La Taverne L* P*lace ... [zone publique]

Henri grommela quelque chose qui aurait pu être le prix d'une chambre s'il n'avait été si prohibitif. Le barman regardait l'inconnu, les bras croisés, attendant une réponse. Donc, c'était bien un prix. Puisqu'il menaçait sa danseuse, il en paierait le prix.

Lùthien, elle, retint à grand peine un fou rire, tout en penchant légèrement la tête sur le côté pour examiner l'étranger avec curiosité. Non pas qu'elle ne croyait pas ses menaces, les dragonniers n'étaient pas réputés pour leur humour, mais simplement, ce n'était pas la première fois qu'on lui disait ça. La chasseuse acceptait donc le jeu tout en continuant d'être elle-même. Elle prit un instant pour faire rouler les deux noms dans sa tête. Znas et Clarence. Ni l'un ni l'autre n'éveillait le moindre écho, et son dernier vrai repas remontait à plus d'un an lors de sa chasse dans Galvorn. Etait-ce cela?

Enchantée, Znas. Il faut bien plus qu'une simple colère, même sous la lune ronde, pour que je dévore des enfants. Soit il y a mal-donne et j'en serais presque déçue, soit il s'est passé quelque chose dont je n'ai pas conscience, ce qui me rendrait légèrement furieuse. Je me doute que tu te fiches que je m'en souvienne ou non, cependant j'aimerais connaître les détails.

Un doute l'avait effleuré en pensant à sa longue hibernation dans le cimetière suite à son combat contre le répurgateur. Pourtant la faim qui l'avait tenaillée à son réveil lui faisait douter qu'elle ait pu avaler quoique ce soit de plus gros qu'un rat pendant ce temps. Ou alors le démon avait réussi à reprendre le contrôle pendant un temps, sans qu'elle même reprenne conscience, et il avait dépensé son énergie sans compter dans des tueries sanglantes. Un frisson parcourut l'elfe à cette pensée peu réconfortante.

Henri avait remis la clé de la chambre n°4 de très mauvaise grâce à l’individu aux pupilles fracassées. Seul le regard appuyé de Luthien l’en avait décidé.


Cassiopée se tenait à l’intérieur de la chambre, debout près de la fenêtre. Elle suivait des yeux le lent chemin d’une gouttelette qui s’arrêtait pour se gonfler de cette autre de la même eau qu’elle. Alors que la goutte reprenait sa route, la clé tourna et la porte s’ouvrit.

Sanz ne fit aucune remarque à sa présence dans cette pièce. Elle ne l’étonnait pas. Il n’y avait rien à en dire car tout était dans l’ordre des choses. La gardienne harmonique était à sa place.

Il s’installa dans un fauteuil en fermant les yeux. Son visage émacié était marqué de larges plaies sanguinolentes. A cet instant, les blessures semblaient vivantes. Elles pulsaient leur propre régénération comme leur dégénérescence.
Ce fut elle qui brisa le silence.

-Znas….
Ainsi. C’est fait…
Que comptes-tu faire de Luthien ?

Cassiopée était inquiète. Luthien était un être étrange qu’il était impossible de considérer comme une amie tant elle était sauvage dans l’âme. Pourtant Cassiopée ne lui était pas étrangère. C’était Luthien qui était venue à son aide lorsque Freuzne l’avait attaquée. Sans son aide précieuse, elle ne savait pas ce qu’il serait advenu d’elle-même.


-Cesse donc tes sensibleries Cassiopée. Il n’est plus temps de considérer la chair. Vois au-delà.

La voix intérieure qui venait brutalement de secouer ses pensées faisait écho aux pulsations qui lui brûlaient la peau, près de son sein, là où résidait Issac.

Comme elle s'y attendait, Znas ne lui avait répondu, l'ignorant totalement, et, après avoir payé le prix exhorbitant demandé par Heni, était monté dans sa chambre, sans un regard pour sa future victime. L'elfe avait contemplé les escaliers quelques secondes avant de hausser les épaules et de retourner au bar pour finir son second verre de vodka. Avant que le barman n'ouvre la bouche, la chasseuse l'avait devancé, lui intimant le silence d'un geste de la main.

