savoir lui-même Syhis servait lui-même les dessins d’un être bien supérieur, mais cela il ne pouvait pas même le concevoir. Car pour lui il était l’aboutissement même de toute forme de conscience supérieur.

Lehault suivait Cassiopée jusqu'à l’autel où elle avait prévu de commencer sa cérémonie. Il s’assit lourdement sur le sol, se faisant tomber, et entrainant avec lui la chute de quelques cailloux. Comme la puissance qui l’habitait, Lehault attendait patiemment sans trop savoir ce qui allait se passer, mais comme il avait accordé dès les premières instants sa pleine confiance en la dame céleste, il la laissait faire et attendait.

-N’as-tu pas peur de ce qui t’attend ? Dit Cassiopée en se posant devant le golem.
Ne crains-tu pas l’inconnu qui s’ouvre à toi ?

En prononçant ces paroles, Cassiopée perçut l’avidité que ces mots suscitaient chez le golem. Non pas que ses yeux s’allumèrent, ils gardaient leur placidité de masse inerte, mais l’aura de l’être de pierre sembla grésiller de contentement.
Cassiopée ébaucha un bref sourire interrogatif en constatant l’intérêt que suscitait l’expérience pour Léhault.
Les fumées dégagées par les brûlots de cidèle s’étaient, à présent, teintées de rouge et développaient les sens perceptifs de la gardienne harmonique du Sang. Elle prit entre ses mains une coupe dans laquelle se consumait la cidèle au parfum envoutant. Puis, elle s’en servit pour attirer le golem vers le pas de Prios. Elle canalisa les acres senteurs en ronde autour de l’homme de pierre qui s’était maintenant levé et avançait vers l’Autel. Il la regardait opérer le regard impavide. Il semblait se plier aux circonstances et simplement attendre.
Il suivit sans rien dire les fumées vermeille, qui, toutes se concentraient vers une large stèle ronde pour former une colonne rouge en son centre.
Dans le silence profond qui régnait alors, la voix de Cassiopée sembla résonner et se répercuter sur les parois de la salle :

-Allonge-toi Léhault.

Le golem eut une hésitation en constatant qu’en s’allongeant son corps recevrait de plein fouet la colonne rougeoyante. Il lança à Cassiopée un regard presque menaçant, mais il prit place, près à s’étendre.
Cassiopée perçut la menace dans l’être de pierre qui lui semblait agir par défi.
Mais elle ne s’en souciait pas et sa voix se haussa une nouvelle fois. Elle provenait de tous les murs à la fois :

-Tu es un être de roche et par elle ton essence est née. Laisse la cidèle s’infiltrer en toi. Pendant un court instant, elle prendra possession des interstices de ton corps afin de fluidifier ce qui peut être ton sang. Par elle nous pourrons entrer en contact sans secousse.

L’immense corps de cailloux s’étala alors sur la stèle et sa poitrine fut, dans l’instant, percée d’un nuage de fumée rouge aux vapeurs envoutantes qui se diffusa sans heurt jusqu’aux extrémités des membres de l’homme de pierre. Puis il atteignit sans contrainte la tête et baigna de douce chaleur rouge vif le cerveau du golem.

Les poings du golem frappaient le sol, il avait peur, il ne voulait pas, il fut pris de vertige, lui qui ne craignait aucune magie. Ce fut comme si en lui, quelque chose souhaitait qu’il se soumette.

Il fut incapable de bouger. Il aperçut derrière lui Cassiopée. Il ne sut pas ce qu’elle faisait. Car l’instant d’après le noir s’empara de lui. Ses yeux rouges se ternirent et les lumières de sa vie moururent. Lehault n’était pas mort, mais il avait été repoussé par quelque chose d’autre, une entité supérieure.

« Ne t’en fais pas, laisse-moi m’occuper de cela Golem ». La voix avait vibré dans sa tête, se répercutant dans les aspérités de la roche formant son corps. La puissance qui l’animait venait de prendre le pouvoir et Lehault ne put qu’espérer retrouver son corps entier quand il aurait fini. Contrairement à ce que pensait le Golem, Sythis ne tenta pas de combattre, il laissa la Magicienne faire son travail. Elle s’activait maintenant autour de lui, laissant parfois pousser des soupirs de fatigue.

