[Lunaires] La ville souterraine

Pandore s'était laissée entraîner de ci et de là au grès des gens et des rencontres dans ce souterrain, bien mystérieux. Après avoir rencontré Jarwill, elle était devenue silencieuse... Elle n'avait rien à dire, tout simplement. Un bienvenue aurait été de mise, mais elle aimait se détacher du lot, alors elle attendait. Puis, elle était arrivée dans la Voûte des Chants. Elle avait sagement écouté les sons, les échos des preuves d'amour des fils de la belle. Elle cherchait une façon de le prouver, mais, sans magie, Pandore n'avait rien. Alors, elle prit une grande inspiration, enleva sa capuche, en détachant de ce fait ses belles boucles d'un noir de jais. Ses yeux délavés de couleur avaient l'air bien triste, et, discrètement, elle s'éloigna du groupe. Elle aimait la Lune, mais elle ne savait pas chanter, ni siffler, ni battre la bonne mesure.

A l'écoute du chant de Jarwill, une douce larme coula sur son visage. Elle aurait voulu se cacher... Essayer de parler, d'écouter sa voix sans que personne ne puisse entendre le petit sanglot de grelot, logé au fond de sa gorge. Elle chuchotait alors doucement une comptine de quand elle était seule, et qu'elle avait un peu peur du monde.

Funambule tintinnabule
Pour la belle voix d'un grelot ma belle
Chante les maux dont tu ne veux plus
Aux douces larmes de tes yeux d'aquarelle
Chante, pour les bonheurs suspendus
D'une histoire écrite au miel
Chante, Pandore, pour cette boîte qui un jour fut fendue.

Les mots, empreints de mélancolie et de tendresse, prirent alors la forme d'une caresse. Doucement, les lunaires s'étaient retournés vers Pandore, assise, comptant sa petite chanson d'une voix douce. Après avoir donné sa dernière douceur aux autres, elle se rendit compte qu'on l'observait, honteuse, elle laissa échapper un "oups", suivi d'un rire au goût d'enfance.

Grendelor s'était laissée bercée par la douce comptine de la lutine dont les mots s'étaient transformés en un vent caressant. La jeune femme s'approcha lentement de Pandore, un sourire tendre aux lèvres. Le petit oups de timidité fut vite balayé par le rire enfantin de la lutine, qui se communiqua aux autres lunaires, se répercuta sous la Voûte, devint flûte enjouée. La dame turquoise enlaça Pandore et déposa un joyeux baiser sur sa joue droite avant de l'emmener dans une folle farandole. L'un après l'autre, elle les inclut tous dans un tourbillon plein de gaieté. Alors que la Voûte se chargeait d'amplifier leurs pas et leurs rires en une mélodie endiablée, Grendelor s'occupa de leurs sentiments, exaltant leur joie et leur union confrérique. Ils ne pouvaient résister à cet élan qui les emportait et le lieu ne s'y prêtait pas. Liés par leurs mains et leurs cœurs, leur appartenance à la Lune fut ainsi scellée. Ils pouvaient le sentir. Dans toute la salle régnait une douce atmosphère, celle d'une mère accueillant ses enfants dans son giron.

Lentement, l'excitation retomba et les corps se séparèrent. Les visages restaient souriants mais le caractère de chacun reprenait le dessus petit à petit. Toutefois, ils se savaient appartenant à un même groupe maintenant et cela changeait tout. Quand bien même ils ne se connaissaient pas tous très bien, ils savaient pouvoir compter les uns sur les autres.

Avec une dernière pression, Grendelor relâcha les mains de Pandore et Sephi et attendit quelques instants que chacun reprenne ses esprits et son souffle avant de proposer de repartir dans leur exploration.

Sortant de sa rêverie, Erlidann se tourne vers ses camarades qui semblait émerveillé.

Regardant à droite puis à gauche, il ne compris pas leur admiration béate... Que pouvait-il bien regarder ?

En effet, la pièce était vide, pas un bruit ne résonnait dans l'immense caverne.

Une fraction de seconde, une image de lune, de léger murmures musicaux, une jolie comptine enfantine très touchante ainsi qu'une bouffée de joie l'entourèrent avant d'exploser en brume de rêve...

Il saisit une poignée de brume éthérée qui semblait chanter une tristesse enfantine d'une petite voix.

