[ Confréries Sang]Voies de Guérison

L’invisible n’est pas Néant. Il se discerne toujours dans les dédales du temps. Dans le passé, il brillait un peu. Dans le delà, il chante à son oreille.
Cassiopée percevait le son. La mélodie était lente comme la marche d’un revenant. Mais ce qu’elle distinguait le mieux, c’était l’énergie qui l’accompagnait. Elle était en boule, recroquevillée sur elle-même mais ne demandait qu’à s’épanouir et à se diffuser pour les recouvrir tous.

Alors qu’elle se relevait doucement pour ne pas brusquer les éléments, elle s’approcha d’abord de Sanz. Le visage serein qu’elle lui vit lui parut si nouveau qu’elle le contempla un moment, étonnée de le trouver en paix. Elle ébaucha un geste vers sa face, mais retint sa main pour finalement se diriger vers Nayima, laissant Sanz aux soins des invocateurs.

La femme qui se tenait allongée devant elle lui parut soudain bien étrange. Plus rien de recouvrait sa peau à présent. Elle était aussi nue qu’une Vénus sortie des eaux, le corps simplement baignée de la lueur qui irradiait la pièce.
Les invocateurs s’apprêtaient à la perfuser quand Cassiopée les écarta d’un simple geste et leur fit signe de s’éloigner.
Le ventre de la femme était barré d’une cicatrice difforme. Le trait boursouflé et rouge s’étendait de part en part sur son abdomen. Ce qui avait été une plaie vive un moment auparavant avait déjà commencé une régénérescence étonnante.
Cassiopée passa doucement sa main sur la blessure en fredonnant une incantation légère destinée à alléger les tensions. Elle n’avait pas le pouvoir de réparer la meurtrissure. Nayima se chargeait parfaitement de raccommoder la balafre mais, Cassiopée sentait la brûlure interne qui demeurait et ulcérait son corps. Elle fit la grimace et soupira.

-Il n’est pas nécessaire de la transposer. Nous devons seulement l’isoler et la mettre à l’abri rapidement. Son corps se remettra quoiqu’il arrive. Mais, maintenant qu’elle est marquée, nous devons la protéger et la faire nôtre définitivement en espérant qu’elle supporte tout ceci et n’en devienne pas folle.

Comme en réponse à ses souhaits, quatre fées d’Ohr pénétrèrent dans la salle des invocations.

La garde rapprochée de Cassiopée n’avait pas besoin d’être nommée pour connaître sa tâche.
Les fées d’Ohr s’étaient connectées à la Dame des Etoiles le jour où elles avaient vu le Sang pur de Cassiopée et l’avait accepté comme protectrice. De cette protection résultait pour la Gardienne Harmonique une défense sans faille et un appui indéfectible de la part de magiciennes rompues à la guerre.

La peau de l’elfe était laiteuse et fine et ombrée de ramures qui dessinaient un entrelacs de branchages à peine visibles. Elle sentait l’humus frais dans la rosée d’un matin.

Cassiopée aurait voulu dès maintenant l’interroger et en extraire toutes les informations qui lui manquaient pour savoir jusqu’où son pouvoir s’étendait et d’où elle venait réellement.
Trop d’inconnus restaient sans réponse pour qu’elle apprécie réellement l’aide potentielle que l’elfe pouvait apporter à leur Prince.

Mais Cassiopée était trop consciente de la présence invisible d’une énergie latente autour d’eux. Elle avait la sensation étrange d’être recouverte d’une pensée flamboyante. Tout son être se mit à l’écoute du moindre frémissement de l’air.

Un phénix, tel qu’elle l’avait perçu dans ses rêves lorsqu’elle touchait l’au-delà.
Un phénix, comme celui qu’elle avait vu au fond de la grotte dans un songe dont Sanz avait été maître. Cette nuit là, il y buvait à l’eau claire de la fontaine en répandant un savoir rare et précieux.
Ce phénix était devant les yeux de Cassiopée et irradiait de beauté. Son plumage flamboyait des éclats chatoyants des feux vitaux. Et la Dame des étoiles était particulièrement sensible à l’énergie qu’il déployait dans la délicatesse de son majestueux corps élancé.

Lorsque Cassiopée avait reçu le message de l’oiseau de feu, elle avait d’abord hésité devant le savoir non humain qu’on attendait d’elle. Puis, parce que son âme s’était senti en repos, elle avait ouvert sa perception et s’était plongée presque sans hésitation dans les abysses des infinis qui lui étaient offerts, vers l’au-delà, là où sa propre histoire quittait les marges temporelles.

La langue des étoiles, suprême langage que la bouche des humains ne peut formuler sans se blesser. Une langue sans vocable.

