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 TROPHEE POE

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2 participants
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dale cooper

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Masculin Nombre de messages : 7649
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MessageSujet: TROPHEE POE   TROPHEE POE Icon_minitimeJeu 2 Jan - 20:35

TROPHEE POE Poe_t110



Amateurs de fantastique et de récits horrifiques, à vos plumes !
Vous pensez que vos écrits méritent de recevoir le trophée Poe ? Seuls les aelissiens en seront juges. Les votes sanctionnant vos duels auront lieu sur ce topic.



Pour lancer un duel :
Citation :
Moi, XXXX(nom du challenger)
Je défie XXXXX (nom du champion).
Le trophée Poe doit me revenir.

Je le défie d'écrire un texte sur le thème XXXX
Il aura pour contrainte : XXXX
Nos textes devront être remis à l'arbitre avant XXXX(date)
S'il refuse mon défi, je deviendrai détenteur du trophée!!

Pour voter :

Citation :
Il vous suffit d'indiquer dans votre réponse à quel texte va votre préférence.

Vous pouvez bien entendu développer votre vote et l'accompagner d'un commentaire pour mettre en valeur les qualités et défauts du texte au niveau stylistique, lexique, orthographique ou en fonction de son originalité, son respect des contraintes et du thème demandés.


Jusqu'ici les duels qui ont lieu pour le Trophée Verlaine ont vu s'opposer :

octobre 2014
Aillas vs Mike001

victoire de Mike001

décembre 2014
Mike001 vs Nicolas vs Bouche Dorée

victoire de Bouche Dorée

octobre 2015
Bouche Dorée vs Nicolas

victoire de Nicolas


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Mike001
Coordonnateur Littéraire
Mike001


Masculin Nombre de messages : 2662
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MessageSujet: Re: TROPHEE POE   TROPHEE POE Icon_minitimeSam 18 Oct - 16:23

TROPHEE POE Ban_po10

Ultime trophée sans détenteur, le Poe a été mis en jeu début septembre pour la première fois, et ce par Marcus Junius Brutus. Mike001, entendant l'appel a relevé le défi, vite talonné par Aillas, en troisième homme.
Seuls Aillas et Mike001 ont envoyé leur texte à l'arbitre.


Le thème était : « Abilly 1918 »


Mike001, texte 1, a obtenu 6 votes sur 10 et par conséquent a remporté le trophée.

Citation :
Abilly, novembre 1918

La routine reprenait son cours à Abilly. La France victorieuse avait été la cause de deux semaines de festivités amicales dans le village ; désormais les tables installées dans les rues pouvaient retourner à leurs places et les moulins nettoyer la farine à plein rendement.

Madeleine Comty se brossait les cheveux, assise à son bonheur-du-jour. Le meuble en acajou de facture anglaise était le dépositaire des lettres secrètes transmises par ses soupirants ; elles étaient cachées dans la plinthe. Certains soirs elle les relisaient pour flatter son ego ; l'expéditeur importait peu. Madeleine ne regrettait pas d'avoir fait des pieds et des mains auprès de son père pour obtenir la coiffeuse. Même si elle avait dû promettre de bien se tenir et de l'accompagner à plusieurs soirées officielles. Elle comprenait que son père désirât la présenter à la haute société, après tout elle serait majeure l'année prochaine et il fallait un bon parti à la fille d'un diplomate français. Mais ça ne l'empêchait pas de l'agacer, elle préférait choisir seule ses relations. Elle se considérait pleinement apte à charmer les garçons de bonnes familles et à repousser les autres. Un langoureux regard dans le miroir de sa coiffeuse la conforta dans ses pensées. Elle avait de longs et fins cheveux noirs, des yeux amandes de couleur châtaigne, une petite bouche en cœur, un menton rond. Elle se trouvait belle et elle savait à la façon dont les hommes la regardait qu'ils étaient du même avis. Du reste, son sourire n'avait jamais été aussi éclatant. Cela faisait quinze jours qu'il s'affichait ; Madeleine peinait à le contenir. Il s'était installé depuis que la fin de la guerre avait été annoncée et que son père en avait profité pour prendre des vacances du Danemark. Il avait été absent pendant quelques mois et mine de rien, il lui avait manqué.

La famille Comty – la conséquente famille puisque Alexandre-Robert Comty et son épouse, Nelly Le Roy, avaient eu sept enfants – était tout juste réunie au complet que se tenait déjà une soirée de départ en l'honneur de monsieur Comty. Amis, connaissances professionnelles et autres personnages influents furent conviés. La haute société de province serait représentée.

Fernande, l'aînée de la fratrie, entra dans la chambre de Madeleine et referma vite la porte.
— Tu pourrais frapper ! se plaignit Madeleine.
— Et comment je te surprendrai, petite sœur ? rétorqua Fernande, avec malice. La plus âgée s'approcha de l'autre, se baissa et  lui ceignit le torse d'un geste chaleureux. Les deux jeunes femmes s'examinèrent dans le miroir. Fernande et Madeleine se ressemblaient énormément.

Sauf pour le nez, pensa Madeleine. Elle a le nez droit de papa ; je suis plus jolie qu'elle.

— Tu ferais mieux d'aller te préparer, plutôt que de me déranger. Les invités seront arrivés que tu ne seras toujours pas prête.
— J'ai largement le temps.
— Si mère entre tu seras punie. Et ta relation avec Jacques en pâtira, signifia d'un ton narquois Madeleine.
— Tu sais pertinemment bien que non. C'est mère qui l'a choisi, pas moi. Elle ne fera rien qui nuirait aux affaires de la famille.
— Hmm...
— Tu vas encore t'entêter à essayer de séduire le beau Jean ?
— Je ne vois pas de quoi tu parles...
Fernande relâcha son étreinte. Elle battit des paupières et prit une voix de comédienne, faussement perchée :
— Ô, Jean, comte de Hautecoque, embrassez-moi ! Vous ne voyez pas que votre présence m'émoustille, faites votre œuvre et prenez...
L'actrice ne put finir sa représentation car le parquet de spectateur balança maladroitement une brosse en sa direction.
— Raté, petite sœur, dit Fernande après avoir esquivé l'objet qui finit sur le lit. Tu lancerais ta coiffeuse pour le même résultat. Enfin, cela pourrait être dangereux, du papier volerait dans la pièce.
Madeleine conserva le silence.
— Allons, je sais que tu caches des lettres de garçons dans le meuble.
— Tu as fouillé mes affaires ?! Je devrais le dire à mère.
— Et te dénoncer ? Dénoncer que tu as utilisé tes pouvoirs alors que ça t'était interdit ? Non, je ne crois pas. Ce qui est étonnant c'est que tu ne l'aies pas fait sur le beau Jean — parce que le fait qu'il n'ait pas succombé prouve que tu n'en as pas usé, non ? Tu comptes l'envoûter sans artifice, grâce à ton physique et ton bon esprit ?
— C'est l'idée, oui, reconnue, timidement, Madeleine.
Fernande s'agenouilla puis saisit les mains de sa cadette.
— Fais attention, petite sœur. Si mère te revois lui tourner autour sans en avoir reçu l'autorisation ça va barder. Je préférerais que tu t'abstiennes. Je te taquinais, là, mais je ne veux pas qu'elle soit en colère contre toi. Non, vraiment pas.
— Mais... mais l'année prochaine j'aurai dix-huit ans et elle choisira quelqu'un pour moi, comme elle l'a fait pour toi, Fernande. Maintenant tu as Jacques ; en plus, j'ai entendu papa dire à mère que bientôt vous vivrez ensemble. Je n'ai pas envie qu'on décide pour moi ! ni que tu partes d'ailleurs.

Le discours était quelque peu confus, mais Fernande comprenait ce que ressentait sa sœur, elle l'avait en partie vécu l'année précédente. En particulier en ce qui concernait le choix imposé.

— Il n'y a pas d'alternatives par milliers, Madeleine : tu fugues, tu plies devant mère ou...
— Ou ?
— Ou tu l'attires dans ton camp.
— La convaincre tu veux dire ?
— Oui. La convaincre.
— Bon Dieu... comment suis-je supposée m'y prendre ?

Madeleine évita sa mère, trop effrayée pour risquer une confrontation. Heureusement, les derniers préparatifs de la réception puis l'accueil des convives accaparèrent l'attention de la maîtresse de maison. L'adolescente se laissa aller à une flânerie songeuse. Un canapé entamé dans la paume, elle mâchait tranquillement près du bar. Le mobilier du salon avait été déplacé pour la soirée, permettant à la pièce de contenir une trentaine de personnes. Fonctionnaires, politiciens, militaires et industriels discutaient affaires du monde et économie ; des sujets qui n'intéressaient pas Madeleine. Peu lui importait les clauses de l'armistice, les fraudes à la pension de guerre ou la reconstruction ; elle se demandait quels arguments feraient que sa mère dirait : « Parfait, Madeleine. Si c'est lui que tu veux épouser, ainsi soit-il ». Ses pensées continuaient de l'occuper quand Fernande la rejoignit.

— Tu ne parviendras pas à tes fins en t'empiffrant de la sorte. Tout ce que tu auras ce sont des boutons.
Madeleine sursauta.
— Ah, ce n'est que toi. Pendant un instant mon cœur a cessé de battre, j'ai cru que c'était mère.
— Il ratera un nouveau battement tantôt, prévint Fernande, souriante.
— Pourquoi ? Je n'aime pas tes cachotteries, d'autant plus lorsque tu as cette expression étrange sur le visage.
— Certains appellent ça un sourire. D'autres, l'expression du démon.

Madeleine remercia in petto son aînée pour le réconfort qu'elle lui apportait. Elle n'eut pas le temps de répliquer que Fernande poursuivait déjà :

— Mais tu ne sais pas le meilleur. Attends, je vais te le dire. Jean est ici.
— Hein ?
— Oui, n'est-ce pas merveilleux ?
— Si... mais... Comment je suis ? demanda Madeleine précipitamment. J'aurais dû mettre ma robe en velours rouge !
— Pour te faire remarquer par toute l'assemblée ? Mauvaise idée.
— Qu'est-ce que je dois faire ? s'enquit Madeleine.
— Surtout, ne va pas lui parler.
— Quel intérêt de me dire que Jean était à la maison dans ce cas ?
— Au moins, tu ne seras pas surprise. Une femme ne doit jamais être surprise ; nous devons tout savoir. Sinon les hommes ne sauront que faire.
— Bah, j'ai assez de soucis avec moi-même.
— Il faudra bien que tu décides pour ton Jeannot, si tu comptes l'avoir. On se marie à des hommes pour qu'ils prennent ce qui est en réalité nos décisions, pas les leurs.
— C'est ce que tu fais avec Jacques ? Tu l'ensorcelles pour le compte de mère ?
— Pour le compte de la famille, Madeleine. Je le fais pour la famille, même si mon avis n'a pas été requis.
— Je n'ai pas envie d'user de mes pouvoirs sur Jean, dit Madeleine, un ton plus bas.
— Tu ne t'es pas retenue de t'y essayer sur une dizaine de garçons pourtant, accusa sa sœur.
Madeleine attrapa un nouveau canapé qu'elle mit en entier dans sa bouche. Un répit accordé par les bonnes manières. Fernande ricana face à cette grossière échappatoire qui ne faisait que confirmer ses dires.
— Bon, file lui parler maintenant.
— À Jean ? questionna Madeleine, projetant quelques postillons.
— Non, tête de linotte bouchée des étuis qui te servent d'oreilles. À notre mère.
— D'accord.