Il se tourna instinctivement vers Pandore et chantonna d'une voix douce, comme en transe, une chanson qu'il semblait connaître sans l'avoir jamais entendue :


Et en effet, sans s'en rendre compte, Erlidann venait d'annuler ce qu'avait effectué à sa suite les Lunaires, plus rien ne subsistait de leurs offrandes... Si ce n'est cette bluette qu'il avait saisi au vol, souvenirs d'une autre réalité dans laquelle Pandore avait imaginé cette chanson pour la Lune, leur mère à tous.

Tiens... Vous n'essayez pas de faire un peu de musique ? reprit Erlidann d'un air léger et interrogatif, inconscient de son ingérence involontaire.

L’elfe écouta les paroles du dormeur, il en ressentait un vague souvenir, comme s'il les avait entendues récemment. Il n’aurait su dire où. Quelque chose clochait, pourquoi Erlidann au parlait à Pandore, et lui chantonnait cette mystérieuse chanson. Ça ne tournait pas rond, tout le monde attendait son tour. Sephi avait l’impression d’être déjà passé, d’avoir quelque chose, cependant il n’en voyait la trace. Il avait du rêver.
A moins que …

Une idée germa en lui, il reporta son regard sur sieur Erlidann, jusqu’à quel point ce dernier pouvait annuler des choses passées autour de lui ?
Était-il capable d’influer à ce point ?

Même en se concentrant, l’elfe n’arrivait pas à retrouver s'il avait vraiment agi, il n’avait qu’une simple impression, de déjà vue concernant son idée. Mais cette impression l’incitait à douter. Son esprit se mêla à l’air de la caverne, pendant que son corps s’affaissait et s’étalait sans grâce sur le sol.

L’air avait quelque chose d’étrange, il n’était pas d’une pureté absolue, l’anti-magie d’Erlidann semblait donc laisser des traces infimes de son passage, puisque rien d’autre ne pouvait avoir agi de son avis personnel.

Sephi prit totalement le contrôle de l’air de la salle lunaire, il l’étudia, des poussières du toit de la salle voltigeait dans ce dernier, comment était ce possible ? Il avait lui-même fait en sorte que cette dernière reste intacte. Quelque chose s’était produit, mais semblait avoir disparu. L’elfe ne douta pas une seconde qu’il ne saurait jamais de quoi il s’agissait, mais il soupçonna fortement le pouvoir incontrôlé de leur dormeur, il devait trouver un moyen de l’empêcher d’agir de la sorte, flouer sa vision, le faire vivre à moitié hors de la réalité peut être ?

Il réintégra son corps, ce dernier se replaça dans une position assise bien plus confortable qu’un tas de loques sur le sol et réfléchit intensément, ses compagnons semblait le regarder sans comprendre.

L’elfe avait été tellement concentré qu’il n’avait pas vu la brume éthérée qui tournait et dansait mélancoliquement autour de l’homme au polochon. Intrigué, l’elfe attira vers lui, il joua un instant avec la brume. Il eut l’impression de rêver d’une sculpture de leur déesse dans de la roche. Étrange impression. Cette brume ressemblait à ce qui errait dans le monde de l’onirie que fréquente bien trop souvent Teysa. Vraiment étrange. L’elfe se remit à réfléchir, ignorant tout ses compagnons.

Quand Grendelor vit Sephi se plonger brutalement en transe, elle le regarda avec étonnement. Elle avait trouvé mignonne la comptine qu'avait chantonné Erli, bien qu'elle ne comprisse pas pourquoi il regardait la lutine en même temps. Cependant cette comptine semblait avoir motivé la réaction de Sephi. Alors qu'elle allait s'occuper de mettre le corps de l'elfe dans une position plus confortable, celui-ci revint. Toutefois, il ne dit rien et se plongea dans une intense réflexion qui le coupa de ses compagnons. La jeune femme était intriguée par sa réaction. Doucement, elle sonda ses sentiments et y trouva le doute qui l'habitait. Elle-même ne comprenait pas ce qui motivait ce doute mais, connaissant l'elfe, elle lui faisait confiance.

Se tournant vers les autres, elle demanda.

Il s'est passé quelque chose?