Se passera ce qui se passera. Tu le sais et tu n'es pas de taille. Son dragon te croquerait sans même s'en appercevoir. Son regard doré était perdu dans le vide, réfléchissant aux implications. Puisqu'il a pris une chambre ici, j'irais dormir ailleurs. D'une part parce qu'il serait beaucoup trop simple que je reste ici et d'autre part parce que la taverne risque d'être en ruines avant la fin de la nuit. Hmmm, j'irais dans les égoûts, je n'ai pas envie qu'il dévaste mon appartement. Tu lui diras s'il te pose la question.

Le barman hocha sombrement la tête. Cela ne lui plaisait pas mais il savait n'avoir pas le choix. De plus, il avait la responsabilité de la taverne ce qui passait avant tout.

Lùthien commanda un troisième verre et contempla la salle. L'ambiance était retombée maintenant qu'elle ne dansait plus et les ivrognes se tenaient à carreau après sa démonstration de force. Tout était calme. Trop calme. Sa peau fourmillait d'excitation contenue. Cela faisait longtemps qu'on ne l'avait pas ainsi menacée, directement. Un frisson d'impatience la traversa. L'idée qu'elle puisse avoir tué une enfant sous l'influence de la lune lui paraissait toujours impossible et la chasseuse pensait plutôt à une erreure. Elle savait ne pas être la seule lycanthrope dans Ter Aelis. Mais peu lui importait. Une seule chose comptait : la Chasse !

Cassiopée avait accompagné chacun des gestes de Znas. Les yeux plissés par l’effort qu’elle devait faire pour conserver sa volonté ancrée dans l’accomplissement de leur objectif unique.
Lorsque le barman s’était effondré sur le sol de la Taverne, son regard était aussi dur que celui de la glace. Il en avait la teinte noyée d’eau et d’éclats froids. Elle avait vu la vie persister derrière la peur et la souffrance de l’homme, et l’heure n’était pas à s’émouvoir d’une carnation sans intérêt.

Il avait rapidement franchi la distance qui les séparait de la porteuse. A présent, Luthien levait son visage vers Znas, le corps à l’affut du moindre geste.
Dans le silence parfait qui s’était établi au sein du trio d’individus qui se faisaient face, seul résonnait le claquement sinistre du ruissellement qui glissait le long du mur et entrait en contact avec le courant silencieux de l’eau des égouts.

C’est l’heure Petite…

Comme un écho à la phrase prononcée par Znas, une voix au timbre profond se fit entendre

C’est l’heure Petite….

Luthien chercha dans la brume épaisse celui qui venait de parler. Mais elle s’arrêta sur Cassiopée.
La Dame des Etoiles était à présent translucide. Son cou gracile se mêlait à celui plus massif de l’esquisse d’un dragon dont les traits n’étaient qu’évoqués. Lorsque Cassiopée pencha la tête, les deux formes se murent en chœur, totalement liées. Mais elles gardaient un aspect irréel qui semblait habiller les silhouettes de Vents.

C’est l’heure Petite…N’aie pas peur. Nous avons réussi à te retrouver. Ne crains rien.

C’est l’heure Petite…

Lùthien avait plongé son regard doré dans le bleu de celui de Znas. Bien sûr aucune pitié à attendre mais de toute façon elle n'en aurait pas demandé. La bataille allait être rude, la Chasseuse le savait. Quelle que soit la véritable raison de cette attaque, elle devrait donner son meilleur pour s'en sortir. Ou mourir. Cette idée ne l'effrayait pas, il y avait bien des années qu'elle s'y était faite. Et même si ses chances étaient infimes face au dragonnier, elle ne se rendrait pas sans combattre. Jamais.

C’est l’heure Petite…N’aie pas peur. Nous avons réussi à te retrouver. Ne crains rien.

En voyant la silhouette de Cassiopée entremêlée à celle d'Issac, Lùthien eut un regard déçu. La nymphe était une personne qu'elle appréciait et qu'elle aurait voulu connaître plus intimement. Toutefois, l'intimité de la mort n'était pas ce qu'elle avait espéré.