Fernande la poussa en avant. Contrainte, Madeleine quitta sa cache et se fondit dans la masse des invités. Quelqu'un l'appela, tandis qu'elle passait à côté d'un groupe ; ses frères François et Jean-Marie faisait partie de la compagnie.
— Ces jeunes gens sont tout à fait prodigieux, Madeleine, complimenta un homme qu'elle savait être un ancien ministre mais dont elle avait oublié le nom. Je ne suis pas surpris que les enfants d'Alexandre et de Nelly soient si matures. Jean-Marie a une conversation passionnante à propos des aéroplanes. Il connait les biplans, triplans et autres engins volants, aussi bien que je connais les couloirs de l'Assemblée. Encore que lui a le mérite d'être intéressant, ce qui n'est pas forcément la chance de nous autres, politiciens. Quoique à entendre votre frère François, nous gagnerions là un sacré orateur. Quand est-ce que je vous prends comme suppléant ?
— Vous me flattez, monsieur Besnard, répondit François en rougissant.
Évidemment, René Besnard. J'ai vraiment la tête ailleurs pour ne pas m'en souvenir.
— Cependant, monsieur le député, je me verrai plutôt dans la diplomatie.
— Suivre les traces de votre père en somme. Une carrière honorable, je ne doute pas de votre réussite, François, assura le parlementaire. Ça me fait penser : le jeune Jean de Hautecoque prévoit également de devenir diplomate. Je vais le faire venir, ce serait bénéfique de mettre en relation deux jeunes et brillants esprits. Je reviens.
Le député ne mit pas longtemps à trouver Jean et à revenir. L'estomac de Madeleine se contracta et une bouffée de chaleur monta en elle au moment où elle le vit.
— Je l'ai emprunté à mademoiselle de Puyter, vous noterez le sacrifice qu'il consent à vous faire, François. Quant à vous, Madeleine, je ne vous néglige pas. J'entends vous complimenter personnellement. Je me souviens d'une robe rouge que vous portiez à un gala sur Paris – c'était votre père qui vous avait emmené si ma mémoire ne me fait pas défaut – vous étiez ravissante.
— Merci, monsieur le député.

Après cette réponse sans grande conviction, Madeleine ne suivit plus la conversation. René Besnard était trop énergique à son goût, il fallait lui accorder une entière attention pour ne pas perdre le fil. Or elle avait un autre un sujet sur lequel se pencher. Jean de Hautecoque était en face d'elle, pareil à la précédente fois qu'elle l'avait croisé. Ses yeux perçants scrutaient chaque détails, son sourire en coin et le calme de sa voix démontraient son humilité. Il s'agissait de cette réserve mesurée qui avait attiré Madeleine. Il était à mille lieux des hommes qui lui faisaient la cour ; ce n'était ni un fanfaron ni un prétentieux. Jean était mature et sûr de lui.
Mais cette de Puyter, Valentine de son prénom, apparaissait être un nouveau grain de sable dans le plan de séduction. Madeleine pouvait désormais l'observer par dessus l'épaule de Jean-Marie d'où elle se tenait. Valentine de Puyter était une jolie blonde au teint halé et au corps élancé.

Pas étonnant que Jean et elle fussent en conversation, se dit Madeleine. Je n'ai plus aucune chance de l'avoir par les voies normales. Il m'a déjà repoussé en me disant que j'étais trop jeune. Il est à moi ! Je vais faire ce que m'a conseillé Fernande.

— Excusez-moi, je dois m'absenter, avisa Madeleine au petit groupe.
Elle s'éloigna immédiatement, la boule au ventre, avant qu'un mot de politesse ne soit prononcé. Elle contourna plusieurs cercles et atteignit celui qu'elle cherchait. Elle se plaça derrière sa mère et guetta un silence profitable. Alors Madeleine put s'adresser à elle. Nelly Le Roy tourna à peine la tête.
— Oui ?
— Puis-vous parler, mère ?
— Bien sûr, qu'y a-t-il ?
— En privé, si possible.
— Ah, les secrets d'une fille à sa mère, lança Nelly aux personnes présentes qui les pardonnèrent avec un petit rire.

Un étroit couloir de plusieurs mètres mena au cabinet de travail du père de Madeleine dans lequel les deux femmes s'isolèrent. Madeleine, anxieuse, hésitait à prendre la parole ; sa mère l'intimidait. Elle lui faisait l'effet d'une prédatrice froide et calculatrice : ses cheveux châtains clairs, parsemés de mèches grises, étaient coiffés en un chignon ; ses lèvres pincées trahissaient son impatience ; sa robe à corsage ajustée devant et derrière affinait sa taille, et sa gorge était suggérée par une encolure en « v » ornée d'une modestie de satin gris perle.

— Je-je veux la permission d’ensorceler Jean de Hautecoque, mère. Pour que l'on se marie.
— Ah, rien que ça... Tu as encore un an devant toi avant que je ne t'assigne un époux. Tu comptes réellement en parler tout de suite ?
— Oui.
— Pourquoi lui ?
— Il est issu d'une famille de nobles qui a su conserver de l'influence, mère. Les Hautecoque ont de nombreux amis. Si j'étais sa femme, nos intérêts seraient assurés.
— Tu ne sais même pas quels sont ces intérêts, Madeleine. Je reconnais que posséder Jean de Hautecoque de notre côté serait bénéfique. Le problème, c'est que tu ne crois pas à tes propres arguments. Tu l'aimes, n'est-ce pas ?
— Oui...
— Fernande et toi me détestez, déclara Nelly.
— Non, ce n'est pas...
— Ne me mens pas, Madeleine, coupa sa mère. Ne me mens pas. Je le vois, je l'entends. Je le sens. Premièrement, vous me détestez parce que c'est moi qui choisis qui vous épouserez. Fernande s'est mariée à Jacques Lachèvre, et toi tu as peur de perdre ton amour en ne saisissant pas ta chance au bon moment.
— C'est cela.
La gorge de Madeleine était sèche et ses mains tremblaient, les mots peinaient à sortir. Son pouls battait fort ; enfin elle avait la conversation qu'elle voulait.
— Sauf que tu ne l'as jamais eu, Madeleine. Il n'a jamais eu un quelconque signe d'affection. Deuxièmement, vous me détestez parce que j'ensorcelle Alexandre, votre père, et qu'il est bon envers vous. Ça au moins je ne suis pas obligée de le provoquer, son amour pour vous est tout à fait réel. Non, si j'utilise mes pouvoirs sur lui c'est que je suis dans la même situation que toi, Madeleine. Je l'aime et ce n'est pas réciproque.

La jeune femme fut décontenancée. Sa mère ressentait de l'amour ?

— Je ne suis certainement pas la plus chaleureuse des mères, mais je ne suis pas un monstre pour autant, Madeleine. Cela me peine que vous ayez pu penser une telle chose. Tu veux Jean de Hautecoque donc ?
— Ou-oui.
— Tu veux passer les restants de tes jours avec lui, l'ensorceler continuellement et l'inciter à agir en fonction des besoins de notre famille ? Réfléchis bien à ta prochaine réponse. Il n'y aura pas de retour en arrière.
Madeleine pesa le pour et le contre. Finalement, elle en tira plus de bienfaits que d'inconvénients.
— Oui, je le veux.
— Va le soutirer à cette Valentine de Puyter, ma fille.
— Comment vous...
— Une femme se doit de tout savoir, révéla sa mère.


Aillas le talonnait pourtant de près avec ses 4 voix.

Citation :
Une énorme pile d'archives dégringola du bureau depuis l'équilibre précaire qu'elle occupait un instant plus tôt. Paul n'y prêta même pas attention, il avait bien d'autres préoccupations que de veiller au confort de quelques paperasses. Cela faisait déjà quatre bonnes journées qu'il s'abîmait les yeux en déchiffrant des manuscrits et imprimés vieux de presque un siècle. Le café qu'il ingurgitait comme un automate commençait à avoir un effet plus néfaste qu'appréciable sur son acuité et, surtout, sur son estomac.

Paul pris une pause, s'allongeant un instant sur le canapé de la vieille salle. Sa thèse avançait bien, il avait compilé une masse colossale de données sur son ordinateur, agencé le tout en un ensemble cohérent. « L'impact des Guerres Mondiales sur la démographie en milieu rural et péri-rural » était un sujet comme un autre pour se mettre un jury dans la poche, les guerres ça a toujours passionné les foules et les pontes de l'intellect aiment qu'on cherche la petite bête au milieu du reste. L'idée ne le séduisait pas plus que ça lui-même, mais l'objectif n'était pas de se faire plaisir. Il soupira en étendant le bras vers quelques documents traînant à même le sol et en porta un à ses yeux. Le papier était jaunissant et l'encre qui avait perdu de son pigment tendait à devenir translucide, ce n'est pourtant pas cela qui retint son attention alors que son regard glissant sur les lettres et les chiffres. Il fronça les sourcils tout en se relevant. Pris d'une inquiétude, Paul se hâta de rejoindre son ordinateur et pianota dessus quelques minutes, fébrile. Un silence s'installa alors que l'internet lui prodiguait sa sciences.

-Merde ! S'exclama-t-il.

XXX


Un vieil homme s'approcha de Paul, la main tendue et le geste franc.

-Paul Delrault ?

-Lui-même. Il lui serra la main, dans l'attente des présentations.

-Ah, bonjour. Je suis M. Vignac de la Mairie d'Abilly, c'est moi qui suis chargé de vous accueillir.

-Merci à vous.

Son hôte lui indiqua une direction du doigt tout en se mettant en marche.

-Venez, je vais vous faire faire un tour en ville, que vous visitiez un peu le coin.

-Je préférerai aller tout de suite aux archives de la ville si vous le voulez bien, mon travail est quelque peu urgent.

Monsieur Vignac s'arrêta pour étudier Paul, l'air contrarié qu'il ne décline sa proposition.

-Si vous le dîtes... L'atmosphère s'était rafraichie tout d'un coup, sûrement la brise légère de ce début d'octobre, ou la froideur de la réponse du vieillard.

Le trajet en voiture lui paru particulièrement long, une heure et demie quand on est avec quelqu'un qui se tait ostensiblement, c'est très long. Paul en profita donc pour réfléchir à ce qu'il lui restait à faire sur place. Prendre le train Paris/St Pierre des Corps lui avait semblé une bonne idée de premier abord, lui permettant d'aller vérifier sur place les données contradictoires qu'il avait à disposition à la capitale. Pourquoi pas même aller voir quelques anciens s'il en restait. Maintenant qu'il y était, il se demandait s'il n'aurait pas mieux fallu faire l'impasse sur le document et le traiter comme une anomalie sans conséquence dans ses tableaux de traitement.