Il entendit Grendelor parler, mais ne comprit point ce qu’elle raconta. L’elfe ne voyait que peu de solution pour résoudre le problème auquel il se confrontait. Forcer Erlidann à rester attentif ? Mais encore fallait-il que ses suppositions soient justes pour que cela influe sur le pouvoir du dormeur. Si pour ce dernier transformer la réalité en rêve était un jeu, il n’y pourrait rien changer par ce biais.
Sephi pencha pour la première solution, Erlidann ne devait point se rendre compte de cette faculté. Il se basa sur le fait que ce dernier n’aurait point annulé diverses offrandes toutes plus belles à leur déesse commune. Cependant le forcer à garder son attention sur telle ou telle action serait probablement fastidieux voir impossible. La seule solution était de jouer sur la vision du dormeur. Ainsi ce qu’il ne verrait sur le moment, il ne pourrait l’altérer en repassant devant plus tard, et ce uniquement si les dites actions ne concernait pas sa survivabilité sinon il pourrait se retrouver dans une situation dangereuse.
Erlidann mangeant, annulant la magie présente dans l’air, altérer ses perceptions ne serait point simple. Surtout qu’il avait l’air d’avoir conscient de sa capacité à absorber la magie, il pourrait dès lors se douter de quelque chose et peut être même ressentir la provenance de la magie. Sephi devait donc altérer les perceptions du dormeur hors de sa capacité d’absorption ou de manière si discrète qu’il ne pourrait sentir la magie opérant et ainsi l’annuler. La tâche s’annonçait ardu et risquait de demander plusieurs tests.

S’écartant de ses pensées un court instant l’elfe s’adressa à l’ensemble de ses confrères :

Ce sont de bien jolies bouts de rêves , ajouta-t-il attrapant un des derniers fragments de brumes qui flottait dans l’air.
Qui donc les a façonnés ? A moins que l’un de vous puisse amener des rêves de l’onirie ? Ce dernier pourrait être un magnifique présent pour notre déesse s’il avait dérivé vers l’autel.

Il souffla sur la brume et l’envoya vers l’autel de la déesse, offrant ainsi un vestige des offrandes disparues. Une note tinta pendant qu’un léger souffle de vent parcourait la pièce. Piètre reste de ce qu’il fut offert, mais vestige tout de même.

Bien que ce lieu soit d’une rare beauté et emplit d’une douce magie, nous ne pouvons nous y attarder pour le moment. Vous pourrez y déposer vos présents plus tard. Le temps passe et la ville attend.

L’elfe se leva, se dirigea vers la seconde entrée de la grotte, celle-ci possédait une arche sculptée d’infime détail représentant les souvenirs d’un passé oublié. En marchant l’elfe murmurait doucement, tissant avec lenteur un voile d’air complexe.

Jarwill venait à peine d'entrer dans la grande caverne blanche qu'il vit quelques-uns des siens partir, l'air perdu. Il y flottait une légère brume et d'autres particules indescriptibles, le tout baigné dans une étonnante clarté. Ses amis magiciens avaient du se mettre à l’œuvre, mais pourquoi faire ? Nul intrus, nulle zone à éclairer, nulle personne en danger ... Toutefois la masse brumeuse semblait se concentrer au centre de la caverne au dessus d'un autel fait d'un unique bloc de marbre.

*Un jour faudrait qu'on m'explique ...*

Peu importe, il se mis à trotter pour rejoindre l'elfe au niveau de l'arche qui encadrait la sortie de la grotte. En ralentissant, il tourna la tête et le découvrit comme en transe, imperturbable et calme.

- Où allons-nous ?

Grendelor était restée perplexe face à Sephi. Ces histoires de rêve ne l'inspiraient pas. Elle sentait qu'il y avait un problème sans arriver à l'identifier. Toutefois, elle ne dit mot et emboita le pas à l'elfe sentant son pouvoir au travail. Alors qu'ils allaient sortir, Teysa fit son apparition. A son habitude, ce fut surprenant et légèrement inquiétant. Mais devant son air paisible et son sourire, la guérisseuse ne put que sourire à son tour. S'approchant de l'ange, elle toucha son front d'un air faussement inquiet.

Te sens-tu bien, Teysa? Tu as de la fièvre?, demanda-t-elle d'un ton taquin. Je ne t'ai jamais vu ainsi. Tu n'as de cesse de me surprendre. fit-elle plus sérieusement.

Se glissant contre lui, elle murmura.

Ton offrande est magnifique. La louve t'a-t-elle fait faux-bond? Je pensais la voir à tes côtés.