Reportant son regard sur Znas, elle répondit d'une voix grondante.

Rien ne me fait peur, même pas toi. Allons-y.

A peine sa phrase finie, l'elfe se changea en louve noire. Elle garda la taille maniable du loup mais fit appel au démon qui passa plus au devant de la scène de son esprit, se mélangeant à son hôte, recouvrant la silhouette poilue d'une aura rougeâtre mauvaise.

Lùthien n'attendit pas qu'on l'attaque, elle passa à l'assaut en même temps qu'elle se transforma. La louve se jeta sur le bras tenant l'épée, à une vitesse folle, difficile à suivre pour un oeil normal. Les mâchoires puissantes claquèrent.

-Non. Laisse-la se vider…. Trouvons plutôt un moyen de conserver ce sang.

Au moment où Sanz s’apprêtait à trancher le cou de la bête, Cassiopée avait arrêté son geste.
Elle n’avait fait que poser la main sur l’épaule de son Compagnon. Certaine qu’il savait au moment de son acte ce qu’elle allait faire.
En même temps qu’elle lui adressait sa demande de patienter, elle fit apparaître dans sa paume une longue corne torsadée.

Mais elle se rétracta.

-Je n’ai pas envie d’utiliser le langage d’Epoé pour récolter ce sang. Il est trop chargé de poison et sent à mille lieux le parfum de la mort.

Sur le sol, la louve léchait sa plaie à petits coups de langue pointue qui ne faisaient qu’effleurer la blessure. Le sang s’écoulait par la béance un peu trop rapidement au gré de Cassiopée.

-Tu vois la couleur un peu verdâtre du sang ?

Elle était maintenant au dessus de leur proie et la louve en profita pour regrouper toutes les dernières forces que la blessure n’avait pas encore atteintes pour se jeter sur la Dame des Etoiles.
Elle arma sa mâchoire avec la rapidité de l’éclair et chercha à happer la jambe si proche.
Mais Cassiopée avait précédé l’éclair comme la pluie précède le vent et avait simplement virevolté pour se trouver de l’autre côté de la bête.

-Calme-toi Luthien. Je t’ai dit que je ne te voulais pas de mal. Crois-moi. Si tu ne te laisse pas approcher, je ne pourrai pas t’aider.

Semblant repliée sur elle-même, Lùthien riait intérieurement. La blessure au ventre n'était pas grave, elle guérirait en quelques heures, mais par jeu le démon se comportait en loup et léchait consciencieusement la plaie, regardant d'un oeil méchant ses adversaires.

-Calme-toi Luthien. Je t’ai dit que je ne te voulais pas de mal. Crois-moi. Si tu ne te laisse pas approcher, je ne pourrai pas t’aider.

Cette fois, il n'y tient plus et le rire grondant qui sortit de sa gorge fit sursauter les deux dragonniers.

L'aider? L'aider en quoi, nymphe? Tu es encore plus corrompue qu'elle, à regarder un fou se repaître des autres. Elle, au moins, se donne pour les autres quand bien même elle le fait pour elle aussi. Comment comptes-tu l'aider alors qu'elle est en harmonie? Comment comptes-tu l'aider alors qu'elle est si forte que même moi je ne peux contrecarrer sa volonté? La voix du démon résonnait dans l'air autour de Cassiopée mais elle seule l'entendait.

Un nouveau rire secoua le loup noir.

Vous n'êtes que des jouets. Vous la tuerez peut être, mais je dévorerais son âme comme les milliers d'autres avant elle. Cette fois, les deux dragonniers perçurent ses paroles. Comme un télépathe, il pouvait choisir à qui il parlait. Mais l'effet était différent, comme si le receveur se retrouvait plonger dans les ondes vocales, grondantes et fortes.

L'or de ses yeux passa sur Znas qui semblait s'ennuyer profondément, ne tenant absolument pas compte de sa blessure. Après tout, ce n'était qu'une égratignure...

Je n'ai pas souvent l'occasion de m'amuser, tu m'excuseras donc si je fais encore un peu durer les choses...

