[ Confréries Sang]Voies de Guérison

Cassiopée n’avait pas voulu profiter du vol du dragon pour atteindre le sommet. Elle avait emprunté les sentiers escarpés et crapahuté dans les moraines pierreuses afin de sentir le contact solide de la roche et le poids de l’effort.
Elle devait galvaniser l’énergie qui lui serait utile lors des prochains affrontements.
Ses rêves étaient de plus en plus douloureux. Elle y voyait la dévastation d’un monde et elle se réveillait en sursaut, le corps en sueur, un crabe lui grignotant le cœur. Seule la présence lointaine d’Issac lui rendait un peu de joie. Comme à chaque fois, l’équilibre se faisait alors en elle.
Mais aujourd’hui, elle devait puiser dans sa contraction musculaire la concentration cérébrale. Au gain d’énergie grappillé dans chaque pas supplémentaire, elle sentait sa puissance augmenter.
A l’approche du sommet, elle marchait plus droite et plus fermement qu’elle n’avait démarré sa course et lorsqu’elle atteignit la cime elle se dressa au dessus du monde.
Les bras levés vers le ciel, elle ferma les yeux, sentant le brouillard l’environner et venir former autour d’elle un tourbillon de brume moelleuse et fraiche.

- Viens, eau du Ciel, Viens abreuver ma peau de la douceur des cieux…
Le nuage ainsi combiné s’assombrit soudain.

Une colère venait de monter dans les souvenirs de Cassiopée. Une colère qu’elle croyait enfouie mais qui réclamait avec ardeur à s’exprimer.
Seule, plantée, la tête dans les nuages, Cassiopée sentait qu’elle ne la freinerait plus. Alors, sa colère se déversa.
Le nuage cotonneux, s’effila en longs bandeaux noirs et hargneux qui tressèrent entre eux une maille serrée qui bourgeonna de grosses pustules plus sombres que le charbon et vinrent bientôt recouvrir le ciel d’une menace lourde.
Les bourgeons devinrent si lisses et gonflés qu’il en fallut peu pour qu’ils explosent. Il déversèrent sur les pentes arides les torrents d’une averse violente que canalisait la colère latente.

Alors qu’elle se promenait dans les montagnes, Vasariah entendit un long feulement. A ses côtés se tenait un étrange animal. Plus gros qu’un chat sauvage, il avait le poil doré comme le sable, et sur ses flancs se tenaient deux longues ailes repliées. Sa queue s’agitait rapidement, tandis que son poil se hérissait.

- Ily, que se passe-t-il ? Qu’as-tu senti ?

La maitresse de cet unique animal, inquiète, arrêta sa marche et utilisa son pouvoir pour rentrer dans sa tête. Elle y lut une sourde panique. Cherchant la cause, elle accentua son contact mental.

- Laisse-moi t’aider Ily, dis-moi ce dont tu as peur.

Écoutant la voix apaisante de sa maitresse, le félin lui expliqua son inquiétude.

- Plus haut dans les montagnes se tient quelqu’un d’un grand pouvoir. Je ne sais comment Vasariah, mais la nature lui obéit. Regarde autour de toi, les oiseaux fuient leurs nids, les renards rentrent dans leurs terriers et les cerfs s’enfuient précipitamment. Lève la tête et voit le ciel qui devint menaçant. Une tempête se prépare Vasariah, et je ne voudrais pas être dans les parages quand elle éclatera. Tu sais bien que je ne supporte pas l’eau !

D’un mouvement léger et gracieux, le fauve déplia ses longues ailes. Il plongea ses yeux d’ambre dans ceux de sa maitresse, l’implorant de fuir avec lui ce lieu devenu trop imprévisible.
Vasariah détourna les yeux. Elle sentait autour d’elle les animaux paniqués qui fuyaient. Les nuages devenaient de plus en plus noirs. Tout d’un coup, deux sangliers jaillirent sur sa gauche. La bave aux lèvres et les yeux révulsés, ils fonçaient droit sur elle, aveuglés par leur panique. Immobile, la jeune femme ne semblait pas les voir. Le vent faisait tournoyer ses longs cheveux d’or. Puis elle releva la tête, plongea son regard d’azur sur les bêtes qui se rapprochaient, et elle rentra dans leurs têtes. Même s’ils étaient vraiment terrifiés, la jeune femme n’eut aucun mal à les calmer. Satisfaite, elle décida de continuer, testant ses limites. Se détachant de son propre esprit, elle envoya une salve d’ondes dans toutes les directions de cette si étrange montagne, pour tenter de calmer tous les animaux des environs. Elle sentait l’énergie parcourir ses membres et se transmettre vers ces milliers d’esprits qu’elle pouvait approcher, qu’elle pouvait infiltrer et contrôler. Libérant son pouvoir elle leur insuffla le calme. Après cette démonstration, elle regarda autour d’elle et constata que le calme et le silence étaient revenus. Les animaux semblaient apaisés, et ils s’en allaient tranquillement s’abriter du déluge qui s’annonçait. Un léger sourire étira les lèvres de la jeune femme.

- Alors Ily, tu te sens mieux ? Nous devrions à notre tour nous mettre à l’abri. Qui que ce soit qui ait déclenché cela, cette personne est très puissante. Je sens que nous allons bien nous amuser sur cette planète !

Tout en faisant cette déclaration, Vasariah posa tendrement une main sur le dos de son compagnon. Prenant appui sur sa jambe gauche, la jeune femme enfourcha gracieusement son étrange monture. Secouant sa tête celle-ci feula, semblant défier le monde. Ily bondit avec puissance vers les cieux, en quête d’un abri.

Cette forêt était une bénédiction pour Nayima, sa bouée de sauvetage providentielle, son miracle.

La forêt des mille sapins est magnifique, un joyaux de la nature, un havre paradisiaque; mais ce n'est pas pour cela qu'elle est si importante pour Nayima. En réalité, beaucoup d'autres lieux auraient pu la sauver. Cet endroit était son oxygène, l'élément nécessaire pour qu'elle puisse continuer de vivre car ici, il n'y avait personne.

Aucun individu viendrait la meurtrir, aucun ne l'écraserait avec davantage de responsabilités. Ici, elle était enfin libérée de ses chaînes, de ces liens qui devenaient chaque jour plus serrés, plus étouffants. Des entraves qui avaient fini par atteindre son corps en profondeur, la mutilant de manière définitive. Pour certaines blessures, plus aucun espoir de guérison n'était possible, pas même l'amputation ne pourrait permettre d'arrêter la progression du mal.

Cependant, en se réfugiant dans cette forêt, dans un dernier élan de survie, une certitude était née. Après quelques jours de repos, de pleurs, de cris, d'abandon même, c'est finalement l'obstination qui avait pris le dessus. Puisqu'elle serait dorénavant seule, elle pouvait s'élancer à nouveau dans la vie avec le dernier fragment d'elle -même qui était resté sain. Bien qu'elle ne puisse rien pour le passé, pour ce qui avait déjà été fait, elle renaîtrait à partir de cette parcelle protégée. Ce mal ancien ne pourrait l'atteindre, elle lui laisserait le reste de son corps, mais ce fragment d'elle restera hors portée.

Cette forêt était donc son nouveau lieu de naissance, il lui apporterait les éléments essentiels pour qu'elle puisse grandir et faire face aux épreuves. Nayima avait la certitude qu'elle devait devenir comme ces impressionnants sapins, un être noble qui grandissait inéluctablement, devenant majestueux, devenant invincible, intimant le respect.