Jarwill les rejoignit à ce moment là, attendant de savoir où allait les mener le prochain chemin. Grendelor embrassa doucement la joue de Teysa et suggéra.

Et si tu nous menais à la prochaine salle?




De son côté, Lùthien n'avait pas attendu le départ de Teysa pour s'éclipser discrètement. Si l'ange déchu l'attirait, son instinct animal la poussait à fuir autant qu'elle pouvait. Elle profita donc du défi de la Chasse pour reprendre de la distance.

Dans cette partie qu'elle ne connaissait pas, la louve se déplaçait avec circonspection, cherchant une sortie. Elle finit par émerger à l'air libre, non loin des Palais Lunaires, dans la neige des Hautes Tourmentes. Heureusement pour elle, sous sa forme de loup le froid ne la gênait pas. Après un instant d'hésitation, la sombre silhouette se faufila jusqu'à l'entrée. Nul odeur ne lui parvenait de l'intérieur, confirmant que les membres résidents étaient tous sortis. Curieuse et aventureuse, Lùthien entra, décidée à s'installer un moment et à explorer ces Palais si étranges. Mais pour cela, il lui fallait reprendre sa forme elfique. Ce qui exigeait qu'elle trouva de quoi s'habiller.

Un sourire étira ses babines. Elle savait où chercher. A la trace, la louve trouva les appartements de Grendelor. Bien qu'humaine, celle-ci était quasiment de la taille de l'elfe. Et même si leurs formes étaient différentes, la Chasseuse avait de bonnes chances de trouver des vêtements lui allant. Aussi reprit-elle son apparence et se mit à fouiller les armoires de la dame turquoise. Quand elle ressortit, nul n'aurait reconnu en cette femme élégante la sauvage Chasseuse. Elle était vêtue d'une longue robe blanche, chaussée de bottines à talons hauts et ses cheveux noirs étaient piquetés de fleurs en cristal rose. Ainsi méconnaissable, Lùthien commença son exploration, se demandant si Teysa la chercherait ou si sa folie l'éloignerait.

Un air de flûte titilla agréablement les oreilles de l'elfe. La mélodie, douce et ondulante, parcourait tous les palais. Un sourire mutin étira les lèvres de Lùthien. Ainsi, il était venu. Il lui avait fallu peu de temps mais ce n'était guère plus étonnant que s'il n'était pas venu. Puisqu'il lui offrait un chemin pour venir à lui, elle le ferait. Au moins dans un premier temps.

Il ne lui fallut pas longtemps pour comprendre que son hôte se trouvait là où elle était à peine quelques instants auparavant. Revenant donc lentement sur ses pas, l'elfe apparut au détour du couloir, marchant gracieusement, langoureusement, jouant à son avantage de la souplesse de sa race et de la puissance du loup. Il était assis, adossé au mur, la flûte aux lèvres, l'air paisible. Lùthien s'approcha, souriante, ses yeux dorés fixés sur Teysa, à l'affut de ses réactions.

Après la disparition subite de Teysa suite à l'intrusion qu'ils avaient tout deux sentit, les autres membres se regardaient interloqués. Ne sachant que faire. Sephi regarda l'Arche et se dit qu'après tout, il avait quasiment fait visiter tout seul les souterrains jusqu'à présent, donc autant finir sans Teysa. Cela montrerait à tous l'image d'un chef absent, tel la réalité. Après tout un juste retour des choses.


Bon, si on attend l'autre gus, dans 4 ans nous prendrons encore la poussière dans le coin. Nous ne sommes plus loin de la ville. Si cela vous intéressent toujours veuillez me suivre.

L'elfe se dirigea vers l'Arche et la franchit, abandonnant la salle aux offrandes et toute idées d'agir contre Erlidann. D'autres pensées le préoccupait. Qui donc s'était infiltré dans les palais ... Il poserait la question à Teysa lorsqu'il le croiserait de nouveau.

Après l'arche un vaste couloir rectangulaire de marbre blanc semblait s'étendre sur une grande distance. Au loin une légère clarté semblait pointée, là ou la blancheur des pierres disparaissait dans l'obscurité.

Le sourire de Lùthien s'étira un peu plus à la réflexion de l'ange.