Négligemment, le démon secoua sa lourde fourrure et des volutes de poils noirs volèrent dans l'étroit espace. A chaque fois que l'un d'eux touchait la peau de Cassiopée ou Znas, l'aura rougeâtre qui l'entourait se mettait à ramper sur leurs corps, cherchant un endroit où s'infiltrer. Lorsqu'elle parvint à l'estafilade de Znas, elle s'engouffra au milieu du sang, répandant son maléfice, rongeant les chairs, éclatant toutes les cellules qu'elle rencontrait.

La louve secoua doucement la tête.

Cessez de vous battre pour mon âme, vous ne l'aurez ni l'un ni l'autre !

La voix de Lùthien sortit difficilement de sa gorge transformée mais son ton sans réplique était tout à fait reconnaissable.

Et toi, démon, tue donc ce Sanzeriel avant qu'il ne soit plus fort que toi ! Ne me fais pas regretter de t'avoir appelé pour ce combat où je m'arrangerais pour être ton hôte pour tes 10 prochaines réincarnations ! A la fin tu seras doux comme un agneaux...

Une expression de pure panique passa sur le faciès du loup quand le démon reprit sa place. Il ne savait comment étaient définies les réincarnations, mais il connaissait Lùthien suffisamment bien pour qu'il sache qu'elle ferait tout pour que ses menaces se réalisent. Or il avait bien l'intention que son prochain hôte soit faible et docile afin de pouvoir s'amuser un peu. Avec un grondement de rage, il s'élança donc dans un nouvel assaut... sans bouger d'un pouce. Seule sa longue queue se mit en mouvement, fouettant l'air. Chaque fois qu'elle touchait quelque chose, elle laissait une profonde entaille fumante. Après quelques passes, l'attaque commença véritablement, le loup cherchant à réduire en morceaux Sanzeriel, visant les points vitaux.

Lorsque le démon avait extrait ses ailes et éclaté les pupilles du corps de Snaz, Issac s’était subtilement évaporé. Et Cassiopée en avait ressenti l’arrachement brutal dans tout son être avec une violence extrême. Au même moment, Sanz lui parut s’éloigner d’elle comme s’il avait emprunté une voie autre que la sienne et que tous deux se soient retrouvés à des kilomètres l’un de l’autre. Elle le percevait toujours, le voyait comme on aperçoit les gens de loin, mais il était lointain, presque inaccessible.

Pourtant la scène qui se déroulait devant ses yeux était lourde de tensions et de forces contenues. Elle pouvait en sentir les pressions pesantes sur les pensées et les chairs.
La louve qui leur faisait face n’avait pas peur. Et le démon rougeoyant qui l’habitait grimaçait devant ses adversaires.

Instinctivement, Cassiopée se recula. Elle opéra sans bruit, sans même un mouvement perceptible, elle s’enfonça lentement dans la nuit et se recouvrit de l’opacité nocturne.

Soudain, sans qu’elle n’en comprenne la source, un souffle tourbillonna autour d’elle. Le souffle doux ressemblait à la caresse d’une mère qui époussette son enfant, efficace et affectueux.

Elle s’était rendue presque invisible aux yeux de Luthien, mais savait que le démon la discernait encore et que sa chair garderait son odeur pour la louve. Elle espérait seulement que le couple démoniaque la négligerait un moment.

Tout entier occupé à dépecer Znas, le démon ne faisait pas attention à Cassiopée. Non pas qu'il n'avait pas suivi ses mouvements, mais la nymphe n'était pas sa priorité et Lùthien, de l'intérieur, lui faisait savoir qu'autant que possible elle préférait ne pas se battre contre la femme. Galvanisé par le sang qui giclait, le démon-loup entrait dans une véritable frénésie de destruction. Le tunnel où prenait place ce combat commençait à en souffrir et de larges morceaux s'effondraient, révélant d'autres boyaux et menaçant de s'abattre sur les adversaires. Nul n'en avait cure.