Nayima trouverait ici les ressources nécessaires pour devenir forte et pouvoir à nouveau vivre sans être détruite par ses semblables. Elle construirait ici peu à peu, l'écorce vitale, pour qu'elle puisse à nouveau se trouver une place dans le monde, sans être anéantie par la première intempérie.

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Un soudain frisson réveilla Nayima, paupières lourdes, vue floue, désagréable sensation d'un réveil brusque, mais surtout le souvenir d'un mauvais rêve. Plutôt le rêve d'un malheureux souvenir en fait.
Cela faisait plus d'un an que la jeune femme avait trouvé refuge dans la Forêt aux milles sapins; une arrivée douloureuse à laquelle Nayima n'avait pas pensé depuis longtemps.
Par une fois les saisons étaient passées, le printemps laissait doucement place à l'été. Peut être était ce justement de voir les bourgeons du printemps prendre dorénavant leur essor pour pleinement s'épanouir qui lui avait rappelé sa propre renaissance.
La forêt ne cessait de la rendre admirative, une telle osmose régnait en ces lieux. La surprenante venue de Nayima avait quelque peu perturbé les habitués de lieux, mais aujourd'hui, elle n'était pas plus intruse.

Un nouveau frisson parcouru Nayima. L'origine de ce réveil inattendu qui l'avait éloigné des ses tristes souvenirs était donc une brusque baisse de température.
Cette fois bien réveillée, et frissonnante, la jeune femme se leva enfin et ouvra son esprit encore quelque peu embrumé à son environnement. Les dernières langueurs disparurent bien vite lorsqu'elle fut confronté à l'agitation inhabituelle qui habitait soudainement la forêt.
L'inquiétude gagna Nayima. Jamais encore elle n'avait vu la faune de son havre dans un tel état de panique.

Une goutte d'eau fraîche, tombée sur son avant bras, la fit sursauter. Levant les yeux au ciel, elle vit le ciel s'obscurcirent à une vitesse irréelle.
Une tempête se préparait, une tempête non naturelle.
L'air devint lourd, étouffant. La fraîcheur se disputait à une chaleur électrique.
Un orage se préparait, un orage non naturel.

Dorénavant elle aussi apeurée, Nayima continuait d'observer le ciel. Les nuages filaient vers un lieu en particulier, ils se centraient autour d'un sommet, se gonflaient d'une lourde pluie, semblant attendre libération dans une tension insupportable.

Soudain, un sentiment s’immisça chez la jeune fille. Ce sentiment ne lui appartenait pas, mais il faisait étrangement écho aux sensations abandonnées par son rêve.
La colère bouillonnait, brûlait, détruisait, obnubilait. Mais Nayima savait que derrière, c'était tristesse, regrets et déceptions qui étaient à l'origine de cette terrible tempête.

Cassiopée se délectait de la pluie lui battant les tempes. L’eau ruisselante impressionnait sa chair aussi sûrement qu’un fleuve en crue s’enfonçait dans la terre en emportant avec lui limons et débris.

Cassiopée se nourrissait.

La pluie chargée de l’électricité activait sa sensation du monde vivant. A ce moment, elle entendait chacun des bruissements de la Nature environnante. Le cri chuintant du félin qui fuyait sous l’averse venait se mêler au cri aigu du rapace mais ne réussissait pas à couvrir les pas sautillants du rongeur déjà à l’abri sous l’écorce de l’arbre proche.
Le ciel crachait des éclairs et Cassiopée s’emplissait de la foudre qui zébrait l’espace. Les turbulences chassaient le moindre être vivant vers des havres de sauvetage mais Cassiopée ne s’en souciait guère.
Elle s’abreuvait à la source cosmique.

Peut-être parce que le manteau nuageux n’était pas encore suffisant pour assouvir sa soif, une ombre noire se détacha du sein de Cassiopée. Comme un secret au contour incertain, l’ombre répandit son mystère sur le ciel déjà obscurci par l’orage. Une silhouette s’opacifia peu à peu dans un simulacre d’apparence.

Alors, une terrible gueule s’ouvrit dans les cieux pour cracher un torrent de flammes vers les abysses célestes.

Au même moment, Les pensées de Cassiopée s’assemblèrent à celles de son dragon pour s’ouvrir vers l’Univers. Mais leurs courses furent interrompues par la perception soudaine d’êtres proches conçus comme dangers potentiels.

Nayima avait hérité des capacités de son clan elfique. Elle était donc naturellement douée d’empathie et d’un lien particulièrement fort avec les arbres. Cependant, de par au moins deux points, la jeune elfe se différenciait de ses semblables.

Tout d’abord, son don d’empathie était si intense qu’il aurait bien plutôt pu être qualifié de malédiction. Un poids qui l’avait amené à s’isoler, à s’éloigner des siens afin de se protéger, car elle ne savait se libérer de la douleur.
Cette première originalité n’était pas étrangère à la seconde ; la famille de Nayima cachait un lourd secret dont seuls certains anciens parmi son clan avaient connaissance. Le grand père de la jeune fille, un elfe puissant mais solitaire, avait, au cours d’un de ses nombreux voyages, rencontré une nymphe. Bien qu’elle soit, comme tout membre de son espèce, très farouche, la patience de l’elfe, tombé sous le charme, avait abouti à une union dont le fruit était la mère de Nayima. L’enfant était en tout point d’apparence elfique, elle avait visiblement hérité des gènes de son père. Elle fût donc élevée telle une elfe pur sang, sans que son ascendance maternelle ne soit révélée.

Cependant, dès sa toute jeunesse, Nayima avait montré quelques capacités hors du commun pour une elfe. Sans doute possible, elle avait hérité de quelques capacités de sa grand-mère. De mélange de gènes improbables avait abouti à la possibilité d’agir telle une sorte de caméléon. Mais il ne s’agissait pas de copier les couleurs pour devenir invisible dans un environnement, mais de « voler » l’apparence d’un être. Nayima, de par sa profonde empathie et sa capacité de métamorphe, était donc capable de devenir l’autre.
La jeune femme, lorsqu’elle s’était réfugiée dans la forêt, avait donc pris les caractéristiques d’un des nombreux sapins l’environnant, intégrant ainsi le cycle calme et reposant d’une nature paisible et inébranlable.

Alors qu’elle se dirigeait vers l’origine de cette tempête, c’était donc ce calme qui assurait ses pas ; et surtout la certitude que la Forêt ne la mettrait pas en danger. L’entité la pressait de se diriger vers ce lieu, elle semblait impatiente ; ce qui vous en conviendrez est assez étrange pour une forêt, elle qui est en dehors du temps. Se sentant dorénavant attiré vers une certaine destinée, vers une rencontre inéluctable, Nayima entendait cependant l’avertissement de la Nature : elle devra se montrer prudente.

Du néant appelé, dans la confusion des éléments déchainés, le ciel se déchira et crachant son flot de puissance contenue laissa apparaître dans la violence des vents un dragon dans un état de délabrement avancé. Ses ailes géantes étaient faites de fusion de lave et de chair malade, tel des lambeaux de matière a demi fondues. Tenant son envol contre le vent, immobile face à Cassiopée, le souffle à ses narines crachait des volutes de fumées sanglantes qui embrasaient l'air a son contact. Quand il s'exprima, ce fut une voix rauque et malade qui résonna dans l'espace:

- Abandonne ta colère au silence et tes rites au Passé. Cela vient, les forêts ont chanté. Il n'est pas l'heure de se nourrir, et tu éveilles bien trop de bruit.