Devant le phénix, Cassiopée semblait grandie comme si la puissance des cieux redressait sa personne. Nul ne pourrait dire, alors, qui pouvait entendre ou comprendre ce qu’il se passa alors. Les êtres communiquaient :

-*Tu es l’être sublime, celui dont la chair n’est que souvenir et futur à la fois. Celui dont le souffle ressemble au chant de la terre lorsqu’il se mêle aux Vents en une union féconde. Tu es l’éternel recommencement et le porteur de merveilles.
Merci d’être venu ici jouer le rôle de celui qui cache le Sang à ses ennemis.*

Autour d’elle, le temps semblait avoir figé les corps dans une posture propre à l’instant. Les gestes arrêtés dans leur élan apportaient au décor l’aspect évanescent d’une peinture irréaliste.

Le phénix avait les ailes largement ouvertes comme s’il s’apprêtait à leur donner l’élan qui le soulèverait pour l’emporter au loin. Mais il se tenait simplement immobile sans planer, sans voler, sans émettre le seul battement qui aurait pu perturber l’atmosphère.
La scène, comme figée dans le temps, le rendait majestueux et son feu irradiait l’espace environnant.

Cassiopée contemplait le tableau lumineux et sa brillance naturelle y gagna en intensité.

- Peut-être connais-tu les réponses à toutes les questions qui peuplent mon âme curieuse ou indécise, même si je doute des capacités de l’inconnu.
Mais je vais considérer que tes répliques me permettront l’ouverture de portes que je cherche assidument.

Cassiopée parut se concentrer profondément. Elle prit le temps de longuement se préparer pour demander :

Ma première question sera savante. Pourrais-tu me dire comment ne pas se perdre pour atteindre la source des rêves ?

Etaient-ce les passages successifs dans des rêves créés de toutes pièces par son compagnon ou la crainte plus subtile d’un monde Onirique plus complexe où les limbes sont proches qui la poussa à choisir cette demande ? Toujours est-il qu’à cet instant la question lui paraissait vitale.

Cassiopée réfléchissait à la réponse qu’avait formulé le phénix.

Tous les évènements que leur groupe avait supporté depuis leur rencontre fortuite avec la femme arbre, puis la guerrière au lion, et pour finir avec ce phénix aux pouvoirs surnaturels, les avaient amenés à voyager dans les rêves pour survivre.
Le monde des rêves semblait peu à peu les envahir et Cassiopée craignait leur pouvoir sur les hommes. Si elle voulait protéger l’humanité, aurait-elle, un jour, le devoir de plonger dans la mémoire profonde pour atteindre la source des rêves ?

« La mémoire est infinie » avait exprimé le phénix. Et l’infini se perdait dans le Néant.
Elle était convaincue que de la survie de l’humanité se tressait intimement avec la survie du Sang et son rôle protecteur de l’Harmonie la disposait à s’interroger sur cette mémoire qu’il convenait de suivre à la trace pour en rechercher le fil et ne pas le perdre.

Un long moment semblait s’étendre entre les deux êtres lumineux qui se faisaient face. La Dame des étoiles luisait d’une douce clarté quand le Phénix irradiait un nuage moiré autour de ses plumes de feu. Leur lumière était comme un sourire au Néant, un pied de nez à l’inconnu.

Cassiopée voyait le chemin qu’il lui restait à parcourir, mais elle sentait que sa force résiderait dans l’union. C’est ce sentiment ultime qui la conduisit à formuler sa deuxième question :

-Que puis-je faire pour que les Vents te murmurent de nous conserver ta protection ?

Mais au fond d'elle, Issac, Tisseur de Vents, grondait déjà.

Il est sage d’être homme au sein de l’Humanité afin de la comprendre. L’Eternité ne lui sied pas, elle l’envahit trop vite et le perd. L’homme ne s’accroche alors plus à rien et ne peut plus avancer.
Cassiopée avait oublié pour survivre dans le monde du vivant. Mais chacune des parcelles d’Eternité était écrite en elle avec une encre indélébile mais sympathique. L’Eternité résonnait en elle au contact du phénix.
Dans les yeux de la Dame des Etoiles, les feux qu’elle contemplait dansaient dans un mouvement incessant. Elle y voyait des mondes dans le miroir du temps, des mondes perdus et des mondes inconnus. Des mondes d’un autre temps.

- Miel m’est inconnu. Mais je partirai à sa recherche si tu me dis où le trouver. Ta deuxième réponse m’obligera à te poser une troisième question pour que tu m’indiques où le trouver. Indique-moi avec précision ce que je dois faire pour entrer en contact avec lui.

Autour de Cassiopée, la réalité commençait reprendre quelques droits et dans une vapeur incertaine, les images du réel tentaient de montrer quelques couleurs. Elles ondulaient en vagues de brumes et Cassiopée commençait à sentir sous ses pieds la terre s’affermir. Mais rien encore n’était totalement concret.
Inquiète de la tournure que prenait cet instant, elle s’écria :

- Ne pars pas Phénix ! Comment te nommes-tu, que par ton nom je puisse t’appeler ?