Un morceau de rocher s'abattit sur l'épaule de Znas tandis qu'il essayait vaguement d'esquiver une frappe rapide du démon. Mais c'était sans engouement et pour le simple plaisir de voir sa chair se morfondre en des lambeaux déshonorants qu'il continuait de feindre l'affrontement. La louve avait le dessus depuis que le poison s'insinuait dans ses veines et détruisait toutes les cellules de son corps - jusqu'à ce que Znas discerne dans la nuit qui s'assombrissait dans le coeur de sa proie le lien qu'il cherchait.

- Je vois le Sceau.

Ce fut lorsqu'il prononça ces mots que Cassiopée s'échappa de ses brumes pour s'approcher et faisant front avec son collègue en piteux état exprima un sourire satisfait. Il avait fallut user de patience, de provocation pour que la louve accroisse le pouvoir de l'ombre Démon et lui permette de discerner dans le mélange de la chair les lien qui unissaient la bête à celle qui le hantait et lui conférait tant de pouvoir. Mais le vague esprit satisfait de la Dame Protectrice sembla se briser quand Znas admit avant elle

- Les inscriptions sont dans une langue inconnue, ou illisible.

Elle fit une vague grimace. Tout ça pour rien..

Les paroles et la déception émanant de Znas et Cassiopée n'échappèrent pas à Lùthien qui sentit là une occasion à ne pas rater. Reprenant aussitôt le contrôle sur le démon, la louve retrouva son aspect normal et fila par l'un des trous pratiqués dans les murs du tunnel. Elle détala à fond de train, espérant que les deux compères lâcheraient l'affaire après les informations qu'ils avaient récoltées.

Dans le doute, elle préféra rester dans les tunnels, limitant les dégâts pour la ville et les habitants si jamais le combat reprenait.

Alors qu'elle venait enfin de mettre la main sur les clés de son appartement, Lùthien sentit la sacoche s'arracher brutalement à sa poigne, envoyant l'elfe par terre avec un grondement sourd qui se transforma bien vite en un cri rageur quand elle comprit ce qu'il se passait. Bien que n'ayant pas la force de lui courir après, la porte de la taverne fut rudement ébranlée quand la Chasseuse la passa d'une démarche où se mêlait une fatigue extrême et une colère non moins ultime.

Henry ! hurla-t-elle, arrêtant net toutes les conversations. La rage déformait sa voix et faisait se tasser les quelques dockers qui déjeunaient. Le tavernier s'approcha de l'elfe avec circonspection et étonnement. Prépare moi deux portions travailleurs et mets-moi de côté des vivres pour deux jours. Je te jure que si j'attrape ce salopard, je le démembre !

Henry hocha la tête et s'empressa de satisfaire la demande de sa protégée. Il ne l'avait encore jamais vue dans cet état là et il se demandait bien ce qu'il lui arrivait. Toutefois, il se garda bien de lui poser la question. Il servit donc Lùthien avec générosité, il voyait bien qu'elle était épuisée, accompagnant le repas d'une bouteille de vodka qu'il lui laissa à disposition.

Son repas finit, l'elfe prit les provisions, remonta jusqu'à son appartement, prépara un sac avec quelques affaires mais surtout des armes supplémentaires et se lança enfin dans une traque qui ne se terminerait que lorsqu'elle aurait récupéré son bien. Et si jamais Lùthien croisait Hell, celui-ci regretterait d'avoir jamais existé.

De retour de Sûl-Nar, l'elfe avait pris un repos bien mérité, un bain mémorable qui l'avait débarrassée du sable du désert et un repas pantagruelesque. La taverne et son appartement étant toujours debout, Lùthien avait repris sa vie normale en attendant l'apparition d'Exodus : elle dormait le jour, dansait le soir et surveillait les "rats d'égout" la nuit. Elle n'était donc pas encore arrivée quand l'Enfant se présenta à L*P*lace.

Lùthien portait sa tenue habituelle, toute de cuir noir vêtue. En enlevant son casque au moment de descendre de sa moto, l'elfe sentit le parfum du Répurgateur et un large sourire éclaira son visage. D'une main, elle ébouriffa ses cheveux courts. Ici, elle ne cachait pas ses oreilles, même pour faire plaisir à l'Unique. Elle poussa la porte de la taverne et marcha d'un pas souple jusqu'au bar, ignorant délibérément Exodus, où elle embrassa Henry, le barman. En deux mots, Lùthien lui expliqua qu'elle prenait sa soirée, commanda une vodka et s'installa à une table.