Ayant parlé, son corps fut pris de brusques convulsions jusqu'à ce que l'image du dragon s'effaça pour laisser approcher au seuil du sommet un jeune homme aux longs cheveux noires. Dans sa main droite, une longue épée de glace chargée d'une aura de feu semblait rafraichir l'endroit jusqu'à geler dans une brise glacée l'herbe qu'il foulait lentement pour s'approcher de sa consœur. Ses yeux armée du triple iris des Princes régnant la fixait comme pour lire en elle jusqu'à la moindre parcelle de son âme, devinant dans l’entrelacs de l'esprit l'affrontement mental qu'elle venait de subir.

- Tu sais bien que le hasard n'existe pas. Nous ne sommes jamais " ici" sans savoir pourquoi. Il existe ici quelque chose d'assez puissant pour tenir tête a tes élans de pouvoir, capable de modifier la structure que tu as façonnée. Je l'ai senti de là-bas et je suis curieux, tout comme toi, d'en comprendre l'origine.

Tout en parlant il réajustait ses habits amples pour masquer les blessures béantes qui s'ouvraient et se refermaient sur sa peau. Quoiqu'il arrive, la vision d'une chair malade pouvait effrayer leur proie. Puis comme s'il eut finit son discours il dépassa Cassiopée en lâchant nonchalamment un " J'ai faim en plus".

« STOP »

Nayima s’immobilisa. Pétrifiée, son cœur avait arrêté de battre quelques instants. Il s’agissait d’un ordre sans appel; sans aucun doute, sa vie dépendait de son obéissance. Pourtant, la peur qui s’immisçait en elle venait non pas de l’ordre, mais de son auteur. Jamais la Forêt n’était intervenue si directement, se contentant habituellement de transmettre des sensations.
La sage entité venait de « crier » un ordre ! Quelle chose, quelle puissance pouvait être apparu pour ainsi surprendre la Forêt ? Un sentiment d’urgence submergea Nayima. Visiblement, ce n’était pas l’instant pour les réflexions.

En face d’elle, un majestueux sapin essayait de capter son attention. Se concentrant sur le conifère, elle sut enfin ce qu’elle devait faire, elle devait devenir calme et sereine, elle devait n’être plus qu’un témoin du passage du temps, être elle-même un de ces êtres nobles, un arbre imposant.

Ses yeux fixaient intensément le sapin qui se prêtait modèle. Habituellement du bleu transparent d’une eau clair sur laquelle se posent les rayons du soleil, les yeux de l’elfe devinrent d’un vert profond, proche de l’émeraude. Sa peau si pâle prit une teinte brunâtre. Sa taille fine et svelte s’arrondit, s’élargit. Nayima prenait de l’ampleur, elle si petite parmi les géants de la Forêt aux mille sapins, devenait imposante. Ses jambes s’étaient dorénavant rejointes en un tronc, et chacun de ses orteils s’étendait profondément en terre à la recherche des éléments essentiels à son développement d’être végétal.
Ses bras semblaient également se déployer de manière infinie, et chacun de ses doigts devenait une ramification parée d’aiguilles d’un vert foncé.

La transformation paraissait terriblement lente à Nayima, elle sentait chacune de ses cellules se modifier. Ce n’était cependant pas une expérience douloureuse, mais étrange.
En réalité, la métamorphose était extrêmement rapide. Si un individu avait été témoin de la scène, il aurait simplement vu une jeune elfe disparaître en un instant, remplacée par un arbre millénaire qui, sans doute possible, avait toujours été là.

Devenu sylvestre, Nayima n’était dorénavant que calme et sérénité. Il ne restait de l’elfe qu’une infime parcelle inaccessible pour tout autre qu’elle-même. Elle serait témoin inébranlable du temps qui passe.
Calme et sérénité.

Témoin du temps qui passe…

Calme et sérénité.

Témoin du temps qui passe… et d’une rencontre.

La rencontre de puissances dangereuses.

La rencontre de deux êtres torturés et d’une étrangère à ce monde, qui ignore encore qu’elle a attiré l’attention d’un chat joueur, qui peut être très cruel avec la souris qu’il attrape.

Oui, une rencontre importante, surprenante et attendu. Une rencontre qui a réveillé la Forêt de sa torpeur.

Adossée à la paroi de la grotte, Vasariah écoutait la pluie qui s’abattait doucement sur la forêt. D’un geste tendre, elle caressa la tête du félin qui reposait sur sa cuisse.

La tempête va bientôt s’arrêter Ily. Nous avons encore une longue route à faire pour parvenir au sommet. Tu es prêt ?

Toujours. Mais avant, il est temps que je prenne mon repas.

Sans attendre la réponse de sa maitresse, il bondit sur le rongeur qui avait fait l’erreur de s’aventurer jusque-là. Coinçant le petit animal entre ses griffes, il lui donna un coup de langue joueur, et relâcha la pression. Le mulot inconscient profita de l’occasion pour fuir précipitamment. Mais c’était sans compter son adversaire. Celui-ci le rattrapa d’un seul bond, mais croisa le regard lourd de reproches de sa maitresse. Avec un feulement frustré, il saisit délicatement le mulot entre ses griffes, et d’un coup de patte l’envoya dans les airs. Le mulot totalement terrorisé couina, mais son cri fut vite étouffé par la gueule du fauve qui le goba. Repu et satisfait, celui-ci sortit de la caverne, Vasariah à ses côtés. Ils remontèrent un sentier en direction de ce qu’ils croyaient être le sommet. Mais au bout de deux heures de marche, ils durent se rendre à l’évidence.

On est perdus.

D’agacement la queue de l’animal balaya violemment le sol.

Comment pourrions-nous ne pas l’être ? Nous sommes entourés de sapins, tous identiques ! Nous tournons en rond… Cette forêt est dangereuse Vasariah, tu as senti comme moi la présence de ce matin. Et pourtant tu veux y aller ! Pourquoi te précipiter ainsi vers l’inconnu ?

Au sommet de cette montagne, il y a une présence qui m’appelle, qui m’attire. Lutter serait inutile, j’ai envie d’aller à elle. Nous avons fuis notre monde Ily. J’ai quitté ma maison, mes amis et ma famille. Tu as quitté ta meute et ton territoire. A jamais, je te serais gré d’avoir accepté de me suivre. Cette fois encore, je te demande de me faire confiance. Je ne sais pas ce que nous allons rencontrer au sommet, ni ce que cette rencontre va déclencher. Mais je m’en moque. Le temps de la fuite est révolu, celui de la quête commence. Nous avons perdu trop de temps en détours inutiles, nous allons quitter ce sentier et marcher à travers la forêt. Tous les cents pas, tu vas marquer un sapin de tes griffes, ainsi nous aurons des repères.

Les deux compères reprirent donc leur route. Ils quittèrent le sentier, et à intervalle régulier Ily s’arrêtait pour marquer d’un coup de griffe un sapin. Alors qu’ils se chamaillaient sur les qualités de chasseur du félin. Celui-ci s’éloigna d’un pas majestueux vers le prochain sapin à marquer. Il s’arrêta, ses yeux d’ambre défiant sa maitresse. Le sourire de celle-ci s’éteignit lorsqu’elle le vit sortir huit centimètres de griffes, aussi tranchantes que le poignard qu’elle portait à la taille. S’appuyant sur ses pattes arrière, il s’éleva et entoura le tronc de ses pattes. Il effleura comme avec douceur ses griffes sur le tronc. Mais Vasariah put distinctement voir les rainures que celles-ci avaient laissées sur le tronc centenaire. Seulement, cette fois ci un liquide coula des rainures. Alors que la sève du conifère goutait, Vasariah ressentit une puissance hostile qui semblait émaner de la forêt toute entière. Mais cette aura s’éteignit si vite que celle-ci cru avoir rêvé.