Qui parle d'erreur? Quel meilleur endroit pour vous attirer que votre tanière? L'elfe secoua doucement la main avec un faux air dégoûté. Les souterrains... Ici, fit-elle en balayant l'air, faisant froisser l'étoffe de sa robe, c'est bien mieux. Et puis, j'ai pu trouver quelques vêtements à ma taille, ajouta-t-elle en tournant sur elle-même comme une dame frivole. Personnage qu'elle avait joué pendant des années. L'elfe s'approcha de Teysa et posa légèrement sa main gauche sur son bras droit. Me ferez-vous visiter votre demeure? fit-elle d'un ton espiègle et enjôleur.

Lùthien s'amusait beaucoup. Face à la personnalité mystérieuse et teintée de folie de l'ange, elle jouait la dame de compagnie. Un délice. La Chasse ne se satisfaisait pas que d'une poursuite physique

Jarwill ne comprenait pas bien ce qui se passait avec Teysa, mais vu les regards interloqués des autres Lunaire, il n'état pas le seul. Peu importe. Il décida de suivre l'Elfe, visiblement décidé à continuer la visite après cet arrêt dans l'étrange salle.

L'immense arche donnait ensuite sur un long couloir aussi étrange que la précédente salle. Le marbre était d'un blanc étincelant, à en décoller la rétine d'un orque. De grandes statues étaient disposées de façon régulière sur les murs de chaque coté. Jarwill s’arrêta devant la première. C'était un soldat, lance en main, avec un heaume qui lui était en métal. Ou plutôt un garde. Peut-être.

- Où allons-nous exactement ?

Le temps semblait s'être figé. Agacée par la tournure des évènements auxquels elle ne comprenait pas grand chose, mais ayant bien saisi que leur principal "soucis" était le dénommé Erlidann et sa facheuse tendance à se perdre dans la lune, trait lunaire qu'il semblait posséder à son plein potentiel, Grendelor décida de prendre les choses en main. Ou plutôt par le bras. De l'un, elle se pendit à Erlidann avec la ferme intention de lui faire garder l'esprit avec eux et de l'autre, elle accrocha Jarwill. Le pistoléro l'intéressait plus que les autres compagnons pour le moment. La jeune femme avait bien évidemment remarqué les deux armes qui pendaient à ses flancs mais surtout sa capacité à sentir les êtres lui laissait entrevoir que ce n'étaient pas de simples morceaux de métal. ce qui excitait sa curiosité.

Sephi, je propose d'aller directement à la taverne. Je crois qu'un moment de détente ferait le plus grand bien à tout le monde. Les garçons, suivez-moi, fit-elle avec un grand sourire à Erlidann et Jarwill.

Pendant qu'ils traversaient le couloir orné de statues, Grendelor fit la conversation.

Ici, ce sont les représentations des grands traits lunaires : le premier est le défenseur, car nous devons nous défendre les uns les autres mais aussi défendre les plus faibles même s'ils ne sont pas lunaires. En face, nous avons la femme maternante, fit-elle en désignant une femme aux formes imposantes tenant un enfant dans son giron. Nous devons être bienveillants envers nos compagnons, les soutenir comme une mère le fait avec son enfant.

Et ainsi de suite, la dame turquoise détailla une dizaine de sculptures. ils traversèrent enfin une nouvelle arche qui ouvrit sur la ville souterraine proprement dite. La vue était à couper le souffle. Creusées dans la roche, des centaines de bâtiments, des escaliers, des jardins, le tout enclavé dans une immense caverne. Laissant quelques instants à ses compagnons pour admirer la vue, s'assurant au passage que toute l'attention d'Erlidann était ici, Grendelor les fit ensuite descendre un chemin et rejoindre la place centrale où tout convergeait. Etaient installées sur place des tables et des chaises, pour la plupart occupées, servant de terrasse à la taverne "privée" de l'Effronterie Lunaire : "A la Lune haut perchée". La foule était bigarrée et personne ne se retourna sur le passage du petit groupe, quand bien même certains reconnurent Sephi en sa qualité de bras droit de Teysa.

Grendelor fit installer tout le petit groupe en rapprochant quelques tables. Tout le monde commanda quelque chose à boire, pour la magicienne ce fut une menthe à l'eau, et enfin elle put poser à Jarwill la question qui lui brulait les lèvres.

Je peux voir tes armes? Si elles veulent bien?