De là, l'elfe attrapa le regard d'Exodus. D'un sourire charmeur, elle l'invita à se joindre à elle, loin des oreilles indiscrètes d'Henry.

Lorsque Exodus la vit passer à côté de lui pour claquer une bise au tenancier, il fît celui que n'avait rien vu. Autant pour ne pas attirer l'attention plus que nécessaire sur sa personne que pour éviter d’irriter le-dit tenancier, un coup de batte cloutée étant si vite arrivé.
Il préféra jouer quelques instant avec l'une des pattes de l'insecte qui flottait dans son verre (on trouvait décidément de tout à Galvorn) et osa au bout d'un moment lancer un regard en direction de l'elfe. Celle-ci le lui rendit agrémenté d'un sourire et l'invita à le rejoindre à sa table.

Il s'installa en face d'elle, profitant de leur éloignement de l'entrée pour se laisser aller un peu plus, allant même jusqu'à ôter son chapeau.

- Et bien, charmant endroit que celui-là. Ils ont même nettoyer le sang de sur les tables. Par contre je jurerais avoir croisé de jumeau du tenancier dans une ferme: ce type est bâti comme un taureau!

Il fit tourner une nouvelle fois la patte de mante dans son verre.

- En tout cas je suis ravi de te revoir, lui dit-il avec un sourire. Au passage j'espère que tu apprécie le déguisement. J'ai même songé à porter un bandeau sur l’œil, tu sais?

Lùthien détailla Exodus tandis qu'il s'installait. Son "déguisement" comme il l'appelait, était plutôt réussi. Son rire cristallin cascada à la mention du bandeau.

Et pourquoi pas une jambe de bois aussi? fit-elle, les yeux pétillant de joie. Ceci dit, je te reconnais l'art de passer partout. Contrairement à certains de ton ordre qui aiment provoquer avec leur habit, tu sais quand il faut faire preuve de diplomatie. Son sourire s'élargit. Tu as l'étoffe d'un bon...

D'un bon quoi, c'était à lui de l'imaginer.

Je suis aussi heureuse de te voir, reprit-elle en se penchant vers lui. Et je le suis d'autant plus que tu n'es pas venu avec une horde de bouteurs de feu. Je ne suis pas sûre qu'Henry m'aurait pardonné de détruire à nouveau sa taverne.

L'elfe jeta un coup d'oeil vers le-dit Henry, qui faisait semblant d'astiquer un verre tout en surveillant la table où se trouvait sa protégée. Comme s'il avait la moindre chance face au répurgateur. Comme si elle avait besoin de sa protection. Mais il était ainsi et elle n'y pourrait rien changer. Elle lui lança donc un sourire charmeur et revint à Exodus.

Ce n'est peut être pas le lieu idéal, mais je ne sais pas s'il existe. Allons, tu as sûrement des questions suite à notre aventure à Sûl-Nar. Dis-moi ce que tu veux savoir, je verrais ce que je peux te répondre sans mettre en danger plus de personnes que nécessaire.

La louve était toujours penchée vers Exodus, son regard doré pétillant. D'un geste lent, elle but une gorgée de vodka puis reposa son verre, l'enserrant de ses mains fines.

Exodus savourait le parfum de Lùthien, laquelle était assez proche pour qu'il puisse l'apprécier au milieu des fragrance habituelles de l'endroit. Même la légère odeur de vodka qui suivait les paroles de l'elfe ne parvenait pas à gâcher son plaisir. Ses doigts jouaient gracieusement autour de son verre tandis qu'elle parlait. C'était là toute le charme de cette race, se disait alors l'Enfant. Une grâce innée, une délicatesse inscrite dans leur chaire. Quelle dommage que celle-ci ne trouve son reflet déformée dans les pensées tortueuses qui les accompagnaient, résultat de trop nombreuses années à vivre dans leur suffisance.