Cette forêt est décidemment pleine de surprises, Ily. Mais nous avons encore un long chemin à parcourir, remettons nous en route.

Mais tandis qu’ils s’éloignaient, un bruit les fit se retourner.

Nayima s’était sentie terriblement impuissante lorsque l’étrange félin avait révélé ses griffes acérées. Désemparée, elle espérait que son écorce serait assez solide pour la protéger d’une grave blessure.
L’elfe s’inquiétait également : les deux compagnons étaient-ils des acteurs de cette rencontre qui faisait l’objet de tant d’attention de la part de la Forêt ? Bien que l’animal paraisse dangereux, la jeune femme ne semblait pas menaçante.

Soudain, une intense et poignante douleur tira Nayima de ses réflexions. Chacune des énormes griffes avait laissé une entaille profonde. La jeune elfe, devenue être végétal, ne saignait cependant pas de la sève mais bien du sang, un sang fluide, inapproprié à guérir un tronc.
Nayima n’avait d’autres choix que de reprendre son corps elfique pour survivre. Mais pour cela, elle ne pouvait qu’attendre que les deux compagnons partent ; le risque que le félin se sente menacé était bien trop grand, elle mourrait s’en aucun doute avant d’avoir eu le temps de s’expliquer.

Alors qu’ils s’éloignaient, n’y tenant plus, Nayima cessa de résister. Perdant connaissance, l’arbre millénaire bascula. Ce n’est cependant pas un majestueux sapin qui toucha le sol, mais le corps svelte d’une elfe sur lequel apparaissait des plaies profondes.

Evanouie, Nayima n’eut pas conscience de sa chute. Le bruit provoqué par les mouvements de l’arbre avait fait se retourner les deux promeneurs. Ce qu’ils virent ne pu que les surprendre ; alors que l’arbre marqué s’effondrait, ce fût une jeune créature qui atteint le sol ; alors que celle-ci semblait inconsciente, une sorte de force amortie sa chute, la posant délicatement sur le sol.

Ily et Vassariah se retournèrent d’un même élan vers ce bruit, et ce qu’ils virent ne manquèrent pas de les surprendre. A la place du majestueux sapin qu’Ily avait marqué, un corps inanimé était allongé. Perplexes les deux compères s’avancèrent avec méfiance, mais celle-ci s’envola lorsqu’ils virent le corps évanoui d’une jeune femme. Vasariah s’agenouilla et retourna précautionneusement le corps. Elle put ainsi remarquer la forme particulière des oreilles mais aussi la blessure qui marquait sa jambe. Ne sachant que faire, Vasariah ôta sa veste pour compresser les griffures de l’arbre-elfe. Elle enleva également sa ceinture et forma ainsi ce qui pouvait ressembler à un garrot. Heureusement les coupures ne semblaient pas très profondes et l’elfe n’avait pas perdu trop de sang. Néanmoins elle restait inanimée. Désemparée, Vasariah tapota à plusieurs reprises la joue de la jeune femme, mais sans réponse. En désespoir de cause, elle souleva la nuque du sapin, enfin de l'elfe, et y glissa délicatement son sac à dos. Puis, elle recouvra la jeune femme d’une couverture. Ensuite elle s’assit contre ce qu’elle espérait être un vrai sapin, et attendit le réveil de l’elfe. Ily se sentant surement coupable, s’allongea contre le corps de la jeune femme pour le réchauffer. Adossée contre son arbre, Vasariah ne semblait pas sentir la morsure du froid. Immobile et sereine, elle veillait l’elfe endormi.

L’étrangère avait posé une couverture sur Nayima et ne pouvait donc voir les blessures de l’elfe guérir toutes seules. Certes la jeune femme ne disposait pas de pouvoir spécifique de guérison, mais en se retransformant, ses cellules reprenaient inexorablement exactement sa même structure naturelle ; mais puisque des cellules avaient disparu, cela prenait un peu plus de temps. Mais les blessures guérissaient peu à peu et sa vie n’était pas en danger. Le processus étant assez lent, Nayima se trouvait dans une sorte de stase, inconsciente de son environnement.

Cependant, une présence tentait de forcer son chemin à travers l’esprit endormie de Nayima. La Forêt s’entêtait à vouloir lui transmettre un message. Un message important. A force d’insistance, l’entité atteint son but ; Nayima se réveilla brusquement. Elle était perdue, elle avait mal, elle ignorait pourquoi un étrange animal était allongé à son côté, mais elle avait une certitude :

« Ils arrivent ! »

Vasariah s’était perdue dans ses pensées lorsque la jeune femme se réveilla brusquement. Alors qu’elle s’apprêtait à lui demander comment elle se sentait, elle croisa son regard perdu.

Au même instant Ily se releva :

Attention Vasariah, ils approchent ! Les puissances qui se trouvaient au sommet, je les sens qui viennent.

Les ailes dépliées et le poil hérissé, Ily vint se placer devant la jeune elfe encore allongée. Vasariah se leva calmement et s’approcha de la jeune femme.

Ah vous êtes réveillée. Je peux donc vous présenter mes plus humbles excuses au nom de mon compagnon pour vous avoir blessée. Heureusement je vois que vous êtes totalement remise de cet accident. Ceci dit, c’est tant mieux car nous allons bientôt recevoir de la visite.

Vasariah aida la jeune femme à se relever, puis elle vient se poster à sa gauche. Ily qui n’avait rien perdu de son attitude menaçante, fit de même à sa droite. Un sourire amusé aux lèvres et les yeux pétillants de curiosité, Vasariah attendit la suite des évènements.

Fareh !

Alors qu’il se promenait dans la sombre forêt, Fareh couvait les arbres des yeux, il poussait, de temps en temps, un jappement de surprise quand un écureuil sautait d’une branche à l’autre.

- Fareh !
S’exclama-t-il quand il vit une dizaine d’oiseau bleu prendre leur envol du haut d’un sapin majestueux, les poursuivants en courant du haut de ces jambes courtaude, il trébucha sur une racine.

- Fareh !
Cette fois, il avait prononcé son nom d’une voix pleine de colère, d’avoir perdu de vue les merles bleuet. Sa petite main toucha les genoux écorchés, elle fut bientôt recouverte du sang visqueux et noirâtre qui coulait de la blessure. Un nouveau jappement de peur s’échappa alors de sa bouche. Et il se releva de toute sa taille pour partir en courant. Quel spectacle hilarant de voir l’homme nain zigzaguer entre les arbres, tomber, se relever encore, et repartir de plus belle. Poussant des cris de peur, et des « Fareh » inquiet. Il avait lui-même oublié ce qu’il faisait dans la forêt, et les oiseaux, les écureuils ne lui inspiraient plus de bonheur, mais au contraire, ils voyaient en eux des êtres difformes, des monstres venu le tuer. Bien que, rien que le concept de mort, et de monstre lui était étranger.

Alors qu’il trébuchât encore, il sauta une fois de plus sur ces jambes, avant de frapper de plein fouet les jambes d’un homme qui marchait en compagnie d’une femme. Il tomba, tête derrière cul, Et poussa un « Fareh » de peur qui déforma son visage de nain déjà suffisamment détruit par la vérole, les coups, et les couteaux qui lui avait tranché le bout du nez. Il ne comprit même pas que ces personnes pouvaient lui faire du mal, mais, quand quelque chose, d’autre qu’un chat, pénétrait dans son champ de vision, Fareh pouvait éprouver soit un plaisir si immense qu’il en souillait régulièrement ses chausses, quand il en avait, ou une peur tout aussi puissante, et qui avait le même effet.
Et ce, sans pour autant connaitre l’un ou l’autre des sentiments. Ainsi, notre simplet fut en présence de l’homme surement le plus puissant de Ter Aelis, et de son pareil féminin.