XXX



Finalement, l'étape dans les archives de la mairie avait été plus simple qu'il ne l'avait craint, malgré quelques réticences administratives, il était parvenu à mettre la main sur les dossiers qui l'intéressaient. Son problème était désormais le suivant : comment la commune d'Abilly, malgré la réquisition de plusieurs centaines d'hommes, a pu voir sa population rester stable lors de la première guerre mondiale ? Les familles Duchamps, Tourrain, Cliquot, Périsson Soignon, Trevoux, Morvan...
Paul décortiquait avec fébrilité des papiers vieux de presque un siècle, certains réédités il y a de ça plusieurs décennies. Les chiffres auraient dû être clairs, près de 20% de la population française avait été mobilisée lors de cette guerre, presque 17% de ceux-ci n'en reviendraient pas et Abilly n'avait pas fait exception à la mobilisation. Alors pourquoi tout continuait de lui indiquer que cette ville avait été comme épargnée. La population entre 1914 et 1918 à Abilly était restée quasi-identique, pourtant, le déficit en naissance aurait dû impacter la ville. Même si cela avait pu ne pas créer de trou démographique, comment expliquer qu'il n'y ai pas de pertes militaires ?

Loin d'être un statisticien hors pair, Paul restait tout de même quelqu'un de pragmatique, si plus de deux cents hommes se sont vus mobilisés, si normalement une quarantaine aurait dû périr, si les femmes de ces hommes n'avaient pu enfanter durant ce laps de temps, c'était pratiquement impossible que la population n'aie pas changé. Pourtant, les chiffres qu'il ne cessait de lire et relire lui attestaient avec une ténacité agaçante que c'était bel et bien le cas.

Paul se leva, allant s'allumer une cigarette et s'asseoir à la fenêtre de sa chambre d'hôtel, regardant en face de lui les petites rues de la ville, claire et chaleureuse malgré la nuit qui venait de poindre. Sur quelle singularité statistique était-il tombé ? Fumant, le regard perdu dans les probabilités de ses calculs contradictoires, Paul était seul dans son travail. Non pas qu'il soit un être asocial et dépourvu de talent humain, il était plutôt de ce genre d'individus qui trouvait que partager son labeur était se le multiplier. A quoi bon avoir à relire et comprendre les analyses d'un autre là où une seule personne pouvait très bien ne pas avoir à se perdre à s'expliquer lui-même ce qu'il avait fait ? Quel temps perdu que de devoir attendre les résultats d'un autre, d'avoir à se les faire transmettre, d'être dépendant à ce qu'on lui apporte ce qu'il cherche. Non, Paul était un solitaire par choix, quand un cerveau se suffit à lui-même, il est superflu d'en ajouter un second pour en brouiller l'efficacité.Il écrasa son mégot dans le pot de géranium et ferma la fenêtre sans en clore les stores, appelant ainsi le soleil du mâtin en réveil naturel. Le lendemain, il irait regarder dans les archives de la presse du coin les éditions d'époque, parfois plus parlant que les myriades de paperasse administrative. Toujours propre, nette, froide.

Il ferma les yeux en tentant de mettre en sourdine ses questions. Trop propre, nette et froide pour raconter avec précision les faits. La presse, elle, savait mettre ce pathos et cette dose d'humanité dans les données brutes. Les pistes des investigations improbables.

XXX


Il rencontra au petit mâtin Martine Michelle, journaliste à Centre France, et s'entretint une longue heure avec elle. C'était une femme charmante, sur la fin de la trentaine, quelque peu athlétique, portée sur la politique et la cause humanitaire dans le tiers monde. Elle avait un chat qui s’appelait Minou et même que ça désolait que l'ancien propriétaire ai eu aussi peu de bon goût. Il apprit aussi qu'elle avait travaillé avec une archiviste l'année passée afin de numériser tous les numéros des journaux locaux depuis 1883. Ça avait été une expérience éprouvant malgré les pépites sur lesquelles elles avaient pu mettre la main. Paul lui demanda avec chaleur où il pourrait trouver ces numérisations et ils convinrent d'un heure l'après-midi même pour qu'elle lui montrât.

Au rendez-vous, ils passèrent encore une heure à discuter des numérisations ainsi que des diverses possibilités qu'offrait le logiciel. Paul fut heureux de découvrir qu'il pourrait à loisir sélectionner des mots ou des phrases pour se faciliter la tâche. Dès que Martine s'en alla, il s’attela au travail et entra ses premières recherches. Tout d'abord, voir les feuilles de choux qui parlaient des naissances durant la première guerre mondiale.

Le café coula longuement tandis qu'il usait de l'ordinateur mis à disposition par la mairie. Cela avançait lentement car malgré les facilitations, il se perdait souvent dans les digressions journalistiques et devait s'extirper d'articles sans fond dont il ne comprenait souvent pas grand chose tellement le patois était présent. Il téléchargea le logiciel sur son ordinateur portable alors que la nuit tombait et rentra à l'hôtel pour continuer son labeur jusque tard dans la nuit. Une fois réinstallé plus à l'aise dans un espace qui lui était davantage intime, il entreprit d'imprimer et d'afficher au mur les articles à intérêt qu'il arrivait à trouver dans la toile immense qui lui était mise à disposition.

Un article tout particulier avait rendu à sa recherche la fébrilité qui l'avait amené dans ce trou paumé. Madame Cliquot, dont le mari avait été mobilisé dès l'été 1915 après son travail aux fouilles du site paléolithique, avait accouché en mars 1918 du petit Joseph Cliquot. Sauf qu'à moins que ce dernier ne soit un bâtard ou que sa mère aie accouché en retard de presque deux ans, ce n'était pas possible. C'était aussi le cas de Germaine Trevoux qui avait hypothétiquement un ans et cinquante sept jours de retard sur l'accouchement de son bébé. Plusieurs autres étaient dans le même cas, plus d'une demi-douzaine. A chaque fois, le père avait été mobilisé dans l'été 1915 après la fin des fouilles et l'enfant naissait dans le début de l'année 1918. Paul se demanda l'espace d'un instant s'il n'y avait pas eu une sorte de viol collectif ou d'espèce d'insémination de masse, mais une recherche supplémentaire sur des éventuelles photos des enfants plus vieux lui appris que chacun ressemblait comme deux gouttes d'eau à leur père. Tous différents donc.

Il prit un instant avant de réfléchir. Déjà, c'était étonnant que ces hommes, ces maris, puissent n'être mobilisés qu'à partir de 1915. Il alla donc gratter davantage autour du site paléolithique, une cinquantaine d'hommes d'Abilly avaient été embauché de l'été 1911 à l'été 1915, sur des temps fragmentés pour la plupart. Seule une demi-douzaine avait reçu une mission complète sur la totalité du temps de fouille. Comme par hasard, il s'agissait des familles sur lesquelles l'anomalie natale était présente. Rendu à ce point là de ses recherches, Paul ne savait pas quoi penser, le hasard n'était que trop absent de l'équation et les chiffres et données ne concordaient pas, ou concordaient trop, suivant les cas. Il compris assez rapidement qu'il ne trouverait pas le sommeil cette nuit là et que tant qu'à avoir le matériel adéquat sous la main, il pouvait toujours mettre les bouchées doubles pendant la nuit et résoudre son mystère. Ce serait autant de temps d'économisé pour le reste de la thèse.

XXX


Effectivement, Paul avança énormément pendant la nuit, cela lui avait permis par ailleurs de suivre sa piste avec une grande assiduité. Il se sentait tel un chasseur tapi dans l'ombre, progressant derrière sa proie, invisible. L'outil qu'on lui avait mis entre les mains était basique, mais d'une richesse assez incroyable. C'est ainsi qu'il avait arpenté l'histoire même des fouilles du site paléolithique, les premiers grands travaux de 1911-1915, abandonnés avec les guerres et repris en 1976 par Jacques Allain, un docteur renommé du coin. C'est en lisant par hasard des articles sur lui qu'il avait été davantage intrigué, Jacques disait ceci : « Nous avons personnellement conscience d'évoluer dans une pénombre qui rejette dans un passé désuet les attitudes péremptoires. Dans cette conviction, nous avons progressivement adopté, quant aux industries humaines objet de nos recherches, une attitude de plus en plus libre vis-à-vis des notions reçues ». Au fond, qu'avait-il découvert là-bas pour qu'il en fuit les investigations et se terre chez lui jusqu'à mourir en 1983 d'une « mort paisible » telle que se l'imaginaient les journaux ?

Le téléphone sonna dans la chambre, Paul décrocha le combiné.

-Monsieur Delrault ? Demanda la voix d'emblée.

-Oui.

-Claude Vazejvnick à l'appareil, je suis chargé des missions culturelles de la ville d'Abilly. On m'a dit que vous portiez un grand intérêt au fouilles du site des Roches d'Abilly ?

Paul hésita un bref instant, perplexe.

-Heu... Oui, c'est le cas, comment êtes vous au courant ?

-Le logiciel que vous utilisez est sous contrôle du service technique et informatique, nous avons donc les relevés des recherches effectuées.

-Ah.

-Puis-je vous demander pourquoi vous faites ces recherches ? Si je lis bien le mail que vous nous aviez adressé, votre thèse porte sur « L'impact des Guerres Mondiales sur la démographie en milieu rural et péri-rural », n'est-ce pas ?

Il attendit encore un instant avant de répondre, quelque peu pris au dépourvu d'une telle inquisition.

-Et bien, j'essaie de trouver les liens qu'il y a entre les diverses personnes ayant travaillé sur ce site dans le début du vingtième. Par exemple, certains...

Il se fit interrompre.

-Vous m'avez mal compris monsieur Delrault. J'ai assez peu d'intérêt pour votre thèse, mais nous souhaiterions vivement que vous vous cantonniez à celle-ci. Nous n'avons pas mis à votre disposition ce logiciel afin que vous satisfassiez une curiosité saugrenue.

-Je...

-Nous serions contraints de vous en supprimer l'accès si vous vous écartiez encore de votre sujet. Me suis-je bien fait comprendre ?

-Oui. Paul répondit simplement, abasourdi.

-Bien, finissez vite vos travaux.

-Merci.

La tonalité se fit entendre, son interlocuteur avait raccroché, laissant Paul Delrault hébété devant le téléphone avec un sourire interloqué sur le visage. Cette conversation était surréaliste ; surveillé dans son utilisation du programme de numérisation, on lui faisait comprendre qu'il allait trop loin, ce qui n'avait évidemment pas d'autre effet que de créer chez lui une formidable envie de s'engouffrer plus profond dans le mystère qu'il effleurait du doigt. Son regard se posa sur l'ordinateur, les pages des journaux punaisés au mur, mais plus question de passer par ce logiciel. Maintenant, c'était un travail de terrain qui l'attendait. Il prit son manteau, calepin, stylo et paquet de clope avant de sortir.