- Je crains que ton compliment ne soit erroné pour autant qu'il soit flatteur, dit-il avec un sourire tout en levant la patte de la mante d'un air docte. Vois-tu, je n'y connais rien en diplomatie. L’épeler même me donnerait des maux de tête! Non, il s'agit plutôt de... discrétion. D'infiltration, si tu préfères. Et puis mon manteau avait besoin d'un bon lavage de toute façon. Il prit une gorgée. Les boutes feux comme tu dis viendrons après, rassures-toi conclu-t-il sur un ton qui laissait supposer la plaisanterie.

Encore que...

- Mais puisque tu en viens au sujet sérieux si rapidement, j'ai bien quelques questions pour toi. Des éclaircissements sur cette fameuse "déesse" que tu as mentionnée, ou encore sur tes antécédents et affiliations vis à vis, à tout hasard, du Sang, hum?

Il la regarda soudainement avec bien plus de sérieux, posant une main à plat sur le verre qu'elle s’apprêtait à porter à ses lèvres.

- Mais surtout, avant tout cela: est-ce que tu pourrais demander à ce sympathique tenancier dont le regard me transperce depuis tout à l'heure de bien vouloir arrêter de me scruter et en même temps de nous amener la carte de l'établissement? Oh, et je tiens vraiment à savoir comment tu as bien pu détruire ce boui-boui à toi toute seule, ce doit être une sacrée histoire!

Encore une fois, Lùthien éclata de rire.

Ho, je n'étais pas vraiment toute seule, il y avait aussi un mec très attaché à sa hache...

Son regard se perdit quelques instants dans ses souvenirs et un doux sourire passa sur ses lèvres. revenant à l'instant présent, l'elfe secoua doucement la tête.

Mais tout ça n'a que peu d'importance, dit-elle d'un ton ferme.

D'un geste de la main, elle indiqua à Henry de leur amener la carte, plutôt bien fournie. La plupart étaient des plats simples et copieux, très bien pour les dockers, mais il s'était glissé quelques plats exotiques et plus raffinés, issus des voyages du cuisinier. Ce que Lùthien expliqua à Exodus en le prévenant toutefois de se méfier des plats notés en rouge, qui donneraient le feu au gosier même à un dragon. Ce qui lui fit une transition parfaite pour répondre aux questions du répurgateur.

Je n'ai aucune affiliation avec le Sang, ni même avec aucune autre Confrérie. Je marche seule, fit-elle d'une voix dure. Mais je suis quelqu'un de curieux et certains membres du Sang sont... intéressants. Il m'arrive donc de les suivre, voire de les défendre si cela me semble nécessaire ou que j'ai simplement envie de me défouler. Ils ont des adversaires tout aussi intéressants qu'eux, ajouta-t-elle avec un sourire gourmand pour Exodus.

Henry était revenu pour prendre leur commande. L'elfe prit comme à son habitude deux "Assiette du Docker", repas riche en viande rouge et en tubercules rassasiants. Son métabolisme particulier nécessitait un apport énergétique important. Elle continua à parler pendant qu'Exodus passait commande.

Quand à la déesse... Dans certaines régions, elle est connue sous le nom de Kali, dans d'autres Tlaltecuhtli... Ses visages sont divers mais elle exige toujours la même chose : le sang des hommes et surtout des enfants. Pour cela, je l'apparente plutôt à un démon. Pour moi les dieux et les déesses sont censés veiller sur leurs enfants et non pas les détruire. Ce que je te dis, bien évidemment, peut te sembler hérétique. Pour toi, il n'y a qu'un seul Dieu. J'ai expérimenté l'existence de plusieurs d'entre eux. Un jour, peut-être, l'Unique sera vraiment unique. Pour le moment, la concurrence est rude. Sa voix était neutre, du ton de l'énoncé d'un fait. Aucun jugement ni remise en question. Je ne mets pas mes pas dans ceux d'un dieu ou d'une déesse. Je les respecte mais je suis la voie qui me semble juste et respectable. C'est tout.

Un silence.

Autant que possible vu ma nature.