En pénétrant dans la forêt, l'arme traînante dans sa main droite négligemment dans un ballet de flamme froide endormie, son nez fin et aguerri pressentit l'éclosion d'un flot de sang dans la directions qu'ils avaient pris.

Cela pleut du Sang et de la chair. Sous l'ombre, petite proie blessée, reconstruit lentement filament en filament du vivant affecté. jette son âme dans bataille de survie, inconscient. Faim à la gorge, effluve d'odeur.

Cette pensée mal ordonnée d'un esprit mal habitué au langage commun jetait pêle même les sensations éprouvées vers sa consoeur qui couvait le Prince de ce regard bienveillant, ce regard qui sait qu'il va se nourrir et par cet acte apaiser la colère sombre du Dragon qui le possède. Qu'une vie soit détruite pour le prix de son apaisement ne la préoccupait pas. La vie d'humain était insignifiante dans l'ordre des harmonies. Ce n'était qu'un incident. Fixant de nouveau son regard vers l'horizon saturé d'arbres, elle pressa le pas. Jusqu'au choc brusque et hasardeux d'une forme informe à leur pied et qui semblait par sa pensée confuse et sa voix maladroite crier un " Fareh" dont le sens leur échappait un peu.

Sanz exprima un rire nerveux avant de filer un coup de pied qui envoya bouler le monstre quelque mètres plus contre un tronc noir. Quand il se tourna vers Cassiopée, le regard de la Protectrice semblait avertir :" Je ne l'ai pas senti, apparu de nulle part, n'a pas d'odeur". Cette masse étrange et petite n'avait pas d'empreinte, du moins qu'ils sachent identifier. Epiant autour d'eux d'éventuelles surprises complémentaire, l'espace silencieux et l'allure ordinaire de la forêt ne leur confirma que deux choses : il est apparu de nulle part, la nourriture n'est pas loin. Sa voix fut lente et hésitante face a l'inconnu qui se relevait péniblement :

- Tu saignes, petite chose...

Attiré par la vue dépossédée d'odeur il tendit un doigt et effleura la plaie sur le genou de la chose puis appliqua l'échantillon à ses lèvres. Dans un mouvement désagréable de rejet il cracha brusquement avant de porter ses yeux pourpres irisées d'une rage irisée de mécontentement :

- Infect.

Ainsi, sans empreinte ni odeur, cette forme étrange n'était pas même digne d'être nutritive. Se retournant , il reprit son chemin tandis que Cassiopée semblait armée d'un léger sourire. Et ce fut au détour de l'ombre d'un arbre qu'il se trouva nez à nez avec leur proie jetée au sol, dans un état de semi conscience et d'émotions confuses qu'il ne savait pas traduire. Elles étaient deux si on ne comptait pas l'animal étrange qui semblait veilleur sur eux. Son regard vira au rouge sanguin, et la faim appelant la violence il ignora leur récente rencontre pour fixer son désir brûlant sur ces corps abandonnées que la nature lui offrait sous les frondaisons des arbres. En son être de chair consumée s'enflammait la faim du Dragon et l'espoir d'un assouvissement délectable. Et ce fut d'une voix grave et balbutiante qu'il dit haut :

Blessures recouvertes, conscience réacquise, pas de trace mais l'odeur quand même. Le sang tâche l'odeur. Nourrir mon Dragon... tu veux bien...

Levant son épée dont l'aura se faisait de plus en plus glaçante, ce fut la réplique de Cassiopée qui arrêta son geste :

- D'une masse sans empreinte à une qui sait se soigner seul, en passant par l'autre qui réagit aux vents. Nous allons abîmer de l'Etrange.

- Soigner...seul?

Satisfaire l’appétit du Sang n’était plus une mince affaire. Cassiopée ressentait sa soif d’énergie comme une plaie à vif et la faim insatiable de Sanz lui parvenait avec une intense avidité.
Ce dernier avait un tel besoin de nourriture que ses pensées n’arrivaient plus à Cassiopée qu’en leur état le plus sobre, dénuées de détails. Seuls l’axe principal et l’esprit fondamental demeuraient.
Bien que suffisants pour se comprendre, Cassiopée considérait l’état de son confrère d’un œil attentif.
Quand Sanz avait surgi dans la forêt des milles sapins, La Dame des étoiles avait été contrainte à interrompre sa quête d’Energie et Issac en son sein grondait :

-Peut-être seras-tu condamnée, toi aussi, à te nourrir du sang de ce félin qui se prend pour un dragon afin d’apaiser ma faim. A moins que je puisse goûter à la fibre juteuse de cette elfe…

Mais Cassiopée n’écoutait pas la voix intérieure qui la tentait.
Elle écoutait.
Elle entendait, au-delà des appels intérieurs, la présence de l’étrangeté.
Elle entendait le supplice d’une peur contenue et la maltraitance gardée en mémoire.
Elle entendait le contact rare de mondes à jamais oubliés qui venaient de se glisser parmi eux.

-Sens-tu Sanz, comme moi le potentiel de l’inconnu ? Attends un peu pour te nourrir. Il nous faut en savoir plus.

L’appel d'un savoir neuf avait résonné dans l’esprit des deux confrères dans une pensée unie. Cassiopée se dirigea vers les inconnus avec la précaution imposée par
L’exploration d’un monde nouveau.

Soudain, une boule de poils emmaillotée de haillons se projeta dans ses jambes, interrompant la progression lente de la Gardienne du Sang

- Qu’est-ce que…. ?

Le petit être sans odeur cherchait à s’accrocher à la brume qui l’habillait. Mais ses larges paumes ne brassaient que du vent sans pouvoir effleurer un lambeau de chair.

- Que cherches-tu petit ?

-Fareh ! Fut la seule réponse qu’elle obtint.

Ne sachant que faire de la boule de poils difforme qui cherchait à l’agripper comme on cherche un abri, elle l’enveloppa d’une aura de protection, le temps de concentrer son attention sur les êtres étranges qui les regardaient progresser lentement vers eux.

Nayima était toujours assommée. Une multitude de sensations ne cessait de l’assaillir et l’empêchait ainsi de reprendre ses esprits. Submergée, elle ne pouvait réaliser pleinement ce qui se déroulait autour d’elle, et c’était donc sans être réellement présente que l’elfe avait assisté à l’arrivée de deux nouveaux individus, puis d’une troisième étrange personne.

Pour l’instant, l’esprit loin de cette rencontre, Nayima essayait de calmer le flot de sensations afin de reprendre contenance. Sa transformation l’avait rendu à nouveau pleinement sensible aux émotions d’autrui, et il y avait là beaucoup de trouble.

Elle avait d’abord été réveillée par la sensation d’une arrivée imminente, d’une rencontre attendue ; mais ce brusque réveil l’avait surprise et Nayima était troublée. Puis ce fut un sentiment de culpabilité qui l’assailli, accompagné de la volonté d’une farouche protection.

Brutalement, la peur l’agressa, une peur plus distante. Dans le même temps, s’approchait une volonté bien plus maléfique, un être résolu à se nourrir, un être qui ne semblait connaître la compassion. Cette puissance était suivie par une présence féminine dont émanait une aveugle confiance, l’acceptation de ce qu’était son compagnon.

Alors que le tumulte de sensations se rapprochait, une rage cruelle étouffait Nayima, brusquement remplacée par la surprise et la curiosité.

Nayima se noyait, elle ne pouvait comprendre, elle ne pouvait contrôler cette cacophonie. Elle était venue chercher calme et sérénité dans cette forêt et voila qu’elle était plus que jamais à la merci de son empathie, plus que jamais désarmée.