Jarwill suivit, ou plutôt se fit embarquer par Grendelor très sure d'elle dans le couloir aux statues. Du guerrier à la mère, en passant par le pauvre et l'enfant, toutes les valeurs et tous les statuts sociaux y étaient intégralement représentés de la plus belle manière qu'il soit. Avant ces explications, il ne se doutait pas qu'elles puissent avoir une profonde valeur à la confrérie. Il était également fasciné par tout le savoir de la magicienne.

Erlidann lui demeurait énigmatique. Il ne parlait pas beaucoup, mais gardait constamment dans ses yeux une trace de fascination. D'autant plus lorsqu'ils avaient franchi la seconde arche, mais qui ne l'était pas devant la splendeur de cette caverne, si l'on pouvait l'appeler encore comme ça.

Une fois servis, il sentit à nouveau le regard de la dame se poser sur lui, mais cette fois-ci la question tomba :

Je peux voir tes armes? Si elles veulent bien?

Jarwill fut d'abord quelque peu déconcerté : comment sait-t'elle ? Après avoir repris ses esprit, il se souvint en avoir parlé à Cordelia dans la Taverne. Elle avait probablement dû lui en parler suite à leur entretien. Sa bouche grande ouverte se transforma alors en un sourire et lui répondit :

- Bien entendu ! De toute manière, elles n'ont rien à craindre de toi.

Il recula légèrement sa chaise de la table et décrocha les deux fourreaux de sa ceinture pour les poser délicatement sur la table. Ils étaient faits d'un métal noir, simples, sans pierres précieuses ou autres décorations qui ne feraient que les alourdir et le gêner. Les poignées étaient recouvertes de lanières de cuir beige enroulées jusqu'à un manchon d'ébène.

- Voici Elisa et Ayala, lui dit-il tout en les poussant vers Grendelor du bout de l'index.

Grendelor prit respectueusement les deux armes que lui tendait Jarwill. A leur contact, elle eut la confirmation de la présence d'esprits.

Bonjour, jeunes filles, fit doucement la télépathe.

Elle admira la simplicité des armes et fit part de ses réflexions et interrogations.

Avez-vous toujours été ainsi? Ou bien vos âmes ont-elles été transférées?

En même temps qu'elle posait les questions directement, Grendelor jeta un coup d'oeil vers Jarwill car elle ne savait si Elisa et Ayala pouvaient lui répondre directement.

Je possède moi-même une cape de combat redoutable qui contient l'esprit d'une grande guerrière, à l'humour tout à fait caustique. C'est une amie proche mais son âme est si vieille qu'elle préfère le calme de ma chambre aux expéditions souterraines, fit la magicienne avec un sourire complice.

Se tournant vers Jarwill, elle ajouta.

Tu as de la chance, mais je pense que tu le sais.

Revenant aux deux armes, Grendelor prit un ton taquin.

J'espère qu'il s'occupe bien de vous, sinon, je lui tirerai les oreilles !

- De mémoire d'acier, oui nous avons toujours été comme ça.
- Mais peut-être qu'il y a eu transfert, qui sait ?
- Faudrait qu'on retrouve ce forgeron non ?
- Ah bon et tu comptes y aller comment ? Avec tes petites jambes ?
- [...]

La conversation des deux dagues fut mise au second plan par les oreilles de leur propriétaire, et il revint aux paroles de Grendelor. Son regard mystérieux s'était effacé depuis qu'elle vit les armes, mais elle n'en resta pas moins enthousiaste. Visiblement, il n'était pas le seul à avoir des amies étranges. Et dire qu'on l'avait prit pour un fou à plusieurs reprises ...

- Ca dépend, quand elles ne se mettent pas à faire les pipelettes, oui je pense que j'ai de la chance. Mais elles aussi, je les bichonne plus que bien ...
- Mais je te dis que ... Hein ? Nous ?
- Bah qui veux-tu que ce soit ?
- S'il vous plait mesdemoiselles ...

Jarwill leva les yeux vers la dame d'un air suppliant.

- Peut-être qu'une présence féminine arrivera à les faire taire ... En tout cas je n'y suis jamais arrivé ... Mais dis-moi, tu as cette cape depuis longtemps ?

Erlidann avait suivi Grendelor avec entrain, très intéressé par la découverte des souterrains qui semblaient empreintes de souvenirs et de magie. L'histoire de sa famille d'adoption l'intéressait aussi vivement, heureux d'en apprendre plus sur les lunaires.

