[Suivi] Lyn

« Marc, je te quitte. »
La sentence était tombée, juste à côté de ma pauvre voiture carrément risible, sur le parking réservé aux professeurs. J’avais pris ma voix sévère pour la prononcer, ma voix de professeure de philosophie excédée. Mon ton autoritaire de trentenaire en pleine crise. Bref, mon intonation de rupture. Marc me regarda d’abord avec un sourire moqueur, l’air de me dire « tu rigoles, j’en ai vu d’autres, je sais que tu n’en est pas capable ». Il me connaissait bien lui, mais cette fois… Cette fois, c’était différent. Je ne pouvais pas continuer cette relation puérile et sans avenir. Je ne voulais plus me cacher: je rêvais de liberté. Cet « amour » était trop lourd à porter.
En voyant que je ne changeais pas d’expression, le visage de Marc se décomposa. Pour la première fois depuis le début de notre relation, je voyais son visage d’enfant. Son vrai visage. Marc n’avait que 19 ans après tout, un vrai gamin en soit. Je l’avais aimé pour ça, mais c’était aussi pour ça que je le quittais.
Cela faisait plusieurs mois que ce petit jeu durait. Une relation toxique entre un élève et son professeur. Quel cliché. Mais j’étais en pleine crise existentielle, enfermée dans un mariage que je ne supportais plus, condamné à faire ce boulot minable et mal-payé toute ma vie... Alors quand Marc a débarqué, avec son sourire innocent, sa peau de bébé et son corps encore jeune et beau, je n’ai pas résisté. Mais là, c’était bon. J’allais divorcer, peut-être me reconvertir dans un autre métier, qui sait ? Une chose était sûre : plus rien ne serait pareil à partir d’aujourd’hui.
« - Arrête de délirer Karen, dit-il avec un air triste et désabusé. Allez monte dans la voiture.
- S’il te plaît, je ne rigole pas. Ca ne peut plus continuer. Tu le sais et je le sais. Ca sert à rien de continuer à se faire du mal comme ça.
- Mais qu’est-ce que tu racontes ? Tu m’fais pas de mal ! Et j’ai pas l’impression de t’en faire non plus, j’aurais plutôt dit le contraire.
- Ne fais pas ça, le suppliais-je, tu sais bien que je fais… ce qu’il faut.
- Ce qu’il faut ? Mais on s’en fout de « ce qu’il faut » ! C’est ton âge, c’est ça ? Ou parce que t’es ma prof ? Personne ne sait ce qu’il y a entre nous Karen.
- Il y a ça, mais ce n’est pas tout. On est absolument pas fait l’un pour l’autre, faut te rendre à l’évidence ! Non mais on est pas ridicule là franchement ! Marc, on a rien à faire ensemble, c’est tout. J’ai mis trop de temps à le comprendre, je te l’accorde, mais maintenant que c’est fait, je ne reviendrais pas sur ma décision. C’est fini, point barre. »

Il me regarda longuement, puis compris. Il savait que j’étais sérieuse. Alors, il s’approcha de moi, et m’embrassa avec passion. Un baiser d’adieu sans doute.
Alors que je lui rendais son baiser (je lui devais bien ça), j’entendis un bruit derrière moi. J’eu le réflexe de m’écarter aussitôt de Marc. Je me retournais et vu ce que j’avais toujours crains de voir.
Derrière nous se tenait le directeur de la faculté, mon patron.
Et, comble de la malchance : cet homme était également mon mari.
Mais le pire, c’est qu’il nous regardait. Il avait tout vu.
Il nous observait, la bouche entrouverte et les yeux écarquillés sous l’effet du choc. Ses clés gisaient par terre, sa sacoche également. Encore le contre-coup je pense. Je le regardais, puis regardais Marc. Il avait l’air d’un enfant pris sur le fait, un pauvre gosse qui s’était avoir alors qu’il faisait une bêtise. Et tu parles d’une bêtise.
Mon mari sembla peu à peu retrouver ses esprits. Son visage passa de la surprise à la colère. Une rage profonde.
Il fit un pas, puis deux.
Il avança vers nous et se planta devant Marc. Il me lança un regard. Un regard fou que je ne lui connaissais pas. Puis il sourit d’un sourire cruel et dans un geste totalement inattendu, il frappa Marc en plein visage.
Puis il s’éloigna en ricanant, sans se retourner.

Je ne m’étais pas trompé : plus rien ne serait pareil après cette journée.