Ce fut alors une colère aveugle qui envahit l’elfe, la colère de ne pouvoir être maître d’elle-même, la colère de l’incompréhension, la colère de l’injustice, une telle colère prit le dessus sur tout le reste. La jeune femme reprit conscience de son environnement, ce qu’elle vit ne fit que donner plus de force à son courroux, elle vit les responsables de ce chaos. La fureur prit possession d’elle, et ce fut donc avec furie, sans mesurer le danger, sans entendre les avertissements de sa Forêt, qu’elle hurla :

« QUE CELA CESSE ! QUITTEZ MA FORET ! »

Vidée soudainement de sa rage, l’elfe n’avait plus de force, elle tomba assise, entourée d’un halo de sérénité. La Forêt était inquiète pour sa protégée, elle l’avait amené droit à un danger pour lequel la pauvre petite n’était peut être pas encore prête. Ce halo était un moyen pour l’entité de la calmer, il y avait là des puissances qu’il pouvait être bon d’intéresser, mais pas d’énerver. Mais c’était également un avertissement envers les acteurs de cette rencontre, la jeune elfe n’était pas si seule qu’elle le paraissait.

La faim, son ignominieuse faim grandissant, voilant peu à peu sa méfiance, et les précaution de sa compagne. Le dragon s'éveillait dans son âme trop petite : il sentait ses entrailles se serrer et ses mains trembler. Devant lui, les corps appétissants des jeunes filles luisaient telles des richesses qu'on lui accordait enfin après de longs mois de jeun. Défiant les propos de Cassiopée, le Possédé s'approcha un peu plus près, sa main effleurant la joue de l'elfe qui venait de hurler sa colère. Sa main brulante semblait consumer la peau dans son sillage, laissant une marque brune au passage.

Ce fut à ce moment là que choisit la bête étrange qui accompagnait l'autre jeune fille pour lui sauter au visage et le projetant au sol , griffa violemment son visage. Il émit un cri de surprise, heurtant le sol. Rebondissant mollement comme un chaut, ses yeux ardents se transformèrent en des pupilles brisées par la colère. Insouciant des longues saillies qui crachaient de légers filets de sang brûlant, incapable de ressentir la douleur, il amorça une contre offensive en se jetant sur le chat sauvage aux grandes ailes. Roulant-boulant, sur de longues distances, semblables à des fauves enragés, l'affrontement dura peu de temps. En quelque mouvement violents, l'animal fut assommé contre un tronc d'arbre, le ventre lacéré par l'épée que tenait dans sa main droite le Prince. Debout, l'expression calme, il fixait le corps inanimé un long moment avant de se retourner. Les yeux qui le fixaient basculaient entre la colère et l'effroi, en passant par le regard apaisant de sa compagne qui avait décidé que leur proie était finalement trop intéressante pour qu'on ose les tuer et en faire de bons repas. Dans ce regard, il lisait la réprobation et l'engouement lié à la rencontre. Lui ne ressentait que sa faim. Abandonnant l'animal vaincu il revient vers les jeunes femmes mais son attitude avait changé. Il paraissait plus distant, moins impatient. Quand il parla ce fut d'une voix calme :

Je... m'appelle Sanz. Je crois que...j'ai faim. Si vous...pouviez m'aider, s'il vous plait.

Son ton hésitant paraissait celui d'un enfant, son attitude celle d'un homme gêné. mais, véritablement, au fond de lui, ne transpirait aucune émotion sinon celle du prédateur attendant son heure. Tout en parlant il s'était rapproché de Nayima et d'un vif mouvement lui griffa la joue brunie afin d'en retirer une goutte de sang qu'il goûta du bout des lèvres. L'extase de l'échantillon, le goût tendre et frais lui tira un sourire:

Vous... pouvez...m'aider. Soyez gentil. Vous ne voulez pas finir comme le petit animal assommé?

Ils surgirent au détour d’un arbre. Sans compter la chose étrange qui se tenait à leurs pieds, les deux êtres étaient redoutables. Malgré elle, Vasariah sentit une onde de peur parcourir ses membres. Le regard de l’homme était empli de bestialité. De la femme à ses côtés émanait une violente puissance mais aussi une grande sagesse. Alors qu’elle analysait les inconnus, les choses s’accélérèrent. L’elfe se transforma en une furie incandescente de colère, elle hurla aux étrangers de partir de sa foret. Le jeune homme aux longs cheveux noirs s’approcha alors d’elle et caressa sa joue, laissant une large trace brunâtre. Au même instant Ily bondit sur l’homme et le renversa. Malgré ses blessures, celui-ci se releva et avec fureur envoya le félin au sol après lui avoir déchiqueté le ventre de sa lame.

Vasariah fut la première surprise de sa réaction, ou plutôt de son manque de réaction. Elle avait toujours pensé que si une pareille chose arriverait à Ily, une rage froide s’emparerait d’elle. Mais pas du tout. Elle semblait vidée de tout sentiment, de toute réaction. Désemparée, elle observait son compagnon assommé, baignant dans son sang et ses tripes.

Et puis les émotions se déchainèrent en elle. Un tsunami de de haine, de douleur et de colère se fracassa contre sa raison. Celle-ci s’effondra en même temps que ses genoux. Tombant à genoux elle leva ses yeux pleins d’une farouche détermination vers la femme, et déclara d’une voix rauque :

L’homme qui se tient à votre côté, a blessé celui auquel je tenais le plus au monde. Et maintenant sa soif dévorante est orientée vers la jeune elfe et moi-même. Je viens d’un monde que j’ai dû fuir, tant la guerre, l’horreur et le chaos étaient présents. Des êtres très puissants et mauvais hantaient nos contrées, tuant sans hésitation quiconque se dressait sur leur chemin, ou plus généralement par simple plaisir. J’ai abandonné les miens et failli mourir pour partir et rejoindre cette terre. Je pensais avoir trouvé dans cette forêt la sérénité et la paix que je recherchais. Mais vous êtes arrivés. Défiant la nature et nous attaquant, vous êtes venus. Néanmoins je n’ai pas peur de vous. Vous ressemblez à ceux que j’ai fuis. Sauf que cette fois je ne fuirais pas.

En prononçant ces mots, Vasariah ressentait le pouvoir, alimenté par le flot d’émotions qui l’assaillait. Elle le sentit gonfler en elle en vague qui ne demandaient qu’à être libérées. Alors elle se releva, défiant de son regard d’azur les yeux aux triples iris. Et elle attendit l’assaut mortel.

Rages inutiles d’humanités qui se sentent agressées mais qui ne savent pas ce qui les attaque.

Colères bienvenues qui alimentent l’atmosphère d’une électricité pétillante.

Cassiopée profitait du feu mental des êtres comme on goutte une friandise. Leur goût avait le parfum piquant des âmes courroucées. Elles lui arrivaient par bouffées de hargne et d’emportement.

-J’aime assez le fumet qui émane de ces jeunes proies. Ne veux-tu pas déchainer l’irascibilité de la femme au chaton afin que leur violence alimente ma faim ?

L’impatience d’Issac devenait un puits de succion dans l’âme de Cassiopée. La faim des Noz était réelle et à ne pas prendre à la légère.
Pourtant, Cassiopée ne lui laissait pas imposer sa volonté.
Elle surveillait le moindre geste de Sanz, prête à intervenir dans le cas où ses actes iraient trop loin.
Mais il se maitrisait, tout autant capable qu’elle de reconnaître l’originalité.