Jarwill ne dégageait qu'une faible aura magique. Le semi-elfe fut déçu de découvrir un lunaire dépourvu du talent que semblait montrer tous les autres. Son intérêt remonta en flèche une fois qu'il eut admiré les deux armes noires ébène que portait le nouveau lunaire à sa taille. Elles lui semblaient intéressantes...

- Des âmes enchâssées dans un réceptacle... Sommes-nous si peu de chose ? murmure Erlidann les yeux rivés sur les deux étranges choses discutant vivement.

Les yeux dérivant doucement vers l'infini, le rêveur plonge doucement dans ses réflexions qui l'emmène loin de tout, dans son espace personnel où il élabore souvent milles explications sur l'univers, la vie et...

- Ouille ! couine-t-il en lançant un regard offusqué à Grendelor dont le pied venait de percuter son tibia. La dernière, toute dans sa discussion continue sans lui prêter plus d'attention que cela.

Reportant son regard sur Jarwill, il se remet à suivre leur discussion à propos d'objets pensants.

Malgré leur conversation passionnante avec Jarwill, Grendelor n'avait pas oublié de surveiller Erlidann et, dès que celui-ci faisait mine de se perdre dans ses pensées, elle le ramenait violemment à la réalité.

En écoutant les deux âmes parler, la guérisseuse éclata de rire.

Mon pauvre, à croire que c'est un trait de caractère des objets enchantés, à moins que ce ne soit typiquement féminin, mais Sharrya est elle aussi une indécrottable bavarde. J'ai toujours pensé que c'était parce qu'elle n'avait pas souvent l'occasion de discuter, alors quand elle le peut, elle dit tous les mots qu'elle n'a pas dit depuis la dernière fois. Essaie de discuter plus souvent avec elles, tu verras si ça change quelque chose. Et puis, maintenant, nous pouvons aussi leur parler, ajouta-t-elle avec un grand sourire pour les deux armes.

La magicienne s'arrêta un instant pour prendre quelques gorgées de son verre. Puis elle reprit.

Je possède Sharrya depuis près de 15 ans maintenant, je l'ai héritée d'une autre femme, qui était malade et cherchait quelqu'un à qui la confier. Ho, ça n'a pas été facile ! Elle m'a fait passer tout un tas d'épreuve pour tester ma droiture etc, mais le plus dur a été la rencontre avec Sharrya elle-même et d'obtenir son approbation à elle.

D'un coup d'oeil, Grendelor vérifia qu'Erlidann était toujours avec eux. Une question venait à son esprit.

Elisa et Ayala? demanda-t-elle, j'ai une question pour vous, même si Jarwill pourrait peut être y répondre. Vous êtes des armes offensives mais vous avez votre propre âme. Peut-on vous utiliser sans votre consentement? Sharrya, si elle ne veut pas obéir à son possesseur, n'est "qu'une cape", qui a tout de même la particularité d'être indestructible, ce qui fait au moins une bonne protection, même si elle n'en a pas envie. Par contre, son libre arbitre en fait une alliée de poids dans un combat.

En attendant une réponse, Grendelor se remit à siroter sa menthe à l'eau.

- Oh je me plains, mais ça m’aide bien dans mes marches en solitaire d’avoir deux personnes à qui parler. C’est peut-être bizarre, mais oui je les considère bien comme des personnes, non pas comme de simples âmes dans des objets.

La menthe à l’eau entre les délicates mains de sa consoeur lui rappela qu’il n’avait encore rien commandé. Et pourtant, cette discussion mériterai bien un rafraîchissement. Il fit signe au tavernier de lui apporter la même chose.

- J’en reviens donc à ta question de libre arbitre de mes chéries, c’est un peu pour ça que ce sont pour moi des personnes à part entière. Quand elle ne veulent pas faire de mal, le fil de leur lame devient aussi dangereux qu’un enfant avec une spatule en bois ... Autant te dire que quand elles n’ont pas envie, vaut mieux pas forcer la chose.

Jarwill baissa les yeux et regarda ses deux demoiselles. Leur acier, bien que noir, est tout aussi éclatant que la pleine lune. Étrange mystère. En relevant la tête, son regard se posa sur Erlidan, toujours aussi silencieux.

- Et toi Erlidann, d’où viens-tu ? Que fais-tu ici ?

Les yeux fixés sur les deux lames parlantes, le jeune semi-elfe se perd dans des considérations métaphysiques.