Sans trop savoir comment, Lehault se mit à vivre des choses qu’il ne comprenait pas. Il voyait un homme, plutôt petit, au physique ingrat, vêtu de vêtements amples et bariolés. L’homme, toute en blaguant, tirait des carreaux d’arbalète sur une horde qui leur courait dessus. Son compagnon dégaina une lourde épée à deux mains. Lui était grand, musclé. Les cheveux rouge sang. Son visage tout aussi ingrat que celui de son compagnon était couturé de plaies et de cicatrices. Le torse nu, de l’homme était maculé de sang frais.
Devant eux, un être, Lehault ne put dire s’il était humain. Il semblait absorber la lumière, autour de lui l’obscurité était totale. Quand la horde fut proche de lui. La créature cria. Un de ces cris que l’on ne peut pas oublier, un hurlement bestial, primitif. Le cri fut si puissant que plusieurs hommes tombèrent, morts, la cervelle coulant le long de leurs oreilles. Le groupe survivant continua la charge. L’ombre, dansait entre ses assaillants. Il en tua un grand nombre, mais, lui et ses deux amis n’étaient que trois, en face, encore mille guerriers se ruaient sur eux. Ils finirent par tomber. D’abord le Troubadour, puis le Guerrier.
Et pour finir l’Ombre elle-même. Autour d’eux, près de deux cents cadavres. Capturés, les trois compagnons furent enfermés séparément dans les cages de pierre sombre.

Lehault ressentit un vive douleur. « Pas touche, ces souvenirs sont à moi ». L’entité qui le contrôlait l’enferma plus profondément en lui.

La cidèle élevait, à présent, une bulle rougeoyante autour du golem allongé sur la stèle. Sous cette coque lumineuse, véritable manteau protecteur, la bride était lâchée.
Cassiopée contemplait le maelström de fumeroles contenues dans la bulle. Elles circulaient d'une manière totalement anarchiques et livraient à la perception de la Dame des étoiles l'intensité de l'activité mentale du golem.
Elle s'apprêtait à pénétrer la bulle quand le rouge sombre presque brun se mit à dominer. Peu à peu, le pourpre céda le pas aux teintes plus sombres pour devenir par endroit aussi noires que l'ébène. Constatant le changement de couleur, elle resta aux abords de l'aura et guetta les senteurs. Une odeur de brulé nargua ses narines.
Elle prit donc la décision qui cèlerait définitivement le sort du golem. Elle fit signe à l'invocateur situé à sa droite. Un simple regard suffit à l'homme pour qu'il sorte et revienne dans l'instant une lame très fine à la main.
Cassiopée ne s'entailla pas profondément. Elle ne déposa qu'une goutte de son propre sang sur la partie la plus sombre des fumées. La larme écarlate se dispersa dans l'instant et s'étala. Le rouge vif ne vint pourtant pas se mêler au noir ébène. Il éclatait de contraste et marquait le nuage aussi lisiblement qu'une nuée d'étoiles dans la nuit sombre. Tout d'abord dispersées, les fines estampilles sanguines s'agglomérèrent. Peu à peu le rouge prit forme de dragon.
Cassiopée mesurait l'importance de la marque draconienne. Mais elle attendit patiemment. Les minutes passaient sans que l'activité sombre ne diminuât. Bien au contraire, le nuage prenait des allures d'orage et elle pouvait sentir l'électricité environnante s'élever.
Les invocateurs surveillaient autant ses réactions que celle du golem dont les poings resserrés montraient la tension interne. Bientôt la pression fut telle qu'ils reculèrent de quelques pas, tandis que la garde se rapprocha d'eux, guettant l'éveil.
Pourtant, Cassiopée ne quittait pas la marque du dragon des yeux. Celle-ci glissait doucement à travers le maelström. Elle poursuivait avec lenteur sa progression vers le corps du Golem sans être bousculée par la colère environnante. Quand elle frôla l'épaule de la créature, elle sembla hésiter entre deux chemins mais se dirigea vers la colossale poitrine pour finalement se poser là où un cœur aurait pu battre.

» [Conf. Sang ]RP des Origines: l'Heritage [ Histoire du Sang ]
» [Conf. Sang ]Le Noeud du Fauve [Histoire du Sang]
» [Conf. Sang]Purification de Melaka [Histoire du Sang]
» [Conf. Sang] La route du Sang [Histoire du Sang]