Elle avait ressenti au fond de sa gorge la tiédeur de la goutte que Sanz avait léchée. Le Sang se nourrissait du moindre filet de sang et celui-ci avait l’odeur de sombres pensées qui ne lui étaient pas inhabituelles. Le peu qui l’avait atteinte avait laissé derrière lui des relents d’une tristesse connue et Cassiopée voulait en savoir plus.

-Les corps sont sains Sanz, mais ils n’ont rien de candide. Par contre le sang de la fille au chat est étrange. Je ne suis pas certaine que ce sang frais soit authentique.

Cassiopée dominait à présent la jeune guerrière qui lui faisait face à genou devant elle mais la hargne plein les mots.

-Sois heureuse que ce ne soit pas toi qui te retrouve au sol à présent. Pourquoi ton espèce de chat s’est-il jeté sur Sanz. Ne répond-il pas à tes ordres ? Oserais-tu nous affirmer que tu ne le commandes pas ? Si tu nous attaques, ne viens pas pleurer qu’il soit en sang maintenant.

La réponse de Cassiopée avait claqué comme un fouet dans l’air chargé de tension.

Vasariah écouta la réponse de Cassiopée, puis lui donna la sienne :

- A quoi cela me servirait-il d'avoir un esclave sans aucune volonté propre ?

Evidemment je pourrais asservir Ily, faire de lui ma chose, qu'il se nourrisse quand je le commande, qu'il obéisse au moindre de mes ordres. Mais je n’ai pas fait ce choix-là, je ne veux pas d’une marionnette. Il existe des choses qu’on ne peut dominer, Ily en fait partie.

Avant de décider de me suivre, il était comme un roi parmi les siens. Il avait sa meute et son territoire. Mais il a choisi de les quitter et de venir avec moi. Je n’ai jamais eu besoin d’utiliser mon pouvoir pour le contrôler. S’il a attaqué Sanz je suppose que c’était pour nous protéger. Si vous étiez en danger, votre compagnon n’interviendrait-il pas ? Je parle ici de votre dragon affamé.

Mais n’inversez pas les rôles, puissante Cassiopée, je ne vous ait pas attaqués. C’est plutôt vous qui êtes venus à nous, et avez blessé l’elfe. Ily n’est intervenu que pour la défendre.

Les mots de la jeune fille résonnèrent dans la forêt silencieuse.

Quand la main brûlante de l’homme toucha la délicate peau de Nayima, une soudaine et intense douleur la transperça. La brûlure fut étonnamment brève, elle sentait sa peau abimée, sèche, tiraillée.

L’aura de sérénité gardait Nayima calme, la préservant de la panique. Elle assistait à la scène avec détachement. Le félin attaqua brusquement l’être dangereux, mais le combat fut bref, la défaite sanglante pour l’animal.

Alors que l’amie de son défendeur s’indignait auprès des étrangers, Nayima s’approcha du félin. La culpabilité s’imposant rapidement à l’elfe, l’animal allait mourir par sa faute.

La Forêt s’inquiétait pour sa protégée, elle l’avait dirigé vers cette rencontre fondamentale pour son destin, mais l’elfe était déjà meurtrie, physiquement et moralement. L’entité savait que la jeune fille était encore trop fragile face à une telle culpabilité.

Il n’était pas habituel pour la Forêt d’intervenir, elle était par nature un témoin silencieux de temps. Nayima était arrivée il y a près d’un an, et s’était transformé en un jeune sapin, discutant avec els arbres proches. Peu à peu, l’illustre entité s’était intéressée à cette inconnue, aux sentiments qui habitaient cette créature, à ce maelström de pensées, de sensations, de questionnements.

Elle s’était donc attachée et ne pouvait se résoudre à laisser sa protégée vivre avec la culpabilité de cette mort. Elle décida donc d’aider l’elfe en lui révélant une capacité dont elle avait hérité mais dont elle ignorait encore l’existence.

Alors que la culpabilité la rongeait, Nayima entendit la Forêt, elle fut d’abord surprise de cette intervention, mais les connaissances transmises lui firent bien vite oublier l’étrangeté de cette aide. Nayima avait en elle la capacité de guérir ! Après réflexion, cela n’aurait pas du l’étonner ; si elle pouvait se soigner naturellement après transformation, c’est bien qu’elle devait avoir un don naturel.

Cependant, si se soigner ne nécessitait pas son intervention active, guérir autrui exigeait un sacrifice de sa part. Son sang était capable de copier tout métabolisme, donc il faudrait qu’elle partage son sang et le dirige vers la forme nécessaire.

Déterminée, elle se leva, se dirigea vers la propriétaire de l’animal, lui prit son couteau et s’entailla le poignet. Insensible à ce qui se passait, ignorant les réactions des autres protagonistes, elle se dirigea, concentrée, vers le félin et laissa goutter de précieuses perles de sang sur la blessure de l’animal, tout en murmurant tel un mantra : « Guérison… Guérison… Guérison… »

En se mélangeant, les cellules du sang de Nayima amenaient les cellules du félin à se reconstruire. Lentement, il cicatrisait, rapidement Nayima s’affaiblissait. Lorsque son protecteur fut hors de danger, elle soigna sa propre blessure.

Soulagée, elle se leva, un peu vacillante, regarda les différents présents et déclara agacée :
« Qui êtes vous ? »

" Nous sommes.... Prince du Sang et de son Héritage... nous... Seigneur du Convent du Trahi... nommé Confrérie du Sang".

La réponse de Sanz fut hésitante, entrecoupée de son observation silencieuse des soins de la guérisseuse. Ses pratiques relevaient des méthodes van'shi qui sacrifiaient leur chair pour créer de la chair, lieu commun du partage et du rite de recréation à partir du sacrifice - culture perdue par les âges et la disparition des Empires du Sang. Un éclair traversa son regard. Peut être, un jour, saurait- elle le soigner de sa lente décomposition éternelle, lui qui mourait chaque jour sans pouvoir y trouver un terme dans la renaissance ou la fin absolue. Sa chair se détruisait lentement tout en se reconstruisant sans jamais laisser de repos au Dragon malade qui le possédait. Ainsi vivait-il dans une souffrance continue qui ne connaît ni de récession ni de progression. L'attrait pour Nayima face à ses compétences lui fit disparaître temporairement sa faim. Elle n'était plus une proie, elle devenait un potentiel. Et le Sang ne gâchait jamais le potentiel. Il s'approcha du miracle qui opérait lentement devant leur yeux, constatant de son propre chef la guérison de l'animal. Sa lame aurait du provoquer des dommages irréversibles, de ceux qui s’infectent et épuisant la cible finissent par la tuer. Au contraire, elle soignait et la germe de contamination qui était appliquait au contact de la lame et la blessure. Un moment fasciné, la scène fut suspendue dans un temps d'hésitation jusqu'à ce qu'il sorte de ses pensées et rouvre lentement ses yeux.

" Tu sais soigner, cela est... bien... . Nous, puissant, pourrions t'apprendre bien plus...si toi... acceptait nous rejoindre peut etre... "

Ce n'était pas vraiment une proposition mais une alternative. Si ce n'était plus une proie, elle devait être utile autrement. Dans sa tête, les probabilités s'ordonnaient activaient un courant de décisions rapides. En quelque sondes mentales, il avait déterminé si elle pouvait supporter ce que le Sang infligeait jour par jour à ses membres. Et loin de son aspect fragile, et de sa colère irrationnelle, elle saurait peut être.

Il se tourna vers Cassiopée avant de murmurer:

" Emmener les trois quelque part, au palais, ou clairière des Dragons de Pierres, voulons en savoir plus, voulons comprendre".