Elle s'arrêta là, vida son verre d'une traite et entama voracement son plat.

Exodus avait passé un certain temps a arpenter la carte que le dénommé Henry leur avait apporté. Les plats étaient simples pour le plupart, lui rappelant les repas qu'il pouvait trouver a la Cathédrale de Belthil. Il suivi les conseils de Lùthien et esquiva les quelques spécialités qui étaient inscrites en rouge, et ce malgré le fait qu'un plat nommé "Feu mon estomac" attirait forcément sa curiosité, ne serait ce que par sens du défi. Il finit alors par choisir un gratin d'aubergines sur lit de veau, preuve des péripéties du cuisinier dans l'ouest du pays. "Je vous rappellerais pour le second plat" avait alors dit l'Enfant au tenancier avant le congédier avec un sourire et de revenir a Lùthien.  

- Un point sur lequel je souhaiterais revenir: nous ne somme pas foncièrement ennemis des Sanguins tu sais? Non pour ça il faudrait encore avoir du respect pour eux, ajouta-t-il en son fort intérieur. Disons plutôt que nous sommes... incompatibles. Mais je prend note du compliment, acheva-t-il en souriant avant de prendre une dernière gorgée de son thé.

Les plats arrivèrent alors qu'il était en train de chasser un pichet d'eau sur les tables avoisinantes, à la grande stupéfaction des clients (règle numéro 1 des dockers: on ne bois pas ce dans quoi tout le monde se lave. La bière est bien plus hygiénique).

- Je note en tous cas avec plaisir que tu ne te nourris pas d'illusions concernant les soi-disant "divinités" qui hantent encore l'esprit des plus crédules, dit-il entre deux bouchées d'aubergine. Ceux que leurs trop nombreux fidèles appellent dieux ne sont que des êtres impures. Puissants, certes, mais qui ne sont rien d'autre que des imitations, des pauvres esprits tentant désespérément d'accéder à la condition divine, qui est seule apanage de l'Unique. Et parmi ces êtres voraces se trouvent des démons comme cette déesse que tu viens de me décrire.

Il prit une gorgée d'eau et pilla la corbeille a pain avant de reprendre.

- Au final, continua-t-il sur le ton de la conversation,  on ne peut pas dire qu'il ait vraiment de concurrence: cela sous entendrait un pied d'égalité entre Lui et ces fausses idoles. Ce sont des gênes passagères. Dangereuses, mais passagères. Dans tout le cas il est heureux que tu ne ne conteste pas cette vérité on ne peut plus simple.  M'acoquiner avec une allanthrope possédée passe déjà pour une faute suffisante...

Il avala sa dernière bouchée avant de faire un signe au tenancier pour commander un deuxième service. D'aucun auraient pu s'offusquer du fait que le Répurgateur ne prenne pas mouche des réflexions hautement hérétiques de l'elfe, au point de brûler le bâtiment ainsi que tout ses occupants, mais l'Enfant savait parfaitement quand se maîtriser pour éviter que tout les dockers de Galvorn ne lui tombe dessus. Et quand mettre les préceptes du Fides de côté le temps de recueillir des informations.
La déesse précédemment mentionnée était par exemple une information de valeur. Mais plus encore Lùthien elle même était une mine sans fond d'information: quelqu'un évoluant depuis des années en marge de toutes les grandes organisations. Et surtout le premier cas observé de possession symbiotique observé pa un de Ses serviteurs! Les possessions impliquaient normalement toujours une relation de dominance, généralement en défaveur de l'hôte. A ce qu'en savait Exodus, ce cas était simplement unique et l'aiderait sans doute  lutter contre cette genre de menace. Voir a trouver une nouvelle utilité a ses victimes... Tous cela était donc pieusement professionnel, tentait de se convaincre Exodus.
"Mais bien sûr", lui répondit son cerveau.

- Au fait, puisque tu en parles, verrais-tu une objection à me parler plus en avant de cette "nature" qui est la tienne? Simple curiosité professionnelle, bien sûr, dit-il avec un sourire, mais je suis prêt à te rendre le service de ton choix en échange. Dans les limites du raisonnables, évidemment.