XXX


« J'apporte ici un témoignage sur des temps révolus rendus alors plus accessibles du fait de l'isolement imposé par la guerre. J'ai tenté de restituer quelques aspects authentiques d'un pensée, de croyances et de comportements faute desquels il sera bientôt impossible de toucher du doigt le socle millénaire de notre Pays. »

Certaines allusions du docteur J. Allain étaient nébuleuses et mystérieuses. Paul se remémorait ces mots lus et qui lui évoquaient davantage qu'un simple remerciement à une région qui avait été chère  à l'initiateur des fouilles de 1976. C'est pourquoi il avait pris la décision d'aller trouver en personne le fils Allain pour discuter de son père. Il ne put toutefois l'approcher et dû rapidement se résoudre à lui téléphoner plutôt que de le rencontrer, il composa sur son portable le numéro trouvé dans l'annuaire, préférant éviter d'utiliser le téléphone de l'hôtel, faute à un début de paranoïa. Une voix se fit entendre.

-Allo ?

-Bonjour, je me présente, Paul Delrault, je souhaiterai parler à monsieur Allain, s'il vous plaît.

-C'est lui, que voulez vous ?

-Ah. Très bien. Je fais une thèse qui m'a poussé à m'intéresser aux travaux de votre père, pourriez-vous m'éclairer sur quelques points ?

Un silence pesa quelques secondes avant la réponse, un léger soupir l'accompagnant.

-Dîtes toujours, je peux peut-être vous aider.

-Je vais aller droit au but pour ne pas abuser de votre temps alors. Le docteur a dirigé les fouilles de 1976 sur le site des Roches d'Abilly. Cependant, il a abandonné en cours de route et je n'ai trouvé que de vagues mentions de ses travaux... Comment cela se fait-il ?

-Rappelez moi pourquoi vous posez ces questions ?

-Je suis sur une thèse et les découvertes supposées de votre père sembleraient en être un point important.

Cette fois-ci, un long silence s'installa, laissant Paul dans l'incertitude d'avoir encore quelqu'un en ligne avec lui. Mais la voix reprit.

-J'aimerai clarifier quelque chose déjà. Mon père n'a pas abandonné ses travaux, on l'a forcé à le faire. Je ne sais pas qui parce que ce n'était pas mes affaires et que ça ne m'intéressait pas, mais il est certain qu'il s'est vu obligé d'y mettre un terme. Ce qu'il a fait là-bas l'a démoli à l'époque, il ne s'en est jamais remis. J'étais jeune quand il est revenu à la maison pour s'y cloîtrer, j'ai peu de souvenirs, toujours est-il qu'il nous est revenu vieilli et en mauvaise forme.

-Je vois... Dîtes moi, vous auriez des traces de ses recherches de l'époque encore ?

-Désolé, je ne crois pas.

-Je vous en prie, après autant de temps, c'est bien très compréhensible. Je vous laisse mes coordonnées si vous trouvez quelques chose.

Peu de temps après, Paul raccrochait, la curiosité à peine satisfaite et la ferme impression que le fils Allain avait nettement minoré les événements. Pour quelle raison, Delrault n'en savait rien, mais il tâcherait de le découvrir.

XXX


De retour à l'hôtel, Paul s'installa une nouvelle fois devant son ordinateur, se demandant s'il allait contrevenir à la demande de la mairie ou non, les mains calées de chaque côté du clavier, prêt à transgresser. Un mail lui parvint avant qu'il ne choisisse, lui ôtant le choix par la même occasion. Le message était anonyme, mais il était évident qu'il venait du fils Allain. Le corps de texte était vide, mais il y avait une énorme pièce jointe. Paul se frotta les mains en entamant le téléchargement.

L'attente fut pénible et c'est à coups de clics fébriles qu'il ouvrit le dossier lié. Des dizaines de photos ainsi que quelques pages de mémos et de notes passés au scanner. Paul fit de grands yeux, ouvrant une bouche béate, en découvrant la teneur des photographies. Des crânes, des dents, des squelettes entiers et dépouillés jonchaient ce qui devait être un terrain de fouille. Ce n'était pas ça qui subjuguait Paul, mais les annotations faites à côté des cadavres reconstitués. Chaque mort était un habitant d'Abilly. Gérard Trévoux, Marc Tourrain, Etienne Deraixe, Robert Cliquot... Le docteur Allain avait même fait dater au carbone 14 les ossements et était formel. Tous étaient morts en 1918.

Paul imprima toutes les images pour en avoir un aperçu plus net, avec davantage d'ouverture. Il constata avec désarroi que non seulement ces hommes n'étaient pas censés être morts, mais n'étaient pas non plus censés être morts plusieurs fois ! Sur l'une des photographies, on pouvait clairement lire l'annotation « Robert Cliquot – Janvier 1918 » à côté d'une des dépouilles, puis « Robert Cliquot – Février 1918 » près d'une autre.

Il laissa la révélation le submerger. Soit Jacques Allain était un fou doublé d'un manipulateur pernicieux, soit... Soit quelque chose de glauque et d'absolument malsain s'était passé dans les Roches d'Abilly. On toqua à la porte et Paul dû se retenir de ne pas se cogner au plafond en sursautant comme un beau diable, il ne répondit pas, encore sous le choc de la nouvelle monumentale qui commençait à s'imposer à lui.

-Monsieur Delrault, êtes-vous là ?

Cette fois, il donna signe de vie.

-Oui ?

-Ouvrez je vous prie.

Secouant la tête pour tenter de chasser son regard hagard, Paul s'avança vers la porte et s'apprêta à la déverrouiller lorsqu'il s'arrêta.

-C'est pour quoi ?

La voix se fit plus insistante.

-Ouvrez, nous devons parler.

-Qui êtes-vous ?

Paul entendit des murmures colérique à moitié étouffés derrière le bois avant de recevoir sa réponse comme un grondement menaçant.

-Ouvrez ou je défonce cette porte.

Il s'écarta et chercha instinctivement du regard une échappatoire. Quelque chose lui disait qu'il était dans un sacré pétrin. Il cria « Non ! » et la porte vola en éclat dans le même temps, laissant apparaître une foule d'hommes masqués. Il reçu avec une force démentielle un coup dans le ventre, puis à la mâchoire, qui l'envoyèrent valser contre le mur et s'affaisser au sol. Les hommes prirent toutes les photos, tous les articles, les déchirèrent, éclatèrent l'ordinateur au sol en le piétinant férocement avant de vider méticuleusement toutes les affaires de Paul dans la pièce, examinant tout. Il devina que c'était fini pour lui quand il vit la lame du grand couteau briller à la lumière de la lampe dénudée.

XXX


Paul balaya de la main une pile de papier qui le gênait. Il se rongeait les ongles, en général, c'était quand il éprouvait de la frustration ou de l'impatience. Le café qu'il ingurgitait par seaux entiers n'aidait en rien et ne faisait qu'ajouter à sa mauvaise humeur. Il frappa du poing sur la table et finit par souffler un grand coup. Paul s'alluma une cigarette et en inspira la fumée en se passant une main sur le visage. Il lui fallait relativiser, après tout, une donnée perdue au milieu du reste ne restait qu'une singularité et pas une contradiction. Le fait qu'Abilly refuse de lui donner accès à ses archives n'affecterait finalement que très peu sa thèse après tout. N'est ce pas ?
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MessageSujet: Re: TROPHEE POE   TROPHEE POE Icon_minitimeSam 3 Jan - 20:34

TROPHEE POE Ban_po10

Pour égayer notre mois de novembre tout pourri le notre mois de décembre qui s'annonce encore pire, Nicolas a décidé de nous donner de la lecture en défiant Mike, l'actuel détenteur du trophée Poe. Et pour rajouter un peu de cannelle dans la marinade, Bouche Dorée a choisi de se joindre à eux.

Le thème était : « Jeu »


Bouche Dorée, avec son texte 1, a recueilli 5 votes sur 10. Le titre lui revient !

Citation :
9 Octobre 1954. Paris

Le temps est devenu maussade. Depuis une quinzaine de jours la grisaille se rassemble au-dessus de Paris en une chape lourde et déprimante. Mes amis ont commencé de s’enfermer chez eux, sortant à peine. Pour les voir, je dois parcourir la ville d’un point cardinal à l’autre, en affrontant le vent et le tapis glissant des feuilles mortes.  Là, ivre d’alcool et terrassé par la perspective de geler sur les boulevards en attendant un taxi, ma carcasse s’éteint sur l’un ou l’autre canapé, roulée en boule jusqu’au matin.
Comme aujourd’hui. Réveillé par la bouilloire de Louis, j’ouvre péniblement les yeux pour le voir s’affairer au-dessus d’une théière. Il fait frais et au dehors les nuages s’amassent avec un air menaçant. ''Il y aura de l’orage’’ me dit Louis. Je marmonne une approbation teintée d’ennui. Tout cela est une raison de plus pour ne pas s’aventurer au dehors. Louis dépose devant moi une tasse de thé noir mélangée de lait et de sucre, parce qu’il me connait bien. Le visage défait et les cheveux emmêlés, je lui demande ''veux-tu venir à cette galerie que Jean ouvre dans le 13ème ?’’. Il prend une gorgée de son thé, réfléchit un instant, regarde sa montre et soupire ''Si le temps n’est pas mauvais, peut-être.’’ Je décide que cette réponse est un accord. ''Fantastique, on se retrouve là-bas.’’ Louis termine son thé, attrape son pardessus et son parapluie et me dit à plus tard. Laissé seul dans la maison, je me détends, et profite du piano de la maison avant de prendre une douche et de me préparer un petit déjeuner. En sortant, j’aperçois le concierge qui me regarde avec un air suspicieux.