- Donc en arrachant l'âme d'un être conscient à son enveloppe charnelle, on peut le forcer à vivre éternellement dans un objet ? C'est effrayant et fascinant...

- Et toi Erlidann, d’où viens-tu ? Que fais-tu ici ? lance Jarwill, interrompant la réflexion de son interlocuteur.

- Je ... Moi ? D'où venons-nous ? C'est une grande question. Pour répondre simplement, j'ai passé un long moment dans la forêt à l'ouest de la grande cité d'Echoriath avant de partir explorer le monde. J'ai découvert que la magie était une chose très intéressante à manipuler mais je n'ai pas les compétences pour la créer... Comme vous avez pu le voir tout à l'heure, il semblerait que je détruise tout ce qui est magique en le touchant... Je ne sais pas encore exactement comment cela fonctionne exactement mais c'est très intéressant. C'est pourquoi même si vos deux amies me semblent particulièrement intéressante, j'éviterais de les toucher... Le mécanisme qui les lient à cette ouvrage de forge serait pourtant très intéressant à dénouer...

Mais en même temps, manipuler des âmes m'épouvante ! Imaginez, vivre à jamais dans une pièce de métal... Même si elle est magique et que c'est une forme d'amortalité en quelque sorte mais quelle amortalité !

Mais enfin bref, revenons à nos moutons ! Teysa m'a invité lors d'un de mes rêves à venir le rejoindre dans sa famille, je suis donc venu ici. Défendre une cause plutôt qu'une autre si elle peut m'enseigner quelque chose est une justification valable à mes yeux.

Et le monde des rêves est une si belle chose. Sa logique est tellement plus normale...

Au fur et à mesure de sa tirade, les yeux du Rêveur se tournent progressivement vers l'infini, passant d'une concentration extrême au vague.

Grendelor avait écouté Jarwill puis Erlidann avec intérêt. Ce dernier était une curiosité à lui tout seul. Il avait l'air inoffensif et sa connaissance de lui-même paraissait tronquée. Si le côté magie le fascinait, il ne semblait pas se rendre compte de ses rêveries ni de ce qu'elles impliquaient. La magicienne elle-même ne savait pas exactement ce qui se passait mais le lien avec le regard vague qui s'installait peu à peu sur Erlidann ne faisait aucun doute dans son esprit. Aussi dès qu'elle sentit que le Rêveur lâchait prise, la jeune femme lui donna un coup de pied dans le tibia, s'excusant tout de suite en prétextant un étirement un peu violent. Le regard d'Erlidann reprit de la vivacité.

Le reste de la tablée était étrangement calme, chacun dans ses pensées ou écoutant religieusement la conversation. Grendelor sourit et transmit un claquement de langue mental à Sephi. L'elfe sursauta et lança un regard interloqué à la dame turquoise.

La lune à la lune ! fit-elle d'une voix taquine. As-tu prévu un final pour cette petite expédition ou bien te laisses-tu porter par l'air du temps? A moins que nos compagnons n'aient une envie particulière?

Sephi écoutait ses confrères parler à la table de la taverne depuis un moment. Lentement il se perdit dans ses pensées. La ville, survivrait-elle à la guerre imminente qui s'approchait de Galvorn.

Émergent sous le coup du claquement mental de Grendelor l'elfe réfléchit un temps.

Un final ? Non, cette ville n'offre rien de plus que ce que l'esprit veut nous faire découvrir. Ils trouveront de plus jolies merveilles par eux même que si nous les conduisons dans nos endroits préférés. Cela dit, si certains d’entre vous veulent un aperçu du haut de la ville ... Derrière la maison des Lunaires un passage mène à une corniche surplombant la ville et niché sur le haut es parois.

Après ces paroles, l'elfe commanda une tournée à l'aubergiste. Puis se tourna vers ses compagnons.

J'espère que la visite vous à plut. Je suis désolé mais je vais devoir vous laisser, des affaires plus urgentes m'appelle. Si vous avez besoin, passer dans ma demeure de Sul Nâr on vous dira où me trouver.

Après avoir bu son dernier verre, Sephi se leva. Saluant ses compagnons il s'en fut, sifflant doucement. Quelques instants plus tard un phénix d'or apparut à ses côtés. Il tourna le coin de la rue et s'en fut à Sul Nâr dans un éclair d'or. Ses compagnons semblait prometteurs, meurs honneurs à mère lune avaient été magiques.