Le ciel lourd et chargé s’était abaissé. Il recouvrait la forêt d’une brume liquide et froide. Les bourgeons nuageux effleuraient les cimes, simple menace climatique que la futaie de sapins connaissait bien et dont elle ne négligeait pas les conséquences pour les siens. Le crachin s’insinuait maintenant sur le sol en répandant l’odeur de la colère.

Cassiopée fulminait devant la femme qui défendait son chat.

- Si seulement votre bestiole est intelligente, elle manque de lucidité, Femme.

Nous ne sommes pas ici que de simples passants et les propos d’un Prince du Sang ne sont pas que des mots. L’attaque initiale est de votre fait. Votre Ily a agressé aujourd’hui deux personnes. Je vous considère comme intruse sur nos Terres et en tant que protectrice du Sang, je vous tiens prisonnière. Vous apprendrez dans nos cachots à maitriser votre compagnon.

Le visage de Cassiopée d’habitude avenant s’était fermé et reflétait la colère qui sourdait encore en son sein. Le grondement d’Issac résonnait dans sa poitrine et on aurait pu croire qu’elle en était l’origine.
Ses yeux s’assombrirent au point de n’être que deux globes d’un bleu sombre parsemé d’étoiles. La colère provenait des cieux et seule, elle tentait de la maitriser.

Un éclair zébra alors le ciel devenu opaque. L’éclat fut si violent que chacun fut contraint de fermer les yeux. Quand ils les rouvrirent trois femmes aux traits étranges marqués de longues arabesques empoignèrent la jeune fille et son animal.

- Ce n’est pas la peine de chercher à vous enfuir. Les fées d’Orh sont suffisamment sournoises pour prendre plaisir à jouer à chat et à la souris avec vous. Je crains que votre animal de compagnie n’apprécie guère de passer pour un de ces petits rongeurs.

Cassiopée se tourna alors vers l’elfe. Elle paraissait aussi fragile qu’elle transpirait la solidité d’une forêt amie. Elle avait, sous leurs yeux, accompli un exploit qu’elle-même malgré toute la science acquise depuis son plus jeune âge n’était capable de réaliser qu’au prix de passes dangereuses et incertaines.

- Les arbres amis sont des êtres que vous semblez connaître. Mais vous semblez faible et avoir besoin de réconfort. Nos palais sauront vous accueillir.

Une des trois fées vint se placer aux côté de Nayima en une position qu’on n’aurait su juger si elle était protectrice ou combative.

Vasariah n’eut même pas le temps de répondre à la femme qu’un éclair zébra le ciel. Instinctivement elle ferma les yeux, et lorsqu’elle les rouvrit, elle fut entourée par trois terrifiantes créatures. Alors que la troisième s’approchait de Nayima, Vasariah se décida à libérer son pouvoir. Se tournant vers l’elfe et lui dit d’une voix douce :

- Nayima, tu as guéris mon compagnon, à jamais je t’en serais gré. Si tu me permets un conseil, couche toi à terre et couvre ton visage.

Et sur ces bonnes paroles, elle donna libre cours à sa puissance.

- Pumas, lynx et cougars de cette forêt, je vous appelle. Ours, Grizzlis et loups de ces lieux, venez à moi. Serpents, insectes et sangliers qui habitez ici, entendez mon appel. Animaux de cette forêt, je vous sommes de venir et de combattre pour moi.

Alors la terre trembla sous les sabots des animaux déchainés et un intense bourdonnement fit écho aux hurlements des animaux. De partout les bêtes arrivèrent et se ruèrent sur les fées d’Orh qui furent jetées à terre. Leurs corps furent piétinés, mordus, griffés, mangés et trainés sur le terreau de la forêt. Soudain le ciel devient entièrement noir et les insectes et oiseaux de la forêt se jetèrent sur le Prince et Cassiopée, piquants et déchiquetant de leurs serres la chair.

Ensuite Vasariah décida d’éliminer la menace que représentait le compagnon de la femme, en l’endormant.

- Issac, le Garde Vent, tu me sembles bien fatigué, tu devrais dormir…

Puis, sur un signe de sa main, les animaux se calmèrent.
Elle puisa alors dans les tréfonds de son être et lança son pouvoir sur le Prince. Doucement il l’enveloppa et s’immisça en lui. Cette manœuvre parut durer des heures à Vasariah mais en réalités, cela ne prit que quelques secondes pour rentrer dans sa tête. Ce qu’elle y lut la glaça mais elle se força à continuer. Essayant de maitriser sa voix peu assurée, elle lui dit mentalement :

- Prince, je ne veux pas la guerre, mais si vous m’attaquez, soyez assuré que je me défendrais. Néanmoins, vous n’avez pas besoin de faire de moi votre prisonnière, je vous suivrais librement. Et je vous donne ma parole qu’Ily et moi-même ne vous attaquerions pas, tant que vous faites de même de votre côté. Qu'en pensez vous Prince ?

Et un sourire cajoleur aux lèvres, elle rompit leur lien mental, s'abstenant de lui dire que ce lien serait éternel et que dorénavant elle pourrait entrer et lire en lui avec facilité.

Le Ciel n’est jamais étranger aux évènements. Il réside sous la voute céleste un décompte du temps qui ordonne sans fin les agissements et les œuvres de l’humain. C’est dans l’ordre des choses.

Lorsque l’éclair raya le ciel, le grondement d’Issac se confondit avec les hurlements qui beuglaient dans la tourmente. Le dragon gardien des Vents encore enserré dans Cassiopée se libérait d’elle pour la protéger. Le Tisseur de Vents parlait.

Sous ses yeux qui luisaient comme deux immenses menaces lumineuses dans un ciel aussi noir que la nuit, un îlot de terreur fut isolé.
C’était une bulle de folie, dans laquelle la forêt devint le théâtre du hululement des bêtes qui mordaient. Les gueules aux crocs acérés déchiraient la chair comme si elles étaient mues par une force invisible. Venant de nulle part, arrivait une faune avide de sang qui se jetait comme un seul corps sur les membres de la Confrérie.

En son centre une petite femme se sentait reine d’une puissance sans limite.
Elle n’avait sans doute pas encore connu telle victoire. Anéantir la peur n’est pas un mince triomphe. Pour la vaincre, elle s’était plongée dans une magie dont elle ne pouvait être maîtresse dans l’entrelacs tissés autour des membres du Sang.

Lorsque l’éclair avait zébré le ciel, elle avait fermé les yeux…

Lorsqu’elle les ouvrit, son corps était étendu sur le dur sol de la pierre froide de la haute cour des Palais de l’Orgueil.

Mais elle n’était pas seule. Son animal était à ses côtés et Sanz la dominait de toute sa taille, le visage livide, cernés par la garde noire au complet.

Cassiopée atterrit dans l’instant, escortée par les fées d’Orh qui transportait un nain pelotonné en boule, le regard hurlant la frayeur. La jeune elfe avait accepté d’être emportée par la voie aérienne lorsque Issac lui-même avait approché ses naseaux près de ses joues pour y souffler son haleine chargée de nuit.

La Dame des Etoiles fendit le cercle fermé de la garde accompagnée de l’elfe.

- Bravo Sanz, tu as atteint un sommet de l’onirisme. J’espère que ce rêve aura eu sur elle les effets escomptés et que cette incubation par le rêve la libérera de ses frayeurs.

Elle se tourna vers l’elfe afin de constater :

- Vous n’avez, vous, aucune peur réelle. Vous semblez seulement perturbée par notre venue.
Vous connaissiez cette jeune femme ? Si ses rêves relatent ses pouvoirs, vous êtes toutes deux de fort intéressants personnages.

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