Le soir venu. L’orage a éclaté un peu plus tôt. Les rues sont encore humides et la température a singulièrement fraîchie, mais reste agréable pour un mois de Novembre. L’air est lourd. Un vent léger secoue les branches des platanes et nous gratifie occasionnellement de quelques grosses gouttes lorsque nous passons sous eux. Nous nous engageons dans une ruelle. Nous conversons des gens que nous espérons voir et de ceux que nous verrons sans doute, les deux ensembles ne se recoupant que rarement.
Puis, je m’arrête. Nous passons devant un bel hôtel particulier. Il semble abandonné. Les fenêtres sont condamnées par des planches de bois, plusieurs tuiles manquent sur le toit. Il y a une belle cour devant l’hôtel mais qui n’est pas maintenue. Les arbustes cachent une bonne partie du rez-de-chaussée et l’herbe pousse comme bon lui semble. Pourtant cette bâtisse a quelque chose de majestueux. Au-dessus de la porte principale, un bas-relief sculpté représente deux masques. L’un souriant, l’autre pleurant. ''Une maison de gens de théâtre’’ me dit Louis, masquant mal un frisson. ''Partons, nous allons manquer le discours et ensuite le champagne.’’ ''Pars devant.’’ Lui dis-je. ''J’ai envie de voir ce qu’il y a à l’intérieur.’’ ''Que dit tu ? Cette maison est condamnée ! Comment vas-tu faire pour entrer ?’’. Je pointe du doigt l’une des fenêtres, au premier étage, dont le panneau de bois a été enfoncé. Je m’avance dans le jardin, en me demandant pourquoi cet hôtel m’attire tant. Quelque chose de fascinant y est enfermé, sans que je sache quoi ni comment j’en suis sûr.  
Derrière moi, Louis m’appelle et en voulant lui répondre, je trébuche contre un objet au sol. En tâtonnant je découvre une échelle de bois, que je ne voyais pas à cause des hautes herbes. ''Excellent, grâce à cela je n’aurais pas besoin de faire d’acrobaties !’’ Louis, un air ennuyé, me regarde relever l’échelle et la poser contre la façade. Je regarde aux alentours, un instant conscient de la possibilité de se faire arrêter, mais cette pensée s’efface rapidement pour laisser place à l’excitation de l’exploration. Louis, qui visiblement se moque de cette histoire et n’a aucune attirance pour cette échappée nocturne me dit partir pour le vernissage. ''Je te garderais une coupe de champagne, si je ne suis pas occupé à toutes les boire.’’ Je ris et lui dit promet de venir rapidement. Puis, pendant que Louis repart en grommelant à propos de chaussures mouillées, je grimpe et pénètre dans la maison.

La première pièce que je découvre est légèrement éclairée par l’ouverture que je viens d’emprunter. L’intérieur est poussiéreux. La tapisserie défraichie pend par endroit. Au centre, le parquet est noirci. Une légère odeur de fumée est présente. Intrigué, je me dirige vers la porte pour explorer plus avant. J’arrive dans un couloir, et l’obscurité se fait plus pesante. En tâtonnant mes poches, je réalise que j’ai emmené mon briquet et louant ma propre présence d’esprit, je l’allume. Les murs éclairés, je peux voir quelques tableaux accrochés aux murs, ainsi que les traces sur le mur de nombreux autres, maintenant absents. Ici la poussière est plus épaisse et mes pas laissent leurs empruntes dans la couche grise. Il me faut un certain temps avant de réaliser que d’autres traces me précèdent. Je les examine, mais suis incapable de déterminer quand elles ont été faites.  
Je m’immobilise, soudain conscient de chaque petit craquement et grincement que mon intrusion provoque. Un instant, l’idée de partir et de ne jamais revenir m’est agréable. Puis, une envie d’aller plus avant me submerge et je dois m’accroupir pour calmer les battements de mon cœur. A nouveau décidé, j’entre dans une autre pièce, pour découvrir une salle à manger. Là, une grande table trône au milieu d’une grande pièce. Je n’aperçois aucune chaise. Contre les murs, de grandes armoires et un buffet de taille conséquente encadrent la table. Je les ouvre pour voir qu’ils sont vides. Puis, en examinant la table, je découvre qu’elle est d’un style remarquablement proche de l’ensemble de chaises que j’ai acheté il y a quelques mois, chez cette antiquaire antipathique.

J’explore les autres pièces. Toutes, comme la salle à manger, semblent dans un relatif bon état, mais il semble que quelques personnes peu scrupuleuses soient venues plus tôt prendre ce qu’il était facile d’emporter.  Finalement, je trouve la porte qui mène à l’escalier principal. Il est majestueux, fait de bois sombre et de fer forgé. Je monte au deuxième étage, désireux de voir les chambres.
A cet étage je trouve trois chambres. Perdant vite mon intérêt pour ce qui parait être la chambre d’un enfant, j’entre dans la grande chambre. Ici aussi la poussière s’est accumulée et un nuage s’envole à chaque pas. Un grand lit affaissé occupe une bonne partie de la pièce. En face de ce lit, une bibliothèque bien remplie couvre tout un mur. Les pilleurs n’ont apparemment pas eu le courage de venir jusqu’ici. J’observe les livres et n’en reconnait aucun.
Je tente d’en prendre un pour le feuilleter mais l’ouvrage ne bouge pas. J’essaie avec quelques livres, sans qu’aucun ne puisse être délogé de son emplacement. Je réalise que tous les ouvrages sont des faux, avec des auteurs comme Lazlo Eime ou Tomas Prucrel, qui, j’en suis presque sûr, n’ont jamais existé. Cherchant des yeux un livre qui puisse me donner un indice quant à cette curieuse bibliothèque, je suis projeté contre les rayons et m’écrase lourdement contre eux. Alors, le mur pivote brutalement et, sans avoir vu mon agresseur, je me retrouve dans une autre pièce. Je tombe à genoux à cause du choc et cherche à tâtons mon briquet, qui m’a échappé des mains. L’idée me vient d’appeler à l’aide, mais je réalise que probablement personne ne m’entendrait.
Je fini par trouver mon briquet, qui semble avoir été endommagé car sa flamme n’éclaire plus aussi bien. Puis, je m’époussète et masse mon front qui vient d’engager l’intégrale de Max De Dralaunes. Je rallume mon briquet, pour découvrir une table sur laquelle un plateau d’échec et une bougie sont posés. Il y a également une chaise, sur laquelle se trouve une feuille. Avant de la lire, j’allume également la bougie, afin d’y voir plus clair.

« Cher visiteur.
Vous me voyez quelque peu fâché de vous voir fouiller ma demeure. Il se trouve que je n’aime pas les visiteurs, qui souvent repartent avec un souvenir. La bougie que vous trouverez sur la table dure environ une heure. Vous avez une heure pour résoudre ce jeu et vous échapper. Lorsque la bougie sera éteinte, ma patience le sera aussi. »

Peu amusé par la perspective d’être enfermé, je recherche le moyen de rouvrir le chemin qui mène à la chambre. Au bout de quelques minutes, un claquement sec se produit, et là ou se trouvait ma main une seconde auparavant se trouve un carreau d’arbalète, coincé entre deux pierres. Le cœur battant, les yeux écarquillés, je vois qu’un message est enroulé autour, disant « Jouez » avec un dessin de sablier. Une sensation glacée me parcoure l’échine, et je comprends l’enjeu. Au même moment, j’entends le sifflement du vent. Je pars m’asseoir sur la chaise, en regardant le plateau avec des yeux vides.
Je déteste les échecs.
Les pièces sont déjà en place, et le jeu semble être arrêté en milieu de partie. Les blancs dominent manifestement, et la chaise est placée de leur côté. J’observe le plateau et cherche quel coup pourrait me permettre de terminer la partie. Je réfléchis. Au bout de quelques minutes, un carreau transperce l’air et rebondit, de l’autre côté de la pièce. Je ne prends pas la peine de le lire, je n’ai pas besoin d’un décompte supplémentaire. La bougie brûle vite, trop vite il me semble. Ou bout d’un moment, je me lève, et fais quelques pas. J’ai toujours été atrocement mauvais aux échecs. Je me rassois ; le plateau n’a pas bougé et je sens la frustration me gagner. Je regarde la bougie, la moitié a déjà brûlé. Je me relève, brusquement, et jure toutes les insultes dont je suis capable, avant qu’un autre carreau ne siffle, coupant court à mon soliloque. Je regarde le plateau à nouveau et je comprends enfin. J’attrape la chaise, la pose du côté des noirs et avance la reine pour un échec et mat évident. Soulagé au-delà de toute expression, je peux voir et entendre le mur pivoter et me laisser apercevoir la chambre. Je tente d’attraper la bougie pour partir mais celle-ci refuse, clouée à la table. Je peux entendre le mur commencer de pivoter à nouveau, dans un bruit de pierre raclant contre la pierre et je cours pour me glisser dans l’ouverture se refermant. Dans la chambre, le cliquètement distinct d’un grand nombre de verrous se fait entendre. Je jure à nouveau, réalisant que j’ai oublié mon briquet de l’autre côté de la porte. Parfaitement aveugle,  je cours en butant contre absolument tout ce que qui se trouve sur mon chemin. Une fois dans le couloir, j’entends un hurlement strident derrière moi, et je pressens que mon hôte n’est pas satisfait de mon départ.
J’arrive dans la cour d’escalier la peur au ventre, des douleurs me transperçant les tibias et les rotules. Je manque la première marche et me rattrape à la rambarde, grince bruyamment et commence de se tordre vers le vide. Je repousse le fer, qui part s’écrouler en grand fracas plus bas et reprend ma course, plus lentement cette fois, dans l’escalier. La porte toujours ouverte qui mène à mon échappatoire se dessine dans l’obscurité. Au moment où j’entre dans le couloir, j’entends de lourds pas dans l’escalier et un nouveau cri, peut-être à cause de la rambarde, avant que le rythme des pas ne s’accélère. Je suis presque dans la première pièce, j’y suis enfin. Je regarde par la fenêtre, et voit que l’échelle n’est plus là. Derrière moi, les pas sont arrivés en bas de l’escalier et je peux discerner un grondement sourd et grave. Terrifié je saute dans le jardin.

''Que fais-tu, Edgar ?’’ Me demande Louis, l’étonnement discernable dans sa voix ?
''Comment cela ? N’as-tu rien entendu ?’’
''Entendu quoi ? Je t’ai vu entrer puis je te vois ressortir quelques secondes plus tard, poussiéreux, en sautant comme si le diable te pourchassait. Pourquoi es-tu essoufflé ?’’
''Je… ‘’ Je me retourne et vois que l’échelle est toujours appuyé contre le mur. Louis, occupé à brosser mon dos couvert de feuilles et d’humidité ne dit rien. Au deuxième étage, je crois voir une lueur au travers des planches de bois. Sans rien dire, je prends l’échelle, et la cache du mieux que je peux dans le jardin, loin des regards et des pieds aventureux. Je réalise que mon briquet porte mon nom gravé dessus, et je regarde la légère lueur en tâtant mes poches vides. Louis me regarde d’un air curieux, et aussi inquiet, prêt à dire quelque chose. Je l’interromps. ''Partons. J’ai besoin de champagne  et peut être de quelque chose de plus fort. ‘’
Et pendant que nous reprenons notre route, je ne peux m’empêcher de penser à mon ensemble de chaises si jolies, et aux différents moyens de m’en débarrasser le plus rapidement possible.


Nicolas et son texte 2 obtiennent la deuxième place, avec 3 voix.

Citation :
Dans le folklore populaire de Basse-Normandie, celui qui jouit d'une chance hors-norme a conclu un marché involontaire avec le Diable. Sa chance est son malheur car c'est au prix du sang que l'on s'acquitte auprès du Malin. On lui tourne le dos pour éviter d'être entraîné dans sa descente aux enfers, et les plus fortunés deviennent les plus tristes. C'est ce qui explique la participation si limitée dans cette région aux loteries et la quasi-absence de casinos en dehors des stations balnéaires, qui sont presque uniquement fréquentés par les Britanniques et les touristes. C'est aussi pourquoi Jacques Hébert, dit Jacquot-Jacques, émet un soupir de soulagement quand il gratte un ticket perdant de Banco au Café du Vivier, après une série de trois gains minimes mardi, mercredi et jeudi.

Là où cela se complique, c'est que, d'une part, avant d'obtenir le résultat salvateur, Jacques a mentalement demandé à ce que le ticket soit perdant, sans préciser à qui s'adressait cette prière, et, d'autre part, il s'estime chanceux de ne plus gagner. Et le Diable, qui existe bel et bien, c'est triste pour notre gratteur, apprécie énormément ce genre de petites subtilités sémantiques. Alors le soir, quand dans la triste chambre d'un jeune veuf devenu moins jeune avec le temps nommé Jacques Hébert, les ampoules s'allument d'un rouge rubescent, ça n'est pas le fait d'un décorateur d'intérieur monte-en-l'air qui remplace les tubes en l'absence des locataires.

De siècles d'expérience, Méphistophélès a notamment appris qu'il est bien plus apprécié en tant que visiteur quand il emprunte la forme d'une célébrité locale, ou nationale, depuis que les nations existent. D'où la présence d'un Jean Dujardin rougeoyant entre le lit et l'évier. La précaution n'empêche pas Jacquot-Jacques de beugler comme un damné, car damné, il l'est. Une estocade sur le front le crucifie gentiment. « Arrête de crier. Tu m'as appelé, je suis venu. » Jean frétille de la moustache : « Allez, mon Jacquot. Je suis un petit peu rouillé et toi un petit peu mort-né. Je t'embarque en balade, ça va être amusant. »

Au volant de sa Clio, Jacques écoute les instructions de son hypnotisant passager, entre terreur et subjugation. « Alors alors, le jeu s'appelle : tout est possible. Tu veux faire quelque chose ? On le fait. Tout est possible ! Difficile de faire plus simple, pas vrai ? » Le conducteur hoche docilement la tête. « Bien, bien. Qu'est-ce qui te ferait plaisir ? De l'argent, une Marie-Salope de vingt ans, une voiture de sport ? » Jacques sourit benoîtement, n'en revient pas de son extraordinaire rencontre. « Heu... les trois. »  Méphistophélès révèle ses dents blanches de carnassier souterrain : « Le gourmand Jacquot ! Allez démarre, mon fieffé porcelet ! Aujourd'hui, tu vas vivre pour de vrai. »

A.B.O. Amicale Bouliste d'Octeville. Une personne d'intelligence moyenne sentirait une odeur de rouerie, pas Jacques Hébert. « Vas-y. Moi, je reste dans la voiture. Je te dirai quoi faire. » Le portail puis la porte du local s'ouvrent sans résistance. Il avance dans le hall froid. Un grand type à casquette sursaute à sa vue. Il secoue ses épaules d'un air menaçant. « Il ne faut pas rester là, monsieur. » Jacques répète les mots qui lui sont soufflés à l'oreille par le Diable en personne : « Fred peut pas venir. Il est en... gardabe... davu ? Garde-à-vue ! » Le type grommelle un moyennement convaincant « Putain c'est chaud ! Ouais mais toi t'es qui ? » Jacques suit les ordres, ignore le sbire et ouvre grand les portes battantes de la salle où habituellement des octogénaires boivent du vin chaud en évoquant leurs amis disparus.

Deux barbus s'activent à inventorier deux valises remplies de billets. L'un d'eux porte rapidement la main à la poche intérieure de son blouson de cuir : « Bouge pas, connard ! T'es qui ? » C'est Jacques qui parle mais on ne lui souffle plus à l'oreille, l'air vient directement de ses poumons et sort en fracas. « Tu dois être William, vu comme ta barbe est dégueulasse. C'est bien mignon de se donner un air d'Hell's Angels mais sans couilles il te manque une sacrée partie de la panoplie. Du coup, le merdeux d'à côté, c'est logiquement Samir. Dans un autre espace-temps, les cons dans votre genre sont en croisade l'un contre l'autre. Heureusement, la valeur travail vous réunit, pas vrai ? Et vous êtes des laborieux, les gars ; ces valises sont bien garnies. Mais à vue d’œil, ça fait même pas un quart de ce que vous devez au Chinois. Vous l'avez pas oublié, non ? Enfin quoi, vous regardez pas les films ?! Ça finit bien, parfois, vos combines de dégénérés ? Putain... allez, je prends ça. A vue de nez, vous y gagnez deux semaines de mansuétude avant de finir en farce à nem. »

William a son arme collée au crâne de Jacques et, bien que transpercé de peur, sourit diaboliquement. « Samir, je te serais gré de buter ce con de barbu. Tu as déjà entendu parler des bébés secoués ? Je dis ça, comme ça, tu sais, mais comme ta sœur vient d'avoir des... » Il y a deux choses qu'on sous-estime : le vacarme d'une détonation et la quantité de sang qui peut sortir du trou d'une tempe. Aujourd'hui, c'est un cours accéléré pour Jacques, qui tend la main vers son sauveur. « Merci, Samir. Tu as fait le bon choix. Il faut se débarrasser du gun, maintenant. » Tremblotant, le voyou tend son arme. « Merci. » Les doigts se crispent sur la gachette et Samir s'effondre à son tour. Méphistophélès parle à travers les lèvres de Jacquot-Jacques. « Il était pas bien malin, lui. Bon, de l'argent t'en as, maintenant. Tant que tu y es, prends aussi une sacoche de boules de pétanque : j'ai une course à faire. » Dans le hall, le troisième larron a disparu.

L'étape suivante est Cherbourg. Jacques suit les consignes, dans un état de conscience altéré. Sur le chemin, le Jean Dujardin infernal lui intime de freiner à la vue d'une jeune fille aux cheveux verts le long de la départementale. La Clio s'arrête sur le bas-côté. Encore une fois, les mots lui sont dictés. « Tu as quel âge ? - 18 ans. - Et tu t'appelles comment ? - Sarah. - Tu voudrais que je t'encule à l'arrière de la voiture, Sarah ? » Elle hésite pendant quelques secondes. « Ouais, ok. - Allez, monte à l'arrière. » Le Diable explique assez librement à sa marionnette du jour que, de toute façon, elle est dans l'incapacité de le voir ou de l'entendre, alors il est inutile de se montrer prude en sa présence. « Mais d'abord, on va à Cherbourg, ok Sarah ? - D'accord. » Les choses sont plutôt simple, en compagnie du Malin.

Jacques, conscient et docile, se laisse encore une fois télécommander à travers les rues depuis la Clio, garée sur une place handicapée, en périphérie, car c'est plus marrant comme ça. « Bon, alors, Sarah, une boule pour toi et une boule pour moi. Le but du jeu, c'est de les envoyer par-dessus cet immeuble. » La jeune fille la plus corvéable du monde accepte de bonne grâce, sans même une question. « Je suis pas sûre d'y arriver. » Il prend son élan, balance son bras deux fois vers l'arrière puis catapulte la boule de pétanque brillante bien au-dessus des quatre étages du bâtiment. « Putain, bien joué ! s'écrit-elle, avec une admiration non feinte, allez, à moi. » Ses mouvements sont aussi gracieux que peu adaptés à l'épreuve et le projectile s'écrase mollement contre la pierre juste à côté d'une fenêtre du deuxième étage. « J'ai fait le meilleur score. Du coup, c'est moi qui lance la dernière. » Cette fois-ci, il sacrifie l'élan à l'inspiration et la boule décolle encore plus haut qu'au premier essai. Sarah mordille sa lèvre. « Cool cool. Bon, il fait froid. On retourne à la voiture ? »

« Tu t'es bien amusé, mon Jacquot ? J'espère que oui. Tu vas être soulagé : je n'aurai pas le temps d'assister à vos petites forniqueries. J'ai à faire, quoi. C'est une belle journée pour toi, non ? Tu as de l'argent à plus ne savoir qu'en foutre, une petite porcelette sous la main et tu as même tué un imbécile. Ça te fera une bonne expérience de vie. » C'est vrai qu'arrivé à la voiture, plus de trace du Jean Dujardin lumineux. D'ailleurs, Jacques est presque surpris de sa totale liberté de mouvement et de parole. La possession laisse toujours une sensation étrange d'engourdissement. C'est vrai que sa journée n'est pas finie, après tout. Il fait grimper la fille à l'arrière. « Tu veux qu'on le fasse ici ? » Il bredouille un oui, tente maladroitement de l'embrasser, de lui enlever sa doudoune. Elle se recule. Il sent que son charisme surnaturel s'est évaporé, qu'il est redevenu le pauvre type quelconque qui enfile pastis sur pastis à partir de dix-huit heures. « Je crois plus que j'ai envie. » Que faire ? Il ne va pas la retenir ou la brutaliser. « Bon, je te raccompagne. »

Jacquot-Jacques jette un coup d’œil inquiet aux valises en dessous de la boîte à gants. Certes, il lui reste ça, mais il se sent un peu floué. Il s'arrête, constate avec soulagement que les billets sont toujours là, et redémarre, étonnamment furieux. Il regarde dans le rétroviseur Sarah, qui évite délibérément son regard. Il grommelle, rumine. Finalement, il éructe : « et la voiture de sport que tu m'as promis, alors ?! » TRÈS JUSTE ! Au loin, on entend vrombir un moteur V12. Le bruit se rapproche à toute allure. Jacques reconnaît émerveillé les lignes douces d'une Lamborghini Murciélago rouge feu une seconde et demie avant que cette dernière ne vienne se pulvériser contre la Clio.

Au Café du Viver, l'unique téléviseur passe en boucle la nouvelle dramatique : le cardinal Angelo Sepe, archevêque de Naples, en visite en Normandie, et Monseigneur Durault, évêque de Cherboug, tués par deux boules de pétanque tombées du ciel, une heure avant leur conférence commune sur le thème se prémunir du démon. Un petit vieux ricane méchamment en grattant un Banco.

Enfin, Mike001 et ses deux voix terminent derniers.

Citation :
Le jour où j'ai joué à une partie de carte



Le bar est sympa, quoique crasseux et mal aéré. Les verres puent, certes ; mais la compagnie est bonne. Je bois ma pinte tranquillement tout en jetant des regards appuyés à la jolie blonde attablée plus loin. Ses longs cheveux étincellent sous la lumière dégueulasse du bauge, ses lèvres vermillons tirent sur un fume-cigarette opéra ébène et ivoire, ses joues se creusent. Elle m'excite grave. En plus je suis plutôt attractif et bien sapé : mon costume trois pièces pourrait être celui d'un gangster. J'ai lu dans un magazine pour femmes, quand j'attendais que ce fût mon tour chez le médecin, qu'elles aiment les mauvais garçons, les bad boys. Je n'ai jamais vraiment accordé du crédit à cette théorie jusqu'à cet instant.

Elle me dévisage avec son tubas en bouche comme si j'allais être son prochain dîner ; un frisson me parcourt l'échine. Si j'avais moins bu, j'aurais été intimidé par la manière dont elle m'observe. Heureusement pour moi, je me suis enfilé trois autres chopes avant ça et la confiance règne. Je me gratte la barbe, rasée du matin, tout en essayant de faire mon brun ténébreux à la Paul Newman et me lève, décidé à approfondir notre relation. Le coup du « je te regarde pendant que tu mâchouilles ton bâton » ça va deux minutes. Mâchouille le mien plutôt.

Il faut lui reconnaître que ça lui apporte de la prestance. Une posture de fille éduquée qui sait ce qu'elle veut : moi. Je tâche surtout de m'en persuader, parce qu'à chaque pas que je fais en sa direction, mon assurance s'effrite. Si elle me recale, le barman va se foutre de ma tronche et je ne pourrai plus jamais revenir ici.

Avant que je ne l'atteigne, elle quitte sa chaise ; magnifique dans sa robe corail. Le tissu en polyester épouse ses courbes, il permet à la fois contemplation et imagination. Et Dieu que je déborde d'imagination ! Ses courbes avantageuses me font penser à un sablier et je suis en cela aidé par la ceinture noire qui lui enserre la taille. Dans la main gauche elle tient un petit sac de couleur rouge ; vrai cuir ou non, je n'en ai aucune idée. De toute façon je ne veux pas savoir. Depuis que j'ai appris que mon perfecto n'était pas en cuir de cheval – comme il aurait dû – mais de vachette, mon amour pour cette matière s'est évanoui. Et avec lui tout une collection d'objets que je regrette actuellement.

Je m’arrête net, surpris de la voir bouger soudainement alors que je fais un effort pour aller vers elle. Elle s'éloigne, sans un mot. À un moment elle me regarde par-dessus son épaule puis bat ses cils eyelinés en affichant un sourire en coin. Merde, ça veut dire quoi ça ? Qu'elle prend de l'avance sur le tenancier ou qu'elle me lance une invitation ? Le doute m'habite putain. Je la suis quand même, prenant garde d'avoir le bas de son sablier bien en vu. Nous arrivons devant un lourd rideau marron ; elle devant, moi dans son sillage à humer à travers la fumée de sa cigarette industrielle son parfum musqué enivrant. Elle dégage l'un des côtés de la tenture, passe et la garde soulevée afin que je la rejoigne. C'était donc une invitation, bingo. Nous passons devant les chiottes ; une couche d'eau couvre le carrelage. Au fond de moi je suis en colère, je trouve intolérable qu'une fille comme elle doive salir ses chaussures à talons en marchant dans une fuite de plomberie. Toutefois, elle n'y prête pas attention, indifférente à la moindre saleté qui l'entoure. Sa beauté semble la protéger de tout.

Une porte métallique bloque notre chemin, elle frappe à plusieurs reprises suivant un rythme précis. Le guichet s'ouvre, un œil injecté de sang apparaît, le guichet se ferme, la serrure cliquette et la porte glisse. Une marmule qui aurait pu être sumo et me manger pour sont petit-déj' se décale pour nous laisser entrer. Je lui donne du « merci, mon brave » au passage tout en lui refilant la pièce de cinquante centimes qui loge dans ma poche droite. Initialement je prévoyais de l'investir dans l'achat d'une boîte de cacahuètes, tant pis.

Ce lieu réservé à l'élite du bar – autant dire tous ceux qui ont un emploi – est en fait une salle de jeux illégale. Des dizaines de joueurs s'y détruisent la santé tout en miroitant l'espoir de repartir les poches pleines d'une deuxième jeunesse. Ils gémissent, soufflent, transpirent autour de tables de Texas hold'em, de roulettes et de blackjack. L'endroit est dédié aux crimes et à l'escroquerie. Je ne m'en formalise pas, je n'ai peut-être pas fait la guerre mais j'ai déjà visité des bordels où les maladies vénériennes rampaient littéralement au sol.

Elle m'entraîne vers une table de « 21 ». Je me sens comme une rémora qui a déniché son requin : nourrit par son corps. Elle me fait face, une main sur la hanche, forçant mon attention à passer de son décolleté à ses billes brunes envoûtantes. Une fascination docile naît, elle s'est emparée de mon esprit. Ma mâchoire engourdie ne parvient plus à prononcer de simples mots ; « baiser », « cuisine » et « singe » ont quitté ma langue. Lorsqu'elle touche mon épaule, son charme mue en rage, en désir. J'ai envie de plaquer mes lèvres contre les siennes, de prendre ses cuisses à pleines mains, de la soulever et de l'allonger sans plus de formalité au milieu des cartes et des mises. La posséder de la manière dont elle m'obsède. Son contact ardent s'estompe aussi subitement qu'il est apparu, remplacé par la morte dureté de la chaise. Je l'observe, hébété, tandis que mon cœur bat à la chamade. D'un geste gracile du poignet elle m'indique le croupier à la mine impassible. Il est élancé, malingre, tout en os dans son uniforme miteux rapiécé de toute part. Sa taille et ses bras anormalement longs me mettent mal à l'aise. Je déglutis. Les émotions chaudes que j'ai ressenties en compagnie de la sublime blonde sont happées par ce croupier décrépi. À croire qu'il aspire mon énergie vitale pour renforcer la sienne vacillante. Je me tourne vers la blonde en quête de réconfort ; elle me sourit doucement, presque tristement. Ma boule au ventre amplifie.

Le croupier produit un paquet de cartes qu'il mélange. Il en jette deux pour moi, deux pour lui et attend. Sauf que je ne veux pas jouer moi, je veux m'en aller ; que la jolie inconnue caresse mes cheveux pendant que je colle ma tête contre sa poitrine. Je me recule pour partir mais il me retient, pas violemment puisqu'il me serre à peine. Ce que j'éprouve alors n'est pas de la douleur mais une absence totale de volonté. Je me rassieds et il reprend sa position, patient. Je suis contraint de jouer. Devant moi il y a une pile que je n'avais pas remarquée d'une trentaine de jetons. Visiblement le croupier est aussi discret que persuasif. Ne les ayant pas payé de ma poche je rechigne moins à commencer la partie. Alors je mise quelques jetons puis retourne ces foutues carte en espérant qu'il me file la paix à l'avenir.

J'ai une bûche et un six – soit une valeur de seize –, lui un neuf. Je lui signale de m'en donner une autre. Un trois de cœur sort, je monte à dix-neuf. J'en reste là. Il rend visible sa deuxième carte, un six également, puis en tire une troisième. Il s'agit d'un roi, il vient de faire vingt-cinq. Il a crevé, c'est-à-dire qu'il a dépassé le vingt-et-un. Je soupire de soulagement, à mon côté, la blonde paraît un peu contente. Il pâlit davantage et j'ai l'impression que ses traits se sont creusés. Ce qui bien sûr est impossible. Quand il me file mes gains je reprends des couleurs et du poil de la bête.

Une nouvelle manche démarre. Chanceux, je refais dix-neuf avec un trois, un roi, un cinq et un un ; néanmoins cela ne suffira pas. Il gagne avec un vingt-et-un, deux six et un neuf. Il me toise de son haut. Pour la première fois je crois discerner en lui une lumière d'émotion. Je lis de l'avidité dans ses yeux auparavant impavides. La lueur effrayante devient une promesse de mort. Qu'est-ce que je fous là sérieusement ? Pourquoi ce croupier morbide convoite ma vie et pourquoi la fille m'a amené à lui ? Et pourquoi il est encore plus grand depuis que j'ai perdu des jetons ?

Il s'empare du pot pièce par pièce et dès qu'il pose ses doigts sur un des mes anciens jetons je gémis de souffrance. J'ai la sensation que des poignards glacés me transpercent et que mon âme est extirpée des blessures immatérielles. J'inspire un bon coup et je poursuis.

Nous enchaînons les parties ; parfois je gagne, souvent je perds. Toute la fougue qui m'accompagnait à l'origine est en train de s'envoler. Le croupier me suce la moelle et pas de la façon la plus agréable qui soit. Ni la plus courtoise. À chaque défaite il me soulage de mes jetons et de mes années. Je l'ai compris assez rapidement en définitive. Ce mec est un enfoiré de monstre qui me bute à petit feu au blackjack. La fille ? Je n'en ai plus rien à faire d'elle. Elle me dégoûte au même titre que le croupier. Elle a fait son allumeuse, m'a chauffé le cul, préparé le terrain pour que je me fasse enfiler bien profond. Ce casino clandestin est un lieu de malversations surnaturelles ; j'ai la gerbe qui monte.

Une voix dans ma tête me dit d'abandonner. J'éprouve de la difficulté pour respirer, mes articulations souffrent, mon corps me lance ; elle me conseille de lâcher prise car je n'ai pas les forces suffisantes. Le croupier et la chagasse peuvent me retourner le cerveau d'un simple toucher, contre ces gens-là je ne suis qu'un pauvre gars arrogant, sûr de lui et exécrable. Qu'une merde assassinée par un jeu aux règles inconnues, un tocard qui ne manquera à personne.

Une idée me vient, cependant. Du mouvement le plus vif qu'il m'est permis de faire, je pose ma paume sur la cuisse bronzée de la fille. Une vigueur nouvelle me pénètre, me permettant de récupérer mes esprits. La blonde et le croupier sont surpris ; la première se place hors de portée de mes mains baladeuses et le second a une mine incrédule. Je le fixe et je vais chercher jusqu'à la dernière miette de fierté en moi. Maintenant nous allons pouvoir régler ce duel, définitivement. Je vais le vider comme un poisson puis je l'empaillerai, ce sera mon trophée. Ensuite je m'occuperai de la fille.

Je récupère mes cartes et j'y retourne. Il est perturbé ; je le vois. Il prend beaucoup trop de risques, ce qui l'amène à crever de plus en plus. Ma quantité de jetons augmente, mon courage aussi. Son dos voûté et sa peau translucide témoignent de la branlée que je lui inflige ; il est à ma merci. Il est au bout du rouleau, appauvri.

Nous atteignons enfin le dénouement du combat ; j'ai du mal à y croire mais il est en ma faveur. Il tremble – de frayeur certainement – m'offrant l'ascendant psychologique. La détermination n'a pas l'air d'être son fort. Moi en ce moment j'en regorge. Mes dernières cartes, un as et un valet, l'envoient au tapis, littéralement. Le croupier s'étale de son long en gesticulant avant même d'avoir accompli son tour. Il tremble et s'agite dans tous les sens, comme s'il était possédé et que le démon en lui voulait s'extraire de l'intérieur. J'entends des os craquer ; il vient au moins de se briser les articulations des bras et quelques côtes. La violence de la situation me rend blême tandis que le vomi refait surface. La manche de ma veste sur la bouche je m'abandonne à l'effroi. L'effroi que j'aurais dû éprouver plus tôt si les monstres ne m'avaient pas troublé. Je repousse la chaise en me levant et balaye la salle du regard. Je peux entendre les ulcères faire leur boulot et les ventres gargouiller. Tous me fixent en retenant leur souffle, ils ignorent complètement le croupier à l'agonie ; il n'a déjà plus d'intérêt. Je me tourne vers la blonde, elle me dit :

— Bravo, tu as vaincu le croupier. Désormais, tu croupiras ici à sa place.

Je me souviendrai toujours du jour où j'ai joué à une partie de carte.

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MessageSujet: Re: TROPHEE POE   TROPHEE POE Icon_minitimeLun 19 Oct - 17:32

TROPHEE POE Ban_po10

Nicolas est déclaré vainqueur par forfait du trophée Poe. Par son assiduité il s'approche de la main mise totale sur les duels à mots ! Si personne ne l'arrête, il entrera dans la légende – et Allah sait que la légende aélissienne est grande.

Le thème était : « les insectes »


Lumière Lumière Lumière


Citation :
MANTIS




Le pêché mignon de Mike Solomon était de se réveiller à 6h29, soit quelques secondes avant que ne se déclenche à plein volume sa chaîne hi-fi et que tout l’espace de son loft parisien ne soit envahi par Rage Against the Machine - l’album éponyme, plein de sève et de candeur. Il se sentait alors pleinement maître de son destin. Il s’éjectait hors du lit et s’observait avec délectation dans le miroir de sa penderie, ses muscles travaillés, ses veines saillantes parcourant ses avant-bras et sa virilité matinale. Une douche glacée et deux pilules l’électrisaient un peu plus. « Ca va être une extra bonne matinée pour Mantis. » Il le répétait en boucle et frottait ses mains l’une contre l’autre avec énergie. Mantis, la mante, c'était le surnom que Mike Solomon s’était donné à lui-même, et comme il avait tendance à être suivi dans ses toquades par une petite cour d’admirateurs qui rêvaient de se faire adopter pour tuer le père, c’est sous ce nom de scène qu’il était connu. Pourquoi la mante ? Car Mike était un trancheur de têtes. L’un des meilleurs, si ce n’est le meilleur, celui qui pratiquait son art avec tant de style et de crudité qu’il était devenu en l’espace d’une secousse financière l’homme le plus haï d’Europe. Et cela ne l’embarrassait pas plus que les hurlements revendicatifs du communiste Zach de la Rocka ; non, évidemment, cela l’exaltait. Mieux que ça : Mike Solomon savait qu’il était un méchant, un démon, un des bras armés de l’ultra-capitalisme, et il embrassait avec volupté le destin qu’il s’était choisit. Parfois, lorsqu’un mélange exotique de son fournisseur préféré, le jeune Diego - haha, ça ne s’inventait pas ! -, le plongeait dans un état d’extatique introspection, il se demandait s’il était devenu une caricature ou si la caricature s’était formée autour de lui. Généralement, c’était le moment où il s’emparait de sa réplique airsoft d’une carabine M16 pour canarder les fesses d’une escort mulâtresse ou son shiba, Justice, et ses considérations s’évaporaient par ses narines dans un rire luciférien. Dans sa chambre, Mantis enchaînait calmement les postures du tang lang quan, le style de la mante religieuse, puis s’abattait avec maîtrise sur un mannequin récupéré lors du morcellement de cette maison de couture italienne - Mina... Nina-quelque chose... Il s’habillait. Chemise Denis Colomb, cachemire et lin gris, costume deux pièces Isaia, laine grise avec revers crantés, baskets montantes Playtime de Berluti, la petite touche d’espièglerie américaine qui venait rappeler à ses victimes de la Vieille Europe qu’il était temps pour le plan Marshall de faire un retour sur investissement. Justice venait quémander à manger. Le foie gras aux truffes semblait passablement périmé. La chienne pouvait l’avoir. « Maréchal Mantis, ça va être une extra bonne matinée. Pour vous et pour la France ! »


Ce matin, c’était Rabault. Une magnifique épopée française. Un fleuron technologique de l’avionique. Son très extravagant PDG, Joan Rabault, avait été porté disparu en mer pendant l’été lors d’une traversée en solitaire tout à fait superfétatoire de l’Atlantique. Son héritier, le jeune Quentin Rabault-Duhêtre, avait alors eu le bon goût de liquider ses parts au plus vite pour partir fêter la mort de son père pendant deux cents ans dans un ghetto pour millionnaires de Dubaï ou Singapour. L’entreprise était tout à fait fonctionnelle en l’état mais c’aurait été un très mauvais signal aux indolents gauchistes de France que de ne pas offrir une leçon de réorganisation en tant que nouvel actionnaire majoritaire. Mantis avait alors été mandaté par la Terrasse Meyer Holding pour son expertise du dépeçage. Et il était tombé sur cette pépite : le père de Joan Rabault lui-même avait été nommé directeur financier adjoint par son fils et s’acheminait dans la douleur du deuil à travers la dernière année qui le séparait de la retraite. Quel malheur ce serait pour Édouard Rabault, orphelin de son capitaine de fils, trahi par un petit-fils vénal, que d’être contraint à son tour de quitter à la pointe du sabre le navire ! Mantis suçait sa langue dans un état de cruelle félicité et aiguisait ses avant-bras dans l’avion qui l’amenait à Toulouse.


Joan Rabault avait l’air d’un parfait abruti sur son esquif aux voiles rouges striées de bleu. Il avait dû sûrement confondre le gouvernail avec le siège éjectable lors de son périple fatal. Les couloirs étaient envahis de portraits du PDG, autant de petites icônes où son absence de goût vestimentaire était révérée parmi d’autres attributs divins comme une proximité factice avec ses employés, qu’il tenait sous son bras protecteur dans deux photos sur trois. La secrétaire du doyen des Rabault semblait tenter de perdre Mantis dans ce labyrinthe aux odeurs de naphtaline. Ce faisant, elle lui racontait avec une réelle affliction combien le sort s’acharnait sur le pauvre Édouard, déjà que sa femme, Cora,  s’était enfuie il y a de ça trois ans avec son amant deux fois plus jeune en République Tchèque, ça l’a beaucoup déprimé, alors maintenant la disparition de Joan, le pauvre a été anéanti, vous comprenez ? Mantis comprenait absolument. Pas une compréhension pleine d’une empathie navrante et vulgaire, non, une compréhension bien plus intense, bien plus tangible, d’un tragique sublime et savoureux qui faisait tressaillir ses nerfs en ondes carrées, comme s’il devenait un fantastique instrument de musique branché sur un sextilliard de volts. Son sang pulsait craché par une sulfateuse à travers son corps et il se sentait si excité qu’il aurait pu plaquer cette quinqua foutue comme un sac de frappe contre le mur et la fourrer jusqu’à la faire exploser. Mais le terrier d’Édouard apparut.


Le vieux n’était pas encore arrivé. Ça lui laissait du temps pour bricoler une petite mise en scène. Dexter avait beaucoup inspiré Mantis à ses débuts, mais il trouvait que toute la valeur ajoutée de son travail résidait dans un renouvellement perpétuel de son style et il ne pouvait se satisfaire d’un modus operandi rôdé mais répétitif : il était un artiste, pas un manutentionnaire. Sur le bureau trônaient, austères, une maquette de bateau et le cadre d’une photographie de Joan barrée de noir. La facilité aurait été d’enchâsser les deux éléments juste derrière la porte, peut-être de tremper l’assemblage avec le ballon d’eau de la fontaine pour évoquer avec malice les évènements et d’attendre l’arrivé du vieux assis dans son fauteuil, les baskets effrontément posées sur le bureau, et ses affaires entassées en vrac dans des cartons. À son entrée, un théâtral « coucou, Édouard Rabault, moi c’est Mantis et toi t’es viré ». Non, ce ne serait pas rendre hommage au sublime de la situation... Les pupilles du prédateur se dilatèrent. Le mur de droite était proprement recouvert de cadres garnis de centaines de papillons aux couleurs aguicheuses. Oh Ed, tu m’avais caché que t’étais lépidoptériste !


Dans l’avion du retour, Mantis avait dû se rendre trois fois aux toilettes pour se masturber. Généralement, la simple considération que sa semence se répandait sournoisement depuis le ciel sur les visages de milliers d’innocentes enfants suffisait à le combler mais il était dans un tel état d’excitation après le succès de son escapade toulousaine que ces enfantillages n’y pouvaient rien. Sur son site préféré, il se commanda un assortiment royal : Miranda et Divine, négresses de luxe, Caprice et Zelda, rousses aussi blanches que les autres étaient noires, et Mei-Anne, la caution asiatique au visage poupin. Il fallait aussi appeler Diego.


« Alors aucune de vous n’a vu Battle Royale ?! Pfff, laissez tomber ! Non, pas vous. » Alors qu’il guidait de ses mains celles de Zelda sur la crosse de la carabine en direction de la poitrine de Miranda, allongée à l’autre bout de la pièce, Mantis repensait avec volupté au regard décomposé d’Édouard Rabault, qui avait suivi le chemin tracé par un Petit Poucet malicieux avec des papillons soigneusement écrasés à intervalles réguliers dans les couloirs jusqu’à son bureau. Le pauvre vieux semblait avoir pris quarante années supplémentaires en travers du visage. Il n’arrivait pas à articuler quoi que ce soit. « Hé, Ed, old pal, t’as pas l’air bien ! Tu devrais prendre du repos. » Apparemment, sa réputation avait précédé la mante, parce que le doyen était parti en infarctus presque sur le champ. Au grand soulagement du coupeur de tête, les jours d’Édouard étaient hors de danger ; la meilleure partie de la décapitation, c’était tout de même de voir le corps raccourci courir dans tous les sens. Mantis partit en grands spasmes d’un orgasme surpuissant, les muscles de ses faux tendus à l’extrême. Il inspira un air gorgé de sucre cristal. « Maintenant foutez le camp. »




Au sortir de la douche, Mantis se prit les pattes dans quelque chose qui n’avait rien à faire à l’entrée de son salon. C’était un carton. Un carton muni de poignées, comme ceux qu’il utilisait pour faciliter ses départs anticipés. À l’intérieur, un cadre. Dans le cadre, des papillons. Les couleurs du plus gros, au centre, rouge grenat et bleu marine, lui évoquait quelque chose. Quoi ? L’esprit embruiné, ses souvenirs défilaient dans un insupportable ralenti. Oui ! Les voiles du bateau perdu en mer ! L’esquif du PDG Rabault. Sous l’animal empalé, pas de taxonomie latine compliquée mais un prénom : Joan. Qu’est-ce que c’était que ce délire ? Il y avait trois autres papillons. Deux avaient leurs ailes collées l’une à l’autre, dans une étreinte mortuaire, un grand citron et un autre plus petit, dont la trame de pourpre et de noir évoquait de la dentelle. Inscrits en-dessous, deux autres prénoms : Alexandr et Cora. Un dernier insecte, d’un vert brillant, était baptisé Quentin. Mike Solomon transpirait à grosses gouttes malgré l’eau glacée qu’il n’avait pas fini d’éponger. Un grand espace était laissé vide en bas du cadre mais un dernier nom y figurait. Mantis. Une odeur étouffante de chloroforme envahissait le loft. La dernière image qui s’imprima sous les paupières de la mante fut celle d’une gigantesque aiguille.

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